La Création divine ne s’identifie pas au Big Bang

« Au commencement Dieu créa les cieux et la terre » (Gn 1,1). Ainsi débute le livre de la Genèse, en ouverture de la Bible. Dès lors, la tentation est grande d’amalgamer science et foi, en fusionnant le premier verset de la Bible avec la célèbre théorie de physique cosmologique, dite du Big Bang, échafaudée pour la première fois par le chanoine et physicien George Lemaître (1894-1966) à la fin des années 20 du siècle dernier.

Or, tant du côté de la physique, que de celui de la théologie, cet enchainement de causes et d’effets est problématique. Il n’est pas évident d’affirmer que le Dieu créateur est la cause du Big Bang, puis cette « explosion initiale » est la cause de l’Univers présent. Lorsqu’en 1951, le pape Pie XII voulut se servir de la théorie de Lemaître pour prouver l’existence de Dieu à la lumière de la science moderne, le chanoine en fut très affecté. A ses yeux, l’hypothèse physique de l’expansion de notre Univers à partir d’un « atome primitif reste entièrement en dehors de toute question métaphysique et religieuse. Elle laisse le matérialiste libre de nier tout être transcendant » (G. L., Onzième conseil Solvey, 1958).

Cette indépendance entre la science et la foi, qui sont selon Lemaître « deux chemins vers la vérité » différents, complémentaires et non conflictuels (G. L., New York Times Magazine, 19 février 1933), provient du fait que les causes théologiques ne sont pas de même nature que les causes physiques. Nous établirons, dans cet article, que de telles causes, si différentes l’une de l’autre, ne peuvent être associées sans risquer d’élaborer des successions hybrides d’événements, en fin de compte dénuées de toute valeur, tant sur le plan théologique que scientifique.

Conviendrait-il par exemple de réécrire ainsi le premier verset de la Bible : « Au commencement, Dieu créa le Big Bang et la Terre » ? Selon la cosmologie moderne, le Soleil et le système solaire, dont la planète Terre, se sont formés il y a entre 4 et 5 milliards d’années, soit plus de 10 milliards d’années après le Big Bang, et non au commencement, selon la traduction française du mot hébreu bereshit, qui signifie littéralement dans la tête ou en tête.

La physique théorique ne saurait prouver l’existence de Dieu

L’hypothèse du Big Bang suivi de la croissance de notre Univers se fonde sur plusieurs déductions mathématiques à partir de données observables de notre point de vue humain. Il s’agit donc d’une théorie scientifique, à savoir d’une conception de la réalité dont la pertinence repose sur une combinaison de mesures, d’expériences, de calculs et de modélisations fort complexes, et en aucune mesure sur des croyances religieuses. De telles élaborations théoriques sont susceptibles d’évoluer au fil du temps, soit de façon continue par de petites inflexions, soit par une révolution modifiant en profondeur le paradigme scientifique actuellement dominant. Les théories scientifiques ne peuvent donc jamais servir de preuves ou de contre-preuves de l’existence de Dieu. Elles ne sont cependant pas dénuées de valeur, car elles rendent compte correctement d’un ensemble très vaste, mais pas illimité, de phénomènes observables, qu’elles rendent explicables et prédictibles.

Je me limite ici à présenter brièvement six aspects souvent discutés de la théorie du Big Bang, qui n’entachent pas radicalement sa valeur de référence, mais qui inscrivent ses thèses dans les débats contemporains de la recherche en physique fondamentale.

Premièrement, il convient de préciser que formellement, la science physique ne peut rien dire de l’instant zéro, qui est un postulat. En effet, dans la mesure où elle étudie les liens entre les causes et leurs effets, si l’apparition de l’Univers est précédée par « rien », elle reste inexplicable physiquement. Ici, la théologie ne doit pas voler au secours de la physique, saisissant l’occasion de s’engouffrer dans cette lacune inexpliquée, car tôt ou tard, la discussion scientifique comblera ce vide et en chassera l’explication théologique. J’illustre cette situation par l’attitude d’un élève paresseux, qui écrirait sur sa feuille d’épreuve : « Je ne parviens pas à résoudre cette équation, mais Dieu en connaît la solution à ma place ».

Deuxièmement, à supposer que la matière-énergie de l’Univers se soit trouvée concentrée dans un espace nul à l’instant zéro du Big Bang, ce stade initial suppose une masse volumique infinie, ce qui n’a physiquement pas de sens. La fonction de l’instant zéro, en lui-même impensable, permet de structurer le déroulement causal des événements lors des premières fractions infinitésimales de seconde, essentielles pour la formation de l’Univers.

Troisièmement, et il s’agit là d’un point essentiel, la théorie du Big Bang ne résout pas la question de l’apparition des quatre dimensions (longueur, largeur, hauteur, temps) de l’espace-temps contenant la matière-énergie initialement concentrée en un point. La question de l’étendue du vide de l’espace sidéral au moment du Big Bang doit être posée.

Quatrièmement, l’hypothèse intuitive d’un temps scalaire et uniforme, adoptée par Isaac Newton (1642-1727) dans sa physique classique, est de longue date dépassée en faveur de la conception relativiste de l’espace-temps introduite par Albert Einstein (1879-1955), laquelle admet des déformations de l’espace-temps imperceptibles et contre-intuitives à notre échelle, mais dont l’effet est considérable à l’échelle et à la vitesse des particules.

Cinquièmement, la théorie du Big Bang pose de sérieux problèmes en ce qui concerne l’adéquation, encore inachevée, entre la physique relativiste de l’infiniment grand et la physique quantique de l’infiniment petit, car les deux aspects sont réunis dans le Big Bang.

Sixièmement, les physiciens qui s’interrogent au sujet de la pertinence de l’hypothèse d’un instant zéro dénué de causes physiques sont parfois amenés à postuler l’existence d’un ou plusieurs univers, avec éventuellement un nombre de dimensions supérieur à quatre, imperceptibles de notre point de vue humain, et dont « notre » Big Bang serait un événement isolé. Il convient de préciser ici que de tels multivers sont des conceptualisations théoriques ayant pour but d’unifier mathématiquement les résultats expérimentaux des physiques relativiste, quantique et cosmologique, et sont sans rapport avec les croyances ésotériques en d’autres dimensions et forces spirituelles invisibles.

La Création divine ne concerne pas uniquement le début du cosmos

Tout autrement, l’affirmation de l’acte créateur de Dieu ne repose sur aucune observation ni aucun calcul scientifique. Le Dieu de la Bible, transcendant, se situe en retrait de notre espace-temps et de tout autre multivers, et donc hors du champ d’investigation de toute physique fondamentale et expérimentale. L’acte de foi en ce Dieu créateur repose sur une révélation qui ne provient pas avant tout de la Création divine (Rm 1,18-20), mais des Ecritures éclairées par l’Esprit Saint, qui relatent l’œuvre salvifique de Dieu en Jésus-Christ. Ainsi, vouloir prouver Dieu au travers de la science, c’est court-circuiter l’Evangile.

Théologiquement, la notion de cause divine du Big Bang est problématique dans la mesure où elle suppose un enchainement temporel. Si nous considérons le Big Bang comme le début du temps, sa cause ne peut pas se situer dans le temps qui le précède. D’emblée, il apparait ainsi que la cause théologique est hors du temps. Il est insensé de penser que Dieu a agi « avant » le Big Bang pour en être la cause. Ceci est d’autant plus vrai que, si Dieu est perçu comme créateur non seulement de la matière-énergie, mais aussi de l’espace-temps, il se situe lui-même hors du temps et de l’espace, de sorte que le passé et l’avenir, le lointain et le proche, n’ont aucune réalité de son point de vue, sa vision embrassant tout l’espace-temps, qui plus est toute transcendance et toute immanence, en un seul regard.

Cette idée d’un Dieu hors du temps, Eternel non au sens d’une durée interminable (qui le situerait encore dans le temps), mais au sens d’une Présence simultanée en tout temps et tout lieu, est exprimée dans l’Apocalypse, dernier livre de la Bible, par l’affirmation que Dieu est en Christ « l’Alpha et l’Omega, le Premier et le Dernier, le commencement et la fin » (Ap 22,13). Cette perspective revient à considérer la Création comme un acte permanent de Dieu, situé tant à l’origine, au présent et à la destination ultime de toute réalité.

Lorsque nous parlons théologiquement de la Création divine, nous pensons Dieu en tant que Créateur non seulement du Big Bang, mais de toute loi universelle, de toute Sagesse (Pr 3,19) et de chaque temps et lieu de l’Univers, et donc aussi de chacun de nos jours (Ps 118,24), qui sont autant de dons du Dieu créateur de nos vies. Selon cette approche théologique, il n’y a aucune impossibilité de penser Dieu comme étant le Créateur d’un espace-temps de durée et de taille infinies, sans limites de temps et de volume.

En considérant les paradoxes logiques que ces raisonnements suscitent immanquablement, de telles pensées nous invitent à dissocier les événements primordiaux du cosmos décrits par la physique théorique, et la Création divine dans son ensemble, dont l’existence de chaque être inerte ou vivant dépend intimement. Il s’agit donc de distinguer soigneusement le DEBUT chronologique de l’espace-temps que représente le Big Bang, il y a 17 milliards d’années ; et l’ORIGINE du monde, la source intime et intemporelle de chaque existence temporelle que représente l’acte Créateur de Dieu, à la fois hors du temps et en tout temps.

En conduisant cette théologie jusqu’à son aboutissement, le foi invite à penser un Dieu qui, dans son élan créateur, a projeté la fin de l’Univers avant son début, de sorte que la destinée de chaque être conduise inexorablement vers son Règne éternel, qui en est à la fois l’origine et le sens intime. De telles spéculations philosophico-théologiques, non dénuées de fondements bibliques, devraient donc à mon sens être soigneusement distinguées des découvertes de la physique moderne. Lorsque le Christ johannique s’exclame « Avant qu’Abraham fut, je Suis » (Jn 8,58), il ne s’agit pas d’une affirmation de physique au sujet d’une possible inversion de la flèche du temps (retour vers le passé), mais d’une affirmation théologique selon laquelle la réalité la plus essentielle qui crée et soutient toutes choses, le fond christique de l’être, conjugue tous les temps et les lieux réunis.

10 réflexions sur « La Création divine ne s’identifie pas au Big Bang »

  1. Bonjour Monsieur Bourquin

    J’ai reçu cet article de la part d’une connaissance de l’Eglise néo-apostolique et je suis moi-même un membre actif de cette église.
    J’ai beaucoup aimé votre article qui éclaire majestueusement ce point du début de la création par rapport à la foi d’un Dieu intemporel et tout puissant qui utilise les moyens que nos scientifiques mettent en valeur par leurs découvertes mais ne pourrons jamais intégrer Dieu dans leurs formules aussi compliquées soient elle et qui finalement Le mettent en valeur par les lois et les processus scientifiques découverts et qui sont bien utiles à l’humanité.
    Merci

  2. Cher Monsieur van Pernis,
    merci pour votre commentaire, qui s’inscrit me semble-t-il dans l’esprit de mon article. Effectivement, on ne peut pas intégrer Dieu dans les formules et les théories scientifiques, qui sont fondées sur des observations du monde. Inversement, il est également difficile d’intégrer les découvertes scientifiques dans la théologie chrétienne, dans la mesure où cette dernière concerne essentiellement la révélation d’un Dieu qui se manifeste en Jésus-Christ. Cela dit, diverses sciences, naturelles et humaines, dont la science des religions, ainsi que la philosophie, peuvent influencer, nourrir et renouveler notre compréhension de la Bible.
    Bien cordialement.
    Gilles B.

  3. À vrais dire la Genèse débute… »Il y avait des ténèbres au-dessus de l’Abîme et lla forcé d’Elohim planait au-dessus des eaux ». Pour indiquer que rien ne commence à zéro. Avant le Big-Bang la culture biblique s’y mêle.

  4. En effet, vouloir intégrer Dieu dans nos formules mathématiques revient en somme à le rabaisser à notre niveau d’Hommes. Là, me semble-t-il, prouve une chose toute simple, l’Homme reste orgueilleux à vouloir mettre Dieu à sa ressemblance, voir même, chercher à prendre sa place grâce à la science.

  5. Merci Thierry pour ton partage. En effet, on ne peut pas placer Dieu dans les formules mathématiques. Je ne pense pas que l’Homme cherche toujours à prendre la place de Dieu grâce à la science. J’illustre mon propos par un exemple : En répondant à mon article par un commentaire sur mon site, tu as utilisé un système électronique et informatique parmi les plus sophistiqués au monde : internet. Je ne pense pas qu’en utilisant cette technique sophistiquée rendue possible par de nombreuses découvertes scientifiques, dont la physique des particules, tu as cherché à prendre la place de Dieu. Et des millions de personnes utilisent le net chaque jour comme toi et moi, sans se prendre pour Dieu. Nous savons que internet est utilisé pour le bien et pour le mal, comme (presque) tout produit des sciences techniques. A mon sens, cette question éthique n’est pas liée aux sciences elles-mêmes, mais à la manière dont l’Homme les utilise, pour le bien ou le mal, on le voit aujourd’hui avec la guerre d’Ukraine. Amitiés. Gilles

  6. Bonsoir Monsieur Bourquin,

    J’ai lu votre article avec intérêt. Je pense qu’il résume les raisons pour lesquelles j’ai quitté l’église réformée. Le dieu (quel mot trompeur) que vous définissez est tellement abstrait que je comprends mieux pourquoi le calvinisme n’est finalement qu’une religion sans spiritualité, une religion matérialiste paradoxalement. Je me sens désormais très proche de la spiritualité orthodoxe si riche en symboles ou alors du christianisme médiévale, également foisonnant de symbolisme, étant médiéviste de par mes études. En ce sens, je n’oublie jamais que « symbole » (ce qui lie) est l’antonyme de « diable » (ce qui divise). Le seul « protestant du XXe siècle car fils de pasteur (et finalement si peu protestant) qui a enrichi ma spiritualité est Carl-Gustav Jung dont j’ai lu à peu près toute l’oeuvre. Par ailleurs, je fais mienne cette citation de Francis Bacon : « Un peu de science éloigne de Dieu ; beaucoup de science y ramène. » Lorsque je pense au « Big Bang », ma pensée va directement au Verbe, cette Parole de vie qui est à la source de tout ce qui est. Lorsque je contemple la nature ou le ciel, je ne vois que ce Verbe à l’oeuvre, lequel apaise mon âme. A la suite de votre article, j’ai effectué une recherche sur Internet concernant les scientifiques, et surtout les astrophysiciens, qui se déclarent croyants (quelle que soit leur tradition religieuse). Leur nombre m’a impressionné. Voici le lien d’un site que j’ai consulté : https://www.senscritique.com/liste/les_grands_scientifiques_croyants/2573325.

    Il y a une pensée du Moyen Âge, fort judicieuse, qui postule que le microcosme et le macrocosme coïncident. Hubert Reeves a traduit cela en disant : « l’humain est une poussière d’étoile. » Personnellement, ma foi est revigorée lorsque je sais qu’un grand scientifique est croyant alors que dans le même temps je ressens que bien des pasteurs sont devenu athées, tellement ils ne semblent plus croire à la réalité tangible de l’Âme, de l’Esprit, de la Résurrection, de la Vie après la mort, de l’Incarnation du Verbe, lequel se manifeste dans tout l’univers sensible, non pas abstraitement mais bien concrètement.

    Bien à vous.

    Blaise Augsburger, Chamoson

  7. Merci Monsieur Aubsburger pour votre commentaire.

    Vous y exprimez une certaine aversion pour le protestantisme, et certains désaccords de fond avec mon article. La critique du manque de spiritualité du protestantisme et un fait très généralement reconnu, et je l’ai moi-même soulignée dans ma thèse de doctorat intitulée Théologie de la spiritualité, publiée aux éditions Labor et Fides. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur le causes de ce « manque » de spiritualité, qui remontent à Luther lui-même, dans son affirmation que le salut ne s’obtient que par la grâce de Dieu, et non par les mérites humains; ayant eu pour effet de libérer les croyants de toutes sortes d’obligations religieuses spirituellement oppressantes. Dans cette ligne, le protestantisme est devenu une spiritualité de la liberté et de la responsabilité individuelle, ayant un impact majeur sur la constitution de la modernité occidentale, dont nous sommes les bénéficiaires aujourd’hui.

    Vous vous définissez vous-même, si je perçois bien, comme un croyant libre penseur, ayant cherché votre spiritualité en quittant l’Eglise réformée, et en vous sentant très proche de la spiritualité orthodoxe (mais sans adhérer à une Eglise orthodoxe) et en étant marqué par l’hétérodoxie de Carl-Gustav Jung. Votre individualisme religieux, si j’ose l’appeler ainsi, a donc paradoxalement quelque chose de protestant, dans son essence même de liberté croyante.

    Vos considérations au sujet des rapports entre science et foi s’écartent également des miennes. Votre association entre Big Bang et Verbe créateur est l’objet de la mise en garde de mon article. J’y affirme l’impossibilité d’assimiler une vérité métaphysique à une hypothèse scientifique, d’autant plus lorsque cette hypothèse est largement problématisée aujourd’hui pour les raisons que je résume dans mon article. Quant au besoin d’être revigoré dans sa foi par la pensée des grands scientifiques, ma pensée est là aussi protestante : C’est dans les Ecritures et les Evangiles que je trouve avant tout les sources de ma foi, et non dans les affirmations de certaines personnes, aussi éminentes soient-elles dans leur domaine, dont on tord généralement la pensée à sa convenance, comme c’est notoirement le cas de figures telles que celles d’Einstein ou de Darwin.
    Avec mes cordiaux messages.

    A propos de la discussion critique au sujet de la théorie du Big Bang, voir par exemple le magazine Thema Pour la science d’avril 2019 consacré à L’univers avant le Big Bang.

    Gilles Bourquin

  8. Bonjour,

    Ayant été en voyage la semaine dernière, je viens de découvrir votre texte hier soir.

    Comme à chaque fois, je suis pleinement en phase avec ce que vous écrivez (et pensez !), bien qu’il se peut que parfois j’ai du mal à saisir complètement et à interpréter correctement votre pensée.

    Un de mes deux parrains, Charles Fehrenbach (1914-2008), un oncle par alliance (mari d’une de mes tantes), était un astrophysicien éminent, et j’ai toujours été passionné par l’histoire de l’univers, sans doute en partie à cause de cela.

    Lui-même était croyant (il a d’ailleurs participé à un ouvrage de Christian Chabanis en 1985 : « Dieu existe-t-il ? Oui répondent » éd. Fayard), mais il a toujours bien distingué ses recherches et sa foi. C’est amusant, mais j’ai autant apprécié, sinon davantage, l’ouvrage qui a suivi (« Dieu existe-t-il ? Non répondent » éditions Fayard)

    Je me souviens par ailleurs qu’il y a une époque où j’aimais beaucoup lire le philosophe Claude Tresmontant, parce qu’il soulignait ostensiblement le lien entre le christianisme et le judaïsme, mais que j’étais en désaccord avec lui sur le concordisme entre science et foi, dont il faisait preuve.

    Et en cela je vous donne totalement raison. La Genèse est un texte théologique (s’il n’en fallait qu’une preuve c’est que son ou ses auteurs affirment que la végétation a été créée un jour avant le soleil, la lune et les étoiles !!! Leurs connaissances à ce sujet n’étaient évidemment pas en cause, et leur but était sans aucun doute d’évacuer toute la tentation idolâtre, rencontrée lors de l’exil à Babylone.

    Ceci dit, j’avoue que j’ai du mal à parler de foi, même en lisant le texte de Genèse 1. Pour moi, il s’agit en effet d’une forme de connaissance théologique, et non d’une expression de foi, et comme vous l’écrivez, il me semble, le Dieu créateur n’est-il pas celui qui me crée à chaque instant, ainsi que mes proches et tous les êtres vivants dans un amour et une grâce infinis?

    Je ne suis par ailleurs pas tellement surpris, vu la rigueur de votre propos, que vous n’ayez soufflé mot de la théorie de l’évolution, qui est encore aujourd’hui source de malentendu (il suffit de penser aux « créationnistes »). Mais j’avoue que j’aurais la faiblesse d’y voir une part du mystère de la Création (et peut-être justement parce que l’évolution des espèces est un phénomène si fantastique et qui a éminemment besoin de temps !)

    Une autre question que vous n’avez pas abordée (sans doute par sagesse, également), c’est la question de la vie dans l’univers. Je trouve remarquable de ce point de vue que de plus en plus de scientifiques affirment que statistiquement, vu le nombre d’exoplanètes qui existent dans l’univers qui pourraient être comparables à notre Terre, il est très probable que la vie existe autre part que sur la Terre (mais ils reconnaissent évidemment que c’est sans la moindre preuve qu’ils font cette hypothèse puisque les distances sont trop éloignées pour l’affirmer).

    Or, ils ont un contradicteur, l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring, qui fait l’hypothèse inverse, à savoir qu’il se pourrait bien que la vie (et donc également la vie humaine) soit unique dans l’univers (mais lui aussi reconnaît évidemment que c’est sans la moindre preuve qu’il fait cette hypothèse !).

    Son hypothèse assez simple (si j’ai bien compris !) se base sue le fait que les mécanismes qui ont conduit à l’apparition de la vie sur Terre seraient eux-mêmes d’une complexité tellement infinie qu’ils pourraient ne pas être reproductibles…

    Excusez-moi d’avoir simplifié à outrance, mais on retrouve ici une dimension qui interdirait autant d’opposer science et foi que des les amalgamer dans un concordisme de façade.

    Bien cordialement,

    Wilfred Helmlinger

  9. Merci bien, cher Monsieur, pour votre commentaire, et votre intéressante mention du concordisme, qui m’inspire les pensées suivantes :

    Le dictionnaire André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Quadrige, Presses Universitaires de France, 1926, p.163, définit ainsi le concordisme : « On appelle ainsi en théologie, la théorie selon laquelle la foi et la science, étant toutes deux divines à leur manière, ne sauraient être en désaccord. » (Citation de G. Belot, La valeur morale de la science, Revue de métaphysique, juillet 1914, 433).

    Ainsi, le problème du concordisme entre sciences et foi revient à adopter plusieurs attitudes qui invalident tant les sciences que la foi :
    – Imposer la nécessité que la foi soit toujours en accord avec la science, et vice versa, ce qui implique un contrôle mutuel, et une absence de liberté et d’indépendance, tant dans la recherche scientifique que dans la vie spirituelle.
    – Trouver une explication théologique quand l’explication scientifique manque, pour « boucher les trous » en quelque sorte.
    – Chercher à tout prix des explications scientifiques qui soient cohérentes avec la foi, donc subrepticement contrôlées par notre interprétation de la Bible.
    – Refuser qu’il puisse y avoir une tension entre ce que nous déduisons de la science et ce que nous déduisons de la foi. C’est ce refus qui produit en fait le concordisme, qui n’est pas sans liens avec le fondamentalisme et la foi naïve selon laquelle tout doit toujours être expliqué, et d’une seule manière, aboutissant à l’idée que la science et la foi représentent une seule et même vérité, toujours en parfait accord, aussi artificiel soit-il.
    – Refuser l’idée que la théologie et les sciences ne peuvent pas tout expliquer et tout savoir sans jamais se tromper. Le concordisme est pour finir un refus de l’incomplétude, de l’imperfection et de la perfectibilité du savoir humain.

    1 Corinthiens 13,12 : « À présent, nous ne voyons qu’une image confuse, pareille à celle d’un vieux miroir ; mais alors, nous verrons face à face. À présent, je ne connais que de façon incomplète ; mais alors, je connaîtrai Dieu complètement, comme lui-même me connaît. » Une telle conception de la connaissance humaine n’est pas sans lien avec la distinction fondamentale, dans la philosophie kantienne, entre le noumène, la chose en soi, telle qu’elle est réellement, et le phénomène, qui est la chose telle qu’elle nous apparaît, noumène et phénomène ne pouvant jamais s’identifier totalement.

    Avec mes cordiaux messages. Gilles Bourquin

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