Prédication : Un sacrifice nécessaire, oui mais lequel ?

Dans un texte humaniste, l’apôtre Paul nous invite à nous offrir nous-mêmes en sacrifice vivant, au travers d’un culte spirituel. Comme l’a montré Karl Barth, l’expression réhausse la dignité de l’homme en l’appelant au service divin, bien plus qu’elle ne l’entraîne dans une pratique mortifère du mépris de soi.

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Epître de Paul aux Romains 12,1-3

1 Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. 

2 Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait.

3 Au nom de la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun d’entre vous : n’ayez pas de prétentions au-delà de ce qui est raisonnable, soyez assez raisonnables pour n’être pas prétentieux, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a donnée en partage.

Evangile de Matthieu 16,21-26

21 A partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter. 

22 Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas ! » 23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

24 Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. 25 En effet, qui veut sauvegarder sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera. 26 Et quel avantage l’homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? Ou bien que donnera l’homme qui ait la valeur de sa vie ?

Prédication du dimanche 13 août 2023 à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Romains 12,1-2 : 1 Je vous exhorte (gr.: parakalo) donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu (gr.: oi oiktirmoi tou theou), à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel (gr.: logiken, fr.: raisonnable, logique, spirituel). 2 Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence (gr.: nous), pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait ».

Les deux parties de l’épître aux romains

A première vue, ces propos sont scandaleux et révoltants : Amorçant la seconde partie de son épître aux Romains, Paul invite le croyant à se sacrifier : Est-ce cela, l’Evangile ?

Tous les commentateurs se rejoignent : Aux chapitres 1 à 11, l’apôtre a décrit la doctrine ; tandis que depuis le chapitre 12 jusqu’à la fin de sa lettre, il expose les conséquences concrètes de cette doctrine. La Bible d’étude du Semeur 2015 résume bien la situation : « Il n’y a pas de théologie sans pratique ; il n’y a pas non plus de pratique qui ne soit bâtie sur la théologie » (p.1863). Le théologien évangélique George Eldon Ladd, sensible aux méthodes historico-critiques d’analyse des textes bibliques, justifie la nécessité de cet impératif éthique par le fait que « le chrétien vit dans deux siècles ; il est citoyen du siècle nouveau, tout en vivant encore au sein de l’ancien » (Théologie du Nouveau Testament, Hokhma, 1974, trad. fr. 1984, p.725). L’indicatif décrit ce que Dieu a fait pour fonder la vie nouvelle en Christ ; tandis que l’impératif affirme la nécessité de l’effort de la vie chrétienne, parce que la vie nouvelle crée selon Dieu se déroule encore dans le monde ancien dominé par le péché et la vanité.

A la fin du XIXe siècle, Frédéric Godet était encore plus explicite : « L’idée fondamentale de la 1ère partie, ch. I-XI, était celle du sacrifice offert par Dieu pour le péché », tandis que « la partie pratique que nous commençons, correspond à la seconde espèce de sacrifices qui retracent la consécration à la suite du pardon reçu » (Commentaire sur l’Epître aux Romains, 3e ed. 1890, p.436). Le problème est ainsi posé : Si la mort de Jésus, le Christ, est à comprendre comme un sacrifice ultime, pourquoi et comment devrions-nous à notre tour nous sacrifier dans la foi en Christ ? Si le sacrifice définitif du Christ a eu lieu, dans quel sens nous faut-il le répéter ?

L’union mystique avec le Christ et ses conséquences morales

Autre commentateur ancien, auteur de la Bible annotée, Louis Bonnet retrace une histoire religieuse des sacrifices que nous pouvons suivre dans les grandes lignes : A l’origine, confusément dans le paganisme ancien puis plus clairement dans l’Ancien Testament, les sacrifices offerts aux divinités servaient à s’acquitter d’une dette, soit d’un péché dont on s’était rendu coupable, soit d’un bienfait de Dieu, dont on était reconnaissant. Mais il s’agissait là de symboles imparfaits attendant un accomplissement, réalisé dans le sacrifice de Jésus-Christ, qui réunit les deux aspects du pardon et de la reconnaissance-consécration. Enfin, selon Bonnet, « ce sacrifice ne doit, ni dans un sens, ni dans l’autre, rester pour nous objectif, en dehors de nous ; par notre union vivante avec le Sauveur, ce qui a été accompli en lui, le Chef, s’accomplit également en nous, ses membres ; mon péché est expié, et ma consécration à Dieu en est la conséquence inséparable, logique, raisonnable » (Le Nouveau Testament expliqué au moyen d’introductions et de notes exégétiques, 3e ed. 1891, Tome III, p.122-123). Cette « union vivante avec le Sauveur » représente ce que l’on appelle l’union mystique : l’intimité profonde, essentielle, qui communique la vie et l’expérience du Christ dans la foi du croyant ; par laquelle le sacrifice physique du Christ, se traduit en nous par un « sacrifice vivant » dans un « culte spirituel » (v.1).

Mais une telle communion du croyant avec le destin passé du Christ, que nous célébrons par exemple dans la sainte-cène, n’est absolument plus une idée moderne, et c’est peut-être là une des raisons de l’abandon massif du christianisme. Or, si nous séparons ce « sacrifice vivant » demandé au croyant de sa relation intime à Dieu au travers du Christ, le sacrifice qui lui est demandé devient exclusivement moral, et donc d’autant plus incompréhensible et inacceptable.

Les différentes traductions françaises du verbe grec paracaleo

Cette dérive moraliste, qui rend le christianisme plus rationnel et moins mystique, est soulignée par la plupart des commentateurs de notre passage. A la charnière des parties théorique (ch. 1-11) et pratique (ch. 12-16) de l’épître aux Romains, ce risque se manifeste notamment par le choix des verbes pour traduire en français le verbe paracaleo dans les différentes versions de la Bible.

Dans plusieurs versions actuelles de la Bible, dont la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) que j’utilise habituellement, le grec est traduit par « j’exhorte ». Déjà Karl Barth (1886-1968) soulignait que « Le terme grec qui signifie exhorter est plus riche que ne l’exprime le français. Il signifie en même temps consoler. Paul console les chrétiens dans leur vie temporelle au sein du monde, en les exhortant, c’est-à-dire en les fortifiant dans la foi » (Petit commentaire de l’Epître aux Romains, 1940-41, p.140). Cette remarque est de la plus haute importance, car elle modifie complètement le sens de la seconde partie de l’épître : L’« exhortation » de Paul n’est pas une exigence oppressante de règles éthiques à respecter parce que Dieu s’est sacrifié pour nous, mais elle est une consolation fortifiante que procure l’agir du croyant selon la volonté de Dieu. Dans ce sens, la Bible d’étude Thompson 21 traduit notre passage par « Je vous encourage donc, frères et sœurs, … » (2017, p.1537, notons que la traduction ajoute les sœurs), et celle du Semeur 2015 par « Je vous recommande donc… » (p.1863), expressions moins rigides que « Je vous exhorte », qui peut sous-entendre que le croyant n’en fait pas assez et qu’il faut le lui rappeler.

Selon le dictionnaire Zanichelli, le verbe grec paracaleo reçoit les différents sens d’appeler à soi, appeler à l’aide, envoyer chercher, invoquer, prier, requérir, supplier, inviter, est seulement ensuite exhorter, inciter, susciter, consoler et appeler à témoin (Renato Romizi, Vocabolario greco antico italiano etimologico e ragionato, 2006, p.920, traduction de l’italien par mes soins). Ce verbe grec, employé déjà par plusieurs écrivains et philosophes grecs, a donc un sens nettement plus ample, plus relationnel et plus avenant, que le français « exhorter », qui résonne de façon assez autoritaire. Dans ce sens, la doctrine théologique du christianisme entraine d’elle-même l’expérience chrétienne sans qu’il y ait de contrainte, mais plutôt un fil conducteur ininterrompu du Christ au croyant.

Les limites de l’Imitatio Christi

Encore plus marquée, l’interprétation de Franz J. Leenhardt invite à déplacer l’attention de ce moment de transition sur la partie suivante de la phrase : « Avant tout, Paul pose un fondement. Il dit ce que doit être pratiquement le chrétien dans sa conduite, en lui rappelant ce qu’il est dans sa foi. Un mot s’impose dès l’abord; il fait à lui seul le pont avec ce qui précède, il évoque tout ce qui a été dit et fonde tout ce qui va être dit : oi oiktirmoi tou theou » (fr.: la miséricorde divine) (Commentaire du Nouveau Testament, L’Epître de Saint Paul aux Romains, 1957, éd. 1981, p.169). Selon Leenhardt, la clef de la transition de la théorie à la pratique chrétienne n’est pas l’exhortation, mais l’infinie compassion de Dieu, qui nous entraine à nous offrir nous-mêmes « en sacrifice vivant », en prolongeant ainsi l’œuvre du Christ par notre « culte spirituel » (v.1).

Leenhardt rejoint ainsi la pensée de Barth, qui appelle les croyants à « se mettre eux-mêmes – abstraction faite de ce qu’ils sont ou peuvent être – à la disposition de Celui qui, dans sa miséricorde, les tient pour dignes de lui appartenir, à qui il plait de les revendiquer pour soi et de les accepter eux, dans toute leur personne, comme un don qu’ils lui font » (p.140-141). En d’autres mots, selon Barth, Dieu fait honneur aux croyants en les considérant comme dignes de lui appartenir et de lui offrir leurs services, par un « sacrifice » concret, proportionné à leurs compétences réelles.

Dans ces perspectives, l’interprétation de notre passage est appelée à montrer comment ce « sacrifice vivant » du croyant peut être compris dans un sens positif et dynamique. Contrairement à la vision plutôt négative de l’homme « pécheur » qui se dégage des chapitres précédents, est dépeint ici un être humain capable de « sacrifice vivant », à savoir d’un don de soi au service de l’Evangile, qui l’engage et le rend crédible dans toute sa personne. La théologie chrétienne a souvent parlé, à mon sens à juste titre, d’Imitatio Christi (fr.: Imitation de Jésus-Christ), mais cette expression a été peu retenue par la théologie protestante, qui la juge impraticable, le sacrifice du Christ ne pouvant pas être imité. On peut faire valoir ici que le sacrifice demandé est un « sacrifice vivant » (v.1), à savoir un mode de vie habité par la générosité, et non un sacrifice mortel comme celui du Christ.

Un sacrifice vivant qui gagne à être vécu

Se référant au deuxième verset du chapitre 12, Leenhardt franchit un pas de plus, en affirmant d’emblée que « le sacrifice est une grâce, [car] il introduit dans une existence renouvelée, parce qu’il abolit les hypothèques anciennes », à savoir notre dépendance des puissances du monde ancien que sont le péché, la mort, la chair et la convoitise. Bien entendu, ne pas nous modeler sur le monde présent, affirmer notre différence et nous libérer des séductions mondaines suppose un sacrifice, un abandon de certains bénéfices liés à la vie commune, mais si nous réalisons que le monde présent « passe », qu’« il n’a pas de consistance » et qu’il n’est qu’un « jeu de fantoches qui se déroule sur une scène croulante », nous comprenons que c’est sur le « monde nouveau [qui] a commencé avec la venue du Christ […] qu’il faut compter » (p.171). Le sacrifice devient ainsi un gain.

Jésus évoque déjà le bon sens d’un tel sacrifice, en affirmant que « qui veut sauver sa vie, la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera » (Matthieu 16,25). C’est donc l’absence de « sacrifice », la volonté d’avoir « le beurre et l’argent du beurre », qui est ruineuse, et non l’acceptation qu’un certain esprit de sacrifice est nécessaire pour vivre cette vie de façon raisonnable, en reconnaissant qu’il est vain de vouloir « gagner le monde entier » (Matthieu 16,26), étant donné que de toute manière, nos minutes de cette vie sont comptées, et qu’il est par conséquent plus raisonnable de rechercher la volonté de Dieu, comme y invite notre passage (v.2), dont les effets ont une valeur transcendante et demeurent à perpétuité. Amen

4 réflexions sur « Prédication : Un sacrifice nécessaire, oui mais lequel ? »

  1. Je me souviens que lorsque mon épouse et moi avions à nous occuper de trois enfants à élever, éduquer, etc., etc., il était évident pour nous que cela entraînait inéluctablement quelques « sacrifices ».

    Mais dans ce sens là, le mot avait quasiment perdu son sens religieux. Et je suis heureux aujourd’hui d’avoir raisonné ainsi. Répartir ses forces, son temps, organiser les choses en fonction de certaines priorités, etc., etc., cela paraît évident à une personne saine de corps et d’esprit aujourd’hui.

    Bien entendu, cela ne consiste pas évidemment à nier ou à ridiculiser le rôle des sacrifices dans le contexte des religions gréco-romaine ou hébraïque (dans sa version la plus ancienne), etc., mais en partie c’est quand même refuser de jouer ce jeu là, et accepter, comme l’écrit Leenhardt, que vous citez, et comme vous l’écrivez vous-mêmes, que soient abolies « les hypothèques anciennes », « à savoir notre dépendance des puissances du monde ancien que sont le péché, la mort, la chair et la convoitise ».

    Je note d’ailleurs en passant que dans la lettre de Paul aux Romains, le mot « sacrifice » ne se présente qu’à cette seule reprise, en 12, 1, justement. Ce n’est donc pas une obsession pour lui ! Par ailleurs, on trouve à deux reprises dans la bouche de Jésus selon Matthieu (9, 12 et 12, 7) cette citation d’Osée (6,6) : « C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice ».

    La subtilité de Paul est donc d’associer les deux mots « sacrifice » et « vivant » : il ne s’agit pas d’en rajouter. Le sacrifice « raisonnable » qu’il faut faire tous les jours pour vivre suffit déjà largement !

  2. Merci Monsieur Helmlinger, comme habituellement, pour vos partages de vos expériences et de vos réflexions. Je précise ici que si effectivement, dans l’épître aux Romains, le mot sacrifice n’apparaît qu’en Romains 12,1, l’emplacement de ce mot est tout-à-fait central car, comme je l’ai indiqué, il apparaît au début de la deuxième partie de l’épître, c’est-à-dire au moment de la transition de la théorie à la pratique, et définit ainsi la structure de base de la vie chrétienne. La notion de « sacrifice vivant » est employée pour désigner ce que signifie le « culte spirituel », qui représente la vie entière du chrétien, par opposition au culte liturgique, qui est un moment spécifique. De cette manière, l’expression « sacrifice vivant », comme vous le soulignez à juste titre, est transformée en une dynamique de vie.

    Il convient par ailleurs de rappeler que dans la première partie théorique de l’épître, alors même que le mot sacrifice n’est pas employé, la mort du Christ est interprétée avec un vocabulaire sacrificiel, à un autre endroit bref et stratégique de l’épître, à savoir juste après la conclusion des chapitres 1 à 3, selon laquelle « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Romains 3,23).

    Voici le passage dont il est question: Romains 3,21-26 : « 21 Mais maintenant, indépendamment de la loi, la justice de Dieu a été manifestée ; la loi et les prophètes lui rendent témoignage. 22 C’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient, car il n’y a pas de différence : 23 tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, 24 mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ. 25 C’est lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi, pour montrer ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois, 26 au temps de sa patience. Il montre donc sa justice dans le temps présent, afin d’être juste et de justifier celui qui vit de la foi en Jésus ».

    On peut enfin signaler, dans les Evangiles, bien que le mot « sacrifice » n’y soit pas mentionné dans ce cadre, que l’institution du dernier repas de Jésus, que nous commémorons dans la sainte cène, a également un sens sacrificiel, Jésus offrant son corps et son sang pour le salut du monde.

    Il est cependant correct que dans le Nouveau Testament, l’interprétation sacrificielle n’est pas la seule interprétation donnée de la mort de Jésus, et qu’elle fait partie d’un paysage théologique beaucoup plus riche et subtile, la mort de Jésus ayant profondément marqué le christianisme primitif. L’emploi très peu fréquent du mot « sacrifice » dans le Nouveau Testament, à part dans l’épître aux Hébreux, laisse également supposer que le sens du mot est en pleine évolution, et qu’il ne peut plus être employé dans le même sens que précédemment dans l’histoire religieuse.

    Pour une discussion critique du sens sacrificiel de la mort de Jésus, je renvoie à mon bref article: Le « il faut » de la croix.

    Avec mes meilleurs messages. Gilles B.

  3. Un grand merci pour votre réponse.

    J’ai remarqué comme vous l’emploi peu fréquent du mot « sacrifice » dans le NT, à part l’épître aux Hébreux, et vous avez raison de souligner que c’est sans doute parce que le sens du mot était alors en pleine évolution.

    Pour le théologien Jean-François Collange, le sens fondamental de tout sacrifice, c’est le don et le geste qui donne, ce qui se retrouve, selon lui, dans l’étymologie du mot croire et particulièrement dans le « Do » de « cred-do ». J-F. Collange ajoute  que « dès lors nous pouvons aujourd’hui encore nous retrouver sans difficulté majeure aux côtés des peuples de l’Antiquité, de leurs croyances et leurs pratiques religieuses. Pour ceux-ci en effet – et notamment pour les Romains – « croire » c’était, avant tout, « faire ». Et faire consistait essentiellement à offrir des sacrifices, c’est-à-dire – fondamentalement – à donner quelque chose de soi-même » (Jean-François Collange : « Croire. Incroyance, foi et religion au XXIe siècle », éd. Olivétan, 2022, page 25).

    Il est vrai qu’on a l’impression d’un saut immense (et même infini) entre ce sens du mot sacrifice et le sens sacrificiel de la mort de Jésus (à ce sujet, la formulation qui suit de Paul Ricoeur me touche particulièrement : « Je fonde ma compréhension du monde, des autres et de moi-même sur la figure symbolique du serviteur souffrant, c’est-à-dire sur un amour qui n’est pas extorqué, mais offert » (j’ai perdu la source de ce passage, mais le passage me paraît avéré).

    Et pour revenir à des considérations plus proches de notre capacité à les vivre, je précise que j’apprécie particulièrement le passage de Paul aux Philippiens,4, 4 à 7, où il conseille de faire connaître en toutes choses ses besoins à Dieu par les prières et des supplications, « avec des actions de grâce » (il s’agit donc toujours de donner quelque chose de soi-même quand on adresse une prière à Dieu, mais sous la forme d’actions de grâce… ).

    Merci aussi pour votre renvoi à votre article ( Le « il faut » de la croix), mais je crois me souvenir que sa lecture était difficile…

    Bien cordialement,

    Wilfred Helmlinger

  4. Merci pour ces intéressantes réflexions. Cela permet de constater que si l’on craint d’aborder le thème du sacrifice, dans un premier temps et pour diverses raisons, ce thème acquiert pourtant avec la réflexion plusieurs significations importantes, qui permettent de caractériser la vie humaine dans plusieurs de ses aspects.

    On peut notamment mentionner, dans ce domaine, toute l’œuvre de René Girard avec ses concepts de désir mimétique, de mécanisme victimaire et de bouc émissaire, qui « éclaire d’un nouveau jour les origines sacrificielles de l’humanité » (René Girard, Sanglantes origines, Flammarion, 2013, 4eme de couverture). Voir également : René Girard, Le Bouc émissaire, Grasset, 1982.

    Bien cordialement. Gilles B.

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