Prédication : La prophétie de Michée, entre Diaspora juive et Sionisme

La prophétie de Michée présente un « canevas de base » de ce que pourra être l’histoire juive, de l’Antiquité à nos jours, faite de tensions entre d’une part l’acceptation de l’antisémitisme et de l’errance juive en exil parmi les nations, selon les Juifs religieux orthodoxes, et d’autre part, du désir de construction d’un Etat israélien moderne et autonome, selon les Juifs laïcs sionistes.

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Livre du prophète Michée 4,6-13 – Le rassemblement de ce qui est dispersé, la fille de Sion éprouvée et délivrée

6 En ce jour-là – oracle du SEIGNEUR –
je rassemblerai ce qui boite,
je réunirai ce qui est dispersé,
ce que j’ai maltraité.

7 De ce qui boite, je ferai un reste ;
de ce qui est éloigné, une nation puissante.
Sur la montagne de Sion, le SEIGNEUR sera leur roi
dès maintenant et à jamais.

8 Et toi, tour du troupeau, hauteur de la fille de Sion,
vers toi fera retour la souveraineté d’antan,
la royauté qui revient à la fille de Jérusalem.

9 Maintenant, pourquoi pousses-tu des cris ?
N’y a-t-il pas de roi chez toi ?
Ton conseiller est-il perdu,
que la douleur t’ait saisie comme la femme qui enfante ?

10 Tords-toi de douleur et hurle, fille de Sion,
comme la femme qui enfante,
car maintenant tu vas sortir de la cité,
tu vas demeurer dans les champs,
tu iras jusqu’à Babylone.
Là tu seras délivrée,
là le SEIGNEUR te rachètera de la main de tes ennemis.

11 Et maintenant se sont rassemblées contre toi
de nombreuses nations,
celles qui disent : « Qu’elle soit profanée ;
et que nos yeux se repaissent de la vue de Sion. »

12 C’est qu’elles ne connaissent pas les projets du SEIGNEUR,
elles ne saisissent pas ses intentions :
Il les a réunies comme gerbes sur l’aire.

13 Debout, foule le grain, fille de Sion ;
tes cornes, je les rendrai de fer,
tes sabots, je les rendrai de bronze.
Tu broieras des peuples nombreux,
tu voueras par interdit leur butin au SEIGNEUR,
et leurs richesses au maître de toute la terre.

Prédication du dimanche 16 juin 2024 à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Le texte du livre du prophète Michée, sans doute composé par des écrivains qui ont rassemblé les prophéties originales de Michée, date des alentours de l’an 587 avant Jésus-Christ, qui marque l’événement le plus important de l’histoire biblique d’Israël : Le siège, puis l’invasion et l’incendie de la ville de Jérusalem et du Temple de Salomon, par l’armée du roi babylonien Nabuchodonosor II (en babylonien : Nabû-kudurrī-uṣur), suivis de la déportation du roi et de la majeure partie de la population juive de Judée à Babylone.

Quatre migrations majeures de l’histoire juive durant quatre millénaires

Dans son ensemble, l’histoire juive des quatre derniers millénaires est marquée par quatre principales migrations de la population juive, en partie contraintes ou volontaires. La première, qui remonte, selon la datation biblique, à environ 1500 avant Jésus-Christ, est certainement en partie légendaire. Il s’agit de l’Exode, la sortie des esclaves juifs d’Egypte sous la conduite de Moïse, au travers du désert du Sinaï, avec les épisodes fantastiques du don de la Thora à Moïse à l’Horeb, et de la traversée à pied sec de la Mer des Joncs.

La deuxième est l’Exil, période historique attestée, qui débute en 587 avant J.-C. avec la déportation à Babylone, et se termine 538 av. J.-C. par l’Edit de Cyrus, le roi de Perse qui vient de conquérir Babylone en 539 av. J.-C. Cet édit permit aux Juifs de Babylonie de retourner à Jérusalem, mais beaucoup de petites colonies juives essaimèrent tout autour de la Méditerranée, débutant ainsi la troisième grande migration, la Diaspora juive, durant toute la durée et dans toute l’étendue de l’Empire Romain, à l’origine des Juifs d’Europe. Cette première Diaspora s’est poursuivie et généralisée jusqu’à l’ensemble de la planète.

Durant tout le Moyen Âge en Europe, les Juifs furent fréquemment chassés de diverses contrées, notamment d’Espagne aux XVe et XVIe siècles. Ces persécutions eurent deux conséquences majeures à long terme : Depuis le XVIIe siècle, un important mouvement d’émancipation conduisit de nombreux Juifs à abandonner leurs traditions culturelles et religieuses, et à vivre comme des Occidentaux, parfois même en devenant chrétiens. D’autre part, à partir de la fin du XIXe siècle, avec le sionisme, un mouvement nationaliste laïc, débuta la quatrième grande migration des Juifs, cette fois-ci vers leur pays d’origine, désireux d’en faire un Etat hébreu moderne, semblable aux autres nations européennes.

Il est tout sauf anodin de remarquer que les quatre mouvements majeurs qui marquèrent l’histoire juive, l’Exode, l’Exil, la Diaspora et le sionisme, impliquent tous des migrations, faisant des Juifs un peuple errant par excellence, un peuple souffrant d’antisémitisme. Observons à ce point que la Bible juive, et donc aussi la Bible chrétienne, débute avec le récit d’Adam et Eve, qui furent les premiers migrants, chassés du paradis terrestre : « Le Seigneur Dieu l’expulsa [l’homme] du Jardin d’Eden pour cultiver le sol d’où il avait été pris » (Gn 3,23). Le peuple juif devient ainsi un archétype, un modèle de tous les peuples de l’humanité, en soulignant l’instabilité et l’impermanence de la condition humaine.

La prophétie de Michée pose les « conditions-cadre » de l’histoire juive

Revenons maintenant au livre de Michée, qui par ses sept chapitres offre un résumé extrêmement minutieux de la prophétie juive, qui est elle-aussi marquée, à l’image de l’histoire juive, par ce double mouvement de partir et de revenir, de perdre et de retrouver. Le texte prophétique, souvent écrit en vers, n’est presque jamais chronologique : les textes d’épreuve et de délivrance alternent en tous sens, comme dans notre passage, que je commente en trois étapes, en citant à chaque fois les expressions significatives de Michée.

Un. « Tords-toi de douleur et hurle, fille de Sion, comme la femme qui enfante, car maintenant tu vas sortir de la cité, tu vas demeurer dans les champs, tu iras jusqu’à Babylone » (v.10). Deux remarques ici. Premièrement, le prophète présente l’histoire juive comme étant mystérieusement conduite par la providence divine. Les pires événements découlent aussi de la volonté du Dieu caché qui gouverne l’histoire. L’Exil, « tu iras jusqu’à Babylone » est le fruit du Dieu qui « agit au moment et selon la manière qu’il choisit dans sa souveraine liberté » (René Vuilleumier, XIb, Labor et Fides, 1990, p.51). Mais secondement, si les épreuves sont l’œuvre de Dieu, ce dernier détient donc aussi la capacité d’en délivrer. Ainsi, dans notre passage, l’Exil est comparé avec la métaphore de « la femme qui enfante », ce qui signifie, clairement, que les douleurs de la déportation auront pour résultat non pas la mort, mais une nouvelle naissance spirituelle du peuple.

Deux. C’est ce que confirme le passage suivant : « […] tu iras jusqu’à Babylone. Là tu seras délivrée, là le Seigneur te rachètera de la main de tes ennemis » (v.10). Etrangeté de l’histoire juive… et de l’histoire humaine dans son ensemble. C’est du fond du trou que l’espoir va renaître, mais pourquoi nous faut-il descendre si profond, pour remonter ? On repère déjà là, dans la prophétie de l’Exil, l’ombre de la croix, avant la résurrection… Dans cette insupportable douleur se cache un enseignement apparemment indispensable à la vie, peut-être la révélation de sa valeur non monnayable, à nulle autre pareille.

Le judaïsme orthodoxe a compris à sa façon la valeur salvifique du drame de l’exil. Je cite ici l’ouvrage de Gérard Ackermann, Le nouveau défi, les mouvements de pensée dans l’histoire juive moderne. Le défi spirituel, tome 2, Jérusalem, éd. Harmon : « Les [Juifs] orthodoxes préconisent donc en Terre Sainte une implantation limitée et non nationaliste. […]. Ainsi, l’orthodoxie n’entretient pas de lien politisé avec la terre d’Israël » (p.46) ; puis citant « Rabbi Moche Nathan HaCohen Shapira : ‘Ce que les sionistes considèrent comme un méfait est un bienfait, car Israël survit grâce à l’exil. C’est parce qu’il est dispersé que ses ennemis n’arrivent jamais à l’exterminer totalement. Lorsque des Juifs sont persécutés dans un pays […], ils trouvent refuge ailleurs, là où sont établies d’autres communautés juives. Concentré en un seul endroit, le peuple juif est vulnérable. C’est pourquoi le retour collectif en Palestine ne doit pas se faire avant l’arrivée du Messie. Alors, il n’y aura plus de risque d’extermination, les nations seront favorables à Israël et l’antisémitisme disparaîtra’ » (p.47-48). Cette analyse déconcertante, mais non dénuée de perspicacité, confère à la douleur de l’exil sa justification historique et théologique : les Juifs disséminés dans le monde sont globalement plus à l’abri que dans l’Erets Israël.

Trois. « En ce jour-là – oracle du Seigneur, je rassemblerai ce qui boite, je réunirai ce qui est dispersé, ce que j’ai maltraité. De ce qui boîte, je ferai un reste ; de ce qui est éloigné, une nation puissante. Sur la montagne de Sion, le Seigneur sera leur roi dès maintenant et à jamais. […], vers toi fera retour la souveraineté d’antan » (v.6-8). Selon la prophétie de Michée, le même Dieu qui a dispersé et maltraité sera le Dieu qui réunit et restaure son peuple. Cette logique de l’histoire, qui peut la comprendre ? Nul homme ! Le plan de Dieu dans l’histoire humaine – juive en particulier – demeure inaccessible à la raison humaine, les Ecritures nous en révèlent tout au plus que quelques bribes.

Avec ces trois plans tirés du livre de Michée (les douleurs de l’enfantement, le rachat en exil à Babylone et la réunification du reste dispersé), esquissés six siècles avant Jésus-Christ, la prophétie juive s’est montrée déjà capable d’indiquer la tendance générale, les « conditions-cadre », si l’on veut, de ce que sera l’histoire juive jusqu’à aujourd’hui. Entre les Juifs religieux orthodoxes, en principe hostiles à un Etat hébreu laïc, fondé sur le modèle des nations modernes, et les Juifs religieux libéraux, davantage émancipés ou tout-à-fait non religieux, favorables ou non à une Nation démocratique en Israël, diffèrent les modalités d’interprétation du registre posé initialement par la prophétie biblique. Amen

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