« Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand » (1 Co 13,13). Il est étonnant que l’apôtre Paul accorde la prééminence à l’amour en ce célèbre passage, souvent lu lors des mariages. Dans ses autres épîtres, en effet, il privilégie la foi, qui seule nous permet d’accéder au salut : « Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ » (Ro 5,1).
Les variations de l’amour humain
Contrairement à la foi, l’amour n’est pas une notion spécifiquement religieuse. Il se manifeste dans le cœur des êtres humains par un attachement à la personne aimée, et dans les actes par une attitude bienveillante envers cette personne, pouvant aller jusqu’au don (ou sacrifice) de soi. Mais notre amour peut aussi avoir une composante égoïste, quand il nous rend dépendants de la personne aimée. Alors, nous n’aimons pas l’autre pour lui-même, mais pour nous-mêmes.
L’amour se manifeste à de nombreux niveaux, dans la sexualité, dans le couple, dans la famille, dans l’amitié, envers des personnes dans le besoin, dans l’accueil des réfugiés, etc. Nous pouvons aimer des êtres humains, mais aussi des animaux ou des écosystèmes (comme la forêt, par exemple), ou enfin, des personnes invisibles, comme les dieux. La Bible nous commande d’aimer Dieu de tout notre cœur, et notre prochain comme nous-mêmes (Mt 22,34-40).
Limites actuelles et plénitudes éternelles de l’Amour
Si la foi est tant importante dans la pensée de Paul, c’est parce que l’apôtre est conscient des limites de notre amour humain. Selon la foi chrétienne, pour parvenir à aimer de façon libre et généreuse, nous avons d’abord besoin d’être aimés par Dieu, au travers de l’affection reçue de nos parents, par exemple. Ainsi, la foi est primordiale parce qu’elle nous conduit à être aimés et à aimer comme Dieu aime, mais l’Amour est son but ultime.
Les religions orientales (hindouisme, taoïsme, bouddhisme, etc.) divergent des religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) dans leur manière de comprendre la place ultime de l’Amour. En Occident, les Personnes sont éternelles, et l’amour est le lien qui les unit dans le Règne de Dieu. En Orient, les personnes, considérées comme des entités égoïstes passagères, se fondent et disparaissent ultimement dans l’Amour éternel, qui seul subsiste en tant que réalité dernière, à défaut des personnes singulières. En tant que chrétien, je suis attaché à la vision occidentale de l’amour, qui accorde une valeur infinie aux relations entre les Personnes ; mais la vision orientale de l’amour fusionnel et holistique a sans doute aussi sa part de sens et de vérité.
Article paru initialement, sous une forme légèrement réduite dans le Journal du Jura du samedi premier juin 2024.
Merci pour cette belle réflexion qui hiérarchise à bon escient nos « valeurs » en rappelant la supériorité de l’amour, même si on n’est pas encore tout à fait certain de cerner parfaitement ce qu’il en est.
Ce que vous écrivez sur Paul me convainc en tous les cas. Pour lui, la foi était la racine de l’amour, mais l’amour restait supérieur à tout. Il l’écrit dans 1 Corinthiens 13, mais aussi dans l’épître aux Galates, où le choc des idéologies est douloureusement vécu par lui.
Et il motive cette visée dans sa foi juive, bien entendu, mais aussi sans doute dans une option qu’on pourrait appeler « pré anthropologique » : ainsi, le choix du mot grec « agapè », plutôt que « éros », « philè » ou « stergos ». « Philè » signifiait l’amour des choses et des êtres , mais aussi donner un baiser. « Eros » était évidemment l’amour prioritairement corporel. « Stergos », était sans doute un mot trop faible. » Agapè » signifiait l’amour comme estime, et « hopla », cela convenait donc bien, et même mieux que les autres mots. Et pourquoi pas ?
A ce simple aspect du choix du mot, on peut relever que l’amour reste une notion qu’il faut sans cesse élargir. Et vous avez donc raison de rappeler que l’amour existe dans les autres pensées religieuses, et je dirai même pré-religieuses (animistes) ou post-religieuses (comme la psychanalyse).
Toute attitude qui s’avance vers l’amour est donc, à mon sens, à considérer avec infiniment de respect.
Merci de l’avoir ainsi souligné,
Bien cordialement,
Wilfred Helmlinger
Merci pour votre partage, toujours enrichissant. Amitiés. Gilles B.