Prédication : Le prophète Michée relie la justice sociale et la sécurité du royaume

Au centre de la prophétie juive, le prophète Michée place la préoccupation pour la justice sociale, garante de la stabilité du royaume. Mais le livre biblique de Michée est trop diversifié pour être l’oeuvre d’un seul auteur. A partir du prophète du VIIIe siècle avant J.-C., une véritable école prophétique s’est chargée d’étoffer et de réinterpréter la prédication du maître, selon la perspective juive du midrash, qui suppose une révélation divine continue dans l’histoire humaine.

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Livre du prophète Michée 7,1-7 – Lamentation du prophète devant la perversion du peuple

1 Malheur à moi ! Je suis comme les moissonneurs en été,
comme aux grappillages de la vendange.
Mais pas une grappe à manger,
pas un de ces fruits précoces que j’aimerais tant !

2 Le fidèle a disparu du pays,
plus de juste parmi les hommes.
Tous sont à l’affût pour répandre le sang ;
chacun traque son frère au filet.

3 Leurs mains s’emploient au mal.
Pour faire du bien, le prince pose ses exigences,
le juge demande une gratification,
le notable parle pour satisfaire sa cupidité…

4 Le meilleur d’entre eux est comme une ronce,
le juste pire qu’une haie d’épines.
Au jour annoncé par tes sentinelles, tu es intervenu ;
c’est maintenant leur confusion.

5 Ne croyez pas l’un de vos proches, ne vous fiez pas à un ami.
Devant celle qui repose entre tes bras,
attention à ce qui sort de tes lèvres.

6 Car le fils traite son père de fou,
la fille se dresse contre sa mère,
la belle-fille, contre sa belle-mère.
Chacun a pour ennemi les gens de sa propre maison.

7 Mais moi, je guette le SEIGNEUR,
j’attends Dieu, mon sauveur ;
il m’écoutera, mon Dieu.

Prédication du dimanche 30 juin 2024 à Péry, dans le Jura bernois en Suisse

Les sept chapitres du bref livre du prophète de Michée forment, dans leur ensemble, une fresque très complète des différents aspects et des différents courants de la prophétie juive. En ce sens, le livre est à la fois très complet, très varié et très équilibré.

L’élément qui domine l’ensemble de la prophétie de Michée est l’importance accordée à la justice sociale. Le passage qui nous concerne (Mi 7,1-7) est situé tout à la fin du livre, juste avant la liturgie finale d’espérance, en laquelle Michée tente de dessiner un horizon d’espérance au sein de la période politiquement instable et inquiétante qui est la sienne.

Politique intérieure et politique extérieure sont reliées

Ainsi, la caractéristique principale de la pensée prophétique de Michée, qui est peut-être aussi la caractéristique principale de toute la prophétie juive, consiste à relier étroitement la politique intérieure, à savoir le souci de la justice sociale au sein du peuple juif et des étrangers qui vivent sur son territoire, et la politique extérieure, dominée par l’angoisse d’une invasion et d’une déportation de la part d’une des grandes puissances qui entourent la région du Levant : l’Egypte, l’Assyrie, la Babylonie ou plus tardivement la Perse.

La thèse de Michée, si je peux m’exprimer ainsi, c’est-à-dire son idée fondamentale, son présupposé de base, son intuition profonde inspirée par Yahvé, consiste à affirmer que si la justice sociale au sein des deux royaumes israélites indépendants (le Royaume de Juda et le Royaume d’Israël) va mal, alors la politique extérieure ira mal aussi. Lorsque la justice sociale diminue, lorsque le peuple subit des injustices de la part de la classe dirigeante et des prêtres proches du roi, alors le risque d’une invasion extérieure grandit.

Comment nous faut-il comprendre le fonctionnement de cette corrélation entre la politique intérieure et la politique extérieure ? Dans le discours de Michée, il est clair que Yahvé est l’auteur du malheur qui s’abat sur le royaume injuste : « Ville dont les riches sont pleins de violence, et dont les habitants parlent avec fourberie ; dans leur bouche, leur langue n’est que tromperie. Alors je t’ai rendue malade, à force de frapper, de te dévaster, à cause de tes péchés » (Mi 6,12-13). Au-delà de ces sanctions divines, le livre de Michée est aussi parsemé de promesses de pardon de la part de Yahvé, qui culminent dans ses dernières phrases : « De nouveau il [Yahvé] nous manifestera sa miséricorde, il piétinera nos péchés. Tu jetteras toutes leurs fautes au fond de la mer. Tu accorderas à Jacob ta fidélité, et ton amitié à Abraham. C’est ce que tu as juré à nos pères, depuis les jours d’autrefois » (Mi 7,19-20). Notons que le pardon est un acte gratuit de Dieu, qui ne dépend pas d’un changement de comportement du peuple, mais qui produit cette transformation.

De nos jours, nous aurions plutôt tendance à croire que le malheur des royaumes d’Israel et de Juda, envahis par des peuples étrangers, n’est pas le résultat d’une intervention punitive de Yahvé, mais une simple conséquence logique : Lorsque les grandes puissances voisines du pays de Canaan constatent que la vie des juifs est fragilisée par des injustices sociales, elles saisissent l’occasion pour envahir leur territoire à moindres frais.

Les injustices sociales représentent le nœud du problème

Que les conséquences négatives des injustices sociales soient le fait du Dieu Yahvé ou de simples causes à effet, la prophétie de Michée, dans ses sept chapitres, souligne que ces injustices sociales sont le problème principal qu’il s’agit de résoudre. L’avant dernier texte du livre, qui nous concerne en particulier (Mi 7,1-7), décrit très précisément les injustices sociales dont il est question, en se servant de quatre catégories de vocabulaire.

Premièrement, le vocabulaire de la végétation : « Je suis comme les moissonneurs en été, comme aux grappillages de la vendange. Mais pas une grappe à manger, pas un de ces fruits précoces que j’aimerais tant ! Le meilleur d’entre eux est comme une ronce, le juste pire qu’une haie d’épines » (v.1.4). Deuxièmement, le vocabulaire des fonctions sociales souligne la cupidité (v.3) des fonctionnaires : « Le fidèle à disparu du pays ; le prince pose ses exigences ; les sentinelles sont confuses » (v.2.3.4). Troisièmement, un grand ensemble de mots détaille les comportements négatifs : « affût; traque; mal; exigences  confusion; gratification; traite; se dresse; ennemi; guette » (v.2-4.6.7). Quatrièmement, la catégorie la plus surprenante est celle de la famille. Elle souligne que non seulement les relations sociales sont corrompues, mais aussi les liens intimes de la famille : « chacun traque son frère au filet ; ne croyez pas l’un de vos proches ; devant celle qui repose entre tes bras, attention à ce qui sort de tes lèvres » ; le fils traite son père de fou ; la fille se dresse contre sa mère ; chacun a pour ennemi les gens de sa propre maison ; etc. » (v.2,5,6).

Notre passage, qui débute par le cri de désespoir de l’homme Michée « Malheur à moi ! » (v.1), décrit en une dizaine de phrases les plaies qui gangrènent les relations familiales et sociales, mais se termine par une affirmation autant brève que puissante de la foi du prophète guetteur : « Mais moi, je guette le SEIGNEUR [Yahvé], j’attends Dieu, mon sauveur ; il m’écoutera, mon Dieu » (v.7). Quoi qu’il arrive, la foi triomphe de tout : cet état d’esprit du prophète lui permet de garder fermement l’espoir au milieu du désastre.

Le livre de Michée n’est certainement pas l’oeuvre d’un seul écrivain

Le livre de Michée, dans son ensemble, comprend ainsi des oracles descriptifs des injustices sociales, des oracles de jugement, de malheur, mais aussi d’enseignement (Mi 6,8), de foi, d’espérance et de restauration du « reste de Jacob [qui] sera, parmi les nations, au milieu de peuples nombreux, comme un lion parmi les bêtes de la forêt » (Mi 5,6.7).

Selon les théologiens exégètes d’aujourd’hui, une telle mixité de prophéties, allant de la condamnation des injustices sociales à la restauration apocalyptique d’Israël à la fin des temps (Mi 4,1-8), en passant par l’annonce de la déportation à Babylone (Mi 4,9-14), ne peut pas être l’œuvre d’un seul homme. L’auteur n’est pas un prophète unique, mais une école prophétique qui a retravaillé les prophéties du prophète Michée durant des siècles.

Le commentaire du livre par Jean-Daniel Macchi, actuellement professeur d’Ancien Testament à Genève, dans l’ouvrage collectif Introduction à l’Ancien Testament (Labor et Fides, 2009, p.509-515) mentionne pas moins de cinq périodes historiques possibles pour la rédaction, l’assemblage, les ajouts et la recomposition du livre : 1) Lors des règnes de Yotam, Akhaz et Ezéchias (rois de Juda de 740 à 687, cf. Mi 1,1), soit lors de la guerre syro-éphraïmite en 734-732 av. J.-C., soit lors du siège de Jérusalem par le roi assyrien Sennakérib en 701 av. J.-C. 2) Lors de l’Exil à Babylone de 586-538 av. J.-C. 3) Lors de l’époque Perse du VIe au IVe siècle av. J.-C. 4) Voire même à l’époque hellénistique, après les conquêtes du macédonien Alexandre le Grand de 336 à 323 av. J.-C.

Cette manière de présenter un livre prophétique comme l’œuvre d’une école prophétique durant plusieurs siècles heurte notre conscience chrétienne, qui considère la révélation divine comme un événement essentiellement unique (gr.: ephapax, une fois pour toutes, Rm 6,10), et notre conscience rationnelle, qui n’accepte pas que la vérité soit faite d’un assemblage de textes disparates transformés au cours des siècles, mais elle correspond à la conscience midrashique juive, qui considère la révélation divine comme un processus continu, jamais achevé, inscrit dans l’histoire juive au cours des millénaires. Que notre vie également, à l’image de l’histoire juive, soit un processus de révélation continue ! Amen

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