Prédication : La nature des divisions et de l’unité dans l’Eglise

Pierre Brueghel l’Ancien, La Tour de Babel, 1563. La construction humaine de l’Eglise peut être comparée à une Tour de Babel, selon Genèse 11, minée de l’intérieur par ses divisions et incapable d’atteindre le ciel.

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Première épître de Paul aux Corinthiens 1,10-17 – Divisions dans l’Eglise

Ce premier texte seul a été lu lors du culte.

10 Mais je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ : soyez tous d’accord, et qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous ; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée. 11 En effet, mes frères, les gens de Chloé m’ont appris qu’il y a des discordes parmi vous. 12 Je m’explique ; chacun de vous parle ainsi : « Moi j’appartiens à Paul. – Moi à Apollos. – Moi à Céphas. – Moi à Christ. » 13 Le Christ est-il divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? 14 Dieu merci, je n’ai baptisé aucun de vous, excepté Crispus et Gaïus ; 15 ainsi nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom. 16 Ah si ! J’ai encore baptisé la famille de Stéphanas. Pour le reste, je n’ai baptisé personne d’autre, que je sache. 17 Car Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Evangile, et sans recourir à la sagesse du discours, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ.

Première épître de Paul aux Corinthiens 3,1-23 – Le rôle des prédicateurs de l’Evangile

1 Pour moi, frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels, comme à des petits enfants en Christ. 2 C’est du lait que je vous ai fait boire, non de la nourriture solide : vous ne l’auriez pas supportée. Mais vous ne la supporteriez pas davantage aujourd’hui, 3 car vous êtes encore charnels. Puisqu’il y a parmi vous jalousie et querelles, n’êtes-vous pas charnels et ne vous conduisez-vous pas de façon tout humaine ? 4 Quand l’un déclare : « Moi, j’appartiens à Paul », l’autre : « Moi à Apollos », n’agissez-vous pas de manière tout humaine ? 5 Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d’eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés. 

6 Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui faisait croître. 7 Ainsi celui qui plante n’est rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître. 8 Celui qui plante et celui qui arrose, c’est tout un, et chacun recevra son salaire à la mesure de son propre travail. 9 Car nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu, et vous êtes le champ de Dieu, la construction de Dieu. 10 Selon la grâce que Dieu m’a donnée, comme un bon architecte, j’ai posé le fondement, un autre bâtit dessus. Mais que chacun prenne garde à la manière dont il bâtit. 11 Quant au fondement, nul ne peut en poser un autre que celui qui est en place : Jésus Christ. 12 Que l’on bâtisse sur ce fondement avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin ou de la paille, 13 l’œuvre de chacun sera mise en évidence. Le jour du jugement la fera connaître, car il se manifeste par le feu, et le feu éprouvera ce que vaut l’œuvre de chacun. 14 Celui dont l’œuvre subsistera recevra un salaire. 15 Celui dont l’œuvre sera consumée en sera privé ; lui-même sera sauvé, mais comme on l’est à travers le feu.

16 Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? 17 Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous.

18 Que personne ne s’abuse : si quelqu’un parmi vous se croit sage à la manière de ce monde, qu’il devienne fou pour être sage ; 19 car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit en effet : Il prend les sages à leur propre ruse20 et encore : Le Seigneur connaît les pensées des sages. Il sait qu’elles sont vaines. 21 Ainsi, que personne ne fonde sa fierté sur des hommes, car tout est à vous : 22 Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l’avenir, tout est à vous, 23 mais vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.

Première épître de Paul aux Corinthiens 4,1-13 – Les relations de Paul avec les Corinthiens

1 Qu’on nous considère donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. 2 Or, ce qu’on demande en fin de compte à des intendants, c’est de se montrer fidèles. 3 Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain. Je ne me juge pas non plus moi-même. 4 Ma conscience, certes, ne me reproche rien, mais ce n’est pas cela qui me justifie ; celui qui me juge, c’est le Seigneur. 5 Par conséquent, ne jugez pas avant le temps, avant que vienne le Seigneur. C’est lui qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et mettra en évidence les desseins des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient.

6 C’est à cause de vous, frères, que j’ai présenté cela sous une autre forme, en l’appliquant à Apollos et à moi-même, afin qu’à notre exemple vous appreniez à ne pas vous enfler d’orgueil en prenant le parti de l’un contre l’autre. 7 Qui te distingue en effet ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi en tirer fierté comme si tu ne l’avais pas reçu ? 8 Déjà vous êtes rassasiés ! Déjà vous êtes riches ! Sans nous, vous êtes rois ! Ah ! Que ne l’êtes-vous pour que, nous aussi, nous puissions régner avec vous ! 9 Car je pense que Dieu nous a exposés, nous les apôtres, à la dernière place, comme des condamnés à mort : nous avons été donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. 10 Nous sommes fous à cause du Christ, mais vous, vous êtes sages en Christ ; nous sommes faibles, vous êtes forts ; vous êtes à l’honneur, nous sommes méprisés. 11 A cette heure encore, nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus, maltraités, vagabonds, 12 et nous peinons en travaillant de nos mains. On nous insulte, nous bénissons ; on nous persécute, nous endurons ; 13 on nous calomnie, nous consolons. Nous sommes jusqu’à présent, pour ainsi dire, les ordures du monde, le déchet de l’univers.

Prédication du 22 janvier 2023 à Vauffelin, dans le Jura bernois en Suisse, lors de l’installation des conseillères de paroisse Susanne Saponati et Séverine Vicenzi

A l’heure d’installer deux nouvelles conseillères de paroisse, une réflexion sur l’Eglise en tant que communauté visible est appropriée. Sans fausse modestie, affirmons tout d’abord que nous sommes des gens courageux, et en ce sens honorables, parce que nous acceptons de mener l’expérience d’une vie communautaire dont nous pourrions nous passer. En effet, l’Eglise n’est pas indispensable à nos vies en tant qu’individus : Il est possible de gagner sa vie et de rentrer chez soi le soir sans se soucier de la vie de la paroisse locale.

Dans la lettre (ou plutôt les lettres réunies) que l’apôtre Paul adresse à l’Eglise de Corinthe, ville grecque située au nord du Péloponnèse, entre l’an 51 et 55 de notre ère, il aborde le problème des graves querelles qui divisent certains clans de cette communauté composée avant tout de non-juifs. Ces conflits internes sont l’occasion pour Paul de préciser sa vision de l’Eglise dans divers passages de la première épître aux Corinthiens (1,10-17 ; 3,1-4,13 ; ch. 12-14), qui est vraisemblablement une composition de plusieurs lettres initialement indépendantes. Je vous propose une lecture attentive de ces textes, en soulignant six manières différentes de comprendre le point de vue de Paul : les trois premières approches me semblent pertinentes, tandis que les trois dernières me mettent en désaccord avec Paul, si elles traduisent ce qu’il a vraiment voulu dire.

Première lecture : Paul reconnaît ouvertement qu’il existe des discordes dans cette Eglise locale : « Moi j’appartiens à Paul. – Moi à Apollos. – Moi à Céphas [c’est-à-dire Pierre]. – Moi à Christ. » (1,12). Je m’accorde avec Paul à propos de son choix de ne pas cacher les problèmes, mais de les avouer en plein jour, même s’ils suscitent la honte. En particulier dans l’Eglise, personne n’aime avouer qu’il s’est brouillé ou qu’il est en tension avec telle ou telle autre personne.

Cet aveu des divisions dans l’Eglise va devoir se prolonger tout au long de l’histoire. Pour ne mentionner que les principales, qui ont marqué l’histoire mondiale : En 1054, les Eglises orthodoxes d’Orient se séparent de l’Eglise romaine, puis en 1517, Martin Luther, en dénonçant les indulgences, inaugure la division entre protestants et catholiques.

Deuxième lecture : En demandant « qu’il n’y ait pas de divisions » (1,10) parmi les croyants, Paul suggère qu’il faut éviter de former des clans médisants les uns contre les autres. Rien de pire, dans une paroisse, que la formations de partis attachés à tel ou tel meneur.

Par leur position « en vue », les pasteurs deviennent presque inévitablement des leaders. Paul se mentionne lui-même, puis il cite Apollos et Pierre, parmi ces hommes adulés qui risquent de devenir des maîtres spirituels vénérés à la place du Christ. Or, dans ses lettres, l’apôtre souligne que ces serviteurs sont de simples humains : « Qu’est-ce donc qu’Apollos ? qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été menés à la foi ; […]. Moi j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui fait croître. Ainsi celui qui plante n’est rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître » (3,5-7). Le mot « rien » étant à comprendre ici au sens de « rien » de particulier, « rien » d’exceptionnellement saint.

Troisième lecture : Plusieurs termes employés par Paul dans ses missives aux Corinthiens soulignent que leurs divisions sont à ses yeux liées à des défaillances psychologiques ou spirituelles des personnes impliquées. Sans ambages, il affirme : « je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels » (3,1). Il évoque ainsi la jalousie (3,3) puis la fierté (3,21), en expliquant la façon dont elle contribue à faire naître les divisions: « afin qu’à notre exemple vous appreniez à ne pas vous enfler d’orgueil en prenant le parti de l’un contre l’autre » (4,6).

Cette approche suppose une conception de l’être humain en deux étages superposés: Par notre esprit raisonnable et social, qui correspond à l’activité de notre cortex cérébral supérieur, nous veillons sans cesse à maintenir de bonnes relations les uns avec les autres, en évitant de blesser quelqu’un et en tenant compte au mieux des susceptibilités de chacune et chacun, car nous savons par expérience qu’une bonne entente entre nous est un besoin quasiment vital, qui nous épargne d’énormes pertes de temps et d’énergie.

Mais en dessous de cette fine couche de courtoisie communautaire, se situe l’épaisseur plus profonde de notre cerveau émotionnel, qui fait de nous ce que Paul appelle une âme (ou un animal) charnelle. Il suffit que les tensions dépassent un certain seuil supportable, pour que le verni superficiel de politesse se brise, laissant éclater les énergies émotionnelles qui provoquent les reproches, les discordes et les troubles relationnels profonds. Aucun être humain n’est à l’abri de ces emportements pulsionnels, que Paul appelle « charnels » et que nous connaissons bien, de sorte que personne dans ou hors de l’Eglise n’est entièrement « saint ». Les querelles qui éclatent ici ou là dans les paroisses ou ailleurs sont des témoignages de ces fréquents troubles relationnels.

Venons-en aux lectures qui posent problème: Quatrième lecture : Au début de son texte, l’apôtre Paul exhorte à « être tous d’accord, […] ; soyez bien unis dans le même esprit et dans une même pensée [ou volonté] » (1,10). Si Paul entend par ces mots que nous devons tous penser de la même manière, je ne partage pas son avis, car une telle exigence est tout simplement impossible à réaliser. Même en s’inscrivant dans la foi chrétienne, chaque être humain développe une manière de penser qui lui est propre.

Christophe Senft, dans son commentaire, précise que « l’expression ‘dire la même chose’ ne signifie pas une unité de doctrine », mais le souhait que « la paix et l’entente règnent dans la communauté » (C. Senft, La première épître de Paul aux Corinthiens, Neuchâtel, Delachaux & Niestle S.A., 1979, p.33). Je partage cette interprétation, car s’il fallait que nous pensions tous de la même manière, la seule façon d’y parvenir serait la contrainte, qui conduit à l’intégrisme religieux, qui sème hélas ses ravages aujourd’hui aussi dans plusieurs régions culturelles de l’humanité.

Cinquième lecture : Lorsque Paul dit, « Moi j’appartiens à Paul. – Moi à Apollos. – Moi à Céphas. – Moi à Christ » (1,12), il ne veut pas dire que parmi les quatre clans religieux cités dans l’Eglise de Corinthe (de Paul, Apollos, Pierre et Christ), seul le dernier, celui du Christ, est légitime. Cela reviendrait à dire que sur les quatre manières de penser, une seule est vraie. Les exégètes ont toujours été intrigués par ce dernier parti du Christ : s’agit-il du seul parti neutre, démarqué de tout leader particulier ? Il est fort peu probable qu’un tel parti ait existé, de sorte que cette expression est certainement une boutade de Paul, qui suggère ainsi que tout le monde devrait être du « parti du Christ ».

En appliquant cette même logique aux différentes confessions chrétiennes actuelles – catholiques, orthodoxes, protestantes, évangéliques, etc. – on en déduit qu’aucune tradition ecclésiale historique ne peut prétendre être la seule légitime, ce qui justifie à mon sens de cultiver un esprit chrétien d’œcuménisme non sectaire.

Sixième lecture : Plus subtilement, car cela ne se déduit qu’indirectement des textes de Paul, il arrive que des juifs, des chrétiens ou des musulmans développent l’idée selon laquelle, si nous étions tous absolument fidèles à la foi monothéiste et entièrement obéissants à Dieu, tous les problèmes de l’humanité seraient automatiquement résolus par l’action du Saint Esprit. De telles croyances spiritualistes, qui lient étroitement la foi au miracle d’une parfaite sainteté régénératrice, ne me semblent pas réalistes. Il ne suffit pas d’être très croyant pour que les tensions et les épreuves de la vie s’évanouissent.

En conclusion, avec ces six interprétations possibles, nous constatons qu’il n’est ni évident de comprendre ce que Paul a exactement voulu dire, ni évident de déterminer les lectures qui auraient pu rencontrer sa préférence. A vrai dire, cette difficulté de lecture est valable pour tous les textes de la Bible, et même pour toute pensée religieuse et philosophique en général.

L’effort de bien comprendre les textes, et de bien nous comprendre les uns les autres, nous invite à l’humilité d’esprit, comme l’apôtre Paul y invite les Corinthiens dans cette même lettre, en précisant les limites de nos connaissances théologiques : « A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors [c’est-à-dire lors de la Résurrection], ce sera face à face » (13,12). La souplesse spirituelle et la valorisation de la diversité qui en découle est sans doute le meilleur ciment qui soit pour construire une communauté. Amen

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