Prédication : La tour de Babel et l’Eglise

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Livre de la Genèse 11,1-9 – La tour de Babel

1 La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. 2 Or en se déplaçant vers l’orient, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent. 3 Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Moulons des briques et cuisons-les au four. » Les briques leur servirent de pierre et le bitume leur servit de mortier. 4 « Allons ! dirent-ils, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre. » 5 Le SEIGNEUR descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d’Adam. 6 « Eh, dit le SEIGNEUR, ils ne sont tous qu’un peuple et qu’une langue et c’est là leur première œuvre ! Maintenant, rien de ce qu’ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible ! 7 Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ! » 8 De là, le SEIGNEUR les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. 9 Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c’est là que le SEIGNEUR brouilla la langue de toute la terre, et c’est de là que le SEIGNEUR dispersa les hommes sur toute la surface de la terre.

Epître de Paul aux Ephésiens 2,11-22 – Tous réunis en Christ

11 Souvenez-vous donc qu’autrefois, vous qui portiez le signe du paganisme dans votre chair, vous que traitaient d’« incirconcis » ceux qui se prétendent les « circoncis », à la suite d’une opération pratiquée dans la chair, 12 souvenez-vous qu’en ce temps-là, vous étiez sans Messie, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. 13 Mais maintenant, en Jésus Christ, vous qui jadis étiez loin, vous avez été rendus proches par le sang du Christ. 14 C’est lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. 15 Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, 16 et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine. 17 Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches.18 Et c’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père. 19 Ainsi, vous n’êtes plus des étrangers, ni des émigrés ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu. 20 Vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes, et Jésus Christ lui-même comme pierre maîtresse. 21 C’est en lui que toute construction s’ajuste et s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur. 22 C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit.

Evangile de Matthieu 2,1-12 – La visite des mages

1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem 2 et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » 3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître. 5 « A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète : 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. » 7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait, 8 et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage. » 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. 10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie. 11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Prédication du dimanche de l’Epiphanie 8 janvier 2023 à Orvin, dans le Jura bernois

« Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre » (Genèse 11,4) L’affirmation des civilisations est passée au crible de la critique théologique dans le récit de la tour de Babel. Nous avons l’habitude de lire ce récit dans la perspective du jugement de Dieu, ou plutôt de son attitude préventive, qui pèse sur cette construction en briques émaillées, multicolores à l’époque, dont la taille devait sembler démesurée dans le Moyen Orient antique – une construction vraisemblablement haute de 91,5 mètres, selon certaines données archéologiques – symbole d’une puissance politique et militaire redoutable, que Dieu aurait préféré déjouer avant qu’elle ne devienne omniprésente et invincible.

Ce projet unificateur qui, selon la Bible, reflète l’orgueil humain, le péché par excellence, est remplacé dans le Nouveau Testament par une tout autre sorte de construction, comme l’indique l’épître aux Ephésiens, fondée cette fois-ci sur une pierre angulaire ou faitière (selon les traductions d’Ep 2,20) à taille humaine, le Christ Jésus : « En lui, toute la construction s’ajuste et s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur » (v.21).

Les mages astrologues, qui dans le récit de la nativité chez Matthieu symbolisent les nations païennes, dans leur gloire, venues adorer le Messie juif annoncé par une étoile, indiquent que la réunification des nations ne doit pas se faire par la force, mais pas l’Esprit de Dieu, seul compétent pour créer une unité respectueuse des diversités humaines.

L’inévitable pluralité des cultures

Notons toutefois, en citant le célèbre théologien et exégète allemand de l’Ancien Testament Gerhard von Rad (1901-1971), que l’introduction du récit de la tour de Babel du livre de la Genèse contient « une observation historique pénétrante » : « Or, en se déplaçant vers l’orient [ou de l’orient] les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinear [qui désigne la Babylonie en Mésopotamie, dans l’Iraq actuel] et y habitèrent » (Gn 11,2). Von Rad voit ici une allusion antique au fait que « les peuples proviennent de grandes migrations. De grands rassemblements entrent mystérieusement en mouvement ; ils sortent tout à coup de l’anonymat d’une existence préhistorique, apparaissent en pleine lumière dans l’histoire et parviennent à un haut degré de civilisation. Leur sédentarité pend alors des formes particulières. Ils ne s’installent plus comme naguère dans l’insouciance sans calcul, ils se décident à renforcer leur union et à atteindre la gloire » (G. von Rad, La Genèse, Labor et Fides, p.149). Selon cette conception, le récit de Babel ne serait pas unique, mais reflèterait le passage de l’humanité de la préhistoire à l’histoire avec, comme le texte le souligne, l’apparition des langues comme vecteurs de cultures différenciées.

Loin de condamner ce pluralisme, le récit biblique de la tour de Babel aurait pour fonction de justifier la diversité des civilisations, des cultures et des langues humaines, comme étant un trait insurpassable de l’humanité, imposé par Dieu pour éviter le pire : à savoir la croissance illimitée d’une monoculture mondiale, dictatoriale et totalitaire, privatrice de toute liberté. Le troisième Reich d’Adolf Hitler et des nazis en est une des dernières tentatives, monstrueuse et ratée. Dans les faits, l’histoire longue des cinq continents a pour l’instant confirmé cette impossibilité : Aucun empire de l’Antiquité, du Moyen Âge ou de la Modernité n’est parvenu à établir son hégémonie sur Terre ; et la lecture écologique actuelle de l’histoire décrit plutôt la naissance, la croissance, puis la maturité, suivies du déclin et de la mort inéluctable de toutes les civilisations humaines, la nôtre y compris.

La crainte de la violence des tyrans traverse néanmoins chaque époque. Les Trump, les Poutine ou encore les Talibans, les Mollahs iraniens, ou le gouvernement communiste chinois, ont en commun leur refus radical d’accepter que soit exprimée dans le domaine public une opinion divergente de la leur, et donc leur profond mépris de la démocratie, qu’ils envisagent comme un vecteur de décadence. Quel que soit le contenu de leur projet politique (qui peut être plus ou moins bienveillant), ce qui est à refuser premièrement n’est pas lié au contenu de leur discours, mais à la pensée unique que ce projet implique, à savoir l’absence de liberté de parole dans le débat politique et social, qui génère nécessairement un espace de non droit en lequel les contestataires sont persécutés.

Accepter LES contradictions, les frustrations, les hostilités et les imperfections

Spirituellement, le texte biblique nous enjoint donc de vivre en acceptant de supporter les perpétuelles contradictions entre le Moi, le Toi, le Lui, le Mien, le Tien et le Sien. La confusion des langues, la difficulté de se comprendre mutuellement – de personne à personne et entre les peuples – génératrice de frustrations et d’hostilités, est typiquement un mal nécessaire.

Ces considérations entraînent des conséquences inattendues, et salutaires. Tout d’abord, la reconnaissance de l’imperfection du texte biblique lui-même, dont on ne peut pas tirer de doctrines entièrement exemptes d’ambiguïtés. Le récit de la tour de Babel, par exemple, s’inscrit fort mal dans son contexte littéraire immédiat. De grandes incohérences apparaissent notamment avec le chapitre précédent du livre de la Genèse, qui présente une tabelle des peuples issus de la descendance des fils de Noé. Cette liste des nations de l’époque, qui parlaient déjà différentes langues, contredit l’affirmation du début de notre texte, selon laquelle « la terre entière se servait de la même langue » (Gn 11,1), un unité linguistique qui n’a jamais existé. De plus, Babel est déjà citée dans cette liste, parmi d’autres villes (Gn 10,10), alors que notre récit postule à nouveau sa création (Gn 11,4). On a l’impression que les chapitres 10 et 11 décrivent deux interprétations fort différentes la même période historique.

Le christianisme n’est ni la civilisation, ni la culture, ni la religion parfaite

Ensuite, plus profondément, il serait complètement erroné – même si cela reste tentant – de conclure que le christianisme, ou le monothéisme, ou la foi en Dieu, est la juste attitude religieuse, la seule révélée, qui permettrait de surmonter la diversité des langues et des cultures. L’évangélisation forcée serait alors la solution à tous les conflits de l’humanité. Or, une telle attitude, hégémonique, a largement démontré ses méfaits avec la Chrétienté du Moyen Âge et ses suites, qui portent les marques des Croisades et de l’Inquisition.

L’affirmation d’une civilisation chrétienne, en tant que telle, est une « tour de Babel » comme les autres, encline à succomber aux mêmes tentations expansionnistes. Il s’agit donc de distinguer, autant que faire se peut, ce que les Evangiles appellent le « Royaume de Dieu » qui fait irruption dans le monde au travers de la prédication de Jésus, et l’Eglise visible en tant qu’institution édifiée par les disciples de Jésus, avec ses activités et ses contraintes pratiques. La célèbre citation polémique du prêtre et théologien catholique français Alfred Loisy (1881-1932), qui fit scandale, va dans ce sens : « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue ». 

Une question délicate : Comment Dieu habite-t-il parmi les hommes ?

Il est par conséquent fort délicat de comprendre quel est l’antidote proposé par le Nouveau Testament à la religion autoritaire de Babel. Il y avait en Mésopotamie de nombreuses ziggurat (étymologie « être haut, élevé »), nom donné à ces « maisons », c’est-à-dire à ces « temples » ou complexes sacrés à plusieurs étages en escalier, qui comportaient en général deux sanctuaires, l’un au pied et l’autre au sommet de l’édifice, sans doute dans le but de relier le ciel et la terre. André Parrot, dans son ouvrage La tour de Babel (Delachaux & Niestlé, 1954, p.22), remarque que l’autel du Temple de Jérusalem, selon la vision du prophète Ezéchiel (43,13-17) exilé en Mésopotamie, comportait trois étages et avait donc une forme assimilable à ces édifices religieux. La solution proposée par le Nouveau Testament consisterait donc à remplacer ces bâtisses par une « construction humaine » décrite par Paul dans son épître aux Ephésiens, plus souple et adaptable selon la conduite de l’Esprit de Dieu : l’Eglise, qui est ici comprise en tant que communauté spirituelle non délimitable, élue, inspirée et sauvée par Dieu, et non en tant qu’institution religieuse distincte.

Selon Michel Bouttier, exégète de l’épître aux Ephésiens, « Dieu seul peut construire et offrir aux hommes cette demeure qu’habite sa présence » (Labor et Fides, p.126). La « construction » sera donc spirituelle plus que religieuse, Jésus-Christ en étant la pierre « maîtresse » (trad. TOB), localisable soit à son angle inférieur, soit à son sommet (le terme grec ne permet pas de trancher), soit encore – hypothèse intéressante issue du Psaume 118 (v.37) et reprise dans l’Evangile de Matthieu – « pierre rejetée par les bâtisseurs et devenue la pierre angulaire » (21,42). Dans la construction de l’Eglise, dont Christ est le fondement immuable, il y aura donc toujours le risque que le Seigneur ou l’Esprit soient rejetés de l’édifice, au profit d’une prise de pouvoir par ses ministres. Impossible donc, avec certitude, de savoir si la maison que l’on bâtit est celle voulue par Dieu. Il est probable qu’elle ne le soit toujours qu’en partie, en raison du « subtil paganisme qui habite toute âme, même religieuse, qui veut à tout prix monter vers le ciel pour forcer la divinité à descendre » (A. Parrot, op. cit., p.50).

« L’enfer est pavé de bonnes intentions », dit-on, et le Dieu en lequel nous croyons, infiniment proche de nous, est aussi infiniment éloigné de nous, de sorte que jamais nous ne pouvons « mettre la main sur lui ». Dieu demeure libre de nos intentions et libre en tous instants de nous contredire, quelles que soient nos volontés et nos idées à son sujet. Amen.

2 réflexions sur « Prédication : La tour de Babel et l’Eglise »

  1.  » 9 Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c’est là que le SEIGNEUR brouilla la langue de toute la terre…  »
    A remarquer le jeux de mot en hébreu, Babel = בבל (BBL) et brouilla = בלל (BLL).

  2. Merci cher Monsieur de préciser cette analogie, et merci également pour vos apports lors de notre rencontre d’hier soir à propos de l’hébreu biblique.
    Amitiés
    Gilles B.

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