Prédication – Le deuil : Un corps absent, une âme en peine et un esprit qui espère

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Alors même que nous ne pouvons pas nous forger une image vraisemblable de l’au-delà, la représentation que nous nous en faisons influe sur notre psychologie du deuil. Quel rapport avec les défunts ? Quelle espérance de les retrouver ? La question a traversé toutes les sociétés humaines. Je me sers de l’approche chrétienne de l’être humain, corps, âme, esprit, pour esquisser quelques pistes.

Evangile de Matthieu 22,23-33 – A la résurrection des morts

23 Ce jour-là, des Sadducéens s’approchèrent de lui. Les Sadducéens disent qu’il n’y a pas de résurrection. Ils lui posèrent cette question : 24 « Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans avoir d’enfants, son frère épousera la veuve, pour donner une descendance à son frère. 25 Or il y avait chez nous sept frères. Le premier, qui était marié, mourut ; et comme il n’avait pas de descendance, il laissa sa femme à son frère ; 26 de même le deuxième, le troisième, et ainsi jusqu’au septième. 27 Finalement, après eux tous, la femme mourut. 28 Eh bien ! A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femme, puisque tous l’ont eue pour femme ? » 

29 Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne connaissez ni les Ecritures ni la puissance de Dieu. 30 A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari ; mais on est comme des anges dans le ciel. 31 Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite : 32 Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » 33 En entendant cela, les foules étaient frappées de son enseignement.

Prédication du dimanche 26 novembre 2023 à Orvin, dans le Jura bernois, en Suisse, à l’occasion du Dimanche de l’Eternité, où l’on évoque le nom des personnes de la paroisse décédées dans l’année écoulée

Lorsque quelqu’un dont nous étions proches meurt, la période de deuil plus ou moins longue et plus ou moins intense qui s’ensuit comprend plusieurs aspects, qui sont liés à notre manière de concevoir l’être humain et d’envisager la vie humaine.

Je me réfère ici à l’approche biblique de l’homme en tant que créature divine, telle qu’elle apparaît dans la théologie de l’apôtre Paul : « Que le Dieu de paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaitement gardés pour être irréprochables lors de la venue de notre Seigneur Jésus Christ » (1 Thess. 5,23).

Ce passage nous apprend trois vérités théologiques essentielles pour la foi chrétienne : Premièrement, la vie présente est une préparation de la vie future, entièrement orientée vers notre réunion avec le Christ. Deuxièmement, le projet de la vie présente est la sanctification, c’est-à-dire le perfectionnement progressif de notre vie sociale, morale et spirituelle, allant dans le sens de plus de paix intérieure et extérieure (relationnelle). Troisièmement, la sainteté concerne à part égale les trois composantes de l’être humain : le corps matériel, l’âme psychique et l’esprit qui nous relie à la dimension divine.

Bien sûr, ce projet unissant le corps, l’âme et l’esprit va être mis à rude épreuve par les aspérités de la vie d’ici-bas, qui peuvent nous blesser, nous décevoir, voire nous révolter. Parmi les plus dures épreuves, il y a le deuil, lié à disparition, parfois prévisible et parfois subite, d’un être cher, sur lequel nous comptions pour nous encourager dans la vie. Le deuil nous laisse nostalgique et solitaire, et nous ne voyons plus comment aller de l’avant.

La dimension spirituelle de la vie, ou plus spécifiquement la foi en Dieu, lorsqu’elle est reconnue, suscite notre espérance dans le deuil. En résumé, lors d’un décès, il y a le corps d’un être disparu, notre âme qui est en peine, et notre esprit qui recherche l’espérance.

Psychologie du deuil

Commençons par la dimension psychique de l’âme, qui avec le corps, forme notre être naturel. Les sadducéens, un parti de prêtres juifs qui ne croient pas à la résurrection, inventent une histoire de famille rocambolesque provoquée par la pratique du Lévirat, qui est une coutume de plusieurs peuples du Moyen Orient ancien, dont les Egyptiens, les Babyloniens et les Hébreux : Lorsqu’un homme marié meurt sans enfants, son frère doit épouser sa veuve afin d’assurer la postérité de son frère. Or voici l’histoire: Sept fois de suite, un frère meurt, et sa veuve doit être épousée par un des frères survivants, de sorte que « son nom ne sera pas effacé d’Israël » (Dtn 25,5-6). En demandant à Jésus duquel des frères elle sera l’épouse lors de la résurrection, ils cherchent à le « mettre dans l’embarras » et à « le discréditer aux yeux des foules », mais « c’est au contraire Jésus qui dévoile l’incompétence de ses adversaires » (Matthias Konrad, L’Evangile selon saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, 2023, p.365).

L’enseignement de Jésus est le suivant : « A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari ; mais on est comme des anges dans le ciel » (Mt 22,30). Ces quelques mots ouvrent une perspective tout-à-fait nouvelle concernant la vie future dans l’au-delà, qui peut avoir une influence sur notre vécu psychologique et nos émotions liées au deuil.

Pour qui a vécu des relations familiales difficiles, voire houleuses, apprendre que « la résurrection est à la fois bien plus et bien autre chose qu’un retour à l’ancienne corporéité qui inclut, dans l’ordre de la création, le lien conjugal entre homme et femme » (Konrad, p.365), est plutôt une heureuse libération. La vie dans l’au-delà ne prolongera pas les mariages, adultères, divorces, remariages, conflits conjugaux, avec leurs divers troubles sexuels, viols et abus de confiance, car dit Jésus, « on est comme des anges dans le ciel ».
Ainsi, celles et ceux qui ont vécu difficilement avec leur corps en seront délivrés au Ciel.

Inversement, cette perspective résonnera comme une nouvelle fort attristante pour qui était profondément attaché à un être aimé, femme ou mari, enfant ou parent, considérant que ces personnes n’auront pas plus de proximité dans l’au-delà que n’importe lequel des milliards d’autres êtres humains ressuscités. Il semble alors que le deuil d’ici-bas doive se prolonger indéfiniment dans l’au-delà. A cela, on peut apporter quelques bémols, en supposant par exemple que ne plus être mariés ne signifie pas ne plus se connaître.

Pour surmonter cette vision décevante, on peut avancer que la vie dans l’au-delà sera celle qui fera disparaître toutes les frontières actuelles : il n’y aura plus de distance, plus d’écart temporel, plus de langues incompréhensibles, plus de partis, plus de relations toxiques, car toute séparation aura disparu, laissant place à une union relationnelle paisible entre tous.

Cette vision paradisiaque de l’au-delà permet à certains médiums d’affirmer que la communication avec les défunts est toujours bénéfique, car ces derniers, même s’ils ont été nos pires ennemis sur Terre, portent aujourd’hui un regard bienveillant sur nos démêlés terrestres, et souhaitent nous venir en aide. Sur cette question, nous protestants sommes plutôt réservés. Sans diaboliser tout désir de communication avec les morts, nous préférons nous adresser directement à Dieu plutôt qu’aux citoyens du Ciel, considérant que Dieu seul porte sur tout être une vision parfaite et offre à tout être un amour infini. En tous les cas, la médiumnité ne saurait remplacer le difficile travail de deuil de la relation.

Spiritualité et théologie du deuil

En passant des relations psychologiques à l’espérance spirituelle, se pose la question plus générale de la forme de l’au-delà. Comment pouvons-nous nous représenter le Règne de Dieu et la Vie éternelle ? Les Sadducéens imaginent « de façon naïve la vie dans la résurrection comme un prolongement de la vie terrestre » (Konrad, p.365), et ils n’y croient donc pas. Or, l’Eternité dont parle la Bible n’est pas un temps infini, qui ne peut que nous sembler ennuyeux, mais plutôt une Réalité supérieure, ni temporelle, ni spatiale, que nous ne pouvons pas nous représenter. Le philosophe Emmanuel Kant a bien exprimé cette difficulté, en affirmant que notre raison, notre pensée, est faite pour gérer ce qui se passe dans l’espace et dans le temps de notre Univers. Par conséquent, nous n’avons tout simplement aucun moyen de nous représenter l’au-delà, qui nous dépasse totalement.

Cela dit, si la forme de l’au-delà ne nous est pas compréhensible, la révélation chrétienne nous en décrit tout de même quelques caractéristiques nécessaires à notre foi. L’apôtre Paul exprime ainsi cette espérance centrale : « Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Autorités, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur » (Rm 8,38-39). Qu’avons-nous besoin de connaître de plus que cet amour divin invincible qui nous est adressé ? Rien à mon sens ! Inutile donc d’alourdir notre esprit avec d’autres suppositions sur l’au-delà.

En théologie, on ne cesse de répéter : Croire, ce n’est pas savoir ! Car c’est là où la connaissance prend fin que la foi commence. Subsiste le vieux débat au sujet de notre caractère personnel ou impersonnel dans l’au-delà. Serons-nous encore des individus, ou serons-nous à tel point fusionnés dans l’Amour universel que rien de notre être personnel ne subsistera ? A cette question, les religions monothéistes répondent plutôt en faveur de la personne, selon la foi aux anges et la citation de Jésus dans notre texte « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Mt 22,32 tiré d’Ex 3,6), tandis que les religions orientales sont plus holistiques. Mais aussi sur cette question, une prudente réserve est de mise, car nous ne sommes pas encore au Ciel, mais bien sur Terre. Amen

2 réflexions sur « Prédication – Le deuil : Un corps absent, une âme en peine et un esprit qui espère »

  1. J’ai lu avec intérêt et un certain plaisir votre prédication, car je viens d’apprendre ce matin le décès, sans plus de détail sur les circonstances de celui-ci, d’une personne qui était si charmante et seulement âgée de 50 ans. Cet homme, suite à un accident d’automobile, n’avait plus d’oesophage et devait donc se nourrir d’une manière différente. Il était photographe, et aimait dire que cela signifiait « écrivain de lumière ». Il m’impressionnait par sa sagesse, disant que tout dans la vie était apprentissage. D’habitude, je me réjouis pour une personne qui décède suite à de grandes souffrances car elle en est délivrée par sa mort. Mais là, je ne sais rien et je m’attriste et me révolte presque que cette personne ait eu un tel vécu et soit déjà morte.

    Je vous suis donc reconnaissant, car votre prédication me permet de mettre en lumière un autre aspect de la vie que la vie purement charnelle. Me revient cette étrange formulation de Paul dans Galates : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi, car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi dans le fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi ». Etonnant et difficile à saisir, comme la mort et la « résurrection » de quelqu’un qu’on a aimé et qui a disparu pour toujours. Merci !

    Wilfred

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