Prédication : La naissance virginale de Jésus l’Emmanuel

« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » (Mt 1,20b). Ce texte, à lui seul, lance la question de l’Evangile de Matthieu : Jésus est-il celui qui doit venir de la part de Dieu, l’Emmanuel, Dieu avec nous ?

Voir la liste de mes prédications ordonnées par références bibliques.

Livre du prophète Esaïe 7,10-17 – Le signe de l’Emmanuel

10 Le SEIGNEUR parla encore à Akhaz en ces termes : 11 « Demande un signe pour toi au SEIGNEUR ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut. » 12 Akhaz répondit : « Je n’en demanderai pas et je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l’épreuve. »

13 Il dit alors : Ecoutez donc, maison de David !
Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes,
que vous fatiguiez aussi mon Dieu ?

14 Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe :
Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils
et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.

15 De crème et de miel il se nourrira,
sachant rejeter le mal et choisir le bien.

16 Avant même que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
elle sera abandonnée, la terre dont tu crains les deux rois.

17 Le SEIGNEUR fera venir sur toi,
sur ton peuple et sur la maison de ton père,
des jours tels qu’il n’en est pas venu
depuis qu’Ephraïm s’est détaché de Juda – le roi d’Assyrie.

Evangile de Matthieu 1,18-25 – L’annonce à Joseph

18 Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. 

19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement. 20 Il avait formé ce projet, et voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, 21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » 

22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ». 

24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25 mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

Epître de Paul aux Romains 1,2-4 – Adresse et salutation

2 Cet Evangile, qu’il avait déjà promis par ses prophètes dans les Ecritures saintes, 3 concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David, 4 établi, selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d’entre les morts, Jésus Christ notre Seigneur. 

Prédication du 10 décembre 2023 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

Ma prédication se fonde sur les commentaires exégétiques de Pierre Bonnard (Labor et Fides, 1982), Joachim Gnilka (Parte prima, Paideia Editrice Brescia, 1986, trad. it.), Ulrich Luz (Paideia Editrice Brescia, 2006, trad. it.) et Matthias Konradt (Labor et Fides, 2023, trad. fr.), notés par la première lettre de leur nom de famille suivie directement de la page.

Notre texte suppose très probablement que « Joseph a suspecté sa fiancée d’adultère et à voulu l’éloigner » (L167). Selon Deutéronome 22,23-24, des partenaires adultères doivent être lapidés. C’est donc vraisemblablement pour lui éviter l’infamie, voire la lapidation, que Joseph choisit de « répudier secrètement » (v.19) Marie. Il est donc étrange que le texte qualifie Joseph d’ « homme juste » (v.19) pour cette raison, car ce faisant, il contredit la loi juive, selon laquelle une « lettre de répudiation nécessite deux témoins » (L168) et doit donc être publique (Dtn 24,2-4). Dans ce sens, « Joseph interprète naturellement la loi dans le sens d’un commandement d’amour » (L169) pour Marie et est donc «juste» (v.19) dans une perspective chrétienne et non en tant que juif.

Il peut sembler étrange à un lecteur moderne que Joseph doive répudier Marie alors qu’ils n’habitent pas encore ensemble (v.18) et n’ont pas de relations sexuelles (v.25). Or, les fiançailles juives, durant lesquelles la jeune fille âgée de 12 ou 13 ans habitait encore chez ses parents, formaient le début du mariage et créaient déjà des rapports juridiques (G44).

L’hypothèse d’un Jésus né hors mariage

Il est donc fort probable que Marie « se trouva enceinte » (v.18) alors qu’elle était déjà mariée à Joseph. Martin Luther s’en réjouit, car si Jésus était né hors mariage, combien de sectes se seraient empressées d’imiter cette pratique (L167).

Cette idée d’un Jésus né hors mariage, dont on ne connaîtrait pas le père, a récemment refait surface avec le livre de Métin Arditi, écrivain suisse d’origine turque et juif séfarade, intitulé Le Bâtard de Nazareth (Grasset, 2023), inspiré des travaux du théologien Daniel Marguerat, qui s’appuie notamment sur Marc 6,3 et Jean 8,41 pour affirmer que Jésus est un bâtard ou mamzer, dont on connaît la mère mais pas le père (Le Temps du 18 mars 2023, p.45). Comme l’indique Laurent Passer, cette approche privilégie « la nature humaine du Christ en gommant sa nature divine » (Le Temps du 26 avril 2023, p.26). Or, être né d’une femme vierge par l’Esprit Saint est autre chose qu’être né de père inconnu.

Naissance virginale de Jésus : La critique rationaliste moderne

A ce point, nous devons nous interroger sur le sens de cette naissance virginale de Jésus. S’agit-il d’un « theologoumemon [c’est-à-dire d’une vérité seulement théologique] ou d’un fait à prendre au sens littéral » (G63), c’est-à-dire d’un événement bien réel ? Il semble que l’étude la plus savante de la Bible ne soit pas en mesure de trancher cette question, qui relève de « attitude personnelle de chacun vis-à-vis de la tradition de l’Eglise » (G63).

La conception miraculeuse de Jésus, né d’une femme vierge, rencontre souvent « une objection de type rationaliste […] excluant en principe la possibilité de ce ‘miracle’. Pour courante qu’elle soit, et bien compréhensible » (B18), cette négation du miracle part du principe que la conception moderne, occidentale et scientifique, du monde est par définition plus aboutie et plus vraie que la mythologie antique qui domine la Bible, mais on peut se demander jusqu’où elle remet en question « l’ensemble du témoignage évangélique sur l’intervention d’un Dieu souverain (créateur) et sauveur dans l’histoire des hommes » (B18) ? On peut se demander si tous les événements de l’histoire sont réductibles à des explications scientifiques de type causal.

Naissance virginale de Jésus : La critique de l’histoire des religions

Un autre argument réfléchi, moins arbitraire que le précédent, est souvent avancé pour remettre en cause l’historicité de la naissance virginale de Jésus : « la naissance sans l’intervention d’un père humain se trouve fréquemment dans les récits hellénistiques et égyptiens, qui parlent de la génération divine de rois, héros, philosophes, etc. » (L164). H. Luz en tire une conclusion désespérée : « En considération des nombreux parallèles, la question de l’historicité est sans espérances : […] Probablement, il s’agit d’une tentative des communautés judéo-chrétiennes de manifester la foi en Jésus […] sous la forme d’une histoire d’enfance, par analogie aux autres traditions antiques » (L166) : Au travers des communautés juives du monde gréco-romain (G53), le christianisme aurait donc hérité de « l’idée païenne – diffuse en Egypte – de la naissance d’un Dieu enfant » (L172). Par conséquent, cette image d’une femme vierge donnant naissance à un dieu sous forme humaine était parlante au Moyen Orient dans l’Antiquité, mais elle ne l’est plus du tout aujourd’hui. Nous devons donc l’abandonner et la remplacer par d’autres images qui peuvent parler aux hommes de nos sociétés modernes.

Il existe pourtant une réponse pertinente à cet argument massue tiré de l’histoire des religions : « Il est frappant de constater, en comparaison avec le mythe d’Alexandre ou d’Auguste, qu’il n’y a pas ici [dans l’oeuvre du Saint Esprit sur Marie] la moindre allusion sexuelle à un acte de procréation » (K51). Si « ce qui a été engendre en [Marie] vient de l’Esprit Saint » (v.20), « il s’agit de penser à l’intervention créatrice de Dieu au moyen de l’Esprit et non à l’Esprit […] comme partenaire sexuel de Marie » (L169). Il est parfaitement clair que selon les Evangiles de Matthieu (1,20) et Luc (1,35), le Saint-Esprit ne commet pas un acte sexuel avec Marie. L’interprétation qu’en donne le Coran est marquée par la confusion qui régnait en Arabie au VIIe siècle après Jésus-Christ, lors de la rédaction du Coran : « O Jésus fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : ‘Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors de Dieu’ » (Sourate 5,116). Selon le Coran, la Trinité comprend donc les trois personnes de Dieu, Marie et Jésus, avec la supposition disqualifiante d’un accouplement sexuel entre Dieu et Marie dont nait Jésus.

Chercher le sens théologique de la naissance virginale de Jésus, sans se soucier de sa réalité historique

Avec ces arguments et contre-arguments, nous n’avons pas progressé. Ainsi, J. Gnilka résume bien la situation : « Le problème historique-factuel ne peut pas être éliminé », mais maintenant, « aussi indépendamment de ce problème » (G60), nous devons trouver un sens théologique à la naissance virginale de Jésus. Je présenterai deux pistes pour terminer :

Matthieu affirme avant tout, dans notre texte, que Jésus est l’Emmanuel, «ce qui se traduit : ‘Dieu avec nous’» (v.23). Il réinterprète ainsi à sa façon la prophétie d’Esaïe 7,14, adressée à l’origine au roi Akhaz. Matthieu inclut ensuite tout son Evangile dans ce thème du Dieu présent en le replaçant dans son dernier verset, tout à la fin de son Evangile : « Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20). Selon U. Lutz, « Matthieu […] n’a pas identifié Jésus à Dieu, mais il a laissé entendre que pour lui Jésus est la figure par laquelle Dieu sera présent à son peuple, et ensuite, auprès de tous les peuples » (L171). L’évangéliste signifie ainsi que « le Jésus ressuscité n’est pas différent du Jésus terrestre, et qu’être chrétien signifie observer les commandements du Jésus terrestre » (L172), dans la Présence du Jésus céleste.

J. Gnilka parvient à une conclusion complémentaire en supposant que le premier chapitre de l’Evangile de Matthieu, qui commence par la généalogie d’Abraham à « Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle Christ » (Mt 1,16), présente une « ‘christologie à deux degrés’ : La généalogie [v.1-17] situe Jésus dans l’humanité et la narration qui suit [le récit de la naissance virginale, v.18-25] montre sa génération par œuvre de Dieu. En tant que descendant du géniteur et premier roi des Juifs, il est fils d’Abraham et de David, et en tant que généré par l’Esprit, il est Fils de Dieu » (G52).

Cette même idée, résumée par l’apôtre Paul en Romains 1,3-4, ouvre le grand thème qui sera débattu tout au long des deux millénaires de théologie chrétienne qui nous précèdent : L’incarnation du Dieu fait homme dans le Christ Jésus, qui selon la foi chrétienne, est à la fois pleinement homme et parfait représentant de Dieu. Il s’agit là d’un mystère, que le croyant n’a jamais commencé ni fini de connaître, au cœur de la foi chrétienne. Amen

2 réflexions sur « Prédication : La naissance virginale de Jésus l’Emmanuel »

  1. Chère Madame,

    on ne fait pas l’économie de la foi, en effet, ni l’économie de la réflexion théologique.

    Ma pensée est résumée dans cette conclusion de ma prédication : « ‘Le problème historique-factuel ne peut pas être éliminé’, mais maintenant, ‘aussi indépendamment de ce problème’ (G60), nous devons trouver un sens théologique à la naissance virginale de Jésus. »
    Je souligne le mot « indépendance » : La foi chrétienne est indépendante d’une connaissance de la preuve des miracles. Le terrain de la foi est différent du terrain de l’histoire, même si tous deux entretiennent certains rapports pas toujours faciles à démêler. Il est tout-à-fait possible de penser que la naissance virginale de Jésus a une signification théologique, pour la foi, sans avoir nécessairement de signification historique.
    Avec mes amitiés
    GB

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