Prédication : Force et sagesse de la prophétie juive

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La prophétie juive, à l’époque des Royaumes du Sud (Juda) et du Nord (Israël), fait valoir la liberté d’expression d’un point de vue indépendant et différent de celui du pouvoir royal établi, ayant une fonction critique et instaurant un dialogue contradictoire, refusé par des autorités, tant juives que non juives, qui cherchent à museler toute dissension politique et religieuse. Analyse du cas du prophète Amos expulsé du sanctuaire royal de Bethel.

Livre du prophète Amos 7,10-15 – Amos expulsé de Bethel

10 Le prêtre de Béthel, Amacya, envoya dire à Jéroboam, le roi d’Israël : « Amos conspire contre toi au sein de la maison d’Israël ; le pays ne peut plus rien tolérer de ce qu’il dit. Car c’est ainsi que parle Amos : 

11 C’est par l’épée que mourra Jéroboam
et Israël sera entièrement déporté loin de sa terre. »

12 Amacya dit alors à Amos : « Va-t’en, voyant ; sauve-toi au pays de Juda : là-bas, tu peux gagner ton pain et prophétiser, là-bas ! 13 Mais à Béthel, ne recommence pas à prophétiser, car c’est ici le sanctuaire du roi, le temple royal ! »

14 Amos répondit à Amacya : « Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète, j’étais bouvier, je traitais les sycomores ; 15 mais le SEIGNEUR m’a pris de derrière le bétail et le SEIGNEUR m’a dit : Va ! prophétise à Israël mon peuple ».

Prédication du dimanche 19 novembre 2023 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

L’unique bref récit placé au milieu des prophéties d’Amos est aussi le passage le plus commenté son livre (7,10-15) : il se déroule dans la première partie du huitième siècle avant J.-C., dans le Royaume du Nord, ou Royaume d’Israël, où règne le roi Jéroboam II.

Le récit oppose les points de vue du prêtre Amacya, fonctionnaire religieux attitré de la maison royale, et le prophète indépendant et autoproclamé Amos, ressortissant du Royaume du Sud, ou Royaume de Juda, venu prophétiser dans le Royaume du Nord.

Amos annonce la mort violente du roi Jéroboam II et la future déportation de la population du Royaume du Nord : une proclamation que le prêtre Amacya juge intolérable et qu’il qualifie de conspiration, l’interprétant comme une trahison de la monarchie établie.

Or, on peut se demander si la prophétie d’Amos est une conspiration, ou si elle est au contraire une parole authentique et salutaire destinée au roi, certes difficile à entendre car elle demande de reconnaître des torts, mais qui a pour but de donner au roi la possibilité de prendre les dispositions nécessaires afin d’éviter les malheurs annoncés par Amos.

Souvent, en effet, les prophéties menaçantes de l’Ancien Testament sont présentées comme conditionnelles. Par exemple, dans le livre de Jonas, Dieu renonce à détruire Ninive parce que ses habitants se sont repentis (Jo 3,10), ce qui fâche le prophète Jonas.

Le dur apprentissage de la conversation contradictoire

Soulignons d’emblée l’importance historique de la prophétie juive : elle oppose le plus souvent un prophète sans défense et de rang social modeste – Amos est berger, et qui plus est étranger – à une instance politique autoritaire et oppressive, ici la royauté d’Israël.

La prophétie juive instaure donc un dialogue, encore complètement inégal, entre deux opinions politiques divergentes. Nous pouvons y voir un embryon précoce de démocratie revendiquée par le prophète – le droit à la liberté d’expression – face à un pouvoir qui refuse de se remettre en question, et qui cherche à étouffer toute opposition.

Remarquons que c’est au nom du « sanctuaire du roi, le temple royal » (v.13) que Amacya exige le départ d’Amos. La royauté représente à ses yeux une autorité à la fois sacrée, morale et politique, que personne n’a le droit de contester : l’autorité suprême après Dieu. Or, comme le précise Samuel Amsler : « Amatsia prend ainsi exactement l’attitude qu’Amos dénonce dans ses discours : il s’appuie sur l’institution royale et le sanctuaire pour refuser de se laisser remettre en question par l’autorité absolue de YHWH » (Edmond Jacob, Carl-A. Keller, Samuel Amsler, Osée Joël Amos Abdias Jonas, XIa, Commentaire de l’Ancien Testament, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1965, p.230).

La prophétie juive, dans son ensemble, prétend ainsi proclamer une Vérité de droit divin, qui dérange, parce qu’elle émane d’une autorité supérieure aux vérités proclamées par les gouvernements du monde. On reconnaît aujourd’hui que les prophètes ne parviennent jamais à exprimer parfaitement cette Parole divine, qui va d’ailleurs évoluer avec le temps, mais ils sont porteurs d’une exigence d’authenticité dans l’écoute de Dieu, et d’un courage de la confrontation, qui démontre que dans l’histoire, le plus fort n’a pas toujours raison !

L’idole, fascination et enfermement de soi-même

Du coup, le combat entier de la prophétie juive se résume à une lutte contre les idoles, sous toutes leurs formes, au nom du vrai Dieu, indépendant et ne pouvant être assujetti. Lorsqu’elles se proclament incontestables, la prêtrise et la royauté, donc la religion et la politique réunies, deviennent idolâtres : elles se vénèrent elles-mêmes, et ressemblent à ces faux dieux que les hommes se fabriquent pour s’autojustifier (statuettes, amulettes, etc.), mais qui ont le défaut d’être muettes et totalement dociles, incapables de confronter l’être humain dans ses intentions profondes à une Vérité ultime qui pourrait lui faire face.

Selon la théologie des prophètes de la Bible juive, notre Ancien Testament, il y a donc un Dieu vis-à-vis de moi, que je ne suis pas, un Dieu personnel qui comprend et évalue mes dispositions intérieures les plus secrètes, et me connaît donc personnellement. Il s’agit là d’un Dieu auquel je ne saurais m’identifier, et qui pourtant me parle en mon fort intérieur, me connaissant mieux que moi-même je me connais, et me révélant ainsi à moi-même.

Dans cette perspective, la religion traditionnelle, qui se présente comme un fonctionnariat rémunéré du temple officiel, perd une grande part de sa légitimité devant cette religion authentique, qui écoute Dieu dans un culte intérieur personnel et permanent (Rm 12,1). Telle est la religion des prophètes juifs, qui se distinguent par le sentiment d’être intimement concernés par les Paroles qu’ils prononcent, à haut risque pour eux-mêmes.

On comprend mieux ainsi la réponse d’Amos à Amacya : « Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète, j’étais bouvier [=berger], je traitais les sycomores ; mais le Seigneur m’a pris de derrière le bétail… ». Amos veut souligner ainsi que sa prophétie n’a rien d’artificiel, elle n’est pas un produit professionnel sous licence, mais qu’elle émane de la spontanéité d’un homme simple, sans formation religieuse, qui s’est senti interpellé par une Parole de Dieu qui l’a saisi dans sa profonde intimité, hors de tout système religieux.

L’épreuve psychologique d’une parole authentique

Par conséquent, la Parole prophétique que Amos adresse au roi Jéroboam n’est pas transposable en un autre lieu. Amos ne peut donc souscrire au conseil d’Amacya : « Va-t’en, voyant ; sauve-toi au pays de Juda : là-bas, tu peux gagner ton pain et prophétiser, là-bas ! » (v.12). Ce conseil est aussi absurde que si quelqu’un vous demandait de dire à une autre personne la recommandation que vous souhaitez transmettre à une personne précise. La prophétie juive est toujours adressée par une personne concernée à une autre personne concernée ou un groupe de personnes concernées. Elle est toujours engagée, responsable.

D’où son caractère psychologique : le prophète juif, avant tout, ose dire les choses, il révèle le secret des cœurs, affronte le désaccord et risque donc des réactions négatives du destinataire. Nous avons tendance, en Occident, à éviter le plus possible les conversations cruciales, celles où peuvent surgir des désaccords sur des questions qui comptent, avec un haut potentiel émotionnel (Grenny, Patterson, McMillan, Switzler, Gregory, Conversations cruciales. Savoir et oser dire les choses, Strasbourg, ed. Axel Performance, 2022). Les prophètes juifs font tout le contraire : ils affrontent le problème de face, on dirait qu’ils se jettent dans la gueule du loup en proclamant tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

Peu habitués à tant de franchise directe, nous craignons que la prophétie juive devienne accusatrice par sa radicalité, blessante par sa rudesse, paralysante par sa dureté, et sur le plan théologique, fondamentaliste ou même intégriste par son manque de nuances.

Comme le fera pas la suite Jésus avec plus de doigté et un langage plus ample, les prophètes juifs soulignent le caractère problématique des situations humaines. Ils nous rappellent que nous sommes tous imparfaits, et que nous ne sommes jamais totalement à l’abri de tensions, de reproches, de suspicions, de revendications et de situations à risque.

Face à la Parole prophétique, le Nouveau Testament nous invite à réagir humblement, sans animosité ni excessive culpabilisation, en reconnaissant notre part de fautes. Nous ne pouvons pas fuir devant Dieu, ce que Adam et Eve dans le jardin tentèrent sans succès. Il est donc préférable d’adopter la recommandation de l’épître aux Hébreux : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs… » (He 3,7-8). Restons souples !

En proclamant la Vérité, la parole prophétique, quiconque soit son énonciateur, suscite d’abord une réaction de rejet, mais qui la reçoit en éprouve bientôt les bienfaits. Amen

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