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Comprendre la réponse de Paul aux Corinthiens au sujet des relations entre hommes et femmes n’est pas aisé, tant les codes familiaux et sexuels ont changé depuis l’Antiquité. Je présente ici une interprétation habituelle du texte par les commentateurs réformés, selon laquelle le mariage et le célibat représentent deux charismes différents, d’égale valeur morale devant Dieu.
Première épître de Paul aux Corinthiens 7,1-11 – Réponses à des questions sur le mariage
1 Venons-en à ce que vous m’avez écrit. Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. 2 Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. 3 Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. 4 Ce n’est pas la femme qui dispose de son corps, c’est son mari. De même ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme. 5 Ne vous refusez pas l’un à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière ; puis retournez ensemble, de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l’occasion de vous tenter.
6 En parlant ainsi, je vous fais une concession, je ne vous donne pas d’ordre. 7 Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. 8 Je dis donc aux célibataires et aux veuves qu’il est bon de rester ainsi, comme moi. 9 Mais s’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient ; car il vaut mieux se marier que brûler. 10 A ceux qui sont mariés j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari 11 – si elle en est séparée, qu’elle ne se remarie pas ou qu’elle se réconcilie avec son mari –, et que le mari ne répudie pas sa femme.
Evangile de Matthieu 19,1-12 – Contre la répudiation, mariage et célibat
1 Or, quand Jésus eut achevé ces instructions, il partit de la Galilée et vint dans le territoire de la Judée au-delà du Jourdain. 2 De grandes foules le suivirent, et là il les guérit. 3 Des Pharisiens s’avancèrent vers lui et lui dirent pour lui tendre un piège : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » 4 Il répondit : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle 5 et qu’il a dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. 6 Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » 7 Ils lui disent : « Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de délivrer un certificat de répudiation quand on répudie ? » 8 Il leur dit : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais au commencement il n’en était pas ainsi. 9 Je vous le dis : Si quelqu’un répudie sa femme – sauf en cas d’union illégale – et en épouse une autre, il est adultère. »
10 Les disciples lui dirent : « Si telle est la condition de l’homme envers sa femme, il n’y a pas intérêt à se marier. » 11 Il leur répondit : « Tous ne comprennent pas ce langage, mais seulement ceux à qui c’est donné. 12 En effet, il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein maternel ; il y a des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes ; et il y en a qui se sont eux-mêmes rendus eunuques à cause du Royaume des cieux. Comprenne qui peut comprendre ! »
Prédication du dimanche 12 mai 2024 à Orvin, dans le Jura bernois, en Suisse
Lorsque l’on aborde des thèmes aussi délicats que l’amour du couple, l’amour sentimental et l’amour érotique, il convient de diminuer les risques d’être mal compris, ou de blesser quelqu’un, en débutant par quelques remarques introductives. J’en présente deux, qui précisent la nécessité et la difficulté d’aborder un tel thème.
La nécessité. Ce qui autorise, et même contraint, un pasteur d’aborder un tel sujet, c’est qu’il en est parlé dans la Bible. En effet, le travail d’un pasteur, dans la prédication, consiste à exposer un sens de la Bible adapté à aujourd’hui. J’introduit ici une première remarque : Selon Héring, dans 1 Co 7, Paul « précise que seul le mariage strictement monogame peut entrer en ligne de compte pour le chrétien » (1949, p.51), or il me semble plutôt que Paul admet d’office, sans l’expliciter, que seuls le couple hétérosexuel ou l’abstinence du célibat sont envisageables. Qu’en est-il aujourd’hui ? De tout temps, d’autres options ont existé, dont l’homosexualité, qui peut être une forme particulière de couple fidèle, ou la polygamie. Je n’ai hélas pas la place ici d’aborder ces thèmes.
La difficulté. Cette première remarque souligne toute la difficulté du sujet. Le thème est complexe, car il associe des réalités humaines très différentes. Le mariage touche à la promesse de fidélité et au droit civil. L’amour sentimental concerne l’attachement, source de bonheur, mais aussi de dépendance psychologique, avec une tendance fusionnelle ou au contraire une rupture affective. Enfin, la sexualité est faite de relations hyper-intimes qui nous marquent profondément et dont nous ne parlons pas facilement. Elle comporte deux volets de nature très différente : la procréation, avec les questions d’éducation et de famille ; et le besoin sexuel lié au désir de plaisir. Point très important : Paul admet que la sexualité n’a pas pour unique but la procréation, puisqu’il affirme avec insistance qu’« il vaut mieux se marier que de brûler [de désir sexuel] » (v.9). Héring souligne que « l’apôtre se sépare d’une opinion fort répandue selon les rabbins qui ne permettaient le mariage qu’en vue de la procréation » (1941, p.51). Selon la perspective de Paul, la sexualité a une valeur en soi, elle ne sert pas seulement à procréer. Il est donc vraisemblable que l’apôtre Paul ait ou aurait été favorable à la contraception (du moins avec les techniques existantes à l’époque), car elle permet une vie sexuelle sans procréation, mais nous n’avons aucun indice textuel concret qui permette d’étayer une telle déduction.
Le mariage évite les risques délétères de l’abstinence
Après ces remarques introductives, je passe à l’exégèse, c’est-à-dire à l’examen précis de notre passage dans le cadre du chapitre 7 de 1 Co, entièrement consacré aux relations entre hommes et femmes. Les commentaires réformés en ma possession (J. Héring 1949, J.-J. von Allmen 1951, G. Deluz 1959, C. Senft 1979, TOB 2012) et même G. Campbell Morgan, 1959, de tendance évangélique, vont tous à peu près dans le même sens, et je partage leur avis. Je tente de résumer la situation ainsi : Dans ce chapitre 7, Paul donne l’impression de privilégier l’abstinence sexuelle dans le célibat, mais en réalité, il conseille aussi très fortement le mariage, afin d’éviter une vie relâchée lorsque le désir sexuel devient irrésistible. Selon Deluz, « Paul ne plaide pas en faveur du célibat avec autant de fanatisme qu’on veut bien le dire. Au contraire, il prend la défense du mariage » (p.92).
Il est très probable que les chrétiens de l’Eglise de Corinthe étaient fortement attirés par les pratiques ascétiques : Ils supposaient qu’en se privant des plaisirs terrestres, par le jeûne alimentaire ou l’abstinence sexuelle, ces attitudes saintes leur permettraient de mieux se rapprocher de Dieu. Ils étaient d’abord influencés par la culture grecque du mépris du corps. En effet, l’idéalisme de Platon accordait aux idées une perfection qui faisait défaut à la matière. Ensuite, le message de l’Evangile, tel qu’ils le comprenaient, les confortait dans ce sens : « En raison de la nouveauté radicale du temps inauguré par l’effusion de l’Esprit, ils voulaient mettre fin au mariage », l’empêcher ou l’interrompre. Ils se demandaient si « le mariage en tant que tel n’a pas pris fin, en droit, à cause de l’irruption de l’éon futur » (von Allmen, p.11-12). Le rapprochement de Dieu en Jésus rendait à leurs yeux superflus, et même néfastes, les liens charnels en dehors de la communion spirituelle dans l’Eglise.
L’apôtre Paul, manifestement, partageait avec les Corinthiens une certaine préférence pour le célibat, mais pas pour les mêmes raisons, et avec plus de nuances. Il était d’ailleurs lui-même célibataire, contrairement à l’apôtre Pierre qui était marié (1 Co 9,5), bien qu’il soit considéré comme le fondateur de l’Eglise romaine, qui impose le célibat à ses prêtres !
En faveur du célibat, Paul avance deux arguments : D’abord, « les gens mariés auront de lourdes épreuves » (1 Co 7,28), vraisemblablement en lien à la fin des temps, que Paul croyait très proche. Ensuite, « Celui qui n’est pas marié a souci des affaires du Seigneur : […]. Mais celui qui est marié […] : cherche comment plaire à sa femme, et il est partagé » (1 Co 7,32-34). Paul avance là un argument de sainteté proche de celui de Corinthiens.
Déculpabiliser la sexualité
Mais l’argumentation de Paul la plus appuyée de notre chapitre 7 vise à « déculpabiliser la vie sexuelle », pour des raisons que nous dirions aujourd’hui psychologiques : Paul met en garde « contre les risques que présente la répression de l’instinct » sexuel (v.2.5.9). « A ceux que tente l’ascèse », il répond que « les formes de débauche sexuelle sont une menace trop réelle pour qu’on s’y expose en optant pour l’abstinence » (Senft, p.88).
Cet enseignement de Paul est à mon sens de la plus haute importance pour nous aussi, en lien ou non avec la sexualité. Je le formule ainsi : Il est plus sage de viser une « sainteté » mesurée à nos forces, même très modeste, sans se culpabiliser, et de l’atteindre, que de se fixer des objectifs moraux prétentieux et trop élevés pour nous, pour ensuite retomber de haut, dans un état désespéré et pire que les objectifs plus modestes que nous aurions pu atteindre. Les jusqu’au-boutistes et les intégristes ont du mal à entendre de tels conseils. En langage très simple : mieux vaut viser peu et bien, que trop et mal. Car aussi saints que nous soyons, du moins selon nos illusions, nous ne sommes pas sauvés par nos œuvres, toujours imparfaites, mais par le don de la grâce et de l’amour inconditionnel de Dieu.
Mariage ou célibat : Une question de charisme
Afin d’accorder une égale valeur, morale et sainte, au mariage et au célibat, l’apôtre Paul recourt judicieusement à la notion de charisme : « Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun reçoit de Dieu un don [gr.: karisma] particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là » (1 Co 7,7). Vivre marié ou célibataire, c’est une question de don personnel ! Paul s’inspire ici de Jésus, qui compare le célibat et le mariage au fait d’être eunuque ou non (Mt 19,12). Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (Mame/Plon 1992) ne dit pas autre chose : « Les deux, le sacrement du Mariage et la virginité pour le Royaume de Dieu, viennent du Seigneur Lui-même. C’est lui qui leur donne sens et leur accorde la grâce indispensables pour les vivre conformément à sa volonté » (no. 1620, p.344). Selon cette logique, on peut regretter que l’Eglise catholique contraigne ses prêtres au célibat, alors que tous n’en ont sans doute pas le charisme, ce qui génère des troubles.
Je termine par une remarque critique : Au chapitre 7, Paul recommande aux mariés de ne pas s’abstenir trop longtemps de vie sexuelle, afin de ne pas donner « à Satan l’occasion de [les] tenter » (1 Co 7,5). Nous savons aujourd’hui qu’une telle consigne, non dénuée de sagesse, est très insuffisante pour résoudre les difficultés sexuelles des couples. Amen