Prédication : Aider selon les besoins et non par affinité

Ma prédication ci-dessous est inspirée de la proposition de prédication de l’EPER (Entraide protestante suisse) pour le Dimanche des réfugé.e.s 2022, écrite par le pasteur Simon Weber (secteur Théologie, catéchèse et sensibilisation), dont vous pouvez télécharger le PDF.

Luc 10, 25-37 La parabole dite du bon Samaritain

25Et voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? » 26Jésus lui dit : « Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ? » 27Il lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » 28Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie. »

29Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » 30Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. 31Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance. 32Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance. 33Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié. 34Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui. 35Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : “Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.” 36Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ? » 37Le légiste répondit : « C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. »

Prédication du dimanche des réfugiés 19 juin 2022 à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Pour écrire cette prédication, je me suis fortement appuyé sur la proposition de prédication fournie par l’EPER, l’Entraide protestante suisse, à l’occasion de ce dimanche des réfugiés 2022, écrite par le pasteur Simon Weber, que j’ai connu par le passé. J’ai écrit mon texte en reprenant en partie ses idées, qui m’ont semblées pertinentes et dignes d’intérêt.

A propos de la parabole du bon Samaritain, Simon Weber commence par rappeler que Jésus utilise des paraboles pour exprimer de manière simple des choses compliquées, et surtout pour nous amener à changer de point de vue et d’attitude.

Il commente ensuite la première réponse de Jésus au légiste : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. ». Avec ironie, le pasteur estime qu’il est facile d’aimer Dieu de façon opportuniste, car il est toujours à notre service, et qu’il est facile de s’aimer soi-même égoïstement, en revanche l’amour le plus exigeant est celui envers notre prochain ou notre prochaine, car il ou elle nous résiste, à la fois par son égo et son humanité. Pour cette raison, Jésus complète sa réponse au moyen de la parabole du bon Samaritain, qui traite à juste titre du difficile amour pour le prochain.

Le point de vue du récit

Simon Weber se demande de quel point de vue est racontée cette histoire. En première hypothèse, il suppose que le personnage principal est le bon Samaritain, puisque la parabole porte son nom. Dans ce cas, le thème de la parabole est le racisme, dont l’absurdité est démontrée par le fait que deux citoyens juifs, un prêtre et un légiste, passent à côté du blessé sans se soucier de lui, tandis qu’un étranger, mal vu par les Juifs car originaire de la Samarie, prend soin de lui. De ce point de vue, le changement de regard auquel nous invite la parabole est clair : Juger les gens en fonction de leur nationalité ou de leur ethnie est erroné : il convient plutôt de mesurer leurs agissements concrets.

Contrairement à Simon Weber, qui semble nier la pertinence de ce point de vue du Samaritain, je pense que cette analyse de la parabole est également valable, mais je partage avec lui que, je cite « le récit est raconté à partir du point de vue de l’homme blessé, laissé à moitié mort », car « la parabole ne raconte que ce que cet homme éprouve et ce qu’il sait ». Cela est correct, en effet. On ne sait pas, par exemple, quelles sont les motivations du prêtre et du légiste pour ne pas secourir ce blessé : peut-être ont-ils des missions importantes à remplir, qui les empêchent de s’arrêter.

Qui est mon prochain ? Bonne et mauvaise question

La parabole est racontée du point de vue du blessé, qui voit passer deux religieux juifs qui ne se soucient pas de lui, tandis qu’un Samaritain lui bande ses plaies et le conduit à une auberge. Je partage avec Simon Weber cette idée centrale, exprimée d’ailleurs par plusieurs théologiens, selon laquelle Jésus, en demandant au légiste lequel des trois s’est montré le prochain de l’homme blessé, veut nous détourner d’une question illégitime pour nous orienter vers une question pertinente.

La question inadaptée est hélas celle que nous nous posons le plus souvent : En nous demandant qui est notre prochain, nous considérons la proximité de son lieu de vie, sa nationalité, son parti politique, sa religion ou de tout autre critère permettant de rapprocher des personnes humaines.

Selon cette logique, si je suis protestant, un autre protestant est davantage mon prochain qu’un catholique, et davantage encore qu’un adepte d’une autre religion. Les chrétiennes et les chrétiens sont mes frères et mes sœurs, mes « prochains », bien davantage que les musulmans, que j’ai de la peine à comprendre. Ces types d’écarts semblent une évidence ! De même, je me sens plus solidaire des Suisses si je suis citoyen suisse, plus solidaire des socialistes si je suis moi-même socialiste, plus solidaire des femmes si je suis une femme, plus solidaire des européens si je suis européen, et ainsi de suite.

Cependant, selon l’Evangile, il s’agit là de critères inadaptés à définir qui est mon prochain. La parabole le démontre : le Samaritain, membre d’une autre contrée et d’une religion un peu différente et mal aimée des Juifs, s’est lui-même considéré comme étant davantage le prochain de ce blessé, en prenant soin de lui, que ne l’ont été le prêtre et le lévite, pourtant supposés de la même nationalité et de la même religion que lui.

Aider le prochain selon ses besoins, quiconque soit-il

Alors, quelle est donc la bonne question que cette parabole nous invite à nous poser pour déterminer qui est notre prochain ? C’est ici que la réponse proposée par Simon Weber est très éclairante. Je le cite : « Jésus opère un renversement, un changement de regard. Il ne s’agit plus de savoir qui a légitimement droit à mon geste de solidarité, mais de m’assurer que je viens en aide de manière adéquate à celui qui en a besoin ».

Autrement dit, je ne suis pas appelé à me comporter comme un prochain solidaire des autres personnes en fonction de leur identité nationale, ethnique, politique, sociale, religieuse, sexuelle, ou de toute autre identité. Ce ne sont pas ces critères-là qui sont pertinents pour déterminer qui est mon prochain. Le juste critère proposé par l’Evangile est le suivant : Mon prochain est celui, ma prochaine est celle qui a besoin de mon aide, celle ou celui qui se trouve en détresse, quelle que soit son identité.

Le point de vue de Jésus préfigure donc celui du droit universel des êtres humains : Je dois considérer le droit de quiconque est en détresse d’être secouru et traité humainement, quelle que soit son identité. Si nous agissons selon ce droit universel des humains à être secourus, il nous faut traiter de la même manière les européens et les non-européens, les Suisses et les étrangers, les chrétiens, les juifs et les musulmans, les riches et les pauvres, les gens de couleur et les blancs, les hommes et les femmes, les hétéro et les homosexuels, et ainsi de suite, pour toute autre forme de discrimination. Il faut admettre que nous sommes loin d’y parvenir ! La race, la religion, le sexe, sont des critères très forts que nous utilisons inconsciemment pour définir qui est notre prochain.

Ainsi, « partout où il y a de la détresse et des besoins humains, il nous faut des yeux et un regard humain, ainsi qu’une curiosité en alerte », nous dit le pasteur Simon Weber au nom de l’EPER. Cela suppose que l’obligation objective, générée par le droit de quiconque à être secouru, implique subjectivement de notre part une conduite vertueuse envers notre prochain, sans laquelle le secours reste lettre morte. Simon Weber, qui semble nier la nécessité cette dimension subjective de l’entraide, est à mon sens trop marqué en cela par l’antispiritualisme protestant. Mais il a raison de souligner que l’aide apportée ne doit pas dépendre de notre ambition vertueuse à secourir certaines personnes de notre choix, mais de l’obligation de venir en aide aux malmenés, quels qu’ils soient.

Une attention qui restaure l’humanité

Le pasteur Weber termine sa prédication en introduisant la notion d’« attention créatrice », qu’il hérite de Simone Weil, philosophe française d’origine juive, laquelle définit ainsi cette notion : « La charité du prochain étant constituée par l’attention créatrice est analogue au génie. L’attention créatrice consiste à faire réellement attention à ce qui n’existe pas. L’humanité n’existe pas dans la chair anonyme inerte au bord de la route. Le Samaritain qui s’arrête et regarde fait pourtant attention à cette humanité absente, et les actes qui suivent témoignent que cette attention est bien réelle. La foi, dit saint Paul, est la vue des choses invisibles. Dans ce moment d’attention, la foi est présente aussi bien que l’amour ».

L’attention à laquelle a droit, selon Jésus, toute personne en détresse, quelle que soit son identité, n’est donc pas seulement un droit ; car il s’agit d’une « attention créatrice », à savoir d’un secours qui préserve et reconstruit son humanité détruite par la violence des brigands, qui ont eux-mêmes perdu toute humanité. L’humanité de l’homme, qui se manifeste dans l’amour du prochain, donné et reçu, de quiconque envers quiconque, n’est donc jamais un acquis dans l’histoire humaine. Il s’agit d’une compétence à la fois spirituelle, éthique et juridique toujours incertaine et sans cesse à reconstruire dans nos vies, au travers de laquelle la vie humaine acquiert son véritable sens, au-delà de la vie biologique qui en constitue le support. Amen

2 réflexions sur « Prédication : Aider selon les besoins et non par affinité »

  1. Salut Gilles!
    Pour moi ce passage magnifique ne s’arrête même pas à ce qui a deux mains, deux jambes et le nez au milieu d’un visage… je dois voir le besoin dans l’abeille qui se noie dans la fontaine, dans le chien qui erre au bord de la route, le chat tout maigre qui semble perdu… prendre le temps dans nos vies trop remplies pour s’encombrer du problème de l’autre jusqu’à ce qu’il aille mieux. Parce qu’au fond , ce message ramène à cet amour inconditionnel tellement difficile à appréhender et si ultime! Bonne journée à toi!

  2. Bonjour Valérie, merci pour ton commentaire, je connais ton grand amour tout-à-fait respectable pour les animaux et je partage avec toi que nous devons nous soucier également de leur bienêtre, mais à mon sens, on ne peut pas placer les animaux domestiques et sauvages sur le même plan que les réfugiés humains. Mon point de vue est qu’il y a une différence de valeur fondamentale entre l’accueil d’êtres humains et l’accueil d’animaux.

    Je présente ici un bref argumentaire au sujet de ma conception du rapport entre les êtres humains et les autres êtres biologiques, en renvoyant à mon article L’être humain n’est pas un animal ordinaire. Brièvement, à mon sens, si les êtres humains sont appelés à veiller sur la création en tant qu’êtres responsables (selon la perspective évoquée en Genèse 2,15 dans le deuxième récit de la création), c’est parce qu’ils diffèrent des autres êtres naturels dans la mesure où leur attitude peut leur être reprochée, ce qui n’est pas le cas, à mon sens, des autres êtres vivants, dont la bactérie, le cactus, l’abeille ou le faucon. La responsabilité de l’homme, à laquelle s’associe une culpabilité et un besoin de grâce, est liée à la liberté partielle de l’homme vis-à-vis de sa propre nature, qui ne peut lui servir d’alibi devant Dieu. On ne peut donc pas, à mon sens, envisager de la même manière la condition existentielle de l’être humain et celle de tout autre être vivant. Il y a là un statut d’exception que le premier récit de la Genèse exprime à mon sens adéquatement par l’affirmation selon laquelle « Dieu dit, faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance » (Genèse 1,26). Les êtres vivants qui composent les écosystèmes ne se montrent pas davantage altruistes que les êtres humains, mais à la différence de l’homme, il n’y a pas de sens à leur reprocher leur attitude, car ils agissent selon leur nature, avec une marge de manœuvre passablement réduite dans leur comportement eu égard à celle qui rend l’homme responsable, et donc aussi digne d’une « attention créatrice » particulière.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.