Commentaires du livre de Juges : Abimélek et Samson

Les quatre commentaires suivants concernent des textes bibliques du livre de Juges qui se suivent, avec des intervalles non commentés. Seul le dernier commentaire concerne l’histoire de Samson, ou plus précisément, celle de l’annonce à ses parents de sa naissance et de sa vocation, qui donnera lieu notamment aux aventures de Samson avec Dalila, partie de l’histoire qui n’est pas directement commentée dans les passages qui suivent. La partie du texte biblique concernée, en version TOB, précède chaque commentaire, publié initialement dans la brochure de commentaires journaliers Pain de ce jour, aux dates indiquées. Les commentaires sont suivis d’une brève prière en italique.

Ancien Testament, Livre des Juges 9,1-6 – Meurtres et intronisation d’Abimelek

1 Abimélek, fils de Yeroubbaal, alla à Sichem trouver les frères de sa mère pour leur parler, ainsi qu’à tout le clan de la maison paternelle de sa mère, et il leur dit : 2 « Parlez donc ainsi à tous les propriétaires de Sichem : Que vaut-il mieux pour vous ? Etre dominés par soixante-dix hommes, tous fils de Yeroubbaal, ou être dominés par un seul homme ? Souvenez-vous que je suis, moi, de vos os et de votre chair. » 3 Les frères de sa mère répétèrent toutes ces paroles d’Abimélek à tous les propriétaires de Sichem et leur cœur opta pour Abimélek, car ils se dirent : « C’est notre frère. » 4 Ils lui donnèrent donc soixante-dix sicles d’argent du temple de Baal-Berith avec lesquels Abimélek prit à sa solde des hommes de rien et des aventuriers qui marchèrent à sa suite. 5 Puis il entra dans la maison de son père à Ofra et il tua ses frères, les fils de Yeroubbaal, soixante-dix hommes à la fois. Il ne subsista que Yotam, le plus jeune fils de Yeroubbaal, car il s’était caché. 6 Tous les propriétaires de Sichem et tout le Beth-Millo se rassemblèrent et allèrent proclamer roi Abimélek près du térébinthe de la stèle qui est à Sichem.

Lundi 27 juin 2022 : Le survivant au massacre de ses frères

Observons tout d’abord que ce passage ne mentionne aucun élément théologique, si ce n’est le temple de Baal-Berith, une divinité locale. En tirer une méditation spirituelle est donc une gageure ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le livre des Juges ne manque pas de réalisme dans sa description des affaires humaines ! Ici, les relations familiales interfèrent intensément avec les pouvoirs politiques. Abimélek, un des fils de Gédéon, le précédent juge d’Israël décédé, se présente à l’ancienne ville-état de Sichem. Invoquant sa parenté maternelle avec certains citoyens de la ville, il propose aux propriétaires terriens, qui y exercent le pouvoir en commun, de lui céder les pleins pouvoirs en échange d’une autonomie accrue de Sichem vis-à-vis des tribus d’Israël régies par ses frères. S’étant ainsi acquis la royauté sur Sichem et le soutien d’une troupe de gens armés, Abimélek débarrasse la ville de la mainmise du pouvoir central hérité de Gédéon en exterminant tous ses frères, sauf le plus jeune, Yotam, qui échappe au massacre en se cachant.

Ce dernier élément est peut-être l’indice théologique le plus marquant du passage. On y trouve le motif maintes fois répété jusque dans l’Evangile selon lequel « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Corinthiens 1,25b).

Ayons la sagesse, Seigneur – que dis-je, la folie – de ne pas nous laisser impressionner par le pouvoir destructeur de la force humaine, et mettons notre confiance dans ce qui paraît faible et insignifiant, mais qui est élevé aux yeux de Dieu.

Ancien Testament, Livre des Juges 9,7-21 – Yotam et Abimelek

7 On l’annonça à Yotam. Celui-ci alla se placer au sommet du mont Garizim ; il éleva la voix et cria, puis leur dit : « Ecoutez-moi, propriétaires de Sichem, et que Dieu vous écoute. 8 Les arbres s’étaient mis en route pour aller oindre celui qui serait leur roi. Ils dirent à l’olivier : “Règne donc sur nous.” 9 L’olivier leur dit : “Vais-je renoncer à mon huile que les dieux et les hommes apprécient en moi, pour aller m’agiter au-dessus des arbres ?” 10 Les arbres dirent au figuier : “Viens donc, toi, régner sur nous.” 11 Le figuier leur dit : “Vais-je renoncer à ma douceur et à mon bon fruit, pour aller m’agiter au-dessus des arbres ?” 12 Les arbres dirent alors à la vigne : “Viens donc, toi, régner sur nous.” 13 La vigne leur dit : “Vais-je renoncer à mon vin qui réjouit les dieux et les hommes pour aller m’agiter au-dessus des arbres ?” 14 Alors tous les arbres dirent au buisson d’épines : “Viens donc, toi, régner sur nous.” 15 Mais le buisson d’épines dit aux arbres : “Si c’est loyalement que vous me donnez l’onction pour que je sois votre roi, alors venez vous abriter sous mon ombre. Mais s’il n’en est pas ainsi, un feu sortira du buisson d’épines et il dévorera les cèdres du Liban.” 16 Maintenant donc, si vous avez agi avec loyauté et intégrité en proclamant Abimélek comme roi, si vous avez agi correctement à l’égard de Yeroubbaal et de sa maison, si vous avez agi envers lui selon le mérite de ses actions –  17 alors que mon père a combattu pour vous, qu’il a exposé sa vie, qu’il vous a délivrés de la main de Madiân, 18 vous, aujourd’hui, vous vous êtes levés contre la maison de mon père ; vous avez tué ses fils, soixante-dix hommes à la fois, et vous avez proclamé roi Abimélek, le fils de sa servante, sur les propriétaires de Sichem parce qu’il est votre frère –, 19 si donc vous avez agi en ce jour avec loyauté et intégrité à l’égard de Yeroubbaal et de sa maison, trouvez votre joie en Abimélek, et que lui trouve sa joie en vous ! 20 S’il n’en est pas ainsi, un feu sortira d’Abimélek et il dévorera les propriétaires de Sichem et le Beth-Millo ; un feu sortira des propriétaires de Sichem et du Beth-Millo et il dévorera Abimélek. »21 Yotam disparut en prenant la fuite et il s’en alla à Béer ; il y habita loin de la présence d’Abimélek son frère.

Mardi 28 juin 2022 : Une sagesse opposée à la monarchie

Yotam, seul survivant du massacre de ses frères par Abimélek (cf. verset 5), ose adresser aux notables de Sichem une fable sévèrement critique envers la monarchie, visant indirectement son frère meurtrier récemment intronisé dans cette ville. Le style de cette histoire imagée, subtile et pleine de sagesse, contraste avec le conflit violent relaté dans ce chapitre. L’olivier, le figuier et la vigne, satisfaits des bienfaits qu’ils procurent aux hommes, y refusent la fonction royale qu’on leur propose. Seul le buisson d’épines, mauvais, dépourvu d’utilité et jaloux, accepte d’être intronisé. Cette cinglante critique semble être dirigée contre toute forme de royauté, dont elle dénonce la violence arbitraire, l’inconséquence et les veines promesses adressées à ceux qui la subissent.

L’Ancien Testament est traversé par de telles critiques de la royauté (cf. lire 1 Samuel 8). Leur dimension théologique n’apparaît pas dans notre récit. Habituellement, il est reproché aux royalistes de placer leur confiance en un souverain qui prend la place de Dieu, imposant à ses sujets ses exigences incontestables. Or, un tel pouvoir devrait être attribué à Dieu seul. Dans cette perspective, la foi israélite peut être interprétée comme une option «politique» libérale, opposée à la monarchie par son souci de laisser à chaque croyant la liberté d’être inspiré individuellement par Dieu.

Oh notre Dieu, garde-nous du pouvoir arbitraire des hommes, et accorde-nous le courage d’écouter librement ta voix, afin de diriger sagement notre conduite.

Ancien Testament, Livre des Juges 9,50-57 – Mort d’Abimelek

50 Puis Abimélek se mit en route vers Tévéç ; il l’assiégea et s’en empara. 51 Il y avait, au milieu de la ville, une tour fortifiée où s’étaient réfugiés tous les hommes et toutes les femmes ainsi que tous les propriétaires de la ville. Après avoir fermé la porte sur eux, ils étaient montés sur la terrasse de la tour. 52 Abimélek arriva jusqu’à la tour, l’attaqua et s’approcha jusqu’à la porte de la tour pour y mettre le feu. 53 Alors une femme lança une meule sur la tête d’Abimélek et lui fracassa le crâne. 54 Abimélek appela aussitôt son écuyer et lui dit : « Tire ton épée et fais-moi mourir, de peur qu’on ne dise de moi : “C’est une femme qui l’a tué.” » Alors son écuyer le transperça et il mourut. 55 Quand les hommes d’Israël virent qu’Abimélek était mort, ils s’en allèrent chacun chez soi.56 Dieu fit retomber sur Abimélek le mal qu’il avait fait à son père en tuant ses soixante-dix frères. 57 Dieu fit aussi retomber sur la tête des hommes de Sichem toute leur méchanceté. C’est ainsi que s’accomplit sur eux la malédiction de Yotam, fils de Yeroubbaal.

Mercredi 29 juin 2022 : La justice de Dieu et la mort d’Abimélek

Parmi la liste des sauveurs inspirés du livre des Juges, Abimélek, qui «gouverna Israël durant trois ans» (Ju. 9,22) n’est pas explicitement dénommé comme un «juge», tant sa royauté est décrite comme déplorable. Elle semble d’ailleurs s’être concentrée sur l’ancienne ville cananéenne de Sichem et ses environs, dont le bourg de Tévéç (Ju. 9,50). Selon la malédiction de son frère Yotam (Ju. 9,57), seul rescapé du fratricide d’Abimélek (Ju. 9,5), Dieu intervient en envoyant « un esprit mauvais entre Abimélek et les propriétaires de Sichem » (Ju. 9,23). Dieu sème la discorde, afin que la méchanceté du roi et des notables de Sichem qui l’ont intronisé retombe sur eux (Ju. 9,56.57). De fait, tous meurent dans les conflits violents qui s’ensuivent, y compris le roi (Ju. 9,45.49.53.54).

Nous avons là une «morale» de l’histoire selon laquelle les méchants finissent par s’entretuer entre eux, sanctionnant eux-mêmes leurs propres injustices. Selon le point de vue théologique du livre des Juges, cette «justice» est l’œuvre de Dieu lui-même, d’avance annoncée par son prophète Yotam (Ju. 9,15.20). Cependant, la complexité des événements, tant dans les récits du livre des Juges que partout ailleurs, semble montrer que la justice de Dieu est indiscernable dans l’histoire humaine.

Seigneur notre Dieu, tu nous invites à ne pas chercher ta justice dans l’histoire des hommes, car elle y est introuvable, mais à la chercher en toi, car dans le mystère de ta Révélation, tu accordes ta grâce aux justes comme aux méchants (Mt 5,45).

Ancien Testament, Livre des Juges 13,1-25 – Annonce, naissance et agitation de Samson

1 Les fils d’Israël recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR, et le SEIGNEUR les livra aux Philistins pendant quarante ans.2 Il y avait un homme de Çoréa, du clan des Danites, qui se nommait Manoah. Sa femme était stérile, elle n’avait pas d’enfant. 3 L’ange du SEIGNEUR apparut à cette femme et lui dit : « Je sais que tu es stérile, que tu n’as pas d’enfant, mais tu vas concevoir et enfanter un fils. 4 Désormais, abstiens-toi de boire du vin ou une boisson alcoolisée, ne mange rien d’impur, 5 car voici que tu vas concevoir et enfanter un fils. Le rasoir ne passera pas sur sa tête, car ce garçon sera consacré à Dieu dès le sein maternel, et c’est lui qui commencera à sauver Israël de la main des Philistins. » 6 Puis la femme rentra chez elle et dit à son mari : « Un homme de Dieu est venu vers moi ; son aspect était semblable à celui de l’ange de Dieu, tant il était redoutable. Je ne lui ai pas demandé d’où il était et il ne m’a pas révélé son nom. 7 Il m’a dit : “Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils. Désormais, ne bois ni vin, ni boisson alcoolisée ; ne mange rien d’impur, car le garçon sera consacré à Dieu depuis le sein maternel jusqu’au jour de sa mort.” »8 Alors Manoah implora le SEIGNEUR et dit : « De grâce, Seigneur, que l’homme de Dieu que tu as envoyé vienne encore vers nous et qu’il nous enseigne ce que nous devons faire pour le garçon lorsqu’il sera né. » 9 Dieu écouta la voix de Manoah, et l’ange de Dieu vint encore vers la femme ; elle était assise dans le champ et Manoah, son mari, n’était pas avec elle. 10 Aussitôt la femme accourut l’annoncer à son mari et lui dit : « Voilà, l’homme qui, l’autre jour, est venu vers moi m’est apparu. » 11 Manoah se leva, suivit sa femme, vint vers l’homme et lui dit : « Es-tu l’homme qui a parlé à cette femme ? » Et celui-ci répondit : « C’est bien moi. » 12 Manoah lui dit : « Maintenant, puisque ta parole va se réaliser, quelle sera la règle pour ce garçon ? Quelle sera la conduite à tenir à son égard ? » 13 L’ange du SEIGNEUR dit à Manoah : « Tout ce que j’ai mentionné à cette femme, qu’elle s’en abstienne : 14 elle ne doit rien manger de ce qui provient du fruit de la vigne ; elle ne boira ni vin, ni boisson alcoolisée ; elle ne mangera rien d’impur et elle doit observer tout ce que je lui ai prescrit. » 15 Manoah dit à l’ange du SEIGNEUR : « Permets que nous te retenions et que nous t’apprêtions un chevreau. » 16 L’ange du SEIGNEUR dit à Manoah : « Même si tu me retenais, je ne mangerais pas de ton pain, mais si tu veux faire un holocauste, offre-le au SEIGNEUR. » En effet, Manoah ne savait pas que c’était l’ange du SEIGNEUR. 17 Manoah dit à l’ange du SEIGNEUR : « Quel est ton nom, afin que nous puissions t’honorer lorsque tes paroles se seront réalisées ? » 18 L’ange du SEIGNEUR lui dit : « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Il est mystérieux. » 19 Manoah prit un chevreau ainsi que l’offrande et il l’offrit sur le rocher au SEIGNEUR, à celui dont l’action est mystérieuse. Manoah et sa femme regardaient. 20 Or, tandis que la flamme montait de l’autel vers le ciel, l’ange du SEIGNEUR monta dans la flamme de l’autel. Voyant cela, Manoah et sa femme se jetèrent face contre terre. 21 L’ange du SEIGNEUR n’apparut plus à Manoah et à sa femme. Alors Manoah sut que c’était l’ange du SEIGNEUR. 22 Manoah dit à sa femme : « Nous allons sûrement mourir, car nous avons vu Dieu. » 23 Mais sa femme lui dit : « Si le SEIGNEUR désirait nous faire mourir, il n’aurait accepté de notre main ni holocauste ni offrande ; il ne nous aurait pas fait voir tout cela et il ne nous aurait pas, à l’instant, communiqué pareilles instructions. » 24 La femme enfanta un fils et elle le nomma Samson. Le garçon grandit et le SEIGNEUR le bénit. 25 C’est à Mahané-Dan, entre Çoréa et Eshtaol, que l’esprit du SEIGNEUR commença à agiter Samson.

Jeudi 30 juin 2022 : Samson : Un vœu de sainteté violé

Il m’est impossible de commenter ce chapitre 13 du livre des Juges, qui relate la naissance miraculeuse de Samson, sans en souligner le contraste avec les trois chapitres suivants qui relatent la saga des aventures farfelues du héros, jusqu’à sa mort tragique. Il n’y a pas de récit de vocation plus ordinaire que celui-ci : la visite d’un ange qui refuse de donner son nom, la promesse d’un fils à une femme stérile, l’annonce de la sainteté (vœu de naziréat associé à l’interdiction de couper ses cheveux) de l’enfant à naître, etc. On croirait lire l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste (Nouveau Testament, Evangile de Luc 1).

A cet exemple de piété convenue, succède une avalanche de catastrophes extravagantes, de sexualité débridée, de profanations du vœu de naziréat (coupe des cheveux), d’agressivité vengeresse. Samson ne commande jamais d’armée, et ses fantaisies personnelles ne sont apparemment suivies d’aucun effet positif pour le peuple d’Israël. Il ne semble avoir rien de bon que sa force physique surnaturelle, qu’il perd lorsqu’on lui coupe les cheveux, s’étant laissé séduire par Dalila.

L’Ecriture sainte force ici notre intérêt pour une vie gâchée, hors de toute sainteté, immorale, superficielle, ridicule et néanmoins humaine et même divinement inspirée. A ne rien y comprendre ! Et c’est sans doute là l’intérêt de l’histoire : Le don de l’Esprit divin qui «agite» Samson ne se laisse pas réduire à des repères conventionnels. L’histoire de Samson a inspiré de nombreuses œuvres culturelles, théâtrales et cinématographiques.

Seigneur conduis-nous, face à chaque vie humaine perturbée, à laisser de côté nos pieux préjugés, afin de nous ouvrir à l’étrangeté de ton action, toi qui tolères le pécheur selon ses capacités réelles, et nous ouvres à la grâce.

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