Avec focus sur la Première épître de Paul aux Corinthiens
Sept étapes pour comprendre la structure d’ensemble du Nouveau Testament. Oui, c’est possible ! Loin d’être un résumé des 27 livres du Nouveau Testament, ma présentation met en perspective un développement théologique qui traverse l’ensemble du recueil au travers d’oppositions comme actes/paroles, ministère/passion, martyr/sauveur, juif/grec, concret/abstrait, etc. De l’analyse des différences et des similarités de structure des quatre Evangiles bibliques se dégagent deux grands types d’interprétations de la mort de Jésus, au centre de la foi chrétienne, qui s’enchaînent jusque dans la théologie de Paul, laquelle précède historiquement celle des Evangiles.
Sept étapes pour comprendre la structure d’ensemble du Nouveau Testament
Table des matières
- Interprétation de la Bible et connaissance scientifique
- Les différences entre les quatre Evangiles bibliques
- La structure commune aux quatre Evangiles bibliques: ministère rural et passion urbaine
- Les deux principales compréhensions de la mort de Jésus dans le Nouveau Testament
- L’apôtre Paul, premier théologien chrétien
- L’ordre inversé de la rédaction des livres du Nouveau Testament
- L’histoire du canon du Nouveau Testament durant les premiers siècles de l’Eglise chrétienne
1. Interprétation de la Bible et connaissance scientifique
Les rapports entre Bible et science souffrent de visions trop parfaites de la Bible et de la science. Selon le mythe de la perfection scientifique, les théories scientifiques sont parfaitement justes, prouvées et indiscutables. Selon le mythe de la perfection biblique, la Bible est entièrement inspirée par Dieu: Son interprétation ne souffre d’aucune hésitation et d’aucune contradiction, et donc son message divin est parfaitement clair.
Méthodes
La connaissance scientifique moderne se base sur trois types de méthodes:
1. L’exactitude des mesures, qui doivent pouvoir être répétées et vérifiées.
2. La chronologie rigoureuse des événements dans le temps (cause et effet).
3. L’absence totale de mélange entre faits observables, interprétations symboliques et actions divines surnaturelles.
Les textes bibliques ne répondent à aucune de ces trois conditions de la science moderne:
1. Certains chiffrent bibliques sont fantastiques (Noé aurait vécu 950 ans, Gn 9,29).
2. D’un Evangile à l’autre, l’ordre des événements du ministère de Jésus n’est pas du tout le même (épisode des vendeurs chassés du Temple de Jérusalem: Mt 21, Jn 2).
3. La Bible mélange constamment l’action de Dieu et celle des hommes dans l’histoire (Moïse étend son bras et la mer s’ouvre, Jésus marche sur les eaux).
Evolutions
Les trois états de la connaissance scientifique:
1. Domaines bien connus, qui ne sont presque plus discutés : lois de la mécanique, sphéricité de la Terre, évolution liée aux gènes, transformations chimiques, etc.
2. Domaines actuellement en débat, où différentes théories s’affrontent : unification de la physique moderne (quantique et relativiste), neurosciences, sciences cognitives, etc.
3. Domaines encore passablement inconnus, où la science balbutie : neurosciences, intelligence artificielle, exoplanètes, vie dans l’univers, etc.
Les scientifiques, au travers de nouvelles découvertes, élaborent de nouvelles théories scientifiques, qui parfois complètent ou corrigent l’état actuel des connaissances.
Il y a aussi une évolution de la pensée théologique dans la Bible : Jésus de Nazareth remet en question certains acquis ancrés dans la foi juive, et il en reprend d’autres. Dans son Sermon sur la montagne, au début de l’Evangile de Matthieu, il dit plusieurs fois : « Vous avez entendu qu’il a été dit, mais moi je vous dis » (Mt 5,21-22.27-28). Cette liberté provoque la colère des autorités religieuses, mais elle lui permet d’approfondir le sens de la Loi juive, en la reconfigurant complètement sous la forme d’une Nouvelle Alliance. Les livres qui, sous l’impulsion de Jésus et de ses disciples, s’inscrient dans la ligne de cette Nouvelle Alliance, vont peu à peu être sélectionnés pour former le Nouveau Testament, qui devient la deuxième partie de la Bible chrétienne. Au cours d’un processus parallèle, la Bible juive devient l’Ancien Testament de la Bible chrétienne.
Limites
Le texte biblique montre ses limites lorsque l’on veut s’en servir pour contredire les découvertes scientifiques (rotondité de la Terre, mouvement des planètes, dissection des corps humains et débuts de la médecine moderne à la Renaissance, etc.).
Inversement, la science montre ses limites lorsqu’on veut s’en servir pour prouver soit que Dieu existe, comme cet ouvrage récemment en vente dans les libraires de Paris (Michel-Yves Bolloré Olivier Bonnassies, Dieu, la science les preuves. L’aube d’une révolution, Paris, Guy Trédaniel éditeur, 2021), soit que Dieu n’existe pas, comme le bestseller du biologiste Richard Dawkins (Pour en finir avec Dieu, paru en anglais en 2006 sous le titre The God Delusion). Dans les deux cas, la science est mise à contribution pour accréditer une question scientifiquement non vérifiable, l’existence ou la non existence de Dieu.
2. Les différences entre les quatre Evangiles bibliques
Les Evangiles constituent un style littéraire particulier dans l’Antiquité: Ils se composent de brefs discours ou de brefs récits de la vie de Jésus, appelés péricopes, que chaque évangéliste (auteur d’un Evangile) a rassemblées différemment.
Les quatre Evangiles placés au début du Nouveau Testament (de Matthieu, Marc, Luc et Jean) constituent déjà une sélection, car d’autres Evangiles circulaient à l’époque dans les Eglises, et n’ont pas été retenus pour faire partie du Nouveau Testament: Par exemple l’Evangile de Thomas, l’Evangile de Pierre, l’Evangile selon Marie et bien d’autres, font partie aujourd’hui des écrits apocryphes.
Différences
Les quatre Evangiles bibliques racontent la vie et la mort de Jésus de Nazareth, mais leurs différences sont plus accentuées qu’on ne l’imagine, car sans lire et comparer volontairement les textes dans leur ensemble, on ne s’en rend pas compte. La plupart des lecteurs lisent les Evangiles sans se préoccuper de leurs différences.
Si les quatre Evangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean étaient presque identiques, l’Eglise des premiers siècles n’aurait eu aucune raison de les publier en entier dans le Nouveau Testament, qui est le recueil des textes faisant autorité pour la foi de l’Eglise. Raconter quatre fois la vie de Jésus de manières sensiblement différentes montre une pluralité de points de vue déjà admis dans les Eglises des premiers siècles de notre ère.
Les dernières paroles que Jésus prononce sur la croix illustrent bien ces différences: Selon les Evangiles de Matthieu et Marc, Jésus meurt en disant « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Mt 27,46, Mc 15,34). Par ces paroles, il exprime sa défaite et son désespoir. Dans l’Evangile de Luc, ses dernières paroles sont « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23,46), ce qui est déjà nettement plus positif et témoigne d’une certaine paix intérieure. Enfin, dans l’Evangile de Jean, la perspective se renverse complètement. Avant de rendre l’esprit, Jésus dit : « Tout est achevé » (Jn 19,30) ou « Tout est accompli », ce qui est un cri de victoire.
Jésus ne peut pas avoir prononcé toutes ces paroles contradictoires en mourant ! Quelles paroles a-t-il réellement prononcées ? Cet exemple montre la difficulté de remonter au Jésus historique à partir des récits divergents des quatre Evangiles bibliques. Il est probable que les crucifiés mourraient par étouffement, et qu’ils ne pouvaient donc plus parler en mourant. Jésus, agonisant sur son poteau de torture, n’a donc peut-être rien dit !
Evangiles synoptiques
En ligne générale, l’Evangile de Jean est très différent des trois autres, Matthieu, Marc et Luc, que l’on appelle Evangiles Synoptiques, parce que l’on peut comparer leurs textes qui sont souvent semblables, ce qui n’est pas le cas de la plupart des textes de Jean.
Marc est nettement plus court que Matthieu et Luc, et on constate que Matthieu et Luc ont repris plus de 95% du texte de Marc, qu’ils devaient donc très vraisemblablement connaître, et ils ont chacun ajouté environ un tiers de textes en plus, qui sont souvent des paroles de Jésus. On suppose donc que Matthieu et Luc ont eu a disposition une autre source que les historiens du Nouveau Testament appellent source Q (all. Quelle = fr. source).
On suppose que Matthieu et Luc ont copié Marc, parce qu’environ 60% de leurs textes correspondent phrase par phrase au texte Marc, qu’ils ont considérablement remanié, en changeant l’ordre des phrases, en allongeant ou raccourcissant les textes, en modifiant très souvent les mots. Matthieu a rassemblé les paroles de Jésus en cinq grands discours, tandis que Luc les a éparpillées. Les textes ne sont donc pas du tout dans le même ordre: la chronologie de la vie et de la mort de Jésus est donc complètement différente.
Matthieu et Luc
Matthieu et Luc ont ajouté à leur Evangile des récits très différents de la naissance de Jésus, qui sont totalement absents chez Marc et chez Jean. Marc ne cite qu’une fois le nom de la mère de Jésus, Marie (Mc 6,3), et Jean ne mentionne jamais ce nom.
Luc insiste davantage sur la pauvreté matérielle. Jésus s’y exclame : « Heureux vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6,20), tandis que dans le texte parallèle chez Matthieu, Jésus s’exclame : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3). Matthieu a ajouté les mots « de cœur », insistant ainsi sur la pauvreté spirituelle, alors que Luc est plus social.
L’Evangile de Matthieu se termine par l’annonce de Jésus qu’il sera avec ses disciples « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Inversement Marc, suivi par Luc (24,51), termine en annonçant que « Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16,19). Il n’y a donc pas de récit de l’Ascension chez Matthieu, ni chez Jean d’ailleurs.
On pourrait signaler d’innombrables autres différences, mais dans l’ensemble, les trois Evangiles Synoptiques, Matthieu, Marc et Luc, se rejoignent sur le centre de la prédication de Jésus, qui annonce partout que le royaume de Dieu s’est approché des hommes au travers de lui et de son message de libération et de guérison. L’expression « Royaume de Dieu » figure une centaine de fois en tout dans les Synoptiques, tandis que l’Evangile de Jean ne le mentionne que deux fois dans un seul texte (Jn 3,3.5).
Jean
Dans l’Evangile de Jean, le message de Jésus est présenté de façon très différente que dans les Synoptiques : Il est le Logos, la Parole ou le Verbe de Dieu, la lumière qui brille dans les ténèbres du monde (Jn 1,1-5; 8,12), des expressions qui restent marginales des Synoptiques. Dans l’Evangile de Jean, Jésus ne chasse jamais de démons (petits anges mauvais possédant les personnes), ce qu’il fait une cinquantaine de fois dans les Synoptiques, mais il lutte contre les ténèbres en général.
Opposant la lumière aux ténèbres, Jean est donc plus dualiste, plus radical, pourrait-on dire, que les Synoptiques. Cela se remarque aussi par plusieurs différences qui semblent indiquer que l’Evangile de Jean ne raconte que la fin tragique de la vie de Jésus, incluant ses années de ministère dans cette fin tragique. Par exemple, tandis que dans les Synoptiques, le récit où Jésus chasse les vendeurs du Temple de Jérusalem apparait vers la fin de l’Evangile, avant son arrestation (Mt 21, Mc 11, Lc 19), dans l’Evangile de Jean, ce récit est placé tout au début de l’Evangile (Jn 2), pour annoncer que son arrestation est imminente dès le début. La chronologie est ainsi renversée !
Ainsi, dès la moitié du texte de l’Evangile de Jean, au chapitre 13 sur 21, survient la trahison de Juda, après le dernier repas de Jésus avec ses disciples. Dans le quatrième Evangile, contrairement aux trois Evangiles synoptiques, Jésus ne célèbre pas la sainte cène en partageant le pain et le vin, mais il lave les pieds de ses disciples (Jn 13,1-29). Ce récit de purification, central chez Jean, est absent des Synoptiques.
L’Evangile de Jean est plus récent que les Synoptiques, il a été écrit vers la fin du premier siècle, avec un vocabulaire emprunté au gnosticisme. Lui seul mentionne que des Grecs ont demandé à voir Jésus (Jn 12,20-23). Juste avant son dernier repas, ces non-juifs sont donc ses derniers interlocuteurs publics ! Dans les Synoptiques, les destinataires de Jésus sont avant tout des habitants d’Israël et des contrées voisines, tandis que dans l’Evangile de Jean, qui utilise des mots plus philosophiques, comme Logos, des gens de la nation la plus cultivée de l’époque, des Grecs, s’intéressent à son message. Cela laisse supposer qu’au moment de la rédaction de Jean, l’Evangile avait déjà atteint la Grèce.
Conclusions
- Il est impossible d’harmoniser chronologiquement les quatre Evangiles bibliques. Ils ne permettent donc pas de reconstituer avec exactitude les événements de la vie de Jésus.
- Les différences entre les quatre Evangiles bibliques ne sont pas seulement des différences de détail: leur vocabulaire et leurs orientations théologiques diffèrent considérablement.
- Les quatre Evangiles bibliques ne sont pas des livres d’histoire, mais des enseignements spirituels écrits pour faire connaître la personnalité de Jésus et instruire dans la foi.
3. La structure commune aux quatre Evangiles bibliques: ministère rural et passion urbaine
La structure commune aux quatre Evangiles bibliques est si évidente, pour nous chrétiens protestants, que nous ne l’apercevons plus. Leur premier point commun est qu’ils comportent à la fois des discours et des actes de Jésus. Cet aspect est très important: Les Evangiles bibliques ne sont pas des discours théoriques de Jésus, comme ceux d’un philosophe. Ils montrent que ses actes sont en conformité aves ses paroles. Inversement, ces Evangiles ne sont pas des récits romanesques, car ils accordent une importance centrale à l’ensegnement spirituel du Maître, ce qui en fait des écrits religieux.
Le second point commun aux Evangiles bibliques est tout aussi important: Tous accordent une importance démesurée aux événements liés à la fin de la vie de Jésus (dernier repas, arrestation, interrogatoires, crucifixion, résurrection, ascension…). La description des derniers jours de vie de Jésus est presque aussi longue que celle de son ministère public, ce qui permet de supposer que la mort de Jésus a autant d’importance que sa vie pour la foi chrétienne.
Ministère rural en Galilée
Dans les deux premiers tiers de chaque Evangile, approximativement, Jésus est présenté comme un maître et enseignant juif, un rabbin, un sage, un exorciste et un guérisseur itinérant en milieu rural, qui forme des disciples et prend soin des gens, en particulier des nécessiteux, des malades et des exclus. Ses discours sont tenus dans un style simple, bref, sans argumentation, accessibles à tous, se servant entre autres d’images de la vie champêtre : « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde » (Mt 13,31).
Projeté dans nos catégories professionnelles, Jésus serait une sorte d’animateur et leader social, psychologue, médecin, enseignant de sagesse spirituelle, guérisseur et exorciste (il chasse le mal, les démons et le diable). Son ministère s’étend au-delà de la sphère religieuse, il vise la réhabilitation des personnes socialement méprisées : lépreux (maladie excluante), aveugles, sourds, paralytiques (infirmités), samaritains (nationalité étrangère), prostituées (moralité honteuse), pauvres (statut social démuni), etc.
Sur le plan religieux et spirituel, Jésus enseigne à aimer Dieu de tout son cœur, sa âme et sa pensée, et son prochain comme soi-même (Mt 22,34-40). Le règne de Dieu qu’il annonce commence par sa propre personne et son activité bienfaisante, et non par des rituels religieux à pratiquer dans un lieu saint. Jésus sort la religion du temple ! Ainsi, il sanctifie l’espace humain dans son ensemble. Il n’enseigne la pratique d’aucun culte particulier, de sorte que le temps dans son ensemble est sanctifié, et non seulement celui du sabbat ou du dimanche.
Toutefois, dans cette première partie de son ministère, Jésus se crée des ennemis parmi les prêtres juifs, pharisiens et sadducéens, qui sont directement placés en concurrence avec lui, et dont il fragilise la réputation et la légitimité, en les couvrant de profonds reproches. Cet aspect conflictuel anticipe les événements de la deuxième partie de chaque Evangile.
L’activité thaumaturgique (=de guérisseur), elle, est passée sous silence: intense en Galilée, elle diminue durant le voyage [vers Jérusalem] et cessera pratiquement à Jérusalem (cf. 22,51, comme exception).
François Bovon, L’Evangile selon Saint Luc 9,51-14,35, Labor et Fides, 1996, p.381.
Passion et Résurrection à Jérusalem
Dans le dernier tiers de chaque Evangile, approximativement, l’orientation théologique se modifie en profondeur. On se demande pourquoi la fin des Evangiles accorde une si grande importance au récit de la condamnation et de la mort de Jésus ? N’aurait-il pas été suffisant de mentionner que ce bienfaiteur est mort injustement de façon violente, en gardant les yeux fixés sur son attitude exemplaire, plutôt que sur la violence de ses ennemis ?
Différence essentielle: Dans cette seconde partie, le centre de l’attention n’est plus ce qui arrive aux disciples et aux gens rencontrés, mais ce qui arrive au protagoniste, à Jésus lui-même. La foule de Jérusalem, après l’avoir acclamé à son arrivée dans la ville sainte le jour des Rameaux, lui devient hostile et demande sa mort. Ses disciples, y compris les plus fervents, comme l’apôtre Pierre, l’abandonnent l’un après l’autre. On a l’impression que tout le bien qu’il a pratiqué retombe sur lui sous forme de mal.
On passe du sauveur à la victime, de la liberté à la captivité, de l’activité à la passivité, de la louange à la condamnation. Ainsi, la communauté de Jésus se disloque, le laissant seul face à son destin. En reconnaissant qu’ « il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple » (Jn 18,14), le Grand Prêtre Caïphe anticipe l’interprétation sacrificielle de sa mort.
Jésus n’est plus seulement l’acteur, mais il devient aussi l’objet du message de l’Evangile. C’est sa propre destinée qui est désormais en jeu : Sa mort et sa résurrection deviennent la source de la vraie guérison ultime, au travers du pardon des péchés. Cette nouvelle mission de Jésus, au travers de sa mort, est explicitée dans le repas de l’Eucharistie: « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude » (Mc 14,24).
Conclusion
Nous avons là, dans chaque Evangile, un glissement entre deux manières complètement différentes de comprendre la mission de Jésus : La première est sociale, humaniste et positive, elle se centre sur ce qui arrive aux gens en présence de Jésus; la seconde est intérieure, mystique et dramatique, elle se centre sur ce qui arrive à Jésus face à ses accusateurs. Dans cette seconde mission, Jésus devient le Christ, le Messie rejeté.
4. Les deux principales compréhensions de la mort de Jésus dans le Nouveau Testament
Plusieurs interprétations de la mort de Jésus figurent dans le Nouveau Testament, et pour chacune d’elles, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure elles émanent de Jésus lui-même, et dans quelle mesure elles ont été développées après sa mort par ses disciples. On parle dans ce cas d’interprétations post-pascales (=après Pâques) de la mort de Jésus.
Dans cette présentation, je souligne deux principales interprétations, la première étant plutôt pré-pascale, liée au ministère rural de Jésus en Galilée, la seconde étant plutôt post-pascale, liée à la passion et à la résurrection du Christ à Jérusalem. Il semble que la seconde interprétation se soit développée progressivement à partir de la première.
Jésus mort en tant que martyr
Dans cette perspective historique, Jésus est un réformateur religieux qui transforme la religion légaliste et rituelle des prêtres juifs en une religion de l’amour et du service du prochain. Jésus se définit ainsi en opposition à la religion officielle. Les chefs religieux se sentent menacés par son succès et en conçoivent une certaine jalousie. Le conflit s’envenime jusqu’à ce que les chefs religieux forment le projet de dénoncer Jésus à l’occupant romain, en proférant contre lui des accusations discutables ou fausses. Jésus ne se rétracte pas et meurt en martyr (= témoin), abandonné par ses disciples traumatisés par la perspective de la crucifixion. Jésus meurt seul.
Jésus est présenté comme un héros de la cause humaine, un humaniste absolu, et sa mort se présente comme une résistance à l’Evangile, qui devait être une success story. Les choses tournent mal, et le Seigneur devient victime. Jésus ne se sacrifie pas, il résiste aux violents, jusqu’au bout fidèle à sa mission. Il meurt sans haine, en héros de la non-violence. Cette compréhension de la mort de Jésus trouve sa formulation théologique dans le discours de Pierre lors de la Pentecôte. Ici, une claire opposition se manifeste entre le but des religieux (tuer Jésus) et le projet divin (ressusciter Jésus). Ainsi, un fossé de plus en plus profond commence à se creuser entre le judaïsme et le christianisme:
22 « Israélites, écoutez mes paroles : Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez, 23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l’avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies ; 24 mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.
Actes des Apôtres 2,22-24
Jésus mort en tant que sauveur
Il est difficile de savoir si cette seconde interprétation de la mort de Jésus a été développée par Jésus lui-même, ou s’il s’agit d’une interprétation a posteriori, donc post-pascale, de sa mort, développée par ses disciples dans les premières Eglises.
Selon cette seconde interprétation majeure, la mort de Jésus est présentée comme un sacrifice voulu par Dieu, par lequel Jésus absorbe en lui le mal universel, libérant ainsi l’humanité du péché et de la mort. Jésus, selon cette logique, subit à la place des humains la condamnation qui devait retomber sur eux en raison de leurs fautes.
Selon cette nouvelle compréhension, Dieu lui-même a prévu et organisé la mort de Jésus, et non plus seulement ses adversaires. La mort de Jésus prend ainsi une signification universelle, totalement détachée des événements réels. Un passage de l’Evangile de Jean, que les chrétiens des Eglises évangéliques récitent par cœur, annonce que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16).
Historiquement, il est difficile d’imaginer que Jésus a souhaité mourir crucifié. Dans son ministère rural en Galilée, il n’enseigne pas les vertus de la souffrance, mais il libère plutôt les malheureux de leurs souffrances. En poussant ce raisonnement à l’extrême, on aboutit à une absurdité: Jésus n’a tout de même pas souhaité que ses bourreaux le crucifient sachant qu’il devait mourir pour le pardon des péchés de l’humanité. En suivant cette logique, Jésus devient presque masochiste. En quelques passages des Evangiles synoptiques, Jésus annonce effectivement la nécessité de sa mort, sans toujours en expliciter clairement la raison, et en parlant de lui à la troisième personne:
31 Puis il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite.
Evangile de Marc 8,31
28 C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Evangile de Matthieu 20,28
Dans la théologie de l’apôtre Paul, qui s’exprime avec d’autres concepts et ne cite pas les paroles de Jésus dans les Evangiles, le sens sacrificiel de la mort de Jésus devient une évidence et un centre de la théologie chrétienne:
6 Oui, quand nous étions encore sans force, Christ, au temps fixé, est mort pour des impies. 7 C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un juste ; peut-être pour un homme de bien accepterait-on de mourir. 8 Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. 9 Et puisque maintenant nous sommes justifiés par son sang, à plus forte raison serons-nous sauvés par lui de la colère. 10 Si en effet, quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie.
Epître de Paul aux Romains 5,6-10
Sans en renier toute la pertinence, cette interprétation sacrificielle et sotériologique (=qui procure le salut) de la mort de Jésus pose deux problèmes théologiques majeurs:
- Dieu avait-il besoin de sacrifier son propre Fils, un être humain, pour pardonner leurs fautes à ses autres fils que nous sommes ? En d’autres termes, Dieu est-il un dieu vengeur, qui doit à tout prix punir quelqu’un pour nos fautes ? L’Evangile ne nous apprend-t-il pas à pardonner sans nous venger sur quelqu’un ?
- Le transfert de la punition d’un coupable à un innocent fonctionne-t-il vraiment ? Supposons que je sois pris de pitié pour un criminel, m’est-il possible de demander au tribunal à être emprisonné à sa place ?
Sur le plan psychologique, avec beaucoup de nuances, nous pouvons reconnaître un effet positif de l’interprétation sacrificielle de la mort du Christ: Cette idée selon laquelle, Jésus, fils de Dieu, prend sur lui nos souffrances et nous accorde sa paix, peut nous guérir efficacement de la peur du jugement divin: Nous sommes sauvés par la seule grâce divine.
5. L’apôtre Paul, premier théologien chrétien
Les 27 livres du Nouveau Testament sont toujours imprimés dans le même ordre dans les Bibles chrétienne, ce qui n’est pas le cas des livres de l’Ancien Testament:
- Evangiles synoptiques : Matthieu, Marc, Luc
- Evangile de Jean
- Actes des apôtres : Histoire de l’Eglise de la fin de la vie de Jésus à la fin de la vie de Paul (donc de l’an 30 à l’an 65 de notre ère très approximativement).
- Epitres de Paul: Ro, 1Co, 2Co, Gal, Eph, Phi, Col
- Epîtres pastorales de Paul: 1Thes, 2 Thes, 1Tim, 2Tim, Tit, Phi
- Epître aux Hébreux: Auteur inconnu, peut-être Paul ?
- Epîtres de Jacques, Pierre, Jean et Jude: Jc, 1Pi, 2Pi, 1Jn, 2Jn, 3Jn, Jud
- Apocalypse de Jean
La majeure partie du Livre des Actes des apôtres (chapitres 9-28) concerne le récit du long ministère de Paul, qui s’étend sur plus de 30 ans. Paul, proche contemporain de Jésus, est mort autour de l’an 65, mais n’a pas connu Jésus de son vivant. Son titre d’apôtre a donc été fréquemment contesté, d’autant plus qu’avant sa conversion fulgurante sur le chemin de Damas (Actes des Apôtres 9,1-19), Paul a persécuté l’Eglise en tant que Pharisien (Actes des apôtres 26,4-5). Paul ou ses disciples (Epîtres deutéro-pauliniennes notées en gras italique dans la liste ci-dessus) ont écrit un tiers du Nouveau Testament.
8 En tout dernier lieu, il [Jésus] m’est aussi apparu, à moi l’avorton. 9 Car je suis le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d’être appelé apôtre parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu. 10 Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine. Au contraire, j’ai travaillé plus qu’eux tous : non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.
Première épître de Paul aux Corinthiens 15,8-10
Jésus ou Paul : Qui est l’inventeur du christianisme ?
Durant son très bref ministère (1 à 3 ans), Jésus s’est adressé à un très large auditoire. Il ne semble pas avoir formé de communauté aux contours bien définis. Son milieu social reste celui du peuple juif et du judaïsme de son temps. Autour de sa personne, se forment des cercles de plus en plus larges: Les intimes (Marc 9,2: Pierre, Jacques, Jean ; Luc 8,1-3: Marie Madeleine, etc.), les 12 apôtres, les 72 envoyés (Luc 10,1-20), les foules. Le Ressuscité s’adresse à tous les hommes de toute nation et de tout temps (Mt 28,18-20).
Lors de ses pérégrinations en Galilée et dans les contrées avoisinantes, Jésus parcourt un territoire provincial d’environ 200 x 100 km, qui peut être traversé aujourd’hui en une demie journée de voiture. L’apôtre Paul, qui parcourt tout le nord-est de la mer Méditerranée, de Jérusalem à Rome, se déplace sur un territoire d’environ de 2000 x 1000 km, donc 100x plus étendu que celui de Jésus. Il va donc répandre l’Evangile hors du monde juif, jusqu’en Europe.
Durant son ministère terrestre, Jésus n’a pas formé d’Eglise chrétienne, à savoir une communauté religieuse nettement distincte du judaïsme. Dans les quatre Evangiles du Nouveau Testament, Jésus n’emploie le mot Eglise qu’en deux textes de l’Evangile de Matthieu, où il donne l’impression de parler au futur:
18 Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et la Puissance de la mort n’aura pas de force contre elle. 19 Je te donnerai les clés du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. »
Evangile de Matthieu 16,18-19 (Voir aussi Mt 18,17)
Formellement Jésus étant resté juif, il n’a jamais prononcé le mot chrétien, et n’ayant pas créé de communauté chrétienne indépendante, il n’est donc pas l’initiateur du christianisme historique, il en est certes l’origine et l’idéateur, mais le christianisme ne commence réellement que lorsque les communautés chrétiennes se séparent du judaïsme. La première Eglise indépendante semble avoir été celle d’Antioche, une ville au bord de la mer Méditerranée, à la frontière entre la Syrie et la Turquie actuelles, aux environs de l’an 35 et 37 de notre ère :
25 Barnabas partit alors chercher Saul à Tarse (= ancien nom juif de l’apôtre Paul), 26 il l’y trouva et l’amena à Antioche. Ils passèrent une année entière à travailler ensemble dans cette Eglise et à instruire une foule considérable. Et c’est à Antioche que, pour la première fois, le nom de « chrétiens » fut donné aux disciples.
Actes des apôtres 11,25-26
Dans son épître aux Galates, écrite dans les années 50 de notre ère (sa datation exacte est difficile à établir), l’apôtre Paul relate son conflit survenu à Antioche avec l’apôtre Pierre, au cours duquel il l’a réprimandé, ce qui laisse entendre que Paul était plus avancé que Pierre dans sa volonté de ne pas contraindre les chrétiens d’origine païenne (=non-juive) à suivre les commandements de la Loi juive, et donc à adhérer au judaïsme, car selon Paul, l’homme est justifié par sa seule foi, et non en observant la Loi juive:
11 Mais, lorsque Céphas [autre nom de Simon Pierre] vint à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort. 12 En effet, avant que soient venus des gens envoyés par Jacques, il prenait ses repas avec les païens ; mais, après leur arrivée, il se mit à se dérober et se tint à l’écart, par crainte des circoncis [donc des chrétiens d’origine juive] ; 13 et les autres Juifs entrèrent dans son jeu, de sorte que Barnabas lui-même fut entraîné dans ce double jeu. 14 Mais, quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Evangile, je dis à Céphas devant tout le monde : « Si toi qui es Juif, tu vis à la manière des païens et non à la juive, comment peux-tu contraindre les païens à se comporter en Juifs ? » 15 Nous sommes, nous, des Juifs de naissance et non pas des païens, ces pécheurs. 16 Nous savons cependant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi [la Thora, la loi de Moïse], mais seulement par la foi de Jésus Christ ; nous avons cru, nous aussi, en Jésus Christ, afin d’être justifiés par la foi du Christ et non par les œuvres de la loi, parce que, par les œuvres de la loi, personne ne sera justifié.
Epître de Paul aux Galates 2,11-16
Il semble que ce soit à Ephèse (ville de l’ouest de l’actuelle Turquie bordant la mer Egée), entre l’an 51 et l’an 55, que Paul prit définitivement la décision de séparer les disciples de Jésus de la synagogue juive, en raison du refus de son message par les juifs. Paul semble donc bien avoir été le fondateur historique du christianisme:
8 Paul se rendait à la synagogue et, durant trois mois, il y prenait la parole en toute assurance à propos du Règne de Dieu, s’efforçant de convaincre ses auditeurs. 9 Comme certains se durcissaient et, loin de se laisser convaincre, diffamaient la Voie [de Jésus] en pleine assemblée, Paul rompit avec eux et, prenant à part les disciples, il leur adressait chaque jour la parole dans l’école de Tyrannos. 10 Cette situation se prolongea pendant deux ans, si bien que toute la population de l’Asie, Juifs et Grecs, put entendre la parole du Seigneur.
Actes des apôtres 19,8-10 (Durant le séjour de Paul à Ephèse)
Plusieurs ouvrages récents sont parus sur cette question:
– Christophe Senft, Jésus et Paul. Qui fut l’inventeur du christianisme ?, Genève, Labor et Fides, 2002.
– Daniel Marguerat, Eric Junod, Qui a fondé le christianisme ? Ce que disent les témoins des premiers siècles, Bayard, Labor et Fides, 2010.
La théologie de Paul
L’apôtre Paul, qui n’a pas connu Jésus de son vivant, précise, pour fonder sa théologie, qu’il ne s’agit plus, désormais, pour les chrétiens, de connaître Jésus comme un homme en chair et en os, mais de le connaître comme le Sauveur et Seigneur de l’Eglise:
15 Et il [Jésus] est mort pour tous afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. 16 Aussi, désormais, ne connaissons-nous plus personne à la manière humaine. Si nous avons connu le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. 17 Aussi, si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là.
Deuxième épître de Paul aux Corinthiens 5,15-17
Fort de cette logique, l’apôtre Paul ne cite pour ainsi dire jamais, à quelques exceptions prés (exemple 1 Co 11,23-26), les paroles ou les actes du Jésus de l’histoire, relatées dans les quatre Evangiles bibliques, ce qui peut sembler très surprenant pour le disciple d’un maître spirituel (!), mais plutôt, il exprime sous forme théorique dans sa théologie ce que Jésus a vécu de façon pratique.
Ce faisant, l’apôtre Paul hellénise le christianisme, c’est-à-dire qu’il l’adapte à la culture grecque, marquée par les raisonnements théoriques de la philosophie. Pour mémoire, Socrate, Platon et Aristote ont vécu environ cinq siècles avant notre ère, et il est fort probable que Saul (=nom juif de Paul), qui est originaire de Tarse, une ville au sud de la Turquie actuelle, ait suivi une formation philosophique dans cette ville, tant il démontre dans ses épîtres un capacité à manier des concepts abstraits. Dans le monde grec de l’époque de Jésus, il était insuffisant de comparer par exemple la foi à un grain de moutarde (Mt 13,31), comme Jésus pouvait très bien le faire dans le monde rural juif.
La théologie de Paul est si différente, et tellement plus sophistiquée que celle de Jésus, qu’on se demande d’où Paul a bien pu tirer son Evangile ? Paul est à l’évidence un intellectuel, tandis que Jésus est plutôt un manuel, fils de charpentier.
La principale caractéristique de la théologie de Paul consiste à ne retenir presque exclusivement que la mort et la résurrection de Jésus comme événements de sa vie ayant un intérêt théologique. En écrivant aux chrétiens de Corinthe, une ville très proche d’Athènes, Paul, tout en se servant du type d’argumentation philosophique, conteste à la sagesse humaine le pouvoir de connaître la pensée divine. Seul l’Evangile de la croix révèle à l’être humain la manière dont Dieu veut se faire connaître à lui:
21 En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. 22 Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; 23 mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
Première épître de Paul aux Corinthiens 1,21-25
La croix est selon Paul le lieu où Christ se révèle à nous de la manière la plus complète. Elle est aussi le lieu où s’accomplit et se manifeste la grâce de Dieu de façon définitive:
22 C’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient, car il n’y a pas de différence : 23 tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, 24 mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ. 25 C’est lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi, pour montrer ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois, 26 au temps de sa patience. Il montre donc sa justice dans le temps présent, afin d’être juste et de justifier celui qui vit de la foi en Jésus. 27 Y a-t-il donc lieu de faire le fier ? C’est exclu ! Au nom de quoi ? Des œuvres ? Nullement, mais au nom de la foi. 28 Nous estimons en effet que l’homme est justifié par la foi, indépendamment des œuvres de la loi.
Epître de Paul aux Romains 3,22-28
Nous pouvons considérer que Jésus a manifesté la grâce de Dieu de façon concrète, par son comportement de guérisseur et d’exhorciste réconfortant les humains dans leur misère terrestre, tandis que Paul en a fourni l’expression théorique, au travers de sa théologie de la grâce obtenue par la foi, sans les oeuvres de la loi.
6. L’ordre inversé de la rédaction des livres du Nouveau Testament
D’un point de vue chronologique, les épîtres de Paul, écrites entre l’année 30 et 65 (ou peut-être plus tard pour les épîtres deutéro-pauliniennes) sont plus récentes que les quatre Evangiles du Nouveau Testament. Les Evangiles synoptiques ont probablement été écrits dans les années 80, et l’Evangile de Jean dans les années 80 ou 90.
La théologie de Paul n’est donc pas une évolution successive aux théologies des Evangiles. Cela remet en cause bien des évidences et des certitudes. L’inverse n’est pas vrais non plus. Rappelons simplement ici que l’importance démesurée que les quatre Evangiles accordent aux derniers jours de la vie de Jésus, par rapport à l’ensemble de son ministère de quelques années, les rapproche de la théologie de la croix de Paul, sans qu’ils en soient forcément les héritiers directs. C’est là un signe que tous les chrétiens des premières générations de l’Eglise ont été très fortement marqués par la fin tragique du Christ, qui a précipité leur séparation du judaïsme.
7. L’histoire du canon du Nouveau Testament durant les premiers siècles de l’Eglise chrétienne
Aucun des livres du Nouveau Testament n’a été écrit en vue de figurer dans le Nouveau Testament ! Au moment de leur rédaction, il n’était même pas question de créer un tel recueil canonique de textes. Lorsque Paul écrit aux Galates, il ne s’imagine pas que sa lettre sera lue dans le monde entier, durant des millénaires. La création du Nouveau Testament est un processus qui a duré plus de quatre siècles, et qui est complètement indépendant de la rédaction des livres du Nouveau Testament. Il s’agit d’un assemblage après coup, opéré par les Eglises des siècles qui ont succédé à celui de Jésus et de Paul. Cette sélection de textes faisant autorité pour la foi des Eglises a été rendue nécessaire en raison de la prolifération d’Evangiles et d’épîtres dont l’authenticité était de plus en plus difficile à établir. Le canon du Nouveau Testament résulte donc d’un choix arbitraire et d’une conciliation des différentes organisations d’Eglises naissantes, afin de parvenir à une liste unifiée de livres reconnus comme étant les témoins les plus authentiques et véridiques des origines de la foi chrétienne.
L’histoire de cette élaboration du canon du Nouveau Testament est beaucoup trop complexe pour être résumée ici. Je renvoie donc à un texte de 25 pages qui peut servir de résumé de référence sur ce sujet dans les Eglises réformées francophones actuelles:
Article de Jean-Daniel Kaestli, Histoire du canon du Nouveau Testament, p.481-506, dans l’ouvrage: Sous la direction de Daniel Marguerat, Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, Labor et Fides, 2008.
La 39e Lettre Festale d’Athanase d’Alexandrie, datée de 367, marque une étape décisive dans l’histoire du canon, car elle donne pour la première fois la liste complète des vingt-sept livres du Nouveau Testament.
Jean-DAniel Kaestli, Ouvrage précité, p.497
Travail en commun sur la Première épître de Paul aux Corinthiens
Alors que l’Epître aux Romains présente l’exposé théorique le plus complet de la pensée théologique de Paul, la Première épître de Paul aux Corinthiens contient l’exposé le plus complet de son éthique théologique. Paul y aborde de nombreux problèmes qui se posent pratiquement dans l’Eglise de Corinthe: Divisions théologiques, sagesses et folies, relâchements moraux, conflits et procès, exubérance du surnaturel : tout y passe ! L’Eglise que Paul a fondée est tout sauf idéale, l’apôtre esquisse quelques remèdes.
Dans les six premiers chapitres de notre épître [1 Co], Paul avait exprimé l’inquiétude que lui causaient les nouvelles peu édifiantes venant de Corinthe. On lui avait parlé de divisions, d’une coupable indulgence envers les pécheurs, de procès entre chrétiens et d’impureté. L’apôtre réprouve sévèrement ces scandales.
Gaston deluz, La sagesse de Dieu. Explication de 1 Corinthiens, Neuchâtel, Delachaux & Niesté, 1959, p.91
Le ton des chapîtres suivants est plus serein. Paul y répond à des questions que les Corinthiens lui avaient posées: Pour ce qui concerne les choses dont vous m’avez écrit, je pense…
Il n’est pas étonnant que les premiers chrétiens aient eu beaucoup de questions à poser. L’Evangile mettait en question les mœurs et les traditions des peuples qu’il atteignait. Aujourd’hui encore, l’on est stupéfait du nombre presque illimité de problèmes qui se posent aux jeunes Eglises fondées par les Missions: problèmes matrimoniaux et financiers, problèmes alimentaires, agricoles, liturgiques, pédagogiques, problèmes du vêtement et de l’habitat. La foi nouvelle fait éclater les anciens cadres sociaux, elle oriente les hommes vers d’autres buts et soulève ainsi une foule de problèmes.
Idée d’animation : Par l’analyse de quelques textes choisis dans la Première épître de Paul aux Corinthiens, se faire une idée des problèmes que rencontre l’Eglise de Corinthe et de la manière dont Paul entend y remédier. A partir des réponses de Paul aux questions des Corinthiens, il est possible de construire un portrait robot de leur Eglise et de leurs difficultés. Pour se repérer dans l’épître, voici son plan:
Le plan ci-dessus permet déjà de se faire une idée des difficultés vécues dans l’Eglise de Corinthe, que l’apôtre Paul a fondée et à laquelle il répond par écrit:
- Dissentions, divergences, désaccords théologiques liées à l’attachement à certains prédicateurs et leaders plutôt qu’à d’autres, générant un certain favoritisme.
- Problèmes éthiques variés: inconduites, procès, prostitution, célibat, mariage et divorce.
- Organisation du culte: troubles lors du repas du Seigneur, rôle des femmes, concurrence des ministères, que Paul compare aux organes du corps.
- Questions de foi relatives à la résurrection et à la vie après la vie.
Pour télécharger le PDF des trois textes choisis, qui appartiennent aux trois premiers points listés ci-dessus, cliquer ici.
1 Corinthiens 3,1-23
Le rôle des prédicateurs de l’Evangile
v.1-2 hommes charnels / hommes spirituels – petits enfants, lait / nourriture solide
Remède: Paul adapte les exigences de son Evangile au niveau spirituel des destinataires
v.3-8 charnel = jalousies, querelles, et pas seulement relâchement sexuel
divisions liées à attachement à des prédicateurs particuliers: fierté et compétition
Remède: Les prédicateurs ne sont rien, ne pas s’attacher à des hommes, Dieu seul compte
v.9-11 nous travaillons ensemble, mais c’est par grâce
que chacun prenne garde à sa manière de bâtir, et non celle des autres
de toute manière, personne ne peut se glorifier d’être le fondement, Christ
Remède: L’humilité fait cesser les compétitions et les querelles,
on ne peut de toute manière pas éviter de travailler ensemble,
et donc d’apprécier les autres à leur juste valeur
v,13-15 tous ceux qui sont en Christ sont sauvés,
mais l’oeuvre de chacun sera éprouvée par le feu
celui dont l’oeuvre est mauvaise sera sauvé à travers le feu
Remède: Chacun doit se concentrer sur sa propre façon de travailler,
car la façon dont nous travaillons n’est pas indifférente du point de vue de Dieu,
et elle aura des conséquences sur la qualité de notre salut
v.16-17 Esprit habite en nous = nous sommes le temple de Dieu = nous sommes saints
Remède: Chacun doit se considérer comme temple saint, réservé pour Dieu
v.18-21 sagesse à la manière du monde est vanité
Remède: Ne pas fonder sa fierté sur les hommes (cf prédicateurs v.4-5)
v.22-23 conclusion théologique magistrale:
tout est à vous, vous êtes à Christ, Christ est à Dieu
Remède: Les inquiétudes de réussite ou de prestige sont vaines, car Dieu nous a déjà tout donné, il n’y a pas lieu de s’inquiéter et de se sentir excessivement redevables
1 Corinthiens 6,12-7,11
« Tout m’est permis »
v.12 permettre / se laisser asservir
Remède: Le chrétien est libre, il peut choisir ce qu’il fait ou non, sans être asservi à une loi qui lui dicte ses comportements. C’est donc à lui d’estimer ce qui lui est néfaste et le prive de sa liberté.
v.13-18 débauche / union à une prostituée
corps pour le Seigneur / unité avec Seigneur = un seul esprit
débauché pèche contre son propre corps
la débauche aliène le corps, elle est auto-destructive
Remède: L’union mystique avec Dieu est comparée avec l’union sexuelle,
les deux ont le même degré extrême d’intimité, et sont incompatibles
v.19-20 point critique: temple du Saint-Esprit, vous ne vous appartenez pas
Remède: L’union spirituelle nous rachète (payé le prix),
par la présence du Saint-Esprit, elles est éminemment positive
mais il y a un transfert d’une union à l’autre qui n’est pas simple
Réponses à des questions sur le mariage
v.1-2 bon de s’abstenir de femme / éviter dérèglement : couple homme/femme
Remède: Le mariage est le remède au dérèglement, à la débauche du chapitre précédent
v.3-6 chacun dispose du corps de l’autre
pour Paul ce n’est pas un problème de ne pas s’appartenir à soi-même (cf. v.19 ci-dessus)
ne vous refusez pas / incapacité à vous maîtriser
Remède: Relations sexuelles régulières au sein du couple sont remède à la tentation,
ce point a été souvent discuté et critiqué dans le cadre de la psychologie moderne
v.7-9 souhait que tous soient abstinents / don particulier de chacun
Remède: Si l’on pas reçu le don du célibat, inutile d’essayer le célibat,
il faut se résoudre à vivre de la manière qui nous convient le mieux,
selon les dons, les capacités que l’on a reçue, et qui nous évitent le désordre
v.10-11 contre le divorce et le remariage, pour la réconciliation
Remède: Les consignes de Paul demeurent délicates à suivre dans chaque cas, il est difficile de faire des généralités, mieux vaut examiner les situations au cas par cas, ce que Paul essaye déjà de faire dans cette épître
1 Corinthiens 12,1-13,2
Diversité des membres et unité du corps
v.12 on repère le thème du corps très présent tout au long de l’épître, car les questions éthiques sont toujours liées de loin ou de près au corps
plusieurs membres / un seul corps
Remède: Contre la tendance aux querelles et compétition, tout le monde a besoin de tout le monde, et chaque membre a sa place irremplaçable dans le corps
v.13 baptisés dans un seul Esprit et un seul corps
Remède: Paul fait ici le lien entre l’Eglise, corps du Christ, et le corps biologique
v.14-17 dialogues entre membres: pied, main, oreille, oeil, odorat
vanité de ne pas vouloir faire partie du corps, on dépend des autres
Remède: Paul lutte contre des tendances indépendantistes de gens qui ne voudraient pas tenir compte des autres, en conservant leurs libertés comme si les autres n’existaient pas
v.18-21 suite du dialogue, dans l’autre sens:
vanité de prétendre ne pas avoir besoin des autres
Remède: Nous ne sommes pas le tout, mais un seul membre,
la place des autres n’empiète pas sur la nôtre,
les autres pallient à nos manquements personnels
v.22-25 cas particuliers des membres faibles et moins honorables
Remède: Dieu donne plus d’honneur à ce qui en manque
nous devons avoir un plein respect aussi des personnes qui ne brillent pas particulièrement
v.26-27 conclusion magistrale: membres partagent souffrances et gloire
Remède: La métaphore du corps s’avère très efficace, car en effet, si j’ai mal à une main, tout mon corps est malade, mes pieds ne sont pas libérés de mes souffrances
le partage des souffrances (= la compassion) est une des bases de l’amour chrétien
v.28-31a Paul applique la métaphore du corps aux différents ministères dans l’Eglise
il semble qu’il y ait une certaine hiérarchie des ministères, malgré ce qui vient d’être dit des membres plus ou moins honorables
Remède: Paul donne ainsi une première organisation fonctionnelle de l’Eglise,
avec des personnes engagées dans des ministères spécifiques et interactifs
v.31b une voie infiniment supérieure: l’amour
après avoir décrit les différents ministère, Paul se rend compte qu’une telle hiérarchie pourrait réactiver des divisions et les compétitions
Remède: Paul place tous les ministères sous une valeur équivalente pour tous, l’amour fraternel, qui commande toutes les actions. De ce point de vue, la compétition est remplacée par le service réciproque et le partage des peines
L’amour fraternel
v.1-2 et suivants: Discours magistral sur l’amour
entre les chapitres 12 et 14 qui parlent des divers dons et ministères dans l’Eglise corps du Christ, composée de membres différents, interdépendants et complémentaires, Paul (ou les compositeurs de sa lettre, si elle est constituée de différents fragments rassemblés pas la suite) a intercalé un chapitre entier sur l’amour
Remède: L’amour reçu de Dieu et vécu en Dieu est selon Paul le remède à toutes les divisions et à tous les dérèglements abordés dans l’épître. Il met fin à la fois à l’orgueil, à l’égoïsme et aux passions incontrôlées, sources de tous les maux