Prédication : L’idéal du sacerdoce universel

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La célèbre prophétie de Joël concernant l’effusion universelle de l’Esprit divin compromet, à terme, la nécessité de l’Eglise et des ministères. Chaque être humain étant appelé à l’autonomie religieuse, il se crée une démocratie spirituelle qui surpasse et compromet, dans l’idéal, toutes les formes religieuses traditionnellement transmises. Mais un tel dépassement des particularismes est toujours en construction, rencontrant des résistances humaines que les paraboles de Jésus illustrent avec un certain piquant.

Livre du prophète Joël 3,1-5 – Bouleversements eschatologiques : Effusion de l’Esprit, signes et prodiges, le salut par l’invocation du Seigneur

1 Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront,
vos vieillards auront des songes,
vos jeunes gens auront des visions.

2 Même sur les serviteurs et les servantes,
en ce temps-là, je répandrai mon Esprit.

3 Je placerai des prodiges dans le ciel et sur la terre,
du sang, du feu, des colonnes de fumée.

4 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang
à l’avènement du jour du SEIGNEUR, grandiose et redoutable.

5 Alors, quiconque invoquera le nom du SEIGNEUR sera sauvé. En effet, il y aura des rescapés sur la montagne de Sion et à Jérusalem, comme le SEIGNEUR l’a dit, parmi les survivants que le SEIGNEUR appelle.

Evangile de Matthieu 22,1-14 – Le festin nuptial

1 Et Jésus se remit à leur parler en paraboles : 

2 « Il en va du Royaume des cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils. 3 Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités. Mais eux ne voulaient pas venir. 4 Il envoya encore d’autres serviteurs chargés de dire aux invités : “Voici, j’ai apprêté mon banquet ; mes taureaux et mes bêtes grasses sont égorgés, tout est prêt, venez aux noces.” 5 Mais eux, sans en tenir compte, s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; 6 les autres, saisissant les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. 7 Le roi se mit en colère ; il envoya ses troupes, fit périr ces assassins et incendia leur ville. 8 Alors il dit à ses serviteurs : “La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes. 9 Allez donc aux places d’où partent les chemins et convoquez à la noce tous ceux que vous trouverez.” 10 Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins et rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons. Et la salle de noce fut remplie de convives.

11 Entré pour regarder les convives, le roi aperçut là un homme qui ne portait pas de vêtement de noce. 12 “Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce ?” Celui-ci resta muet. 13 Alors le roi dit aux servants : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents.” 14 Certes, la multitude est appelée, mais peu sont élus. »

Evangile de Luc 14,15-23 – Parabole des invités remplacés par les pauvres

15 Après avoir entendu ces mots, un de ceux qui étaient à table dit à Jésus : « Heureux celui qui prendra son repas dans le règne de Dieu ! » 16 Jésus lui raconta cette parabole :

« Un homme offrit un grand repas auquel il invita beaucoup de monde. 17 À l’heure du repas, il envoya son serviteur dire aux invités : “Venez, car c’est prêt maintenant.” 18 Mais tous, l’un après l’autre, se mirent à s’excuser. Le premier dit au serviteur : “J’ai acheté un champ et il faut que j’aille le voir ; je te prie de m’excuser.” 19 Un autre lui dit : “J’ai acheté cinq paires de bœufs et je vais les essayer ; je te prie de m’excuser.” 20 Un autre encore dit : “Je viens de me marier et c’est pourquoi je ne peux pas venir.” 21 Le serviteur retourna auprès de son maître et lui rapporta ces réponses. Le maître de la maison se mit en colère et dit à son serviteur : “Va vite sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux.” 22 Après un moment, le serviteur vint dire : “Maître, tes ordres ont été exécutés, mais il y a encore de la place.” 23 Le maître dit alors à son serviteur : “Va sur les chemins de campagne, le long des haies, et insiste pour que les gens entrent, afin que ma maison soit remplie. 24 Je vous le dis : aucune des personnes qui avaient été invitées ne mangera de mon repas !” »

Prédication du 5 novembre 2023 à Vauffelin, dans le Jura Bernois, en Suisse

Au début de la deuxième partie du bref livre du prophète Joël (chapitres 3 et 4), dans l’Ancien Testament, il est question de « l’avènement du jour du Seigneur, grandiose et redoutable » (Jl 3,4). En ces temps de la fin, le Seigneur répandra son Esprit sur toute chair, dit le prophète : fils, filles, vieillards, jeunes gens, serviteurs et servantes, toutes et tous prophétiseront, et auront des songes et des visions (Jl 3,1-2). Le don de l’Esprit se concrétise ainsi par la capacité de prophétiser, c’est-à-dire de recevoir, d’interpréter et de transmettre des messages reçus de Dieu, notamment au travers de songes ou de visions.

Ce passage du livre de Joël (Jl 3,1-5) a été rendu célèbre parce qu’il est cité intégralement dans le discours de l’apôtre Pierre (Actes 2,17-21), lors de la première fête chrétienne de la Pentecôte, qui marque le début de l’Eglise. Selon le livre des Actes, après l’ascension de Jésus au ciel (Ac 1,6-11), ses disciples « furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2,4).

Ainsi placée à un endroit stratégique du Nouveau Testament, lors de la fondation de l’Eglise chrétienne à Jérusalem, la citation de la prophétie de Joël établit un lien privilégié entre l’Ancien et le Nouveau Testament de la Bible chrétienne. Ce qui est prophétisé dans la Bible juive (l’Ancien T.) s’accomplit, selon les chrétiens, dans le Nouveau Testament.

Vers le sacerdoce universel

Or, les deux versets de la prophétie de Joël qui annoncent l’effusion de l’Esprit sur toute chair (Jl 3,1-2) ont des conséquences insoupçonnées, qui produisent une avancée considérable dans notre manière de comprendre et de vivre la religion, et nous orientent vers un idéal qui n’est jamais totalement atteignable dans l’histoire humaine.

En effet, si tous deviennent visionnaires, si tous prophétisent, et donc si toutes et tous parviennent à recevoir individuellement les directives divines pour leur vie personnelle, communautaire et sociale, à quoi peuvent encore servir les ministères des prêtres, des prophètes, des pasteurs et des théologiens, dont la mission consiste à enseigner aux autres et à pratiquer les différents aspects de la vie religieuse et spirituelle ?

On le voit, si cette généralisation de la connaissance de Dieu était parfaite, toutes et tous, du plus ignorant au plus instruit, seraient à même de tracer leur voie par eux-mêmes, et le sacerdoce exercé par des ministres spécifiquement formés deviendrait inutile. La Réforme protestante, et à sa suite le protestantisme, ont nommé cet idéal le « sacerdoce universel », mais ils ont néanmoins conservé les ministères de pasteur et de diacre, qui ne sont plus des intermédiaires, mais des responsables de l’instruction et du soutien des croyants.

A long terme, la prophétie de Joël revêt ainsi une importance cruciale pour l’humanité, en insistant pour que chaque citoyen.ne assume ses responsabilités religieuses par soi-même. On peut parler d’une démocratie spirituelle constituée de croyants libres et responsables.

Cette voie vers le sacerdoce universel est déjà tracée par les trois parties de la Bible juive, l’Ancien Testament : A la Thora, la Loi de Moïse des cinq premiers livres de la Bible, qui enseigne la religion des prêtres et des sacrifices au Temple à Jérusalem, succèdent les Livres des Prophètes, qui critiquent ces rituels, et enfin les Ecrits de sagesse (Psaumes, Job, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des Cant., etc.) qui divulguent un message universel.

Dans le Nouveau Testament, l’Evangile de Jean, en annonçant l’heure où « les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jn 4,23), et en proclamant qu’il y aura « un seul berger » (Jn 10,16), accentue l’autonomie des croyants et le sacerdoce universel.

Les difficultés du sacerdoce universel selon les paraboles de Jésus

La question du sacerdoce universel est posée de manière complètement différente dans les paraboles que Jésus raconte dans les Evangiles synoptiques du Nouveau Testament (Matthieu, Marc et Luc), lesquels diffèrent beaucoup du quatrième Evangile, celui de Jean.

D’un Evangile synoptique à l’autre, les différences sont déjà très marquées, à tel point que les versions parallèles de la même parabole sont parfois presque méconnaissables. Par exemple, la parabole du grand repas chez Luc (14,15-24) et celle du festin nuptial chez Matthieu (22,1-14), qui témoignent du même enjeu, sont écrites de manière si différente que certains doutent qu’elles aient « comme origine un même récit » (TOB 2010, p.2146).

Dans les deux cas, l’intrigue de base est pourtant la même : Les invités à un grand repas ne veulent pas y participer, ce qui fâche le maître du repas. Ce dernier invite alors d’autres catégories de personnes, apparemment moins réputées, lesquelles acceptent l’invitation.

Du point de vue du sacerdoce universel, on peut interpréter ces histoires dans le sens d’un important correctif apporté à la prophétie de Joël, qui annonce que le Seigneur répandra « son Esprit sur toute chair » (Jl 3,1) : Il faut encore que les invités à recevoir l’Esprit du Seigneur le veuillent bien, car en effet, tous ne reçoivent pas l’Evangile ! Or, les groupes de personnes réfractaires ou indifférentes à l’Evangile diffèrent chez Matthieu et Luc.

En grandes lignes, chez Matthieu, il s’agit d’un « roi qui fit un festin de noces pour son fils » (v.2), mais les invités, en plus de s’en aller à leurs occupations lucratives, s’emparent, outragent et tuent les serviteurs du roi. La vengeance du roi prend une envergure colossale : « il envoya ses troupes, fit périr ces assassins et incendia leur ville » (v.7). Une seconde invitation, des « mauvais et bons » (v.10), remplit la salle de convives, et l’un d’entre eux, dépourvu de vêtements de noces, est encore expulsé par le roi (v.12). Le récit, marqué par la violence, semble viser les adversaires politiques de l’Evangile.

Rien de tel chez Luc, dont la description est plus banale : un homme invite du monde à un dîner, mais les invités « se mirent à s’excuser tous de la même façon » (v.18). Le récit détaille leurs excuses qui fâchent le « maître de maison » (v.21), lequel envoie son unique serviteur chercher « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux » (v.21), en les forçant à entrer (v.22). Comme habituellement chez Luc, on se situe sur le plan social : Le récit vise les notables et les riches insensibles à la misère des pauvres et des handicapés.

Une interpellation

Avec ces paraboles de Jésus dans les Evangiles synoptiques, la question du sacerdoce universel prend un fort accent moral : Tous sont appelés au festin du Royaume de Dieu annoncé par le Christ, mais tous ne répondent pas favorablement à l’appel. Plusieurs parmi les plus avantagés se replient sur leurs intérêts privés, politiques ou économiques, et ceux qui sont en fin de compte disposés à accepter l’invitation sont celles et ceux qui n’ont rien à perdre, tout ceux que l’on trouve disséminés et rassemble « par les chemins » (Mt 22,10).

Dès lors, la question nous est posée à nous aussi, sous la forme d’une préoccupation spirituelle : Que signifie pour nous répondre à l’invitation du Christ, et participer de cette manière au festin du Royaume de Dieu ? En d’autres termes, quelles sont les implications concrètes de l’accomplissement de la prophétie de Joël, « je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3,1) ? Et quelles peuvent être nos résistances humaines à l’accomplissement de cette prophétie, dont la valeur est, nous l’avons vu, universelle ? Au travers de l’Evangile, Dieu nous lance un appel à un festin qui dérange, semblent suggérer ces paraboles. Amen

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