Le prophétisme judéo-chrétien, survol de l’Antiquité à nos jours

Introduction

Ce survol historique du prophétisme primitif, juif puis chrétien, de la préhistoire à nos jours, ne peut en aucune manière être considéré comme une histoire suivie du prophétisme. Il s’agit d’une présentation succincte de quelques étapes choisies du développement du prophétisme, tel qu’il se présente dans la Bible juive et chrétienne, puis dans l’Eglise. Son but consiste à donner brièvement une vue d’ensemble et quelques indications de base, qui font défaut à de nombreux croyants ou incroyants, afin de les aider à structurer leur compréhension générale de la Bible, du judaïsme et du christianisme.

Telles sont les hypothèses du présent travail :
– L’histoire du prophétisme judéo-chrétien peut être esquissée en une série d’étapes.
– Le prophétisme judéo-chrétien, qu’il soit considéré comme étant divinement inspiré ou non, a connu une évolution historique, marquée par de nombreux perfectionnements théologiques successifs, qui ont profondément changé sa perspective au cours du temps.
– Le terme prophétisme s’applique à l’œuvre des prophètes proprement dits (hébreu: navi), mais peut être étendu à des manifestations religieuses que l’on ne dénomme pas forcément comme étant prophétiques. Le Christ, par exemple, n’est que rarement dénommé prophète, et pourtant, sa prédication constitue une étape cruciale de l’histoire du prophétisme judéo-chrétien.

Note : Les citations, en exergue ou dans les textes, sont mentionnées ainsi : [no. du livre dans la bibliographie à la fin de cette page, no. de page du livre]

Les étapes de la prophétie juive et chrétienne

1. Le prophétisme primitif (depuis quelques millénaires)

La religiosité semble être apparue progressivement lors de la Révolution néolithique, à la même période que l’agriculture, la domestication, l’élevage, l’utilisation des métaux, l’écriture, l’art et la sépulture des morts, il y a entre 10’000 et 5’000 dans le Croissant fertile au Proche Orient, et entre 4000 et 3000 ans en Europe, avec la civilisation celtique.

Et depuis très longtemps en Mésopotamie [Irak et Syrie actuels], le devin est là pour avertir du danger et l’éviter. [3,92]

Le phénomène du prophétisme est clairement attesté en Mésopotamie (spécialement dans la ville de Mari) et en Canaan. Il est probable que les premiers prophètes d’Israël s’inspirèrent de ces personnages.
Bien que le titre ait été appliqué plus tard à Abraham et à Moïse, le mouvement prophétique israélite dut surgir vers le XIe avant J.-C. avec Samuel [Livres bibliques: I et II Samuel]. [2,946]

Il est probable que les religions préhistoriques aient été fortement liées aux puissances de la nature. Afin de connaître l’avenir et de l’influencer, par exemple en évitant son propre malheur ou en causant celui de ses ennemis, il est probable que les prêtres de ces religions se soient servis de deux méthodes complémentaires pour consulter les dieux, les esprits de la nature, des animaux et des morts :
– La divination, qui vise à obtenir des informations en observant certains signes naturels (position des nuages, etc.). Dans le druidisme, par exemple, l’analyse du vol de certains oiseaux permettait de prédire l’avenir et d’approfondir la connaissance du monde.
– L’extase. La consommation de certaines substances qui modifient les états de conscience, et qui produisent notamment un état de transe, permet d’entrer en contact avec les esprits des dieux, des morts et des animaux. Le chamanisme est une tradition qui perdure à nos jours (le mot chaman est emprunté du russe chaman, « prêtre, médecin, magicien »).

2. Le prophétisme extatique juif (deuxième millénaire av. J.-C.)

Quelques textes bibliques du livre des Nombres et du premier livre de Samuel donnent une idée de ce que pouvait représenter cette religion extatique de Yahweh, où une sorte d’exaltation dans un état de quasi-inconscience, dominée soit par le bien soit par le mal, se manifestait. Il est intéressant de noter que cette religiosité se situait à la frontière du culte de Yahweh et comportait des éléments communs aux religions de peuples étrangers.

Selon deux récits distincts et entremêlés en Nb 22-24, Balaam était soit un devin araméen ou amorite, adorateur de Yahweh de qui il tenait son inspiration, soit un madianite qui se mit en route pour répondre à l’appel de Balaq [roi de Moab] sans la permission de Yahweh, et fut arrêté par l’ange. [4,270].

Nombres 24,1-5 (avec ajout de la formule presque identique en Nb 24,16):
Troisième oracle de Balaam:
1 Balaam vit qu’il plaisait au SEIGNEUR [Yahweh] de bénir Israël ; il n’alla donc pas comme les autres fois à la recherche de présages, mais il se tourna face au désert.
2 Levant les yeux, Balaam vit Israël qui campait par tribus.
L’esprit de Dieu vint sur lui3 et il prononça son incantation en ces termes :
« Oracle de Balaam, fils de Béor, oracle de l’homme à l’œil ouvert,
4 oracle de celui qui entend les paroles de Dieu,
[ajout v.16 : qui possède la science du Très-Haut]
qui voit ce que lui montre Shaddaï [= appellation mystérieuse de Dieu, 4,75], quand il tombe en extase et que ses yeux s’ouvrent :
5 Qu’elles sont belles tes tentes, Jacob, tes demeures, Israël !

Le récit de l’onction royale de Saül par Samuel, que l’histoire biblique situe vers le XIe siècle avant J.-C., donc à la fin du deuxième millénaire avant J.-C., décrit ce qui constitue sans doute le stade le plus archaïque et extatique du prophétisme d’Israël. Une différence de taille apparaît pourtant par rapport aux religions primitives : L’extase et l’inspiration proviennent du Dieu personnel d’Israël, Yahweh, et non des esprits de la nature.

1 Samuel 10,5-10:
Extrait du récit de l’onction royale de Saül par le prophète Samuel:
5 Ensuite tu arriveras à Guivéa de Dieu, où résident les préfets philistins. Là, quand tu entreras dans la ville, tu tomberas sur une bande de prophètes [hébreu: navi] descendant du haut lieu, précédés de harpes, de tambourins, de flûtes et de lyres. Ils seront en état de transe prophétique6 Alors fondra sur toi l’esprit du SEIGNEUR [YHWH], tu entreras en transe avec eux et tu seras changé en un autre homme. 7 Quand tu verras se produire ces signes, fais tout ce que tu trouveras à faire, car Dieu est avec toi8 Tu descendras avant moi à Guilgal. Quant à moi, je descendrai te rejoindre, pour offrir des holocaustes et des sacrifices de paix. Tu m’attendras sept jours jusqu’à ce que je vienne te rejoindre. Alors je te ferai savoir ce que tu dois faire. »
9 Dès que Saül se fut retourné en quittant Samuel, Dieu lui changea le cœur, et tous ces signes arrivèrent ce jour-là. 10 Quand ils arrivèrent à Guivéa, une bande de prophètes venait à sa rencontre. Alors l’esprit de Dieu fondit sur lui, et il entra en transe avec eux

1 Samuel 18,10-12:
Premier récit d’attentat manqué de Saül contre David:
10 Le lendemain, un esprit mauvais, venu de Dieu, fondit sur Saül, et il entra en transe dans sa maison. David jouait de son instrument comme les autres jours et Saül avait sa lance en main. 11 Saül jeta la lance et dit : « Je vais clouer David au mur ! » Mais David, par deux fois, l’évita. 12 Saül craignit David, car le SEIGNEUR était avec lui et s’était retiré de Saül.

1 Samuel 19,20-24:
Saül et ses émissaires en transe à Rama:
20 Saül envoya des émissaires pour s’emparer de David. Ils aperçurent la communauté des prophètes en train de prophétiser, et Samuel debout à leur tête. L’esprit de Dieu s’empara des émissaires de Saül, et ils entrèrent en transe eux aussi. 21 On le rapporta à Saül qui envoya d’autres émissaires ; ils entrèrent en transe eux aussi. Saül envoya un troisième groupe d’émissaires ; ils entrèrent en transe eux aussi. 22 Il partit lui-même pour Rama et parvint à la grande citerne qui se trouve à Sékou. Il demanda : « Où sont Samuel et David ? » On lui dit : « Aux Nayoth de Rama ! » 23 Il se rendit là-bas, aux Nayoth de Rama. L’esprit de Dieu s’empara de lui aussi et il continua à marcher en état de transe jusqu’à son arrivée aux Nayoth de Rama. 24 Lui aussi se dépouilla de ses vêtements et il fut en transe, lui aussi, devant Samuel. Puis, nu, il s’écroula et resta ainsi toute la journée et toute la nuit. Voilà pourquoi on dit : « Saül est-il aussi parmi les prophètes ? »

On peut à ce titre observer que le récit de la première Pentecôte, qui représente le moment d’envoi de l’Eglise chrétienne en mission dans le monde à partir de Jérusalem, dans le livre des Actes des apôtres, comporte une dimension extatique évidente:

Actes 2,1-13:
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; 3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux4 Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.5
Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. 6 A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. 7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient : « Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens ? 8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? 9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, 10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, 11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu. » 12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » 13 D’autres s’esclaffaient : « Ils sont pleins de vin doux. »

Sur les questions du lien entre transe, addiction et spiritualité, je renvoie aux vidéos sur YouTube du professeur honoraire d’addictologie psychiatrique à l’Université de Lausanne, Jacques Besson:
1) La CONSCIENCE, moteur de la prochaine RÉVOLUTION COPERNICIENNE? (EMI, spiritualité) | Jacques Besson (youtube.com)
2) Jacques Besson ; Médecine, spiritualité, enthéogènes, exorcisme, emi (youtube.com)
3) La SCIENCE et la SPIRITUALITÉ sont-elles compatibles ? (Ésotérisme, religion) | Jacques Besson (youtube.com)

3. Le prophétisme fondateur (environ 1500-1000 av. J.-C.)

Très différent du prophétisme extatique est le prophétisme fondateur, ou originaire, du peuple et de la nation d’Israël, qui s’exprime en la personne de Moïse, le personnage clef des quatre derniers livres du Pentateuque (Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome), après le premier livre de la Genèse, qui raconte l’histoire des débuts de l’humanité et des patriarches. Le livre du Deutéronome (du grec: deuxième version de la Loi), qui clôture cette première partie de la Bible juive, se termine par le récit de la mort de Moïse, dont les dernières paroles comportent une des rares mentions de Moïse en tant que prophète:

Deutéronome 34,8-12:
8 Les fils d’Israël pleurèrent Moïse dans les vallons de Moab pendant trente jours. Puis les jours de pleurs pour le deuil de Moïse s’achevèrent ; 9 Josué, fils de Noun, était rempli d’un esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains ; et les fils d’Israël l’écoutèrent, pour agir suivant les ordres que le SEIGNEUR avait donnés à Moïse. 10 Plus jamais en Israël ne s’est levé un prophète [hébreu: navi] comme Moïse, lui que le SEIGNEUR connaissait face à face11 lui que le SEIGNEUR avait envoyé accomplir tous ces signes et tous ces prodiges dans le pays d’Egypte devant le Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays, 12 ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant toute cette grande terreur, sous les yeux de tout Israël.

Ce prophétisme fondateur est beaucoup plus structuré que le prophétisme extatique, et donc aussi plus récent que le prophétisme extatique, malgré son placement antérieur selon la chronologie du récit biblique tel que nous la connaissons. Ce prophétisme fondateur représente cependant un stade antérieur aux prophétisme contestataire. Il se caractérise par une absence de distinction entre la fonction prophétique et la fonction politique. Le prophète qui parle au nom de Dieu est en même temps le chef du peuple juif en marche vers la Terre promise. Les fonctions prophétique, politique, judiciaire et militaire étant condensées dans la personne de Moïse, aucune contestation n’est possible de son omnipotence directement inspirée de son intimité avec Dieu. Nous avons là le modèle d’un système politique autoritaire lié à une religion théocratique. Toute critique de Moïse, même au sein de sa propre famille, est sévèrement punie:

Nombres 12,1-16:
Moïse seul médiateur:
1 quand Miryam – et de même Aaron – critiqua Moïse à cause de la femme nubienne qu’il avait épousée ; car il avait épousé une Nubienne. 2 Ils dirent : « Est-ce donc à Moïse seul que le SEIGNEUR a parlé ? Ne nous a-t-il pas parlé à nous aussi ? » Et le SEIGNEUR l’entendit. 3 Moïse était un homme très humble, plus qu’aucun homme sur terre. 4 Soudain, le SEIGNEUR dit à Moïse, Aaron et Miryam : « Allez tous les trois à la tente de la rencontre. » Ils y allèrent tous les trois. 5 Le SEIGNEUR descendit dans une colonne de nuée et se tint à l’entrée de la tente ; il appela Aaron et Miryam et tous deux s’avancèrent. 6 Il dit : « Ecoutez donc mes paroles : S’il y a parmi vous un prophète [hébreu: navi], c’est par une vision que moi, le SEIGNEUR, je me fais connaître à lui, c’est dans un songe que je lui parle. 7 Il n’en va pas de même pour mon serviteur Moïse, lui qui est mon homme de confiance pour toute ma maison : 8 je lui parle de vive voix – en me faisant voir – et non en langage caché ; il voit la forme du SEIGNEUR. Comment donc osez-vous critiquer mon serviteur Moïse ? »
9 Le SEIGNEUR s’enflamma de colère contre eux et s’en alla. 10 La nuée se retira de dessus la tente et voilà que Miryam avait la lèpre : elle était blanche comme la neige. Aaron se tourna vers elle et vit qu’elle avait la lèpre. 11 Il dit à Moïse : « Oh ! mon seigneur, je t’en prie, ne fais pas retomber sur nous le péché que nous avons commis, insensés et pécheurs que nous sommes ! 12 Oh ! que Miryam ne devienne pas comme l’enfant mort-né dont la chair est à moitié rongée lorsqu’il sort du sein de sa mère ! » 13 Moïse cria vers le SEIGNEUR : « O Dieu, daigne la guérir ! » 14 Et le SEIGNEUR dit à Moïse : « Si son père lui avait craché au visage, ne serait-elle pas couverte de honte pendant sept jours ? Qu’elle soit donc exclue du camp pendant sept jours ; après quoi elle reprendra sa place. » 15 On exclut donc Miryam du camp pendant sept jours et le peuple ne partit pas avant qu’elle eût repris sa place. 16 Après quoi, le peuple partit de Hacéroth et ils campèrent dans le désert de Parân.

Cette domination est même si extrême, si parfaitement accomplie en Moïse, qu’on peut se demander si un tel système hiérarchique a pu exister un jour, ou s’il s’agit d’une vision idéale du médiateur divin sur Terre, qui n’a jamais existé, mais a été littérairement composée afin d’établir un fondement historique et religieux stable justifiant la réunification centralisée des douze tribus d’Israël autour de la Loi de Moïse, la Thorah.

4. Le prophétisme contestataire d’avant l’Exil à Babylone (XIe au VIe s. avant J.-C.)

La concentration du pouvoir en une seule personne ou instance ayant tendance à résister à toute évolution revendiquée par une contestation sociale, le prophétisme juif s’est progressivement transformé en un mouvement contestataire des deux formes conjointes du pouvoir religieux et politique dans les royaumes de Juda et d’Israël du Xe au VIe siècle avant J.-C., la prêtrise du Temple et la royauté du palais. Il s’agit là du prophétisme le plus classique, le plus développé et le plus connu de la Bible juive, que l’on peut décrire, en termes modernes, comme un prophétisme « de gauche »:

Critique du roi ou du culte, dénonciation du péché du peuple, annonce de sa punition ou de sa restauration, du malheur ou du salut, promesses messianiques ou visions apocalyptiques sont autant de manifestations de la prophétie dans la tradition religieuse hébraïque. [1,1210]

Les prophètes eurent à souffrir de la part de toutes les couches de la société. […] Cependant le témoignage le plus clair de l’appui que la société a donné au prophète se manifeste dans l’existence de leurs livres, fruit du travail patient de leurs disciples et rédacteurs. [2,945]

Cependant, l’âge d’or de la prophétie est le VIIIe siècle [avant JC] avec Amos, Osée, Esaïe et Michée. Leur action s’étend dans tous les domaines:
– Dénonciation de l’idolâtrie et du culte mensonger de YHVH.
– Orientation de la politique intérieure et extérieure.
– Exhortation à la pratique de la justice sociale.
Après une période de silence, la prophétie réapparaît avec vigueur à la fin du VIIe siècle et au début du VIe, quand le royaume de Juda s’achemine vers la catastrophe (Sophonie, Habaquq, Jérémie, Ezéchiel) [= le siège, la prise et l’incendie de Jérusalem par Nabuchodonosor et la déportation de la population juive à Babylone].
Avec l’exile à Babylone s’achève ce que l’on appelle généralement la prophétie de « malheur », ou de « condamnation ». L’expression appelle des réserves mais il est clair que les prophètes antérieurs à l’exil se préoccupent surtout de dénoncer et condamner les nombreuses fautes qu’ils relèvent dans la société de leur temps. [2,946]

Plusieurs textes de la Bible juive définissent clairement les principes théologiques et sociologiques du prophétisme classique d’Israël, que l’on peut énoncer ainsi:
1) La parole que Yahweh adresse au prophète se distingue de la parole d’autres dieux. Cette distinction fondamentale implique qu’il existe une vraie et une fausse religion. Le professeur d’égyptologie à Heidelberg, Jan Assmann (1938-2024), a montré dans deux ouvrages célèbres que cette « Distinction mosaïque » , qui oppose la religion égyptienne (fausse) à la religion juive (vraie), est à l’origine d’une rupture radicale qui est source de violence : Jan Assmann, Moïse l’Egyptien. Un essai d’histoire de la mémoire (1997), Paris, Aubier, 2001; Jan Assmann, Le monothéisme et le langage de la violence. Les débuts bibliques de la religion radicale (2006), Bayard, 2018.
2) Le prophète est investi d’un devoir à la fois religieux et éthique : il doit avertir celui dont la conduite est mauvaise des conséquences radicales de son péché. Le prophétisme classique juif est ainsi une des origines de la notion moderne de responsabilité (Voir ci-dessous le texte Ezéchiel 3,16-21).
3) La vérification de l’authenticité d’un prophète est la réalisation de sa parole prophétique, qui indique que Yahweh a été son inspirateur (Voir ci-dessous le texte Deutéronome 18,14-22).

Livre du prophète Ezéchiel 3,16-21:
Le prophète guetteur:
16 A la fin des sept jours, il y eut une parole du SEIGNEUR pour moi.
17 « Fils d’homme, je t’établis guetteur pour la maison d’Israël ; quand tu entendras une parole venant de ma bouche, tu les avertiras de ma part. 
18 Si je dis au méchant : “Tu vas mourir”, et si tu ne l’avertis pas, si tu ne parles pas au méchant pour le mettre en garde contre sa mauvaise conduite, afin qu’il vive, il mourra de son péché mais c’est à toi que je demanderai compte de son sang. 19 Par contre, si tu avertis le méchant et qu’il ne se détourne pas de sa méchanceté et de sa mauvaise conduite, lui mourra de son péché alors que toi, tu auras la vie sauve. 
20 Si un juste se détourne de sa justice et commet l’injustice, je le ferai trébucher : il mourra – c’est parce que tu ne l’auras pas averti qu’il mourra de son péché ; on ne se souviendra plus de la justice qu’il avait pratiquée ; mais c’est à toi que je demanderai compte de son sang. 21 En revanche, si tu avertis un juste pour que ce juste ne pèche pas, et qu’effectivement il ne pèche pas, il vivra car il a été averti, et toi, tu auras la vie sauve. »

Deutéronome 18,14-22:
Origine et fonction du prophète:
14 Ces nations que tu déposséderas écoutent ceux qui pratiquent l’incantation et consultent les oracles.
Mais pour toi, il n’en sera pas de même, ainsi que l’a établi le SEIGNEUR ton Dieu : 15 c’est un prophète [hébreu : navi] comme moi que le SEIGNEUR ton Dieu te suscitera du milieu de toi, d’entre tes frères ; c’est lui que vous écouterez. […].
19 Et si quelqu’un n’écoute pas mes paroles, celles que le prophète aura dites en mon nom, alors moi-même je lui en demanderai compte. 20 Mais si le prophète, lui, a la présomption de dire en mon nom une parole que je ne lui aurai pas ordonné de dire, ou s’il parle au nom d’autres dieux, alors c’est le prophète qui mourra. »
21 Peut-être te demanderas-tu : « Comment reconnaîtrons-nous que ce n’est pas une parole dite par le SEIGNEUR ? » 22 Si ce que le prophète a dit au nom du SEIGNEUR ne se produit pas, si cela n’arrive pas, alors ce n’est pas une parole dite par le SEIGNEUR, c’est par présomption que le prophète l’a dite. Tu ne dois pas en avoir peur !

5. La crise du prophétisme après l’Exil à Babylone (587-538 avant J.-C.)

L’expérience de l’Exil à Babylone est sans doute l’expérience la plus marquante et la plus troublante vécue par le peuple juif durant la période biblique. Cet exil dure depuis le siège, la prise et l’incendie de Jérusalem, la destruction du Temple et la déportation de la population juive à Babylone, en 587, jusqu’au retour d’Exil autorisé par l’Edit de Cyrus, en 538 avant J.-C (donc 60 ans avant la naissance du philosophe Socrate à Athènes, pour se situer). Le prophétisme d’après l’exil comporte un aspect positif général, qui n’empêchera pas sa crise profonde liée au nouveau contexte culturel et politique:

Avec l’exil à Babylone commence ce que l’on appelle « la prophétie du salut ». Les anciennes menaces ont été accomplies [par la déportation à Babylone]. Maintenant Dieu annonce le pardon. Les paroles de Jérémie: « Ton avenir est plein d’espérance » (Jr 31,17) pourraient résumer le message des prophètes d’après l’exile. [2,946].

On admet généralement que l’Exil a joué un rôle important dans la fixation par écrit des traditions de l’Israël ancien. Le Temple étant détruit, le peuple déporté risquait en effet, une fois plongé dans la culture babylonienne, puis perse, à la croisée des chemins entre les influences hellénistiques à l’ouest et orientales à l’est, de perdre ses racines. Ce processus de canonisation des anciens prophètes d’avant l’Exil s’accompagne d’une crise du prophétisme postexilique, qui s’exprime notamment dans le livre du prophète Jonas.

Le livre du prophète Jonas

Jonas 3,10-4,2
Un Dieu qui déshonore la parole de son prophète:
10 Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.
1 Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha. 2 Il pria le SEIGNEUR et dit : « Ah ! SEIGNEUR ! n’est-ce pas précisément ce que je me disais quand je vivais sur mon terroir ? Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir à Tarsis. Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal. 

A plusieurs titres, le livre du prophète Jonas, qui a été intégré dans la liste des douze petits prophètes, mais qui date vraisemblablement de la période postexilique (contrairement à ceux des autres prophètes, le livre n’indique aucune indication chronologique), marque un tournant important dans la conception de la prophétie juive:
1) En n’accomplissant pas la menace prophétique proférée par Jonas (Jon 3,4: « Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous »), Dieu désavoue son prophète selon le principe du prophétisme classique (voir ci-dessus: Deutéronome 18,22), ce qui expose Jonas à la honte d’être perçu comme un faux prophète. Ce n’est donc pas seulement la mauvaise humeur de Jonas qui est en jeu, comme on le croit souvent, mais sa légitimité d’authentique prophète de Yahweh.
2) La prophétie juive s’adresse désormais à des populations non-juives, dans l’espace culturel élargi du monde perse, lesquelles se montrent réceptives à la prédication prophétique et se convertissent.
3) Le prophète lui-même peine à accepter l’attitude de Dieu, tout autant que les destinataires de sa prophétie. Le prophète juif n’est plus un héros infaillible de la parole divine, il est un homme ordinaire, aussi problématique que tout autre homme du monde.

Le Dieu de Joël, comme celui de Jonas, est un Dieu qui peut revenir, un Dieu qui change. Il ne s’agit plus simplement de penser au caractère miséricordieux de YHWH, qui peut, par exemple, prévenir le mal ou adoucir la peine, ou même renouveler le don de son alliance après avoir lourdement puni les fautifs.
L’auteur [du livre de Jonas] nous donne vraisemblablement l’énoncé d’une sorte de constatation générale de l’histoire: des grandes condamnations prophétiques sont restées sans effet, comme de grandes libérations promises. Déjà sont suggérés des motifs théologiques à la fois admis par tous en Juda-Israël et pourtant non acceptés dans leurs conséquences à l’égard du reste du monde et de l’histoire. On vit encore de la logique deutéronomiste [des anciens prophètes] qui voulait qu’un prophète dont l’oracle n’est pas accompli soit un « faux-prophète ». [3,91]

Sa parole [de Jonas] est au service de celle d’un Dieu qu’on ne peut plus comprendre qu’après interprétation. La liberté de Dieu sanctionne la liberté qu’il a laissée aux destinataires de sa propre parole.
Elle ne « prédit » plus rien. Elle annonce un possible qui peut déterminer la mort ou le salut; elle doit, dans l’incertitude, décider d’une conduite à l’image de celle que l’on espère de Dieu, un changement fondamental qui se traduit par un « retour ». […].
Il n’y plus moyen de savoir s’il ne changera pas. C’est même à l’intérieur de cette question que s’exprime la fonction du prophète en Israël.
Que signifie le fait d’un Dieu cosmique ou universel, dont la parole peut annoncer le contraire de ce qu’elle dit, dont les prophètes ne sont plus que des avertisseurs d’un avenir inconnu ? Quelle sera la juste lecture du corpus prophétique [l’ensemble des livres des prophètes] si le Dieu dont il témoigne est un Dieu qui change et qui donc peut se contredire puisque son pouvoir universel peut aller jusque-là ?
Eh bien Jonas en a mal au cœur et mal à la tête: ne renie-t-il pas ce qui le fait « ben ‘amittay », « fils de justice » ? [3,92]

Dit autrement, étant donné que l’accomplissement de la prophétie dépend de la manière dont ses destinataires reçoivent son avertissement, il n’est plus possible de prédire l’avenir, qui dépend des nombreux choix humains. La prophétie n’annonce plus rien, ce qui remet en question tous les livres des prophètes antérieurs. Contrairement à l’ancienne prophétie préexilique, qui devait se réaliser pour être authentique (Deutéronome 18,22), cette nouvelle prophétie postexilique peut être vraie même si sa menace ne s’accomplit pas. A Ninive, il ne se passe rien, la menace de Jonas semble insignifiante.

La scène de la tempête est d’une importance capitale pour l’ensemble du récit ; elle est aussi la plus longue, plus riche en détails que les autres, plus travaillée qu’elles. Elle permet de mesurer le chemin que Jonas a dû parcourir avant de se résigner à la mission funeste que Dieu lui avait réservée, avant d’admettre que Dieu exterminât la grande ville. Au prix d’une expérience douloureuse – fuite, isolement, séjour dans les ténèbres de la mort – il avait modifié sa conception de Dieu, il s’était enfin soumis à ses projets. Et voilà qu’il [Jonas] constate que Dieu revient en arrière, qu’il change d’avis, qu’il trompe son prophète, qu’il le désavoue après l’avoir obligé à prêcher un message qu’il n’approuvait pas. Dieu, clément envers tous les hommes, et envers les habitants de Ninive en particulier, est méchant, arbitraire, injuste envers un seul : son prophète. La prière de Jonas se résume en une seule requête : mourir. [6,267-268]

6. L’universalisation et la dramatisation de la prophétie dans les apocalypses juives (lors des 5 siècles avant J.-C.)

En résumé, après le retour d’exil autorisé par l’édit du roi de Perse Cyrus, en 538 avant J.-C., permettant aux juifs de Babylonie de retourner à Jérusalem sous la conduite de Sheshbaçar, le peuple d’Israël ne retrouvera jamais son indépendance nationale, jusqu’en 1948 de notre ère. La Judée fait dès lors partie de la satrapie (= province perse) de Transeuphratène. Cette nouvelle situation politique et culturelle, dans un monde hellénisé désormais cosmopolite, a deux conséquences théologiques:

1) La prophétie classique ne pouvant plus espérer un rétablissement de l’indépendance nationale d’Israël à court ou moyen terme, l’accomplissement des prophéties est progressivement reporté à la fin des temps, et la prophétie se transforme progressivement en un message apocalyptique, qui annonce l’ultime rétablissement d’Israël suite à la victoire universelle du Messie de la fin contre l’oppression des nations païennes. Ce type de prophétie, qui reporte la délivrance divine à un avenir très lointain, comporte un aspect sinistre et désespérant, le présent n’ayant plus de consistance théologique.

2) Les penseurs juifs s’ouvrent à l’enseignement d’une sagesse universelle liée à la foi juive, qui donne naissance à la troisième partie du canon de la Bible juive: la littérature de sagesse qui comprend notamment les Psaumes, Job, l’Ecclésiaste, les Proverbes, le Cantique des cantiques, Esther, Daniel, etc.

Pour les Juifs d’après l’Exil, Dieu devient silencieux, lointain, caché, on pourrait presque dire passif. Il a agi et parlé autrefois. Il agira et parlera dans le futur, lorsque viendra « le jour du Seigneur ». Aujourd’hui, il laisse faire et se tait. Du coup, l’obéissance qu’on lui doit prend une forme très juridique. Elle ne consiste pas à répondre positivement aux initiatives et aux impulsions actuelles de Dieu, mais à respecter scrupuleusement sa volonté codifiée dans une loi ancienne. Comme l’écrit Bultmann, pour le judaïsme postexilique, « le peuple élu n’est pas appelé à jouer un rôle historique, mais à être un ‘peuple saint’ séparé des préoccupations et des idéaux du monde ». [5,189]

A partir du Ve siècle avant J.-C., la prophétie s’essouffle jusqu’à disparaître complètement. Plusieurs explications en sont proposées. Certains pensent qu’elle avait échoué vers l’apocalyptique. D’autres partent de la sociologie: le rôle du prophète en serait arrivé à ne plus être reconnu par le peuple. Selon D. S. Russel (1964), les causes les plus importantes furent:
1) La canonisation de la Loi (Pentateuque), qui offrait la parole de Dieu sans qu’un prophète fût nécessaire.
2) L’appauvrissement de la thématique prophétique, devenue trop centrée sur un avenir lointain et peu capable de parler du présent à la manière incisive des anciens prophètes.
3) Le pullulement croissant des religions de salut, de leurs mages et devins qui le peuple identifie souvent avec les prophètes. [2,946]

Le titre donné au dernier livre de la Bible [chrétienne], l’Apocalypse de Jean, signifie « révélation« , « dévoilement« , (grec: apocalupsis) du dessein caché de Dieu pour le monde et son avenir à un prophète chrétien du nom de « Jean ». Déjà le livre de Daniel [dans la Bible juive] désignait Dieu comme le « révélateur des mystères » des temps à venir (Dn 2,28-29.42).
Dans la théologie moderne, on emploie parfois l’adjectif « apocalyptique » au sens d’un substantif, l’apocalyptique, pour désigner non seulement un genre littéraire, mais une vision du monde, voire un courant historique.
Cette structure de pensée qu’on trouve dans certains passages des livres prophétiques de l’Ancien Testament [= La Bible juive] (en particulier en Esaïe 24-37 ; Ezéchiel 37-48 ; Zacharie 9-14 ; Joël et Daniel 7-12), dans la littérature intertestamentaire [= durant la période entre la fin de l’Ancien et le début du Nouveau Testament], mais aussi dans le Nouveau Testament (cf. l’Apocalypse dite synoptique en Marc 13 et ses parallèles en Matthieu et Luc), est caractérisée par six traits principaux:
1. Discours relatant des visions.
2. Périodisation de l’histoire.
3. Expérience de l’oppression et exhortations à « tenir » jusqu’au bout.
4. Pseudonymie de l’auteur qui cache sa véritable identité derrière celle d’un personnage du passé (Hénoch par exemple).
5. Langage symbolique et chiffré.
6. Caractère composite de ces œuvres attestant une époque de transition culturelle. [1,42-43]

Ces différentes caractéristiques de la prophétie apocalyptique sont réunies dans le livre du prophète Daniel, qui date du IIe siècle avant J.-C., dont est fortement inspirée l’Apocalypse chrétienne de Jean, qui clôture le Nouveau Testament. Je ne présente ici que quelques extraits des visions messianiques de Daniel, qui se caractérisent par l’attrait fascinant d’un langage à la fois secret, grandiose et dramatique.

Daniel 9,20-27:
Les soixante-dix septénaires d’années:
20 Je parlais encore, priant et confessant mon péché et le péché de mon peuple Israël, déposant ma supplication devant le SEIGNEUR mon Dieu, au sujet de la montagne sainte de mon Dieu ; 21 je parlais encore en prière, quand Gabriel, cet homme que j’avais vu précédemment dans la vision, s’approcha de moi d’un vol rapide au moment de l’oblation du soir. 22 Il m’instruisit et me dit : « Daniel, maintenant je suis sorti pour te conférer l’intelligence. 23 Au début de tes supplications a surgi une parole et je suis venu te l’annoncer, car tu es l’homme des prédilections ! Comprends la parole et aie l’intelligence de la vision !
24 Il a été fixé soixante-dix septénaires sur ton peuple et sur ta ville sainte, pour faire cesser la perversité et mettre un terme au péché, pour absoudre la faute et amener la justice éternelle, pour sceller vision et prophète et pour oindre un Saint des Saints.
25 « Sache donc et comprends : Depuis le surgissement d’une parole en vue de la reconstruction de Jérusalem, jusqu’à un messie-chef, il y aura sept septénaires. Pendant soixante-deux septénaires, places et fossés seront rebâtis, mais dans la détresse des temps. 26 Et après soixante-deux septénaires, un oint sera retranché, mais non pas pour lui-même. Quant à la ville et au sanctuaire, le peuple d’un chef à venir les détruira ; mais sa fin viendra dans un déferlement, et jusqu’à la fin de la guerre seront décrétées des dévastations. 27 Il imposera une alliance à une multitude pendant un septénaire, et pendant la moitié du septénaire, il fera cesser sacrifice et oblation ; sur l’aile des abominations, il y aura un dévastateur et cela, jusqu’à ce que l’anéantissement décrété fonde sur le dévastateur. »

Daniel 12,1-13:
Partie terminale de la grande vision finale:
1 En ce temps-là se dressera Michel, le grand Prince, lui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Ce sera un temps d’angoisse tel qu’il n’en est pas advenu depuis qu’il existe une nation jusqu’à ce temps-là. En ce temps-là, ton peuple en réchappera, quiconque se trouvera inscrit dans le Livre.
2 Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle. 3 Et les gens réfléchis resplendiront, comme la splendeur du firmament, eux qui ont rendu la multitude juste, comme les étoiles à tout jamais.
4 Quant à toi, Daniel, garde secrètes ces paroles et scelle le Livre jusqu’au temps de la fin. La multitude sera perplexe mais la connaissance augmentera. »
5 Et moi, Daniel, je regardai, et voici que deux autres hommes se tenaient là, l’un sur une rive du fleuve et l’autre sur l’autre rive. 6 On dit à l’homme vêtu de lin qui se trouvait au-dessus des eaux du fleuve : « Quand viendra la fin de ces choses étonnantes ? » 7 J’entendis l’homme vêtu de lin qui était au-dessus des eaux du fleuve ; il leva vers le ciel la main droite et la main gauche, et il fit ce serment par Celui-qui-vit-à-jamais : « Ce sera pour une période, deux périodes et une demi-période ; lorsque la force du peuple saint sera entièrement brisée, toutes ces choses s’achèveront. »
8 J’entendis mais ne compris pas et je dis : « Monseigneur, quel sera le terme de ces choses ? » 9 Il dit : « Va, Daniel, car ces paroles sont tenues secrètes et scellées jusqu’au temps de la fin10 Une multitude sera purifiée, blanchie et affinée. Les impies agiront avec impiété. Aucun impie ne comprendra, mais les gens réfléchis comprendront. 11 A partir du temps où cessera le sacrifice perpétuel et où sera placée l’abomination dévastatrice il y aura mille deux cent quatre-vingt-dix jours12 Heureux celui qui attendra et qui parviendra à mille trois cent trente-cinq jours ! 13 Toi, va jusqu’à la fin. Tu auras du repos et tu te lèveras pour recevoir ton lot à la fin des jours. »

7. L’appropriation chrétienne de la prophétie juive

Pour le christianisme primitif, les promesses de l’Ancien Testament sont « accomplies, c’est-à-dire reprises, actualisées et vérifiées dans la figure du prophète eschatologique: Jésus. [1,1210]

Les textes du Nouveau Testament identifient de façon très libre certains passages de la Bible juive à des événements de la vie, de la mort ou de la résurrection de Jésus, produisant parfois un phénomène de survalorisation et de sur-adaptation de textes hébreux ou grecs n’ayant pas grand rapport avec l’avènement messianique. A titre d’exemple, la femme vierge qui donne naissance à l’Emmanuel dans les récits de la Nativité dans l’Evangile de Matthieu n’a pas grand rapport avec l’épouse royale du roi Akhaz et le fait divers dont il est question dans le livre d’Esaïe [4,notes en pages 653 et 2098]:

Livre du prophète Esaïe 7,10-17:
10 Le SEIGNEUR parla encore à Akhaz en ces termes : 11 « Demande un signe pour toi au SEIGNEUR ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut. » 12 Akhaz répondit : « Je n’en demanderai pas et je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l’épreuve. »
13 Il dit alors : Ecoutez donc, maison de David !
Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes,
que vous fatiguiez aussi mon Dieu ?
14 Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe :
Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils
et elle lui donnera le nom d’Emmanuel
.
15 De crème et de miel il se nourrira,
sachant rejeter le mal et choisir le bien.
16 Avant même que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
elle sera abandonnée, la terre dont tu crains les deux rois.
17 Le SEIGNEUR fera venir sur toi,
sur ton peuple et sur la maison de ton père,
des jours tels qu’il n’en est pas venu
depuis qu’Ephraïm s’est détaché de Juda
– le roi d’Assyrie.

Note de la Bible TOB: Le signe que donne le Seigneur lui-même est donc la naissance d’un garçon. La jeune femme dont il s’agit ici est probablement LA jeune femme par excellence, c’est-à-dire l’épouse royale, qui est désignée de même dans certains textes plus anciens d’Ougarit. Cette explication paraît en tous cas préférable à celles qui voient ici n’importe quelle jeune femme alors enceinte du royaume de Juda ou encore l’épouse d’Esaïe lui-même. L’oracle s’adresse, en effet, à la maison de David, dans une situation où la dynastie elle-même est en cause: il est donc normal que la naissance annoncée soit celle de l’héritier dynastique. – La tradition chrétienne ancienne, y compris l’orthodoxe, a privilégié la trad. gr. « parthenos », interprétée comme signifiant « vierge », et l’a appliquée à Marie, mère de Jésus. Mais l’ancienne version grecque a rendu également par le même mot « parthenos » les termes hébreux désignant une « jeune femme » (Gn 24,43; Es 7,14…) ou une « jeune fille » (Gn 24,14.16…).

Evangile de Matthieu 1,22-23:
21 et elle [Marie] enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » 22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».

Il est bien sûr possible de discuter de cas en cas la pertinence de l’appropriation par le christianisme des textes prophétiques juifs, ce qui dépasse le cadre de cet exposé. Toujours est-il que cette pratique parfois assez désinvolte des auteurs du Nouveau Testament n’est pas sans rapport avec la tendance, dans plusieurs milieux chrétiens, à identifier de façon audacieuse certains événements politiques du temps présent avec des prophéties du Nouveau Testament, notamment dans l’Apocalypse de Jean, avec pour but de démontrer que notre époque est bien celle de la fin du temps des nations et du retour du Christ.

8. La révolution prophétique dans le message de l’Evangile

L’action de Jésus rappelle celle d’Elie ou d’Elisée [par le lien entre prophétie et miracles], sa parole et l’effet qu’elle produit rappellent les prophéties du passé (Luc 24,19), lui-même s’y compare (Mt 13,57 par.; Lc 13,33), mais la différence est radicale: il ne dit plus « oracle de YHWH » mais « En vérité, en vérité je vous le dis« . Il invite à le suivre (akolouthein) et à croire en lui, ce qui est sans précédent.
Ceux que le sermon sur la montagne inscrit dans la continuité des prophètes sont tous les disciples (Mt 5,11). [2,946-947]

Jésus et ses disciples se qualifient réciproquement de prophètes, les foules également. Les disciples d’Emmaüs, en Luc 24, sont encore habités par l’espérance apocalyptique selon laquelle le Messie rétablira la royauté d’Israël à la fin des temps, mais cette espérance théologico-politique (théocratique), sera déçue par le prophète Jésus.

Evangile de Luc 24,18-21:
18 L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » – 19 « Quoi donc ? » leur dit-il. Ils lui répondirent : « Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ; 21 et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés. 

Evangile de Matthieu 5,10-12:
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux. 11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. 12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

Evangile de Matthieu 21,45-46:
45 En entendant ses paraboles, les grands prêtres et les Pharisiens comprirent que c’était d’eux qu’il parlait. 46 Ils cherchaient à l’arrêter, mais ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète.

Jésus, enfin, s’applique une fois le titre de prophète: « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, dans sa parenté et dans sa maison » (Marc 6,4). [7,883].

Mais l’aspect le plus important de la révolution prophétique opérée par Jésus est le fait qu’il déclare que l’esprit de la prophétie repose sur lui, de sorte qu’en lui sont accomplies les prophéties messianiques dans le présent de l’aujourd’hui. Jésus renverse et réalise à la fois l’apocalyptique en accomplissant dans le présent la promesse de l’avènement du Royaume de Dieu qui était repoussée à la fin des temps.

Evangile de Luc 4,16-21:
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture. 17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit :
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce qu’il m’a conféré l’onction
[Es. 61,1 YHWH a fait de moi un messie (=un oint)]
pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération
et aux aveugles le retour à la vue,
renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. 21 Alors il commença à leur dire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »

Nous pouvons admettre que Jésus anticipe en sa personne la réalisation de l’histoire humaine, la destinée de l’homme prévue pour un avenir indéterminé. Telle est, fondamentalement, la substance de l’Evangile. L’accomplissement de la fin du monde à lieu dans le présent en sa personne. Jésus crée en sa personne la nouvelle humanité telle qu’elle sera admise dans le règne éternel de Dieu qui sera révélé à la fin des temps. Mais cette libération s’accomplit indépendamment de la victoire militaire sur rois impies (les Hérode) les empires historiques de l’Antiquité (l’Empire Romain).

Evangile de Marc 1,14-15 (et parallèles Mt 4,12-17 et Lc 4,14-15):
14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Evangile de Dieu et disait : 15 « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile. »

L’effet de l’Evangile consiste donc à dissocier l’accomplissement spirituel du Royaume de Dieu (le « tout est achevé/accompli » qu’il prononce sur la croix, selon l’Evangile de Jean 19,30) de l’accomplissement politique et militaire du Royaume de Dieu, qui est repoussé dans un avenir déterminé par l’achèvement historique de la prédication de l’Evangile aux nations, qui détermine le temps de ‘Eglise, afin de donner le temps aux gens des nations de se convertir à l’Evangile avant la fin:

Evangile de Matthieu 24,12-14:
12 Par suite de l’iniquité croissante, l’amour du grand nombre se refroidira ; 13 mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé14 Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier ; tous les païens auront là un témoignage. Et alors viendra la fin.

Evangile e Matthieu 28,18-20:
18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. 19 Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, 20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

Nous pouvons conclure que la prédication de Jésus a été un succès existentiel et spirituel, mais un échec politique assumé. En Jésus, l’action présente de Dieu dans la vie de chaque être humain, par la foi, est effective indépendamment de sa situation historique, que cette dernière soit favorable ou défavorable. Selon le vocabulaire de l’Evangile de Jean, la victoire sur le monde est déjà réalisée, mais encore invisible, soulignant notre position « zwischen den Zeiten« , entre les temps:

Evangile de Jean 16,33:
33 Je vous ai dit cela pour qu’en moi vous ayez la paix. En ce monde vous êtes dans la détresse, mais prenez courage, j’ai vaincu le monde ! »

9. La transformation de la prophétie du retour du Christ en spiritualité mystique chrétienne

L’Eglise chrétienne primitive, celle qui s’exprime dans les textes du Nouveau Testament, du temps des apôtres de Jérusalem et de l’apôtre Paul, croyait en un retour du Christ très proche dans le temps, de l’ordre d’une ou deux générations (voir à ce sujet la fin de l’Evangile de Jean, rapportée au point 10 ci-dessous). Il est probable que l’apôtre Paul s’imaginait qu’il parviendrait à achever l’évangélisation du monde, en se rendant notamment jusqu’en Espagne, à l’extrémité du monde connu d’alors (Rm 15,15-19):

Epître de Paul aux Colossiens 1,24-27:
24 Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et ce qu’il me reste personnellement à souffrir dans les épreuves du Christ, je l’achève en faveur de son corps qui est l’Eglise ; 25 j’en suis devenu le ministre en vertu de la charge que Dieu m’a confiée à votre égard : achever l’annonce de la parole de Dieu26 le mystère tenu caché tout au long des âges et que Dieu a manifesté maintenant à ses saints. 27 Il a voulu leur faire connaître quelles sont les richesses et la gloire de ce mystère parmi les païens : Christ au milieu de vous, l’espérance de la gloire !

Dans la même logique, l’apôtre Paul, supposant que « le temps est écourté », demande à chacune et chacun de demeurer « devant Dieu dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé » (1 Cor 7,24):

Première épître de Paul aux Corinthiens 7,29-31:
29 Voici ce que je dis, frères : le temps est écourté. Désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, 30 ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, 31 ceux qui tirent profit de ce monde comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car la figure de ce monde passe

Et pourtant, certains textes tardifs du Nouveau Testament attestent déjà qu’une prise de conscience se produit au sujet du « retard de la Parousie » et du rallongement du temps de l’Eglise, « zwischen den Zeiten« :

Deuxième épître de Pierre 3,8-13:
8 Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour9 Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion10 Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, jour où les cieux disparaîtront à grand fracas, où les éléments embrasés se dissoudront et où la terre et ses œuvres seront mises en jugement. 11 Puisque tout cela doit ainsi se dissoudre, quels hommes devez-vous être ! Quelle sainteté de vie ! Quel respect de Dieu ! 12 Vous qui attendez et qui hâtez la venue du jour de Dieu, jour où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront ! 13 Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite.

De manière générale, le retard de la Parousie a eu pour effet de transformer progressivement l’attente fervente du retour du Christ en une pratique de la mystique, à savoir une vie habitée par la présence spirituelle du Christ en lieu et place de sa présence physique. Au cours des siècles, se sont développées dans les différentes traditions ecclésiales de nombreuses approches de la mystique chrétienne, que l’on peut définir comme une expérience de la présence et de la contemplation intérieure du Christ du temps de son absence extérieure.

10. La transformation du martyr chrétien en spiritualité ascétique chrétienne

Une des manières les plus honorifiques de suivre et d’imiter le Christ, dans les trois premiers siècles de l’Eglise chrétienne, marqués par les persécutions fréquentes dans l’Empire Romain, était le martyr (du grec tardif martur, qui signifie témoin). La théologie du martyr est déjà très présente dans le Nouveau Testament, avec notamment le récit du martyr d’Etienne (Actes 7,54-60), et l’annonce du martyr de l’apôtre Pierre et vraisemblablement de celui de Jean, à la fin de l’Evangile de Jean:

Evangile de Jean 21,18-23:
18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu [Pierre] étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas. » 19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu ; et après cette parole, il lui dit : « Suis-moi. »
20 Pierre, s’étant retourné, vit derrière lui le disciple que Jésus aimait, celui qui, au cours du repas, s’était penché vers sa poitrine et qui avait dit : « Seigneur, qui est celui qui va te livrer ? » 21 Quand il le vit, Pierre dit à Jésus : « Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? » 22 Jésus lui répondit : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. » 23 C’est à partir de cette parole qu’on a répété parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. En réalité, Jésus ne lui avait pas dit qu’il ne mourrait pas, mais bien : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? »

Lors de la conversion de l’Empereur romain Constantin au christianisme, dans les premières décennies du IVe siècle, aux environs de 330 après J.-C., tout l’Empire est christianisé à sa suite et les persécutions cessent rapidement, rendant la théologie du martyr obsolète. Il n’est plus possible de glorifier le Christ par le martyr comme le firent les premiers apôtres. Par conséquent, la théologie du martyr, qui prive de la vie, va progressivement évoluer et être remplacée par une théologie de l’ascèse, qui consiste à se priver de la jouissance d’un bien terrestre, afin d’élever son âme vers Dieu en se détachant des plaisirs terrestres et de participer aux souffrances du Christ.

Ainsi, la théologie mystique (l’union à Christ) et la théologie ascétique (la privation pour le Christ) vont se combiner pour donner lieu aux multiples formes de spiritualités chrétiennes, plus ou moins mystiques et/ou ascétiques selon les lieux, les influences théologiques et les personnalités.

11. Les prophétismes à l’époque moderne

Ainsi, la prophétie juive, puis chrétienne, n’a cessé de se transformer au cours des âges, en s’adaptant aux nouvelles conditions historiques, sociales, géographiques, etc. De notre temps, dans le cadre du monde moderne sécularisé, les prophétismes peuvent être étendus au-delà de la stricte mission chrétienne. Au sens large, on pourrait à la rigueur parler d’un prophétisme démocratique, socialiste, marxiste, écologique, et au sens plus strictement théologique, d’un prophétisme charismatique, revivaliste ou libéral, etc.

12. La survie de la foi en un proche retour du Christ et la vision scientifique du monde

Dans les temps modernes, des mouvements chrétiens conservateurs se sont élevés à l’encontre des progrès modernes et notamment des sciences, accusées de contredire la Bible sur des points essentiels, touchant notamment à la Création. A titre d’exemple : La terre tourne-t-elle autour du soleil ? | Bibliothèque Réformée (biblioref.net).

Au niveau simplement chronologique, l’annonce prophétique d’un proche retour du Christ et d’une proche fin du monde dans les milieux fondamentalistes chrétiens, qui s’échelonne en dizaines ou centaines d’années, apparaît en contradiction avec les conceptions scientifiques de la cosmologie, qui situent l’âge et l’avenir de l’Univers, des étoiles, des planètes et de l’évolution biologique à l’échelle des milliards d’années. Une telle différence d’échelle dans les registres de la pensée rend le dialogue entre les conceptions fondamentalistes et scientifiques particulièrement difficile. D’autant plus qu’à l’opposition des échelles s’ajoute une opposition des valeurs. Selon les théologies fondamentalistes, les valeurs modernes sont en contradiction avec l’Evangile, tandis que selon les théologies libérales, les libertés et les progrès modernes se situent plutôt dans le sillage de l’Evangile, sans être toutefois à l’abri de toute critique.

Discussion en groupes

Chaque groupe est invité à reconstituer le survol de l’histoire du prophétisme judéo-chrétien en douze étapes schématiques. Cette reconstitution ne doit pas se faire d’une manière scolaire, mais elle doit servir de base pour nourrir la discussion.

Document PDF Survol prophétisme judéo-chrétien

Livres cités dans le texte

  1. Directeur d’Edition Pierre Gisel, Encyclopédie du protestantisme, Paris, Cerf, Genève, Labor et Fides, 1995
  2. Jean-Yves Lacoste, Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, Quadrige, 1998 (Il s’agit d’un dictionnaire de référence pour la théologie catholique).
  3. Corinne Lanoir et Françoise Smyth-Florentin, Le livre de Jonas, Commentaire de l’Ancien Testament XIe, Genève, Labor et Fides, 2021.
  4. Bible TOB avec Notes intégrales, Paris, cerf – Bibli’O, 2012.
  5. André Gounelle, Le dynamisme créateur de Dieu, Essai sur la Théologie du Process, Paris, Van Dieren Editeur, 2013.
  6. Carl-A. Keller, Jonas, in : E. Jacob, Carl-A. Keller, S. Amsler, Osée Joël Amos Abdias Jonas XIa. Commentaire de l’Ancien Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1965, Introduction, Le sens du livre, p.267-268.
  7. Edition établie sous la direction de Renaud Silly o.p., L’Ecole biblique de Jérusalem, Dictionnaire Jésus, Paris, Editions Robert Laffont, 2021.

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