Prédication : Comment lire intelligemment la Bible ?

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D’un Evangile biblique à l’autre, les enseignements et les épisodes de la vie de Jésus ne sont pas toujours disposés de la même manière ; et même s’ils l’étaient, ils ne nous permettraient pas de saisir exactement l’enseignement de Jésus, car souvent, les textes présentent des points de vue différents et complémentaires sur un même sujet. Ainsi, la Bible n’est pas privée de sens, mais il nous faut la lire avec intelligence et discernement, en réfléchissant à la manière la plus appropriée de nous en inspirer. Démonstration au travers de quelques exemples.

Evangile de Matthieu 18,15-22 – Correction fraternelle, prière commune et pardon entre frères

15 « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. 16 S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. 17 S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise, et s’il refuse d’écouter même l’Eglise, qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts. 18 En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel.

19 « Je vous le déclare encore, si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. 20 Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »

21 Alors Pierre s’approcha et lui dit : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? » 22 Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.

Evangile de Matthieu 20,17-28 – Troisième annonce de la Passion – Ambition et service

17 Sur le point de monter à Jérusalem, Jésus prit les Douze à part et leur dit en chemin : 18 « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort 19 et le livreront aux païens pour qu’ils se moquent de lui, le flagellent, le crucifient ; et, le troisième jour, il ressuscitera. »

20 Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui, avec ses fils, et elle se prosterna pour lui faire une demande. 21 Il lui dit : « Que veux-tu ? » – « Ordonne, lui dit-elle, que dans ton Royaume mes deux fils que voici siègent l’un à ta droite et l’autre à ta gauche. » 22 Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. » 23 Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder : ce sera donné à ceux pour qui mon Père l’a préparé. » 

24 Les dix, qui avaient entendu, s’indignèrent contre les deux frères. 25 Mais Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez, les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. 26 Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur, 27 et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave. 28 C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Premier livre des Maccabées 4,36-54 – La purification du Temple

Pour mémoire : Les livres des Maccabées font partie du canon de la Bible catholique, mais ne font pas partie traditionnellement des Bibles protestantes. Leur lecture est essentielle pour la connaissance de l’époque inter-testamentaire, en contexte hellénistique.

36 Judas et ses frères se dirent alors : « Maintenant que nos ennemis sont vaincus, montons à Jérusalem pour purifier le temple et le rétablir dans son service de Dieu. » 37 Tous les soldats se rassemblèrent et ils montèrent sur la montagne de Sion. 38 Ils virent le temple déserté, l’autel profané et les portes brûlées ; il y avait de jeunes pousses d’arbres dans les cours, comme dans les bois ou sur les montagnes ; les salles étaient détruites. 39 Alors ils déchirèrent leurs vêtements, poussèrent de longues lamentations et ils couvrirent leur tête de cendre. 40 Ils se jetèrent face contre terre et, au signal donné par la trompette, ils adressèrent à Dieu leurs prières.

41 Ensuite, Judas ordonna à certains de ses soldats d’attaquer les défenseurs de la forteresse, tandis que lui-même s’occupait de purifier le temple. 42 Il choisit des prêtres irréprochables et attachés à la loi de Moïse. 43 Ils purifièrent le temple et ils transportèrent les pierres souillées dans un lieu impur. 44 On se demanda ce qu’il fallait faire de l’autel des sacrifices que les païens avaient profané. 45 Il leur vint la bonne idée de le détruire pour que la souillure que les païens lui avaient faite ne tourne pas à leur honte. Ils démolirent donc cet autel 46 et ils placèrent ses pierres dans un lieu convenable sur la colline du temple. Elles resteraient là jusqu’au moment où un prophète viendrait dire ce qu’il fallait en faire. 47 Ils prirent des pierres non taillées, comme l’exigeait la Loi, et ils bâtirent un autel nouveau semblable à l’ancien. 48 Ils réparèrent le temple, en restaurèrent l’intérieur et les cours et ils le mirent à part pour Dieu. 49 Ils fabriquèrent de nouveaux objets de culte et ils installèrent à l’intérieur du temple le porte-lampes, l’autel des parfums et la table pour les pains offerts à Dieu. 

50 Ils firent brûler du parfum sur l’autel et ils allumèrent les lampes sur leur support pour qu’elles éclairent l’intérieur du temple. 51 Ils déposèrent des pains sur la table et ils tendirent les rideaux. Ainsi, ils terminèrent tous les travaux qu’ils avaient commencés. 52 Le vingt-cinquième jour du neuvième mois, ou mois de Kisleu, en l’année 148, au petit matin, les Juifs 53 offrirent un sacrifice, conformément à la loi de Moïse, sur le nouvel autel qu’ils avaient bâti. 54 À la date précise où les païens avaient profané l’autel, le nouvel autel fut inauguré au son des cantiques, des lyres et autres instruments à cordes et des cymbales.

Prédication du 10 mars 2024 à Orvin, dans le Jura bernois, en Suisse

Similarités et différences entre les Evangiles bibliques

En raison des grandes similarités de leurs textes, qui se ressemblent parfois à la phrase près, ou même au mot près, nous savons que les trois évangélistes Marc, Matthieu et Luc ont puisé dans les mêmes sources littéraires pour écrire leurs trois Evangiles, qui ont été rassemblés bien plus tard dans le Nouveau Testament. Pour plusieurs raisons liées à ces similarités, et notamment parce que l’Evangile de Marc est plus court, il quasiment certain que Matthieu et Luc avaient dans leurs mains cet Evangile de Marc lorsqu’ils ont écrit leurs propres Evangiles, en y ajoutant plusieurs discours de Jésus qui manquent chez Marc.

Dans les passages qui nous concernent en particulier, nous constatons que Matthieu (ch.20-21) a suivi l’ordre des textes de Marc (ch.10-11) en plaçant le récit de la demande prétentieuse de la mère des fils de Zébédée, Jacques et Jean (que ses fils soient assis à droite et à gauche de Jésus dans les cieux), juste après la troisième annonce de sa passion par Jésus, et juste avant son entrée à Jérusalem.

En revanche, Luc n’a pas du tout suivi Marc dans ce cas : Il a exclu l’histoire des fils de Zébédée de son Evangile, et n’a conservé que la « morale » de l’histoire selon Jésus, que « celui qui commande [doit prendre] la place de celui qui sert » (Lc 22,26). Et Luc a placé cet enseignement après l’entrée de Jésus à Jérusalem, et même après son dernier repas.

Nous aboutissons à une première conclusion : Les évangélistes ont eu à leur disposition des textes sur Jésus qu’ils ont ensuite sélectionnés et arrangés chacun à leur manière.

discours thématiques de l’Evangile de Matthieu et applications

A cela s’ajoute une autre observation importante : En analysant l’ordre des paroles et des activités de Jésus dans l’Evangile de Matthieu, on constate que cet évangéliste a rassemblé les paroles de Jésus en cinq grands discours qui n’existent pas sous cette forme chez Marc et Luc. Puis, à la suite de chaque discours, Matthieu a rassemblé des épisodes de la vie de Jésus en rapport avec leur thème. En ce qui nous concerne, le discours de Jésus sur les relations communautaires, au chapitre 18 de l’Evangile de Matthieu, sert d’introduction à l’épisode des fils de Zébédée, qui décrit en effet un conflit relationnel lié à l’honneur.

Les discours thématiques de Jésus rassemblés par Matthieu sont très utiles car ils nous permettent de comparer ses enseignements sur des thèmes semblables : Les paroles de Jésus ainsi réunies présentent différents aspects du même sujet, qui ne sont pas toujours facilement compatibles entre eux. Par exemple, le passage qui nous concerne (Mt 18,15-22) est composé de trois textes indépendants qui traitent des relations fraternelles :

Le premier (v.15-18), unique en son genre dans les Evangiles, traite des « corrections fraternelles ». Jésus explique que si quelqu’un se comporte mal, il faut lui adresser des reproches, d’abord en aparté, puis en présence de deux ou trois témoins, et enfin publiquement devant l’Eglise, et seulement alors, s’il ne reconnait pas ses torts, l’exclure.

Le deuxième texte, très court (v.19-20), affirme que si deux personnes s’accordent sur un sujet de prière, Jésus leur promet sa présence, et Dieu le Père accède à leur demande. Enfin, dans le troisième texte (v.21-22), Jésus affirme qu’il faut pardonner ses torts à son prochain non pas sept fois, mais soixante-dix fois sept fois, donc presque sans limites.

Conversations cruciales

Les trois textes sont instructifs, mais une tension entre le premier et le troisième se fait rapidement sentir : Jusqu’à quand faut-il pardonner une personne qui ne reconnait pas ses torts ? Le premier texte est manifestement plus sévère que le dernier. Et d’autres questions se posent : Est-il toujours facile d’adresser des reproches à quelqu’un ? C’est loin d’être le cas : Dans le bestseller Conversations cruciales. Savoir et oser dire les choses, on lit ceci : Peu de personnes « sont capables de tenir tête à leur chef sans mettre en péril leur carrière. Nous avons tous vu des personnes se griller professionnellement, car elles avaient osé dire ce qu’elles pensaient. Vous avez peut-être déjà vécu cette situation. Cela fait des années que vous voyez votre manager se comporter d’une manière improductive et un jour vous décidez de dénoncer ce comportement, mais de manière un peu trop brutale. Oups ! » (Grenny et al., Axel Performance, 2022, p.25). Dans de tels cas, n’est-il pas plus prudent de se taire et de « pardonner » indéfiniment, comme le suggère le dernier texte de Jésus ?

On le perçoit bien, les deux consignes de Jésus, « reprocher » ou « pardonner », constituent deux cas de figure typiques entre lesquels se situent les relations humaines : entre oser dire ou laisser faire, riposter ou accepter, parler ou se taire, protester ou supporter, etc. La confrontation de ces deux textes de l’Evangile de Matthieu nous laisse peut-être un arrière-gout de désillusion : L’Evangile ne procure pas de solution unanime aux problèmes relationnels humains. Il nous offre tout au plus des repères pour y réfléchir.

Confronté au cas précis de la demande des deux fils de Zébédée, Jésus a choisi une solution originale : Au lieu d’adresser un reproche direct aux deux frères prétentieux, il a saisi l’occasion d’adresser aux autres disciples indignés (Mt 20,24) un enseignement fondamental, qui dénonce indirectement toute attitude autoritaire : Suivre Jésus, ce n’est pas rechercher le pouvoir ou la gloire, mais s’investir dans un esprit de service (v.25-28).

Nous aboutissons ainsi à une deuxième conclusion : Les divers textes des Evangiles, qui retracent les enseignements et les agissements de Jésus, s’équilibrent les uns les autres. Il n’est pour ainsi dire jamais évident de déterminer lequel est le plus adapté à une situation donnée. Ce constat de base introduit le vaste domaine de l’interprétation des Ecritures.

Illustration et conclusion

Note : L’image en haut de page renvoie à la situation ci-dessous.

Pour illustrer ce phénomène, je me sers d’un dilemme historique du peuple juif, qui avait pour tâche, selon Exode 30,8-10, de sanctifier à perpétuité l’autel du Temple du Seigneur à Jérusalem ; mais qui selon Deutéronome 12,2-3, devait détruire entièrement les autels où les nations avaient servi d’autres dieux. Or, du temps du roi séleucide Antiochus IV Epiphane, en 167 avant J.-C., l’autel du Temple de Jérusalem avait été profané. On y avait notamment vénéré des dieux grecs. Que fallait-il donc faire ? Le détruire ou le conserver ? Le récit de 1 Maccabées 4,44-46 indique la solution adoptée alors par les prêtres juifs : « On se demanda ce qu’on devait faire de l’autel et des holocaustes, qui avait été profané, et on eut la bonne idée de le démolir, [… puis ils] déposèrent les pierres sur la montagne de la Demeure, en un lieu convenable, en attendant la venue d’un prophète qui se prononcerait à leur sujet ». Ainsi, en l’absence de solution convenable, un compromis fut trouvé et le problème fut renvoyé dans l’avenir. Cet exemple, comme bien d’autres, illustre un cas où une observation rigoureuse des textes de la Thora se révéla impossible.

Je conclus ce message en reprenant les principales conclusions : Une lecture intégrale, ou intégriste, ou fondamentale, ou fondamentaliste, des Ecritures est impossible, pour les deux raisons suivantes : Premièrement, les Evangiles de Marc, Matthieu et Luc (sans compter celui de Jean qui diffère davantage), présentent des versions différentes des textes dans des ordres différents. Il est donc impossible de reconstruire avec exactitude la vie et l’enseignement de Jésus à partir du Nouveau Testament. Deuxièmement, les différents enseignements de Jésus se corrigent et s’équilibrent les uns les autres, de sorte qu’il n’est pas toujours évident de savoir lequel est le plus approprié à telle ou telle situation vécue.

Cela ne signifie pas que la Bible est privée de sens, mais qu’il faut la lire avec intelligence et discernement, en réfléchissant à la manière la plus appropriée de s’en inspirer. Amen

2 réflexions sur « Prédication : Comment lire intelligemment la Bible ? »

  1. Merci pour cette analyse éclairante, car il arrive en effet que l’on puisse se retrouver sans savoir comment réagir, même en essayant de s’inspirer de l’écriture dite « sainte ».

    En réalité, il me semble qu’on n’appelle pas l’écriture « sainte » parce qu’elle dirait « toute » la vérité qui peut être contenue dans des mots, mais plutôt parce qu’elle essaie sincèrement de nous guider vers l’attitude la plus adaptée à chaque cas.

    Je pense à ce sujet à deux proverbes bibliques qui se suivent et qui semblent au premier abord se contredire (je choisis une traduction « standard ») :
    – Prov. 26, 4 : «Ne réponds pas à l’insensé de peur que tu ne lui ressemble », et
    – Prov. 26, 5 « Réponds à l’insensé pour qu’il ne se prenne pas pour sage » (on peut constater que les rédacteurs finaux ont conservé les deux maximes, mais ont pris la précaution de proposer comme première alternative celle de ne pas répondre (certes, il y a une chance sur deux pour que ce fut le cas, mais si c’était le cas, c’était judicieux, si ce n’est que pour prendre le temps de la réflexion)

    Le caractère « insensé » de l’interlocuteur est en effet à prendre en compte pour savoir comment réagir.

    Bref, merci de nous rappeler que l’intelligence ou la pensée sont choses précieuses, et que les textes bibliques n’ont pas pour vocation de savoir répondre du « tac au tac », mais plutôt plutôt de nous aider à réagir avec tact…

    Meilleures pensées,

    Wilfred Helmlinger

  2. Merci pour votre commentaires que je partage entièrement, Dieu n’est pas un dictateur qui donne une directive unique sans qu’il nous faille réfléchir.

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