Prédication : Le surpassement divin de l’amour blessé

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Introduction au livre biblique du prophète Osée.

Livre du prophète Osée – Chapitre 11

1 Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et d’Egypte j’ai appelé mon fils.

2 Ceux qui les appelaient, ils s’en sont écartés :
c’est aux Baals qu’ils ont sacrifié
et c’est à des idoles taillées qu’ils ont brûlé des offrandes.

3 C’est pourtant moi qui avais appris à marcher à Ephraïm,
les prenant par les bras,
mais ils n’ont pas reconnu que je prenais soin d’eux.

4 Je les menais avec des attaches humaines,
avec des liens d’amour,
j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue
et je lui tendais de quoi se nourrir.

5 Il ne reviendra pas au pays d’Egypte,
c’est Assour qui sera son roi,
car ils ont refusé de revenir à moi.

6 L’épée tournoiera dans ses villes,
elle anéantira ses défenses, elle dévorera
à cause de leurs intrigues.

7 Mon peuple ! ils s’accrochent à leur apostasie :
on les appelle en haut,
mais, tous, tant qu’ils sont, ils ne s’élèvent pas.

8 Comment te traiterai-je, Ephraïm,
te livrerai-je, Israël ?
Comment te traiterai-je comme Adma,
te rendrai-je comme Cevoïm ?
Mon cœur est bouleversé en moi,
en même temps ma pitié s’est émue.

9 Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère,
je ne reviendrai pas détruire Ephraïm ;
car je suis Dieu et non pas homme,
au milieu de toi, je suis saint :
je ne viendrai pas avec rage.

10 Ils marcheront à la suite du SEIGNEUR.
Comme un lion il rugira ;
quand il se prendra à rugir,
des fils accourront en tremblant de l’occident.

11 De l’Egypte ils accourront en tremblant comme des moineaux,
et du pays d’Assour comme des colombes,
et je les ferai habiter dans leurs maisons
– oracle du SEIGNEUR.

Prédication du 19 février 2023 à Péry dans le Jura Bernois en Suisse

En lisant le chapitre 11 du livre d’Osée, nous avons l’impression que toutes les pièces du puzzle, dispersées le long du livre, se rassemblent et prennent leur juste place. Il apparaît avant tout qu’Osée est un prophète sensible, psychologue, plus humain et plus profond que ses prédécesseurs, sans toutefois devenir douceâtre, n’éludant pas la question du mal et du jugement.

La trame de fond du chapitre préfigure la théologie du Nouveau Testament : Dieu est depuis le commencement jusqu’à la fin un Dieu d’amour, qui prend soin des enfants de son peuple Israël, et souhaite ardemment leur retour à Lui, tandis qu’eux se sont détournés de Lui, et « c’est aux idoles taillées qu’ils ont brûlé des encens » (v.2). Le texte décrit donc l’amour déçu de Dieu, en tant que père abandonné, mais non pas vaincu, lequel accorde dans sa grâce une nouvelle alliance à Israël, se faisant son fiancé !

Nous pouvons sommairement diviser le chapitre en deux parties formant un impressionnant tableau avec, dans un premier volet (v.1-7), la description de la psychologie humaine, et dans l’autre (v.8-11), la description de la psychologie divine. L’être humain et Dieu se font face comme deux entités de même nature, l’un et l’autre étant dotés d’un esprit sensible, capable de s’émouvoir, d’aimer, mais aussi de refuser et d’exprimer sa colère.

On peut reprocher à Osée d’avoir divinisé l’homme et d’avoir humanisé Dieu – dans un sens comme dans l’autre – mais on peut aussi reconnaître que le Dieu vivant et sa Créature sont à l’image l’un de l’autre (Genèse 1,26). A ses yeux, tant la psychologie humaine que la psychologie divine sont compliquées, mais leur « fonctionnement » est décrit différemment.

La psychologie humaine

Cinq verbes illustrent le tressaillement des pulsions humaines : Ils se sont écartés (v.2), ils n’ont pas reconnu (v.3), ils ont refusé (v.5), ils s’accrochent (v.7), ils ne s’élèvent pas (v.7). La tension entre « ils n’ont pas reconnu que je prenais soin d’eux » (v.3) et « ils ont refusé de venir à moi » (v.5) est particulièrement instructive : Ne pas reconnaître est un geste involontaire qui disculpe les humains, tandis que refuser est un acte responsable qui peut être reproché. A partir de ces expressions, plusieurs questions se posent :

Est-ce volontairement ou non que les israélites se sont détournés de Dieu ? Je dirais : les deux à la fois ! Car l’infidélité, la crise de l’amour, est inscrite dans la nature humaine, l’homme ne peut s’y soustraire, or cette rupture est aussi un acte conscient de la volonté.

Quel fut cet amour divin, paternel et maternel, dont Israël se serait écarté ? Il est difficile de répondre. Israël a-t-il toujours été « conscient », par révélation spirituelle, de l’amour que Dieu lui portait, ou Israël a-t-il vécu des signes concrets de cet amour, comme le texte semble l’indiquer en mentionnant la sortie d’Egypte ? Il est presque inévitable de créditer les deux aspects de la révélation : la mystique et le miracle.

Et plus prosaïquement, quelle différence y a-t-il entre le culte de Yahvé, admis, et le culte des Baals, réfuté ? Le texte dénonce la fabrication d’idoles taillées, mais est-ce bien là le nœud du problème ? Cela me semble insuffisant. Pour acquérir du sens, l’enjeu doit concerner le caractère de Dieu, ce qu’il montre de lui et ce qu’il exige. Tandis que les idoles sont muettes, se limitant à protéger des maladies et à procurer la fertilité du sol, le Dieu Yahvé parle, instruit, critique et encourage son peuple, en plus de le protéger et de le bénir.

Et troisièmement, sur le fond : Le fait d’avoir été aimé par ses parents, comme Israël fut aimé par Dieu, nous oblige-t-il à leur (ou lui) rester fidèles à vie ? Le livre de la Genèse ordonne de quitter père et mère pour s’attacher à sa femme (Ge 2,24). L’amour ne présuppose-t-il pas la liberté ? Yahvé a-t-il raison d’être déçu ? Osée suppose que l’amour est un lien (« Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour », v.4). Or, l’amour est-il un lien qui attache définitivement ? Ou alors, l’amour du Père divin est-il tout-de-même différent de celui d’un père humain, dont il faut se démarquer ?

Nous franchissons peut-être ici la limite de la comparaison, car l’attache à Dieu dont il est question n’est pas seulement affective, elle a des conséquences éthiques et politiques que le texte mentionne : Refuser de placer sa confiance en Yahvé, ce n’est pas seulement vénérer des idoles, c’est aussi se soumettre à des alliances politiques douteuses, comme celles qu’Israël tente d’établir en quémandant le secours de l’Egypte : « Il ne reviendra pas au pays d’Egypte, c’est Assour qui sera son roi » (v.5). Se confier en Yahvé signifie donc, du point de vue des relations humaines, acquérir et revendiquer son indépendance !

La psychologie divine

Passons maintenant à la description de la psychologie divine, tout-à-fait magistrale dans ce chapitre. L’intimité de Dieu y est décrite successivement du point de vue de son humanité, puis du point de vue de sa divinité. Là aussi, comme je l’ai déjà souligné, le fait de penser Dieu comme étant à la fois humain et divin, préfigure la foi et la théologie chrétienne.

Le livre d’Osée introduit ici une vision originale de Dieu : « Comment te traiterais-je, Ephraïm, […] Mon cœur est bouleversé en moi, en même temps ma pitié m’a émue » (v.8). Dieu n’est pas figé comme l’est une idole, selon l’aspect humain de sa psychologie, il se questionne, change d’avis et se repent, déstabilisant ainsi notre image de Lui.

Je cite ici l’explication d’Edmond Jacob : « Ce retournement dans le cœur de Dieu ne nous surprend pas dans la bouche d’Osée, car tout son message le prépare ; dans les chapitres précédents il apparaît toujours que Dieu châtie parce qu’il ne peut pas faire autrement et qu’il agit toujours de telle sorte que dans le châtiment le peuple trouve le chemin du retour vers son amour. Pour amener ce retour, il y a un moyen qui risque de réussir là où la menace et même la douleur ont échoué, c’est la leçon de l’exemple. Le prophète, par son mariage avec une prostituée sacrée, avait voulu montrer que le meilleur moyen d’enlever le mal était de le prendre sur lui ; aussi Yahvé ne se contente pas d’exiger la conversion, il donne, lui, l’exemple de la conversion : Yahvé se convertit au pardon, dépassant ainsi largement le stade de l’amour irrité et déçu » (E. Jacob et al., Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Commentaire de l’A. T. XIa, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1965, p.82-83). Au travers des notions de « prendre le mal sur soi » et de « se convertir au pardon », les renvois à la croix et à la grâce de l’Evangile sont ici à peine voilés selon Edmond Jacob.

Si d’un point de vue humain, Dieu parvient à surmonter sa colère et à se convertir au pardon, cela se justifie dans le texte d’Osée en raison de sa divinité : « je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi, je suis saint : je ne viendrai pas avec rage » (v.9). Si Dieu renonce ultimement au jugement, c’est parce que sa divinité ne saurait s’abaisser à se venger comme quelqu’un qui serait blessé dans son amour propre. Tandis que nous est décrite l’humanité de Dieu, nous apprenons également que Dieu surpasse cette humanité.

En effet, la décision divine « je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère » (v.9) ne se justifie en rien d’un point de vue humain, car selon la logique d’un tribunal humain, le mal doit être suivi de sa sanction. Or, si la justice humaine est rivée au principe de la rétribution du mal, la justice divine peut décider de s’en libérer. Ainsi, la grâce est une démarche souveraine que seul Dieu peut entreprendre, et c’est cette démarche entièrement nouvelle qui, à son tour, libère l’homme et lui permet de revenir à Dieu sans crainte d’être jugé. Ainsi, à la fin du chapitre, les israélites « marcheront à la suite du Seigneur » (v.10), démarche qui semblait complètement entravée par les ressentis humains dans la première partie du chapitre 11. Il y a donc une guérison de la psyché humaine au travers de la grâce divine, ce à quoi fait également allusion l’hymne cité par l’apôtre Paul : « Si nous lui sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2 Timothée 2,13). Amen.

2 réflexions sur « Prédication : Le surpassement divin de l’amour blessé »

  1.  » la grâce de l’Evangile sont ici à peine voilés par
    (pour ?) Edmond Jacob ».

    Fais-je une erreur de compréhension ?
    Fraternellement.
    Ottawa Ontario Canada

  2. Merci bien cher Monsieur Delcourt,
    j’ai en effet remplacé « par » en choisissant le mot « selon ».
    La phrase est plus claire ainsi.
    Bien cordialement.
    Gilles B.

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