Prédication : Les deux chemins de la guérison selon les Evangiles

Voir la liste de mes prédications ordonnées par références bibliques.

Dans les Evangiles, la guérison est présentée comme une invitation à sortir du repli sur soi et du mal vivre à l’origine de la plupart de nos états de santé défaillants. Cette dynamique libératrice est compensée par la nécessité d’accepter l’épreuve de la maladie, au cours de laquelle le Christ nous accompagne en endossant les fragilités et les blessures de notre condition humaine.

Livre du prophète Esaïe 53,1-5

1 Qui donc a cru à ce que nous avons entendu dire ?
Le bras du SEIGNEUR, en faveur de qui a-t-il été dévoilé ?

2 Devant Lui, celui-là végétait comme un rejeton,
comme une racine sortant d’une terre aride ;
il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions,
ni apparence telle que nous le recherchions.

3 Il était méprisé, laissé de côté par les hommes,
homme de douleurs, familier de la souffrance,
tel celui devant qui l’on cache son visage ;
oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement.

4 En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées,
ce sont nos douleurs qu’il a supportées,
et nous, nous l’estimions touché,
frappé par Dieu et humilié.

5 Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes,
broyé à cause de nos perversités :
la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui,
et dans ses plaies se trouvait notre guérison.

Evangile de Matthieu 26,6-13

6 Comme Jésus se trouvait à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, 7 une femme s’approcha de lui, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de grand prix ; elle le versa sur la tête de Jésus pendant qu’il était à table. 8 Voyant cela, les disciples s’indignèrent : « A quoi bon, disaient-ils, cette perte ? 9 On aurait pu le vendre très cher et donner la somme à des pauvres. » 10 S’en apercevant, Jésus leur dit : « Pourquoi tracasser cette femme ? C’est une bonne œuvre qu’elle vient d’accomplir envers moi. 11 Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous ; mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours. 12 En répandant ce parfum sur mon corps, elle a préparé mon ensevelissement. 13 En vérité, je vous le déclare : partout où sera proclamé cet Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait. »

Prédication du dimanche 5 mars 2023 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

La maladie se présente à nous comme un temps de privation et de confrontation à la douleur, une période de jeûne forcé, où l’on est privé d’une part de sa vitalité, de son bienêtre, et souvent de sa liberté de mouvement, en étant alité ou même hospitalisé.

Les quatre Evangiles du Nouveau Testament (selon Matthieu, Marc, Luc et Jean) accordent une place particulièrement importante au traitement des maladies et de leurs lourdes conséquences sur la qualité de vie de qui en est atteint, à la fois sur le plan corporel, psychologique, social et économique.

On distingue, dans chaque Evangile, deux grandes approches successives de la maladie, deux chemins de guérison très différents l’un de l’autre, potentiellement complémentaires. Le premier chemin est celui que Jésus propose aux malades et aux infirmes qu’il rencontre lors de son ministère public, le second chemin est lié à une interprétation particulière de sa Passion, qui trouve sa première expression dans le livre du prophète Esaïe.

Tout le monde connaît les miracles de guérison de Jésus, qui occupent plus du quart des récits évangéliques, et personne n’ignore la difficulté de les imiter. Même les Eglises charismatiques, qui prétendent pratiquer avec succès la prière de guérison au nom de Jésus, ne peuvent ignorer que souvent le handicap, la maladie ou la mort ont le dessus. En cas de guérison, il est la plupart du temps difficile de distinguer les parts respectives d’influence du rétablissement naturel de la santé, des effets du traitement médical, de la prise en charge de son état de santé par le patient lui-même, et de l’intervention de la volonté divine.

Le chemin de sortie de l’enfermement de la maladie et du handicap

A vrai dire, les récits des guérisons opérées par Jésus, ainsi que ses exorcismes, dont les effets sont assez semblables, ne sont presque jamais exclusivement miraculeux : Ils sollicitent abondamment l’attention et la volonté du malade et de son entourage.

Le premier chemin de guérison mis en scène par les Evangiles bibliques est donc une invitation à sortir de l’enfermement de la « maladie » ou de l’« infirmité », en mobilisant à la fois les ressources de la personne atteinte dans sa santé, symbolisées par le fameux « lève-toi et marche » adressé au paralytique, en lien au « pardon de ses péchés », et en impliquant l’aide de son entourage (Marc 2,1-12). Les dimensions médicale, spirituelle et sociale de la guérison sont ainsi intimement liées. Dans la catégorie de ce qui peut être appelé « péché », il y a le mal-vivre, l’irrespect de soi et des personnes avec qui l’on partage la vie, qui dans la durée, peut conduire à la maladie par « usure » du corps.

Lorsque les ressources personnelles font complètement défaut, comme lors de la guérison de l’aveugle Bartimée, si le récit de la vue retrouvée semble évoquer au premier abord un miracle surnaturel, il suppose aussi un appel au secours par l’aveugle mendiant, qui entraîne une « vision » plus lucide de son état de santé, et une prise en compte de son handicap tant par l’infirme que par son entourage, qui permet le retour à un mode de vie plus adapté et donc aussi moins souffrant et moins épuisant (Marc 10,46-52).

D’autres récits de guérison, comme ceux de la femme aux pertes de sang (Matthieu 9,20-22) et des dix lépreux (Luc 17,11-19), accordent une importance encore accrue à l’aspect psychologique et social de la guérison, en impliquant à la fois la volonté du malade de sortir de sa bulle d’isolement, et le devoir de la société de remédier à la stigmatisation, au rejet et à la maltraitance des victimes de maladies contagieuses.

Ainsi, loin d’être de simples récits surnaturels, les guérisons et les exorcismes de Jésus au cours de son ministère itinérant en Israël et dans les pays avoisinants stimulent une véritable dynamique de médecine sociale, où interagissent les aspects médicaux, psychologiques, spirituels, religieux, sociaux et économiques de la vie des malades physiques et psychiques, ainsi que des handicapés, en pourvoyant à leurs divers degrés de guérison possibles. Dans cette perspective, l’extraordinaire enthousiasme communiqué par le ministère thaumaturge de Jésus fut une des sources d’inspiration du développement des soins accordés aux malades et aux mendiants en Occident, et l’appel à prendre en charge les maladies les plus complexes stimula le développement de la médecine moderne.

Ce n’est là qu’un premier volet de la conception de la maladie et de la santé dans les Evangiles du Nouveau Testament, car en effet, avec l’approche de la Passion, les récits marquent un tournant radical qui apporte un nouvel aspect complètement différent, et aussi plus subtile, de la notion de guérison dans la théologie chrétienne.

La guérison dans les souffrances du sauveur

Tout est changé par le fait que désormais, dans la dernière partie de chaque Evangile biblique, le guérisseur lui-même, Jésus le Christ, est appelé à souffrir et même à mourir de manière ignominieuse. Si ses guérisons ont peut-être épargné à d’autres de lourdes épreuves de douleur, elles ne lui ont en tous cas pas épargné de souffrir lui-même atrocement. Cela signifie, en d’autres termes, que les miracles de Jésus ne peuvent en aucune manière être compris comme une action divine qui éliminerait purement et simplement tout mal de la vie humaine, loin de là ! A tel point que dans les Evangiles, la vie chrétienne dans son ensemble est caractérisée par cette disposition à affronter les souffrances réelles et possibles de l’existence humaine en se plaçant dans la perspective de la Passion du Christ : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive » (Marc 8,34).

Le récit dit de « l’onction de Béthanie », lors duquel une femme verse sur Jésus une grande quantité de parfum, opère ce renversement par lequel Jésus lui-même devient la personne à soigner. Le texte signifie que désormais, les pauvres, explicitement cités – mais aussi les paralytiques, les aveugles, les lépreux et les autres malades jugés impurs – ne sont plus le centre de l’attention, mais Jésus lui-même, face à son martyr (Mt 26,9-11).

Les circonstances de cet événement, ainsi que l’identité de la femme qui oint Jésus, sont fort peu claires, pour autant qu’il s’agisse d’un fait unique. Jean le situe six jours avant la Pâque, chez Lazare, par sa sœur Marthe qui oint les pieds de Jésus (Jn 12,1-8) ; Luc ne le rattache pas à la Passion et le situe chez un Pharisien, par une « femme pécheresse », sans doute une prostituée, qui oint les pieds de Jésus en pleurant (Lc 7,36-50) ; tandis que Marc et Matthieu le situent juste avant la trahison de Juda, chez Simon le lépreux, par une femme dont l’identité n’est pas dévoilée, qui oint la tête de Jésus (Mc 14,3-9 ; Mt 26,6-13, voir cette femme peinte sur le tableau de Le Greco ci-dessus).

On ne voit pas, à prime abord, en quoi les étapes de la Passion du Christ peuvent constituer un nouveau chemin de guérison pour nous. Il s’agit plutôt d’une prise de conscience des épreuves de douleur que la violence humaine, mais aussi plus généralement tout mal, dont la maladie, peuvent engendrer. Jésus n’interprète d’ailleurs pas l’acte de cette femme comme une guérison : « En répandant ce parfum sur mon corps, dit-il, elle a préparé mon ensevelissement » (Mt 26,12). Certes, il s’agit bien d’une préfiguration de l’embaumement du corps de Jésus, mais l’acte lui-même consiste tout-de-même en un soin apporté au bien-être du corps.

L’identification de la Passion du Christ à un acte de guérison en notre faveur est sans doute née de la lecture chrétienne du livre du prophète Esaïe, où il est dit, dans un passage ultra-célèbre à propos du Serviteur de Dieu : « En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, […] : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui, et dans ses plaies se trouvait notre guérison » (Es 53,4-5). En mourant sur la croix, le Christ aurait pris sur lui nos fautes, nos maladies et notre condamnation, nous restituant ainsi, par ce que Martin Luther a appelé le « joyeux échange », son propre salut et sa propre santé.

Selon cette explication, le Christ aurait souffert en s’identifiant à nous et en endossant nos offenses et nos blessures, nous apportant ainsi le salut et la guérison qui lui revenaient de droit. Pour le moins étrange et presque incompréhensible, cette interprétation de la mort du Christ, centrale pour le christianisme, a pourtant marqué les esprits tout au long de l’histoire chrétienne, par la force suggestive de cette image d’une victime innocente et aimante, qui dans sa générosité et son amour sans limites, souffre du malheur et de la mort à la place et en faveur des autres humains.

La réunion en Christ des deux chemins de la guérison

Cette évocation d’une guérison plus profonde, autant mystique que corporelle, qui ne fait pas l’économie du passage par la souffrance, a ainsi contribué à enrichir et à équilibrer le premier chemin de guérison présenté dans les Evangiles bibliques, en soulignant que le Christ ne nous délivre pas seulement de nos maladies par son appel et sa puissance divine, mais qu’en les endossant et en en supportant les souffrances avec nous, il s’identifie à notre faiblesse humaine et peut donc aussi nous communiquer sa force spirituelle, au travers de laquelle nous trouvons l’énergie de nous tenir en vie, ancrés dans l’espérance du salut face à l’adversité.

En conclusion, les Evangiles du Nouveau Testament nous présentent deux aspects complémentaires de la guérison : Le premier s’inscrit dans la perspective de la résurrection qu’il préfigure, avec un appel à sortir du repli sur soi et du mal-vivre qui sont à l’origine de la plupart de nos mauvais états de santé. Le second, plus sombre, nous invite à trouver l’espérance dans la maladie et le malheur en nous rappelant que le Christ, par sa Passion aboutissant à la croix, s’est identifié à notre condition d’êtres imparfaits, fragiles et mortels, nous garantissant ainsi le salut, la délivrance ultime de toute maladie et de tout mal. Amen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.