Prédication : Le signe de Jonas

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Lorsque ses contradicteurs lui demandent un signe pour le piéger, Jésus leur promet « le signe de Jonas », à savoir celui de sa propre mort, comme le prophète Jonas fut avalé par le monstre marin. Ses adversaires sont ainsi impliqués dans le signe qu’ils demandent. De cette manière, Jésus les renvoie à eux-mêmes, ils deviennent leurs propres juges, ouvrant ainsi la voie à la conscience moderne de soi, qui n’est plus soumise à autrui (humain ou divin), mais devient responsable d’elle-même.

Livre du prophète Jonas 2,1-11 – Jonas, au fond de l’abîme, prie le Seigneur qui le sauve

1 Alors le SEIGNEUR dépêcha un grand poisson pour engloutir Jonas. Et Jonas demeura dans les entrailles du poisson, trois jours et trois nuits. 2 Des entrailles du poisson, il pria le SEIGNEUR, son Dieu.

3 Il dit : Dans l’angoisse qui m’étreint, j’implore le SEIGNEUR :
il me répond ;
du ventre de la Mort, j’appelle au secours :
tu entends ma voix.

4 Tu m’as jeté dans le gouffre au cœur des mers
où le courant m’encercle ;
toutes tes vagues et tes lames
déferlent sur moi.

5 Si bien que je me dis : Je suis chassé de devant tes yeux.
Mais pourtant je continue à regarder vers ton temple saint.

6 Les eaux m’arrivent à la gorge
tandis que les flots de l’abîme m’encerclent ;
les algues sont entrelacées autour de ma tête.

7 Je suis descendu jusqu’à la matrice des montagnes ;
à jamais les verrous du pays – de la Mort – sont tirés sur moi.
Mais de la Fosse tu m’as fait remonter vivant,
ô SEIGNEUR, mon Dieu !

8 Alors que je suis à bout de souffle,
je me souviens et je dis : « SEIGNEUR ».
Et ma prière parvient jusqu’à toi,
jusqu’à ton temple saint.

9 Les fanatiques des vaines idoles,
qu’ils renoncent à leur dévotion !

10 Pour moi, au chant d’actions de grâce,
je veux t’offrir des sacrifices,
et accomplir les vœux que je fais.
Au SEIGNEUR appartient le salut !

11 Alors le SEIGNEUR commanda au poisson, et aussitôt le poisson vomit Jonas sur la terre ferme.

Evangile de Matthieu 12,38-42 – Le signe de Jonas

38 Alors quelques scribes et Pharisiens prirent la parole : « Maître, nous voudrions que tu nous fasses voir un signe. » 39 Il leur répondit : « Génération mauvaise et adultère qui réclame un signe ! En fait de signe, il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe du prophète Jonas. 40 Car tout comme Jonas fut dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. 41 Lors du jugement, les hommes de Ninive se lèveront avec cette génération et ils la condamneront, car ils se sont convertis à la prédication de Jonas ; eh bien ! ici il y a plus que Jonas. 42 Lors du jugement, la reine du Midi se lèvera avec cette génération et elle la condamnera, car elle est venue du bout du monde pour écouter la sagesse de Salomon ; eh bien ! ici il y a plus que Salomon.

Prédication du 14 janvier 2024 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

Demander à Dieu un signe pour renforcer sa foi, surtout lors d’un moment d’épreuve, semble être l’attitude naturelle et raisonnable d’un croyant. Existe-t-il réellement des personnes croyantes qui n’aient jamais reçu aucun signe de Dieu, aucune parole d’Evangile qui les ait frappées et convaincues du bienfondé de la foi, aucun événement qui les ait convaincues que la providence divine était intervenue en leur faveur dans leur vie ?

Mener un sondage sur ce sujet pourrait être instructif, car inversement, la foi n’est-elle pas justement l’attitude de celle ou celui qui croit sans avoir de signe ou de preuve ? Dans l’Evangile de Jean, Jésus le Ressuscité dit à Thomas, auquel il a permis d’avancer son doigt vers sa main percée : « Cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. […]. Parce que tu as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru » (Jn 20,27.29).

Dans le monde protestant, une nette différence se fait sentir entre les milieux évangéliques, où chaque converti doit être en mesure de raconter comment Dieu est intervenu dans sa vie, et les milieux réformés, où les signes miraculeux sont fortement mis en doute. A titre personnel, je reconnais que de fréquents signes divins se produisent par coïncidences, par exemple entre un texte que je lis, biblique ou autre, et un événement qui m’arrive.

Les signes miraculeux et leur inefficacité dans l’Evangile de Jean

Il est donc intéressant d’observer comment les signes divins sont présentés dans les Evangiles du Nouveau Testament ? Tandis que les trois Evangiles synoptiques (de Matthieu, Marc et Luc) ne parlent de signes divins qu’en rapport avec la Fin des temps, l’Evangile de Jean cite les deux premiers signes (grec : sémeion) que Jésus accomplit afin de manifester sa gloire pour que ses disciples croient en lui (Jn 2,11) : A Cana, lors d’une noce, il change l’eau en vin, puis il guérit le fils d’un officier royal (Jn 4,46-54).

Mais de façon surprenante, dans ce même Evangile, Jésus critique amèrement celles et ceux qui ont besoin de signes pour croire : « Si vous ne voyez signes et prodiges, vous ne croirez donc jamais ! » (Jn 4,48). Plus loin, il reproche aux foules de le suivre par opportunisme, seulement parce qu’il les a nourries en multipliant les pains et les poissons (Jn 6,26). Puis, à la fin de son ministère, la conclusion de l’effet des signes est encore plus décevante : « Quoiqu’il eût opéré devant eux tant de signes, ils ne croyaient pas en lui », leur cœur étant endurci (Jn 12,37.40). Contre toute attente, les signes miraculeux ne suffisent pas à faire croître la foi, il semble que celle-ci requiert une autre attitude d’esprit.

En effet, dans toutes les religions de l’histoire de l’humanité, on trouve des récits de miracles, mais ceux-ci agissent un peu comme une addiction. Plus on vit de miracles, plus on devient dépendant de signes toujours plus extraordinaires de la présence divine.

Le mystérieux signe de Jonas dans les Evangiles synoptiques

Dans les trois Evangiles synoptiques, l’utilité des signes divins est davantage compromise que dans l’Evangile de Jean : Quatre textes parallèles (qui comprennent des phrases presque identiques avec des variantes), mettent en scène les Pharisiens, ou d’autres personnes, qui demandent à Jésus de leur montrer « un signe du ciel ». La réponse de Jésus la plus tranchée se trouve dans l’Evangile de Marc, qui est à la fois le plus bref et le plus ancien : « Poussant un profond soupir, Jésus dit : […] En vérité, je vous le déclare, il ne sera pas donné de signe à cette génération » (Mc 8,12). Son refus est ici sans appel !

Or, dans les trois autres textes parallèles des Evangiles de Luc et de Matthieu, la réponse de Jésus est tout d’abord négative, comme chez Marc. Les trois fois, à quelques mots près, Jésus répond : « Une génération mauvaise recherche un signe, il ne lui sera pas donné ». Mais, contrairement à cette fin abrupte chez Marc, Jésus ajoute : « … si ce n’est le signe de Jonas, le prophète » (Mt 12,39 ; 16,4 ; Lc 11,29). Voici donc l’enjeu et l’intérêt de notre prédication : De quel signe s’agit-il ? Quel est ce mystérieux « signe de Jonas », le seul que Jésus estime pertinent d’adresser à sa génération, qu’il déprécie fortement ? Aux yeux de Jésus, ce dernier signe divin est-il celui qui a le plus de probabilité soit d’être compris, soit de produire une remise en question salutaire de ses auditeurs ? Il convient en effet de préciser que trois de ces textes qui mentionnent le « signe de Jonas » soulignent que les Pharisiens lui demandent un signe « pour le mettre à l’épreuve », et non pour croire en lui.

A vrai dire, seul le premier texte de Matthieu précise la nature exacte du signe de Jonas, apportant ainsi la solution de l’énigme : « tout comme Jonas fut dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits » (Mt 12,40 cf. Jon 2,1). Le signe de Jonas, sans hésitation, est le signe de la croix, qui se tient au cœur de l’Evangile de Jésus-Christ. Ce signe n’est donc pas du tout un miracle, comme l’eau changée en vin ou la guérison du fils de l’officier royal chez Jean. On peut même affirmer que ce signe est un contre-signe, le contraire d’un miracle ! Il ne manifeste pas la puissance de Dieu, mais plutôt sa défaite, la mort de son Messager !

Ce qu’il y a d’extraordinaire, dans ce signe de Jonas, est que les Pharisiens, auxquels Jésus annonce ce signe, constituent eux-mêmes une partie du signe, parce qu’ils lui manifestent une attitude hostile, incapables qu’ils sont de reconnaître en lui Jésus, le Messie, le Christ. On peut imaginer que Jésus leur dit : « Vous voulez me voir faire un signe divin, mais en réalité, c’est votre attitude qui constitue le signe que Dieu veut mettre en évidence, à savoir votre incapacité à reconnaître le Messie. Vous qui vous prétendez serviteurs de Dieu, par votre obstination et votre aveuglement, vous allez mettre à mort celui que vous prétendez annoncer et attendre ! Comme Jonas, vous êtes en contradiction avec vous-mêmes ! ».

Jonas, un prophète contrarié

En effet, le prophète Jonas, qui avait reçu de Dieu la mission d’annoncer à la grande ville de Ninive sa destruction, en raison de la méchanceté de ses habitants et de leur obstination à désobéir à Dieu (Jon 1,2), se montra lui-même incapable d’annoncer ce message aux habitant de Ninive, et tomba dans la désobéissance qu’il était censé dénoncer. C’est ainsi que la malédiction de Ninive tomba sur lui, et qu’une tempête survint lorsqu’il s’enfuyait « hors de la présence du Seigneur » (Jon 1,3) sur un navire pour Tarsis. Les matelots ayant découvert sa culpabilité en consultant les sorts (Jon 1,7), Jonas leur proposa lui-même de le jeter par-dessus bord car, leur dit-il : « je sais bien que c’est à cause de moi que cette grande tempête est contre vous » (Jon 1,12). Ainsi Jonas fut avalé par un monstre marin, en lequel il resta en vie trois jours et trois nuits (Jon 2,1), appelant Dieu au secours « du ventre e la Mort » (Jon 2,3), avant que le monstre le recrache sur la terre ferme (Jon 2,11). S’étant cette fois-ci rendu à Ninive afin d’y proférer la menace divine, Jonas fut à nouveau contrarié en découvrant que les Ninivites l’avaient écouté et s’étaient repentis, ayant changé de comportement, de sorte que Dieu avait renoncé à détruire leur ville (Jon 3,10).

Le « signe de Jonas », que Jésus annonce aux Pharisiens et à ses autres contradicteurs, n’est donc pas du tout un miracle censé les aider à croire, mais plutôt un signe divin qui illustre leur propre contrariété, eux qui prétendent jouer le rôle de celui qu’ils condamnent.

Conclusion : Des signes aidants et dérangeants

En conclusion, les signes de Dieu ne sont pas seulement efficaces lorsqu’ils nous aident à surmonter nos épreuves, mais aussi lorsqu’ils nous dérangent, révélant nos contrariétés, nos torts, nos injustices et nos susceptibilités. Dieu n’est jamais aussi audible que lorsqu’il nous prend à rebrousse-poil, révélant cette blessure que nous ne saurions voir. Amen

Excursus : Extrait du commentaire du livre de Jonas par Karl-A. Keller

La scène de la tempête est d’une importance capitale pour l’ensemble du récit ; elle est aussi la plus longue, plus riche en détails que les autres, plus travaillée qu’elles. Elle permet de mesurer le chemin que Jonas a dû parcourir avant de se résigner à la mission funeste que Dieu lui avait réservée, avant d’admettre que Dieu exterminât la grande ville. Au prix d’une expérience douloureuse – fuite, isolement, séjour dans les ténèbres de la mort – il avait modifié sa conception de Dieu, il s’était enfin soumis à ses projets. Et voilà qu’il constate que Dieu revient en arrière, qu’il change d’avis, qu’il trompe son prophète, qu’il le désavoue après l’avoir obligé à prêcher un message qu’il n’approuvait pas. Dieu, clément envers tous les hommes, et envers les habitants de Ninive en particulier, est méchant, arbitraire, injuste envers un seul : son prophète. La prière de Jonas se résume en une seule requête : mourir.

Carl-A. Keller, Jonas, in : E. Jacob, Carl-A. Keller, S. Amsler, Osée Joël Amos Abdias Jonas XIa. Commentaire de l’Ancien Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1965, Introduction, Le sens du livre, p.267-268.

Autre commentaire de référence : Corinne Lenoir et Françoise Smyth-Florentin, Le livre de Jonas, Genève, Labor et Fides, 2021

2 réflexions sur « Prédication : Le signe de Jonas »

  1. Merci pour votre retour !

    J’ajouterai juste que ce j’apprécie particulièrement dans vos analyses, c’est que vous mêlez presque toujours « deux regards différents » sur les textes, à la fois le regard que j’appellerai « intérieur » ou « introspectif », qui essaie de se mettre dans la peau des contemporains du texte, et notre propre regard contemporain, qu’il faut bien appeler « moderne », même si ce terme est ambigu…

    Ici, il me semble que, comme souvent, Jésus déplace l’enjeu (un peu comme la question « qui est mon prochain » devient « de qui suis-je le prochain » ou comme la question de Pierre « combien de fois faut-il pardonner à autrui » devient « la vraie place n’est-elle pas celle de celui qui est pardonné? »).

    Par ailleurs, il me paraît fort probable que dans l’Evangile de Jean, les pharisiens sont doublement visés, car la destruction du Temple étant déjà loin ils sont la référence du judaïsme de l’époque, ce pourquoi leurs questions sont sans doute souvent présentées comme suspicieuses et critiques par rapport à toute déviation.

  2. Merci cher Monsieur pour votre analyse,
    oui en effet, votre perception correspond bien à mon projet : En tant que prédicateur protestant réformé, je cherche à la fois à respecter et à décrire la structure et le sens du texte ancien, puis à l’interpréter afin de lui donner un sens actuel, que l’on peut effectivement appeler moderne.
    Avec mes meilleures messages.
    Gilles Bourquin.

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