Prédication : Le prophète Jonas selon Saint Augustin, Martin Luther et Jean Calvin

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Saint Augustin, Martin Luther et Jean Calvin se servent du même texte du prophète Jonas au sujet de la conversion des habitants de Ninive, pour justifier chacun leur propre doctrine. Cela démontre la multiplicité des interprétations de la Bible au cours de l’histoire de l’Eglise, chaque théologien cherchant à s’emparer de l’autorité de la Bible pour affirmer son enseignement.

Livre du prophète Jonas 3,1-10 – Jonas prêche, les Ninivites se convertissent, Dieu pardonne

1 La parole du SEIGNEUR s’adressa une seconde fois à Jonas : 2 « Lève-toi, va à Ninive la grande ville et profère contre elle l’oracle que je te communiquerai. » 3 Jonas se leva et partit, mais – cette fois – pour Ninive, se conformant à la parole du SEIGNEUR. Or Ninive était devenue une ville excessivement grande : on mettait trois jours pour la traverser. 4 Jonas avait à peine marché une journée en proférant cet oracle : « Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous », 5 que déjà ses habitants croyaient en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu’aux petits. 6 La nouvelle parvint au roi de Ninive. Il se leva de son trône, fit glisser sa robe royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur de la cendre, 7 proclama l’état d’alerte et fit annoncer dans Ninive : « Par décret du roi et de son gouvernement, interdiction est faite aux hommes et aux bêtes, au gros et au petit bétail, de goûter à quoi que ce soit ; interdiction est faite de paître et interdiction est faite de boire de l’eau. 8 Hommes et bêtes se couvriront de sacs, et ils invoqueront Dieu avec force. Chacun se convertira de son mauvais chemin et de la violence qui reste attachée à ses mains. 9 Qui sait ! peut-être Dieu se ravisera-t-il, reviendra-t-il sur sa décision et retirera-t-il sa menace ; ainsi nous ne périrons pas. » 10 Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.

Prédication du 21 janvier 2024, pour la semaine de l’Unité chrétienne, à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Le projet de cette prédication dédiée au prophète Jonas est particulier. Je souhaite montrer comment trois théologiens, d’importance majeure pour l’histoire de l’Eglise et la pensée occidentale, abordent le texte de Jonas à partir de leurs propres soucis de compréhension. Saint Augustin, qui a vécu aux IVe et Ve siècle après J.-C., est le plus grand des Pères de l’Eglise catholique, universelle, tandis que Martin Luther et Jean Calvin, qui ont vécu aux XVe et XVIe siècle, sont les deux principaux Réformateurs et théologiens de la Réforme protestante.

Le prophète Jonas selon Saint Augustin (354-430)

Dans son œuvre maitresse, La Cité de Dieu, la préoccupation première de Saint Augustin concerne un problème textuel : « Comment saurais-je si le prophète Jonas a dit aux habitants de Ninive : ‘Encore trois jours, et Ninive sera détruite’, ou ‘Encore quarante jours…’(Jon 3,4) » (Volume 3, Seuil, 1993, p,70-71, Livre XVIII, Chapitre XLIV, pour ttes les citations). En effet, les Septante (à savoir les traducteurs de la Bible juive en grec au IIIe et IIe siècle avant J.-C., à Alexandrie selon la tradition) écrivent « trois jours », tandis que le texte hébreu, qui a la préférence de Saint Augustin, indique « quarante jours ». Aujourd’hui, nous aurions tendance à dire qu’il s’agit d’une erreur de copie de la part du traducteur grec, qui a fait une confusion avec le chiffre trois du chapitre précédent du livre de Jonas (2,1).

Mais selon Augustin, conformément aux idées de son temps, « c’est un fait réel que le prophète fut trois jours dans les entrailles du monstre » et « ces faits sont réellement arrivés dans la cité de Ninive ». Donc, Augustin doit-il conclure qu’un des deux textes, soit de la Bible hébraïque soit des Septante grecque, contient un faux nombre de jours ? Comment donc peut-il parvenir à conserver leur autorité aux deux versions, car à ses yeux, « l’une et l’autre est une et divine » ? En effet, étant donné que l’apôtre Paul cite les Septante dans ses épîtres, et non la Bible hébraïque, il semble nécessaire pour le christianisme de reconnaître aux deux versions la même autorité.

La réponse d’Augustin est subtile : Il suppose que les deux textes concourent, « bien que sous une forme différente, à former un seul et même sens, et invitent le lecteur à s’élever, sans mépriser l’autorité ni de l’hébreu ni des Septante, au-dessus de l’histoire jusqu’à la recherche des réalités que l’histoire a dû figurer ». En d’autres termes, le fait qu’il existe deux versions incompatibles du texte (trois ou quarante jours), conduit à rechercher un sens figuré du texte, et pour Augustin, cette signification symbolique est toute trouvée : « c’est le Christ lui-même que désignent ces quarante jours ou ces trois jours ; quarante, car tel est le nombre de jours qu’il passe avec ses disciples après sa résurrection avant de monter au ciel ; trois, car il ressuscite le troisième jour » (voir le texte complet du chapitre XLIV dans l’excursus ci-dessous). Les Septante font donc œuvre de prophètes, en permettant de lire en Jonas à la fois l’ascension et la résurrection du Christ. Selon cette logique, Augustin prolonge Matthieu 12,40, qui compare déjà les trois jours de Jonas sous la mer, et les trois jours du Christ « dans le sein de la terre ». (voir ma prédication au sujet du « signe de Jonas »).

Nous percevons ainsi que Saint Augustin, qui vit dans les premiers siècles de l’Eglise, a pour objectif de démontrer, au travers des différentes versions hébraïque et grecque du livre de Jonas, que la révélation chrétienne se trouve déjà cachée dans les Ecritures juives.

Le prophète Jonas selon Martin Luther (1483-1546)

Venons-en à présent aux deux auteurs protestants, dont les préoccupations sont très différentes de celles d’Augustin. Les deux Réformateurs ont construit chacun leur propre compréhension entièrement cohérente de la Bible, et il leur faut désormais démontrer que chaque libre biblique est conforme à leur système théologique. Ainsi, dans leurs allusions au prophète Jonas, retrouve-t-on à chaque fois leurs mêmes « obsessions théologiques ».

Commençons par Martin Luther (1483-1546), l’initiateur de la Réforme protestante, qui était un moine augustinien, suivant donc la règle monastique de Saint Augustin, avant de quitter les ordres et de se marier. Nous savons que son objectif principal consiste à rétablir la foi évangélique, fondée sur les Ecritures seules, en renversant la piété romaine, fondée sur les coutumes de l’Eglise papale. Luther accuse les théologiens du Moyen Âge d’enseigner un salut par les œuvres, qui suppose que l’homme est capable par lui-même de se rendre juste devant Dieu, en obéissant à la Loi divine, en pratiquant les rites religieux prescrits par l’Eglise, et en payant des indulgences, qui permettent d’acheter le pardon de ses péchés à prix d’argent.

Luther proclame que l’homme est rendu juste et sauvé seulement par la grâce de Dieu, au moyen de la foi, mais sans le concours de ses œuvres bonnes, car ses bienfaits ne suffisent jamais à mériter le ciel, le croyant restant essentiellement un homme pécheur. Luther va donc utiliser le récit de Jonas pour démontrer sa doctrine :

« Ninive, enfin, la grande ville, est justifiée et reçoit de Dieu la promesse du salut : elle ne sera pas détruite. Comment cela ? Non parce qu’elle écoutait et qu’elle accomplissait la loi, mais parce qu’elle croyait à la Parole de Dieu que le prophète Jonas prêchait. Car telles sont bien les paroles [du livre] du prophète : ‘Les Ninivites crurent à Dieu et ils proclamèrent un jeûne et se vêtirent de sacs’ (Jon 3,5) Cela signifie qu’ils se repentirent. Les adversaires [de Luther] laissent tomber dédaigneusement ces mots : ‘Ils crurent’, et, cependant, tout le sens est là. On ne lit pas dans le prophète Jonas que les Ninivites accueillirent la loi de Moïse, qu’ils furent circoncis, qu’ils sacrifièrent [des animaux au Temple], qu’ils accomplirent toutes les œuvres de la loi, mais que, croyant [à la Parole], ils se repentirent en se couvrant de sacs et de cendres » (M. Luther, Œuvres, Tome XV, p. 221, Commentaire Epître aux Galates).

La démonstration de Luther est élégante : Il montre que déjà dans l’Ancien Testament, alors que la Loi de Moïse était en vigueur pour les israélites, la population non-juive de Ninive est sauvée de la destruction par sa seule foi en Dieu, et non en obéissant à la Loi de Moïse, dont elle n’a même pas connaissance. Entendu ! Mais Luther a plus de difficulté à démontrer que la contrition des Ninivites, c’est-à-dire leur jeûne intégral et l’abandon de leur mauvais chemin de violences (Jon 3,7-8), ne contribue pas à leur salut. Il s’y emploie pourtant avec véhémence, en martelant que ses adversaires « n’aperçoivent pas que la foi a opéré cette contrition et cette tristesse de cœur, comme il arriva aux gens de Ninive (Jon 3,5) » (M. Luther, Œuvres, Tome II, p. 224, De la captivité babylonienne de l’Eglise).

En fait, selon Luther, la Parole divine nous invite à croire que Dieu nous sauve par sa seule grâce, puis cette libération entraine les sentiments et les œuvres conformes à sa volonté.

Le prophète Jonas selon Jean Calvin (1509-1564)

A aucun moment Jean Calvin (1509-1564), né une génération après Luther et ayant une formation humaniste, n’a radicalement contredit l’enseignement de Luther du salut obtenu par la seule grâce divine, au moyen de la foi. En revanche, il ne fait aucun doute que Calvin s’est montré plus insistant que Luther au sujet de la nécessité d’une piété et d’une pratique chrétienne assidue, pour rester sur le chemin du salut. Dans son Quatrième livre de l’Institution de la religion chrétienne, qui est des moyens extérieurs, ou aides, dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ, son Fils, et nous retenir en lui, au §17 du chap. 12, « Des jeûnes publics sont nécessaires », Calvin affirme ceci :

« Car puisque c’est un saint exercice pour les fidèles, tant pour les humilier que pour confesser leur humilité, pourquoi n’en userions-nous pas aussi bien que les anciens, en une nécessité semblable ? L’Ecriture nous montre que non seulement l’Eglise d’Israël, qui était instruite en la parole de Dieu, a jeûné en signe de tristesse (I Sam 7,6; 31,13; II Sam 1,12; I Rois 21,12), mais aussi le peuple de Ninive, lequel n’avait entendu nulle doctrine outre la prédication de Jonas (3,5). Pourquoi donc n’en ferions-nous autant en pareil cas ?
Quelqu’un me dira que c’est une cérémonie externe, qui a pris fin en Christ avec les autres. Je réponds que c’est aussi bien aujourd’hui une très bonne aide aux fidèles, comme ç’a toujours été, et une admonition utile pour les réveiller, afin de ne provoquer point davantage la colère de Dieu par leur nonchalance et dureté, quand ils sont châtiés de ses verges » (Genève, Labor et Fides, 1958, Livre quatrième, p.230-231).

Conclusion oecuménique

Calvin, en brillant disciple et contradicteur de Luther, veut apporter un correctif à la grâce qu’il estime trop légère de Luther, en rappelant les exigences spirituelles et morales de la fidélité chrétienne. Ainsi, tous deux se sont servis du livre de Jonas, pour accentuer soit la foi des Ninivites, fruit de la seule grâce divine, selon Luther ; soit leur repentance et leur jeûne, en tant que conséquence et poursuite nécessaire de la foi, selon Calvin.

On observe ainsi que chaque théologien, en fonction de sa sensibilité personnelle et du contexte dans lequel il vit, cherche à tirer du texte de Jonas un message qui lui convient. Saint Augustin, dans le contexte de l’Eglise ancienne en proie à de nombreux contradicteurs qui contestent ses fondements historiques et théologiques, cherche à asseoir l’autorité du christianisme dans les textes hébreux et grecs de la Bible juive. Luther, confronté à la piété culpabilisante et oppressante enseignée par l’Eglise papale, proclame le salut par la grâce seule, sans besoin de chercher à plaire à Dieu par une attitude et des rites religieux. Calvin, désireux d’instituer une civilisation chrétienne exemplaire, insiste sur la nécessité de la repentance et du jeûne, signes du désir d’obéir concrètement à la Parole de Dieu.

Chacune de ces lectures du même texte de Jonas dépend donc de l’objectif théologique que son auteur s’est fixé, lequel dépend à son tour de sa personnalité et de son contexte. La Bible, diversement interprétée, gagne ainsi en autorité, du fait que chacun cherche à tirer sa signification de son côté, pour se l’approprier. L’Eglise s’avère ainsi à la fois divisée et unifiée par sa lecture diversifiée des textes bibliques, ici celui de Jonas. Amen.

Excursus – Textes voisins et cités

Matthieu 14,1-12 – La mort de Jean-Baptiste

Le texte du meurtre de Jean-Baptiste dans l’Evangile de Matthieu est un exemple de refus de la parole prophétique, à l’inverse de l’attitude des Ninivites, qui suite à la prédication de Jonas, croient en Dieu, se repentent, proclament un jeûne et se revêtent de sacs.

1 En ce temps-là, Hérode le tétrarque apprit la renommée de Jésus 2 et il dit à ses familiers : « Cet homme est Jean le Baptiste ! C’est lui, ressuscité des morts ; voilà pourquoi le pouvoir de faire des miracles agit en lui. » 3 En effet, Hérode avait fait arrêter et enchaîner Jean et l’avait emprisonné, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe ; 4 car Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de la garder pour femme. » 5 Bien qu’il voulût le faire mourir, Hérode eut peur de la foule qui tenait Jean pour un prophète. 6 Or, à l’anniversaire d’Hérode, la fille d’Hérodiade exécuta une danse devant les invités et plut à Hérode. 7 Aussi s’engagea-t-il par serment à lui donner tout ce qu’elle demanderait. 8 Poussée par sa mère, elle lui dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste. » 9 Le roi en fut attristé ; mais, à cause de son serment et des convives, il commanda de la lui donner 10 et envoya décapiter Jean dans sa prison. 11 Sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille qui l’apporta à sa mère. 12 Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre et l’ensevelirent ; puis ils allèrent informer Jésus.

Saint Augustin, La cité de Dieu, Volume 3, Seuil, 1993, p,70-71, Livre XVIII, Chapitre XLIV (au complet)

XLIV. Mais, dit-on, comment saurais-je si le prophète Jonas a dit aux habitants de Ninive: « Encore trois jours, et Ninive sera détruite », ou, « Encore quarante jours (Jon 3,4) » ? Qui ne voit que le prophète, envoyé pour épouvanter cette ville par la menace d’une ruine imminente, n’a pu dire en même temps l’un et l’autre ? Si la catastrophe devait arriver dans le délai de trois jours, ce n’était pas après quarante ; si elle devait arriver le quarantième jour, ce n’était pas le troisième. Si donc l’on me demande lequel des deux a dit Jonas, j’incline de préférence à la leçon de l’hébreu : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite. »
Car les Septante, venus longtemps après, ont pu dire autre chose qui, se rapportant au sujet, concourût, bien que sous une forme différente, à former un seul et même sens, et invitât le lecteur à s’élever, sans mépriser l’autorité ni de l’hébreu ni des Septante, au-dessus de l’histoire jusqu’à la recherche des réalités que l’histoire à dû figurer. Car ces faits sont réellement arrivés dans la cité de Ninive, mais ils en représentaient d’autres qui dépassent l’enceinte de cette cité. C’est un fait réel que le prophète fut trois jours dans les entrailles du ventre, et néanmoins le prophète [Jonas] est la figure de celui qui sera trois jours dans les abîmes de l’enfer, et celui-là est le Seigneur de tous les prophètes. Si donc il est raisonnable de voir dans cette ville la figure prophétique de l’Eglise des Gentils [des non-juifs], renversée par la pénitence jusqu’à ne plus être ce qu’elle était ; comme le Christ est l’auteur de ce changement dans l’Eglise des Gentils que figure Ninive, c’est le Christ lui-même que désignent ces quarante jours ou ces trois jours ; quarante, car tel est le nombre des jours qu’il passe avec ses disciples après sa résurrection avant de monter au ciel ; trois, car il ressuscite le troisième jour. Et ne dirait-on pas que les Septante, interprètes, et prophètes aussi – réveillent le lecteur qui s’endort sur la lettre du récit historique, et l’exhortent ainsi à sonder l’abîme de la prophétie : Cherche dans les quarante jours celui-là même en qui tu pourras trouver les trois jours ; là, tu trouveras son ascension, ici, sa résurrection. Il a donc pu, dans l’un et l’autre nombre, êrte parfaitement désigné ; d’une façon par le prophète Jonas, de l’autre par la prophétie des Septante, mais toujours par le seul et même Esprit. J’abrège, ne voulant pas multiplier les exemples où les Septante paraissent s’éloigner de la vérité du texte hébreu, et, mieux compris, se trouvent d’accord avec elle. Aussi moi-même, marchant autant qu’il est permis à ma faiblesse sur les traces des apôtres qui invoquent également en témoignage prophétique l’hébreu et les Septante, je crois devoir m’appuyer sur l’une et l’autre autorité, parce que l’une et l’autre est une et divine. Mais achevons, selon nos forces, l’oeuvre qui nous reste.

Martin Luther, Oeuvres, Tome II, Genève, Labor et fides, 1966, De la captivité babylonienne de l’Eglise (1520), p.224-225

Non contente de cela, notre Babylone [l’Eglise romaine] a encore aboli la foi, au point de nier avec impudence qu’elle fût nécessaire au sacrement. Plus encore, avec une impiété d’Antéchrist, elle a défini comme une hérésie l’affirmation de quiconque dirait la foi nécessaire. Qu’y a-t-il d’autre que cette tyrannie eût pu faire et qu’elle n’ait fait ? Vraiment, « nous sommes assis au bord des fleuves de Babylone et nous pleurons quand nous nous souvenons de toi, Sion. Nous avons suspendu nos instruments aux saules [qui poussent] au milieu d’elle » (Ps 137,1-2). Que le Seigneur maudisse les saules stériles de ces fleuves ! Amen.
Mais après que la foi et la promesse ont été subtilisées et renversées, voyons donc ce qu’ils [les théologiens de l’Eglise romaine] ont mis en leur lieux et place. Ils ont attribué trois parties à la pénitence: la contrition, la confession et la satisfaction, mais ils l’ont fait de manière à priver chacune d’elles de ce qu’elle aurait pu contenir de bon et à y établir, là encore, le règne de leurs appétits et leur tyrannie.
Pour commencer, ils ont enseigné une contrition qui a le pas sur la foi de la promesse et qui lui est bien supérieure: elle n’est pas le fruit de la foi mais un mérite ; ils vont jusqu’à ne pas faire mention de la foi. C’est ainsi qu’ils se sont attachés aux oeuvres et aux exemples que l’on trouve dans les Ecritures ; à lire ces dernières, [en effet], il en est beaucoup qui ont obtenu le pardon en raison de leur contrition de cœur et de leur humilité [il faut entendre: humiliation]. Mais ils n’aperçoivent pas la foi qui a opéré cette contrition et cette tristesse du cœur, comme il arriva aux gens de Ninive : « Et les hommes de Ninive, est-il écrit, crurent au Seigneur et ils proclamèrent un jeûne, etc. » (Jon 3,5). Plus impudents et pires que ces derniers, ils [les théologiens de l’Eglise romaine] ont imaginé une certaine attrition, qui deviendrait contrition en vertu du pouvoir des clefs: ce pouvoir dont ils ne savent pas ce qu’il est. Cette attrition, ils la prêtent aux impies et aux incrédules, de sorte qu’il ne reste rien de la contrition. Oh ! l’écrasante colère de Dieu, que de telles choses puissent être enseignées dans l’Eglise de Christ ! Voici que la foi et son oeuvre sont abolies, et nous cheminons tranquilles dans la voie des doctrines et des opinions humaines ! Nous y périssons, à vrai dire. C’est une grande chose qu’un cœur contrit, mais ce n’est là le fait que d’une foi ardente dans la promesse et dans la menace de Dieu, qui, ayant bien considéré la vérité immuable de Dieu, fait trembler, terrifie et brise ainsi la conscience et, quand elle l’a brisée, la redresse, la console et la garde, de telle sorte que la vérité de la menace est la cause de la contrition et la vérité de la promesse la cause de la consolation, si elle est reçue dans la foi, et que par cette foi est méritée [reste du langage catholique] la rémission des péchés. Il en découle qu’avant tout, la foi doit être enseignée et suscitée; mais, lorsque la foi est là, la contrition et la consolation viennent d’elles-mêmes comme une suite inévitable.

Martin Luther, Oeuvres, Tome XV, Genève, Labor et fides, 1969, Commentaire de l’Epître aux Galates (1538), p.220

[…] C’est ainsi qu’il [Naaman le Syrien] est justifié. En entendant cela, Le Juif crève de dépit et il dit : le païen serait-il justifié sans garder la loi et nous serait-il comparé, à nous qui sommes circoncis ?
C’est pour cette raison que, longtemps auparavant, au temps où le gouvernement de Moïse était en pleine vigueur, Dieu fit connaître qu’il justifiait les hommes sans la loi. Et il justifia certes de nombreux rois, en Egypte, à Babylone, de même que Job et d’autres peuples orientaux ; Ninive, enfin la très grande ville, est justifiée et reçoit de Dieu la promesse de salut : elle ne sera pas détruite. Comment cela ? Non parce qu’elle écoutait et qu’elle accomplissait la loi, mais parce qu’elle croyait à la Parole de Dieu que le prophète Jonas prêchait. Car telles sont bien les paroles du prophète : « Les Ninivites crurent en Dieu et ils proclamèrent un jeûne et se vêtirent de sacs. » (Jon 3,5) Cela signifie qu’ils se repentirent. Les adversaires [de Luther] laissent tomber dédaigneusement ces mots : « Ils crurent », et, cependant, tout le sens est là. On ne lit pas dans le prophète Jonas que les Ninivites accueillirent la loi de Moïse, qu’ils furent circoncis, qu’ils sacrifièrent, qu’ils accomplirent toutes les oeuvres de la loi, mais que, croyant (à la Parole), ils se repentirent en se couvrant de sacs et de cendres.
Ces choses eurent lieu avant que Christ fit son apparition, alors que régnait encore la foi au Christ à venir. Si donc les païens justifiés alors sans la loi reçurent secrètement le Saint-Esprit, tandis que le régime de la loi subsistait encore, pourquoi la loi serait-elle exigée maintenant pour la justice puisqu’elle est abrogée à cause de la venue du Christ ? Cet argument tiré de l’expérience des Galates est donc très solide : « Avez-vous reçu », etc.? Ils sont donc contraints de confesser qu’ils n’ont rien entendu [dire] du Saint-Esprit avant la prédication de Paul, mais qu’ils ont reçu le Saint-Esprit alors qu’il prêchait l’Evangile.

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