Prédication : Sagesse et folie de l’Evangile

Ce livre du médecin militaire et psychologue français Charles Binet-Sanglé (1868-1941) n’a pas de rapport direct avec mon message, si ce n’est son titre. Il s’agit du second tome d’une série de quatre volumes sur La folie de Jésus, décrite comme une pathologie religieuse, qui fit scandale parmi les milieux conservateurs et chrétiens. Il peut être consulté en ligne sur archive.org et visualisé sur alibris.co.uk.

A propos de la folie de l’Evangile, lire également l’ouvrage best-seller dès sa parution de l’humaniste de la Renaissance Didier Erasme, Eloge de la folie (1511), Flammarion, 2016.

Voir la liste de mes prédications ordonnées par références bibliques.

Livre du prophète Esaïe 40,12-20 – Dieu rassure : il rend courage à son peuple

12 Qui a jaugé dans sa paume les eaux de la mer,
dans son empan toisé les cieux,
tassé dans un boisseau l’argile de la terre,
pesé les montagnes sur une bascule
et les collines sur une balance ?

13 Qui a toisé l’esprit du SEIGNEUR
et lui a indiqué l’homme de son dessein ?

14 De qui donc a-t-il pris conseil, qui puisse l’éclairer,
lui enseigner la voie du jugement,
lui enseigner la science
et lui indiquer le chemin de l’intelligence ?

15 Voici que les nations sont comme une goutte tombant d’un seau !
Elles comptent comme poussière sur la balance.
Voici les îles : comme de la poudre il les soulève.

16 Le Liban ne suffirait pas pour la flambée
et ses bêtes ne suffiraient pas pour l’holocauste.

17 Toutes les nations sont devant lui comme rien ;
elles comptent pour lui comme néant et nullité.

18 A qui assimilerez-vous Dieu ?
Que placerez-vous de ressemblant à côté de lui ?

19 L’idole ? c’est un artisan qui l’a coulée ;
mouleur, il plaque sur elle de l’or,
moulant aussi des bandeaux d’argent.

Première épître de Paul aux Corinthiens 2,6-16 – La sagesse de Dieu

6 Pourtant, c’est bien une sagesse que nous enseignons aux chrétiens adultes, sagesse qui n’est pas de ce monde ni des Princes de ce monde, voués à la destruction. 7 Nous enseignons la sagesse de Dieu, mystérieuse et demeurée cachée, que Dieu, avant les siècles, avait d’avance destinée à notre gloire. 8 Aucun des Princes de ce monde ne l’a connue, car s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. 9 Mais, comme il est écrit, c’est ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.

10 En effet, c’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. 11 Qui donc parmi les hommes connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon l’Esprit de Dieu. 12 Pour nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons de la grâce de Dieu. 13 Et nous n’en parlons pas dans le langage qu’enseigne la sagesse humaine, mais dans celui qu’enseigne l’Esprit, exprimant ce qui est spirituel en termes spirituels. 14 L’homme laissé à sa seule nature n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu. C’est une folie pour lui, il ne peut le connaître, car c’est spirituellement qu’on en juge. 15 L’homme spirituel, au contraire, juge de tout et n’est lui-même jugé par personne. 16 Car qui a connu la pensée du Seigneur pour l’instruire ? Or nous, nous avons la pensée du Christ.

Evangile de Marc 3,20-27 – Jésus et Béelzéboul

20 Jésus vient à la maison, et de nouveau la foule se rassemble, à tel point qu’ils ne pouvaient même pas prendre leur repas. 21 A cette nouvelle, les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : « Il a perdu la tête. » 22 Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient : « Il a Béelzéboul en lui » et : « C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons. » 23 Il les fit venir et il leur disait en paraboles : « Comment Satan peut-il expulser Satan ? 24 Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut se maintenir. 25 Si une famille est divisée contre elle-même, cette famille ne pourra pas tenir. 26 Et si Satan s’est dressé contre lui-même et s’il est divisé, il ne peut pas tenir, c’en est fini de lui. 27 Mais personne ne peut entrer dans la maison de l’homme fort et piller ses biens, s’il n’a d’abord ligoté l’homme fort ; alors il pillera sa maison.

Prédication du dimanche 28 avril 2024 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

Dans cette prédication, les citations de 1 Cor sont entre parenthèses, sans l’abbréviation du livre (exemple : 2,2), tandis que les nombreuses citations des Evangiles sont indiquées sans parenthèses. Lorsqu’une citation apparaît dans plusieurs Evangiles, c’est toujours celui de Matthieu qui est cité, car les Bibles indiquent habituellement les passages parallèles.

Le thème de la sagesse et de la folie de l’Evangile dans les quatre premiers chapitres de la première épître de Paul aux Corinthiens

Dans les chapitres 1 à 4 de sa première épître aux Corinthiens, adressée à l’Eglise d’une ville grecque proche d’Athènes, l’apôtre Paul nous offre une de ses présentations les plus claires, les plus denses et les plus profilées de sa façon d’annoncer l’Evangile. On appelle ce passage l’Evangile de la croix, parce que Paul y explique aux Corinthiens qu’il a « décidé de ne rien savoir parmi [eux], sinon Jésus-Christ, et Jésus Christ crucifié » (2,2).

Ce discours centré sur la croix est d’autant plus surprenant qu’à la fin de cette première épître aux Corinthiens, l’apôtre Paul développe son explication la plus complète de la résurrection. Mais pour Paul, le véritable pivot autour duquel gravite tout son Evangile est la croix. Le lieu où s’opère le salut est la croix, et la résurrection en est la conséquence.

La définition la plus ramassée que Paul donne de son Evangile de la croix est la suivante : « Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1,22-24). En d’autres termes, les Juifs veulent des preuves pour croire en Jésus, tandis que les Grecs s’intéressent à la philosophie (la sagesse humaine), tandis que les chrétiens, qui prêchent que le Messie de Dieu a été crucifié par les hommes, passent pour des fous !

Jésus, désavoué par ses concitoyens, était-il fou ou sage ?

Le thème de cette annonce de l’Evangile par Paul est donc l’opposition entre sagesse et folie. Jésus était-il fou ou sage ? Et donc, est-ce une absurdité de le considérer comme l’envoyé de Dieu, comme si l’on s’attachait à un insensé qui a tout raté, ou au contraire, l’attitude étrange de Jésus cache-t-elle la révélation de Dieu dans l’histoire humaine ?

Ce qui est très surprenant, dans les paroles de l’apôtre Paul, c’est que Jésus ne s’est pas exprimé lui-même en termes de sagesse et de folie. Paul, qui n’a jamais rencontré Jésus en personne, mais qui a reçu sa révélation sous forme d’une grande lumière aveuglante alors qu’il était en chemin vers de Damas, pour persécuter les chrétiens, a donc inventé une nouvelle manière de présenter l’Evangile, adaptée à la mentalité philosophique des Grecs.

Cet aspect est très important pour nous, car si Paul, déjà du temps de Jésus, a dû modifier le message pour le rendre compréhensible, cela signifie que nous aussi, qui partageons l’Evangile deux millénaires plus tard, dans une tout autre culture, devons le rendre actuel.

Déjà lors de son ministère en Galilée, la patrie de son enfance, Jésus était désavoué par ses concitoyens, qui se demandaient dans leur synagogue : « D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? N’est-ce pas le fils du charpentier ? » Mt 13,54-55. Et l’Evangile de Marc relate des événements plus dramatiques : « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : ‘Il a perdu la tête’ Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient ;’Il a Béelzéboul en lui’ et ‘c’est par le chef des démons qu’il chasse les démons’» Mc 3,21-22. Déjà de son vivant, Jésus était pris pour un fou dangereux, mais il ne déclarait pas lui-même que son message était un scandale ou une folie, comme l’a fait Paul ensuite. Toutefois, Jésus semble avoir été conscient très tôt qu’il allait être rejeté et mis à mort.

sagesse et folie dans les quatre Evangiles du Nouveau Testament

Essayons donc, à partir des informations que nous trouvons dans les quatre Evangiles du Nouveau Testament, d’établir un bilan de ce qui était plutôt sage ou plutôt fou dans l’attitude et le message de Jésus, durant son ministère en Galilée et au-delà, de son vivant, donc bien avant que Paul écrive son Evangile de la croix. Il n’est pas question d’être exhaustif. Je ne mentionne que des exemples, en commençant par les éléments de sagesse.

On peut estimer que la sagesse suprême de Jésus se situe dans le commandement qu’il place au centre de son message « tu aimeras ton prochain comme toi-même » Mt 22,39, qu’il hérite de l’Ancien Testament (Lév 19,18). Ce commandement établit une égalité entre les hommes, et fonde des relations basées sur le soin accordé à la fois à soi et à son prochain. Cette consigne a eu des effets considérables dans les domaines de la médecine, du droit, de la psychologie et de la philosophie. Mentionnons ensuite, dans le Sermon sur la montagne, la modestie (ne pas se vanter de ses aumônes, Mt 6,1-4) et le non-jugement (ne pas regarder la paille dans l’œil de son frère, avant la poutre dans le sien, Mt 7,1-5). Jésus enseigne ensuite le sens de la mesure (Ne pas commencer de bâtir une tour qu’on risque de ne pas pouvoir terminer, Lc 14,28-30) et la prudence (ne pas jeter vos perles aux porcs, Mt 7,6, c’est-à-dire se méfier des confidences à des gens malhonnêtes). De tels enseignements de sagesse ont un caractère universel, on les retrouve dans plusieurs cultures, mais le génie de Jésus consiste à les avoir rassemblés dans un ensemble de consignes à la fois précises et simples à retenir.

Maintenant, du côté des folies, Jésus n’est pas en reste ! Il surprend même, dans ce domaine, en renversant bon nombre de valeurs : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Quiconque s’élèvera sera abaissé [et inversement] » Mt 23,11-12, et enfin, « les derniers seront premiers [et inversement] » Mt 20,16. Ainsi, un jour, observant sans gêne combien les gens donnaient à la collecte, Jésus déclara qu’avec « quelques centimes », la « veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc » Mc 12,41-44.

Mais ses consignes contraires à toute sagesse vont bien au-delà : Il commande à ses disciples « Aimez vos ennemis […], afin d’être vraiment les fils de votre Père » Mt 5,43-48. A un homme en deuil de son père, il assène « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts » Mt 8,21-22. A ceux qui sont en proie à des tentations visuelles, il commande « Si ton œil droit entraine ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi », et à ceux qui ont tendance à voler, il ordonne de se couper la main Mt 27,30. Certains, dans l’histoire de l’Eglise, par la crainte de pécher et d’être condamnés, se sont amputés des membres.

De façon plus générale, pour suivre Jésus, l’exigence paraît énorme, démesurée : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut être mon disciple » Lc 14,25-27.

A mon sens, tant les enseignements de sagesse que ceux de folie ont autant de valeur dans la prédication de Jésus. Il n’est donc pas seulement un maître de sagesse, mais aussi un provocateur et un leader aux affirmations percutantes, qui l’ont rendu ultracélèbre. Jésus sait être à la fois doux et dur, tolérant et sévère, pardonneur et accusateur, sage et fou.

Le scandale de la croix : Folie de Dieu pour les incroyants et sagesse de Dieu pour les croyants

Durant les années qui suivirent sa crucifixion, une fois Jésus disparu du monde visible, l’apôtre Paul, ainsi sans doute que bon nombre des apôtres et des premiers chrétiens, en sont venus à penser, comme le dit fort bien Paul, que « l’homme laissé à sa seule nature n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu, car c’est spirituellement qu’on en juge » (2,14). Ils ont ainsi échafaudé la théorie selon laquelle c’est seulement en étant inspiré par l’Esprit Saint que l’on peut comprendre et adhérer au message de l’Evangile. Pour preuve, Paul avance que si les « Princes de ce monde », donc les chefs religieux juifs et politiques romains, avaient connu la sagesse de l’Evangile, ils n’auraient pas crucifié le Christ (2,8).

Par la suite, pour équilibrer son propos, l’apôtre Paul précise que si l’Evangile semble d’abord une folie, un message contraire à tout bon sens, il se transforme peu à peu, dans l’esprit du croyant, en une « sagesse de Dieu, mystérieuse et […] cachée » (2,7). Amen

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