Prédication du dimanche des Rameaux : Ce en quoi le Christ est divin selon l’hymne de l’épître de Paul aux Philippiens

Zacharie 9,9-10

9 Tressaille d’allégresse, fille de Sion !
Pousse des acclamations, fille de Jérusalem !
Voici que ton roi s’avance vers toi ;
il est juste et victorieux,
humble, monté sur un âne
– sur un ânon tout jeune.

10 Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre
et de Jérusalem, le char de combat.
Il brisera l’arc de guerre
et il proclamera la paix pour les nations.
Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre
et du Fleuve jusqu’aux extrémités du pays.

Evangile de Luc 19,29-40

29 Or, quand il approcha de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont dit des Oliviers, il envoya deux disciples 30 en leur disant : « Allez au village qui est en face ; en y entrant, vous trouverez un ânon attaché que personne n’a jamais monté. Détachez-le et amenez-le. 31 Et si quelqu’un vous demande : “Pourquoi le détachez-vous ?” vous répondrez : “Parce que le Seigneur en a besoin.” »

32 Les envoyés partirent et trouvèrent les choses comme Jésus leur avait dit. 33 Comme ils détachaient l’ânon, ses maîtres leur dirent : « Pourquoi détachez-vous cet ânon ? » 34 Ils répondirent : « Parce que le Seigneur en a besoin. » 35 Ils amenèrent alors la bête à Jésus, puis jetant sur elle leurs vêtements, ils firent monter Jésus ; 36 et à mesure qu’il avançait, ils étendaient leurs vêtements sur la route. 37 Déjà il approchait de la descente du mont des Oliviers, quand tous les disciples en masse, remplis de joie, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus. 38 Ils disaient : « Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » 39 Quelques Pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus : « Maître, reprends tes disciples ! »40 Il répondit : « Je vous le dis : si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront. »

Epître de Paul aux Philippiens 2,5-11 : L’hymne au Christ

5 Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ :

6 lui qui est de condition divine
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.

7 Mais il s’est dépouillé (grec : ekenosen),
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes,
et, reconnu à son aspect comme un homme,

8 il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
à la mort sur une croix.

9 C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé
et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,

10 afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,

11 et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ,
à la gloire de Dieu le Père.

Prédication du dimanche des Rameaux 10 avril 2022
à l’Eglise réformée de Péry, dans le Jura bernois.

A son entrée à Jérusalem, Jésus est accueilli comme le roi qui vient au nom du Seigneur ! (Lc 19,38) Mais l’humilité de sa monture, un jeune âne, est-elle déjà un signe de supplice qui l’attend, la croix ? Selon les Evangiles, Jésus a prévenu ses disciples de sa crucifixion, ce qui suppose qu’au milieu des acclamations, il sait déjà que c’est vers la mort qu’il s’avance. Cette perspective de la Passion rend la joie de la fête des Rameaux très relative.

Par la suite, le martyr du Messie est devenu le centre de la prédication chrétienne. L’hymne de la lettre de Paul aux Philippiens est un exemple des tentatives des premiers chrétiens de comprendre le sens de la mort du Christ, qui fut totalement inattendue et surprenante. Ce chant de louange à la gloire de Jésus Christ contient des idées qui ont muri parmi ses disciples après sa mort et sa résurrection. Certains d’entre eux, dont l’apôtre Paul, n’avaient pas connu Jésus de son vivant, avant les événements de Pâques.

La première idée que l’hymne exprime est aussi la plus surprenante : « Lui qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu ». Lors de la fête des Rameaux, les disciples avaient proclamé Jésus roi, mais ici, faut-il conclure qu’ils le comparent même à Dieu ? Cela semble bien être le cas, mais comme le précise le théologien catholique Joseph Ratzinger, qui deviendra le Pape Benoit XVI, je le cite, « dans ses sentiments, Jésus ne revendique pas jalousement son droit d’être considéré comme l’égal de Dieu », au contraire, « il s’engage dans l’humble condition de serviteur ».

Lors des séances de catéchisme, j’entends parfois certains enfants me dire : « Dieu est né dans une étable, Dieu est mort sur la croix ». Ces formulations sont quelque peu étranges, car elles semblent oublier que si Jésus est Dieu, il est Dieu qui s’est fait homme, donc pleinement humain et non seulement divin. A ce sujet, les formulations de l’hymne de l’épître de Paul peuvent être sujettes à caution. Il y est dit en effet que Jésus, je cite, « s’est dépouillé, devenant semblable aux hommes, reconnu à son aspect comme un homme ». Cette manière de décrire l’aspect de Jésus pourrait laisser entendre qu’il n’était pas vraiment un homme, mais qu’il était Dieu déguisé en homme, comme les docètes des premiers siècles de l’Eglise l’enseignaient. Le mot «docète» vient du grec «dokein», qui signifie «paraître». Les docètes croyaient que Jésus paraissait seulement être un homme, sans être vraiment humain, ce qui leur permettait de croire qu’il n’avait pas souffert sur la croix, puisqu’il était un esprit divin, et que son corps souffrant n’était qu’une apparence.

Je souligne que les chrétiens de toutes les confessions n’ont pas retenu cette option : pour nous, même s’il est de nature divine, le Christ Jésus a réellement souffert sur la croix en tant qu’homme. Mais alors, en quoi Jésus est-il Dieu ? Pour la plupart des théologiens chrétiens – catholiques, orthodoxes, protestants, évangéliques ou autres – Jésus a exprimé le caractère de Dieu par le don parfait de lui-même qu’il a accompli sur la croix. Il s’agit d’un acte d’amour parfait qu’aucun homme pécheur n’est capable de réaliser.

Selon l’hymne de la lettre de Paul aux Philippiens, c’est bien parce que Jésus s’est « abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort sur la croix », que « Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom », c’est-à-dire le nom divin. En fait, si Jésus est Dieu, c’est parce qu’il est parvenu à se désintéresser complètement de lui-même en faveur d’autrui. Cela suppose qu’il y a un lien entre être Dieu et parvenir à se détacher de toute forme d’égoïsme. Selon la foi chrétienne, Dieu est le pur don d’amour. Cette approche n’est pas très éloignée de l’idée bouddhiste du non-soi, selon laquelle c’est en renonçant au désir d’être soi que l’on parvient à la béatitude et à la compassion infinies.

Le théologien orthodoxe Vladimir Lossky, né en 1903 et mort en 1958, explique à ce sujet, je le cite, qu’« une personne qui s’affirme comme individu en s’enfermant dans ses propres limites ne parvient pas à se réaliser pleinement – au contraire, elle s’appauvrit. C’est en renonçant à son être propre, en le donnant librement, en cessant d’exister pour soi-même qu’une personne s’exprime pleinement auprès de tous ». Concrètement, nous avons tous fait l’expérience que les gens qui ne parlent que d’eux-mêmes, qui se placent au centre et n’écoutent pas les autres, deviennent vite fastidieux ou écrasants, que ce soit dans le monde professionnel ou politique, ou dans les relations amicales et familiales.

Pour exprimer cette libération de soi-même, l’apôtre Paul utilise dans l’hymne qu’il adresse aux Philippiens un verbe qui est resté célèbre dans toute la théologie chrétienne : il dit que le Christ, l’égal de Dieu, « s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur ». Ce mot «dépouillé» traduit le verbe grec «kénoo» qui signifie «vider, évacuer, abandonner». L’apôtre Paul semble dire ici que Dieu s’est vidé de lui-même, qu’il s’est abandonné lui-même en Jésus-Christ, en assumant la condition de serviteur jusqu’à la mort sur la croix.

Le théologien protestant Jürgen Moltmann, âgé actuellement de 95 ans, explique que, je le cite, « Dieu est devenu homme tel que nous voudrions ne pas l’être, [c’est-à-dire comme] un rejeté, un maudit, un crucifié ». Il suppose ainsi que Dieu peut souffrir et faire l’expérience de la faiblesse, de la vulnérabilité, une idée que l’islam n’admet pas. Selon Moltmann, la souffrance de Dieu est liée à son amour sans limite, qui ose et risque tout.

Il précise ainsi que dans son humiliation jusqu’à la mort de la croix, Dieu ne se cache pas, mais il est « totalement en lui-même et totalement en l’autre ». Moltmann en déduit ces paroles magnifiques : « Dieu n’est nulle part plus grand que dans cette humiliation. Dieu n’est nulle part plus magnifique que dans ce don. Dieu n’est nulle part plus puissant que dans cette impuissance. Dieu n’est nulle part plus divin que dans cette humanité ». Selon Moltmann, « tout ce que la théologie chrétienne dit de Dieu se fonde en son centre dans cet événement du Christ. Ce qui arrive au Christ en croix est ce qui arrive à Dieu même ».

Ce théologien actuel reprend ainsi la pensée du moine Martin Luther, le fondateur du protestantisme au XVIème siècle. Dans son sens, je tiens ici à souligner que la théologie de la croix de Luther peut être comprise de plusieurs manières. Nous pensons habituellement que Luther enseignait que Dieu se révèle sous son contraire à la croix, c’est-à-dire humilié alors qu’il est glorieux, faible alors qu’il est puissant, mortel alors qu’il est éternel, etc. mais il est aussi possible de comprendre le message de Luther autrement : Dieu s’est révélé à la croix tel qu’il est, dans le don parfait de son amour, mais cette révélation est restée incomprise car elle ne correspondait pas du tout à ce que l’homme attendait.

Je termine mon message en revenant à la première phrase de l’hymne au Christ, qui nous concerne directement. Il y est demandé, en effet : « Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus-Christ », c’est-à-dire, comme le Christ s’est lui-même comporté en prenant la condition de serviteur, et s’est abaissé jusqu’à la mort de la croix. L’hymne tout entier nous invite ainsi à réaliser une tâche impossible, celle d’imiter le Christ. Si le don parfait de l’amour altruiste nous est impossible, nous pouvons tout-de-même essayer de refléter en partie le caractère serviable et généreux du Maître, une attitude qui facilite grandement nos relations humaines lorsque nous la pratiquons en toute humilité. Amen

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