Prédication : Quelle justice pour quel Evangile ?

Amour et violence, représentation enfantine. Exposition de dessins d’enfants, Vienne, 1986.

Esaïe 63,15-17

15Regarde et vois, depuis le ciel,
depuis ton palais saint et splendide :
où sont donc ton ardeur et ta vaillance,
l’émoi de tes entrailles ?
Tes tendresses pour moi ont-elles été contenues ?

16C’est que notre Père, c’est toi !
Abraham en effet ne nous connaît pas,
Israël ne nous reconnaît pas non plus ;
c’est toi, SEIGNEUR, qui es notre Père,
notre Rédempteur depuis toujours, c’est là ton nom.

17Pourquoi nous fais-tu errer, SEIGNEUR,
loin de tes chemins,
et endurcis-tu nos cœurs
qui sont loin de te craindre ?
Reviens, pour la cause de tes serviteurs,
des tribus de ton patrimoine.

Ephésiens 5,1-7

1Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu’il aime ; 2vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous, en offrande et victime, comme un parfum d’agréable odeur. 
3De débauche, d’impureté, quelle qu’elle soit, de cupidité, il ne doit même pas être question parmi vous ; cela va de soi pour des saints. 4Pas de propos grossiers, stupides ou scabreux : c’est inconvenant ; adonnez-vous plutôt à l’action de grâce. 
5Car, sachez-le bien, le débauché, l’impur, l’accapareur – cet idolâtre – sont exclus de l’héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu. 6Que personne ne vous dupe par de spécieuses raisons : c’est bien tout cela qui attire la colère de Dieu sur les rebelles. 
7Ne soyez donc pas leurs complices.

Evangile de Matthieu 7,1-5 – La paille et la poutre

1« Ne vous posez pas en juge, afin de n’être pas jugés ; 2car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera, et c’est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous.

3Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? 4Ou bien, comment vas-tu dire à ton frère : “Attends ! que j’ôte la paille de ton œil” ? Seulement voilà : la poutre est dans ton œil ! 5Homme au jugement perverti, ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l’œil de ton frère.

Prédication du dimanche 14 février 2021 à Péry dans le Jura bernois, en Suisse

Je vous présente, dans ce message, diverses manières de vivre la justice, exposées par Matthieu et Paul dans les textes bibliques du jour, avant de conclure par quatre questions que je vous invite à méditer chez vous. Toutes nous enseignent que la justice n’est pas seulement une question juridique, réservée aux juges et aux avocats, mais qu’elle nous concerne tous. Être juste, c’est vivre correctement, et recevoir l’estime de ses proches.

Je présenterai cinq manières de vivre la justice de la plus souple à la plus rigide, car on trouve toute cette gamme dans le Nouveau Testament. (1) Voici la plus légère, chez Matthieu : « Ne vous posez pas en juges, afin de ne pas être jugés, car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera » (Mt 7,1-2). Cette invraisemblable justice, pourtant très populaire et pleine de bon sens, suppose que l’on pardonne plus volontiers aux gens qui sont tolérants avec les autres. Et nous avons des raisons de penser que ce passage laisse entendre que Dieu se comportera de la même manière : son jugement sera plus magnanime envers les gens compatissants.

Nous avons là, exprimé en quelques mots, l’accent prioritaire de la justice chrétienne : il s’agit toujours d’une justice de la compassion. Chrétiennement, nous cherchons d’abord à comprendre les raisons du coupable, ce qui l’a poussé à commettre une faute, un crime, et non seulement à l’accabler du poids de sa faute. Le pécheur a le droit d’être écouté.

Cependant, cette justice light comporte tout de même un problème : « Ne vous posez pas en juge, afin de ne pas être jugés » devient laxiste à partir du moment où l’on comprend qu’il suffit de ne pas condamner les autres pour se voir autorisé à faire n’importe quoi.

(2) Quoi qu’il en soit, un principe semblable, célébrissime, sert d’entrée en matière à l’écrit théologique le plus consistant du Nouveau Testament, l’épître de Paul aux Romains : « Tu es donc inexcusable, toi, qui que tu sois, qui juges ; car, en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, puisque tu en fais autant, toi qui juges » (Rm 2,1). Paul tire de cette observation le principe – fondateur pour l’ensemble de théologie chrétienne – selon lequel l’humanité entière gît sous l’empire du péché, dont seule la grâce, œuvre divine, peut nous libérer.

Le plancher de la justice de l’Evangile est ainsi posé : Nous serons jugés de la manière dont nous jugeons les autres, et dans la mesure où nul d’entre nous n’est irréprochable, lorsque nous condamnons les autres, notre jugement se retourne contre nous-mêmes.

(3) Cela nous déplace vers la troisième justice : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère ? Ôte d’abord la poutre dans ton œil » (Mt 7,3.5). Le non-jugement d’autrui libère notre esprit pour le seul effort spirituel digne de ce nom : le travail sur soi. Soyons bien attentifs à la formulation : Il ne s’agit pas d’une rengaine morale, « pèche moins ! », mais spirituellement, d’ôter la poutre de son œil, c’est-à-dire d’être davantage clairvoyant.

Cette troisième justice prévient donc le laxisme de la première. Elle appelle les chrétiens que nous sommes à devenir nous-mêmes nos propres soignants, auto-guérissants et auto-perfectionnants dans la foi. (4) D’autre part, le texte du prophète Esaïe, loin de faire de Dieu un simple justicier, fait du Seigneur un Rédempteur psychologue : « c’est toi, Seigneur, qui es notre Père, […] Pourquoi nous fais-tu errer, Seigneur, loin de tes chemins, et endurcis-tu nos cœurs qui sont loin de te craindre ? » (Es 6316-17).

En négatif, ce texte montre qu’il est attendu de Dieu non seulement qu’il soit un Rédempteur, c’est-à-dire un Dieu qui rachète ce que doit l’humain débiteur, mais avant tout qu’il soit un Père qui conduit ses enfants sur le bon chemin et assouplit leurs cœurs, en leur enseignant à le « craindre », non par peur, mais par amour et par fidélité. La vie chrétienne est faite d’un travail sur soi, autonome, et d’une relation à Dieu, partagée.

La troisième et la quatrième justice nous apprennent donc un nouvel élément essentiel de la justice biblique : on ne peut jamais l’isoler complètement de la relation personnelle et spirituelle qui s’établit entre l’homme et Dieu dans la foi. La justice chrétienne n’est pas une simple justice formelle, que l’on pourrait écrire exhaustivement dans un code de lois. C’est une justice vivante, relationnelle, restaurative, qui trace une histoire entre Dieu et son peuple. Cette justice ne produit pas avant tout une condamnation, une scission, mais elle génère la réhabilitation du peuple de Dieu et du genre humain dans son ensemble.

On comprend dès lors que la justice de Dieu ne peut se contenter de pardonner, il doit s’agir d’une justice active, propre à régénérer l’être humain dans de bonnes dispositions d’esprit, propres à surmonter les forces du mal en vue du bien.

(5) Venons-en donc à la cinquième justice, la plus exigeante, celle dont il est question dans l’épître aux Ephésiens, un texte que plusieurs exégètes du Nouveau Testament, bien que la question fasse encore débat, n’attribuent pas à l’apôtre Paul mais à l’un de ses disciples.

Nous nous trouvons ici face à un discours de justice incomparablement plus sévère que dans les autres textes. Il est d’abord affirmé que le Christ « s’est livré lui-même à Dieu pour nous, en offrande et victime » (Ep 5,2). Un certain nombre de vices sont ensuite énumérés, qui ne doivent être ni pratiqués ni nommés dans communauté chrétienne : sont notamment citées la débauche, l’impureté, la cupidité, la grossièreté et l’idolâtrie.

L’aspect le plus problématique du texte est l’affirmation selon laquelle de tels péchés condamnent à être « exclus de l’héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu » (Ep 5,5), car « c’est bien tout cela qui attire la colère de Dieu sur les rebelles » (Ep 5,6). On est bien éloignés de la première justice : « Ne vous posez pas en juge, afin de n’être pas jugés ».

De tels textes ont conduit au strict moralisme chrétien, et me semblent problématiques sur deux points au moins : Ce n’est pas le fait qu’il s’agisse de vices qui pose le plus de problèmes à mon sens. On s’accordera, par simple bon sens, sur le fait que la débauche, la cupidité ou la grossièreté ne sont pas recommandables. Cependant, l’interdiction d’en parler a toujours posé problème dans l’histoire de l’Eglise, la vie chrétienne se mue ainsi en une éthique de tabous sous lesquels ne peuvent que foisonner le mal-être et l’hypocrisie. Deuxièmement, la menace de l’enfer aux récidivistes est une charge psychologiquement écrasante qui ne fait que renforcer les victimes d’addiction dans leur cercle vicieux.

Ayant examiné ces cinq textes abordant autant d’aspects de la justice selon la Bible, je termine par quatre questions que je laisse à votre méditation personnelle. Vous constaterez que je me suis déjà prononcé sur ces questions dans mon message. A vous maintenant de vous forger votre idée personnelle, en vous aidant de textes et de mes réflexions :

1) La première justice « Ne vous posez pas en juges, afin de ne pas être jugés, car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera » (Mt 7,1-2) est-elle suffisante, ou est-il nécessaire de la compléter par d’autres formes de justice, et si oui, lesquelles ?

2) Devons-nous exercer une justice de la compassion envers les coupables, et si oui, y a-t-il des limites à cette justice de la compassion ?

3) Pouvons-nous être nos propres guides spirituels en ôtant la poutre qui est dans notre œil, afin d’être plus clairvoyants ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets et cet auto-perfectionnement du croyant ?

4) Quel est le but de la justice ? Punir les coupables et dédommager les victimes, ou restaurer la relation entre les coupables et les victimes, en cherchant si possible un chemin de pardon et de réparation ?

Note pour conclure : La Bible, le Nouveau Testament inclus, nous apparaît comme un texte incroyablement riche, instructif, diversifié, inspiré, propre à susciter la réflexion et à nous orienter, à nous réveiller, mais critiquable aussi sous certains aspects. Amen

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