Prédication : Le sens du récit de la Transfiguration chez Marc

Evangile de Marc 9,2-13

2 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux, 3 et ses vêtements devinrent éblouissants, si blancs qu’aucun foulon sur terre ne saurait blanchir ainsi. 4 Elie leur apparut avec Moïse ; ils s’entretenaient avec Jésus. 5 Intervenant, Pierre dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie. » 6 Il ne savait que dire car ils étaient saisis de crainte. 7 Une nuée vint les recouvrir et il y eut une voix venant de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le ! » 8 Aussitôt, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus, seul avec eux. 9 Comme ils descendaient de la montagne, il leur recommanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts. 10 Ils observèrent cet ordre, tout en se demandant entre eux ce qu’il entendait par « ressusciter d’entre les morts ».

11 Et ils l’interrogeaient : « Pourquoi les scribes disent-ils qu’Elie doit venir d’abord ? » 12 Il leur dit : « Certes, Elie vient d’abord et rétablit tout, mais alors comment est-il écrit du Fils de l’homme qu’il doit beaucoup souffrir et être méprisé ? 13 Eh bien ! je vous le déclare, Elie est venu et ils lui ont fait tout ce qu’ils voulaient, selon ce qui est écrit de lui. »

Prédication du 28 février 2021 à Orvin dans le Jura bernois, en Suisse

Décidément, les disciples ne comprennent rien aux enseignements de Jésus, mais là, « seuls à l’écart sur une haute montagne » (v.2), dans un lieu non identifié, c’est pire que tout ! Pierre est abasourdi par la vision de Jésus resplendissent, entouré d’Elie et de Moïse, qui représentent les deux grands piliers de l’Ancien Testament, Les prophètes et La Loi. Il propose de construire trois tentes, peut-être pour permettre à cette illumination de durer.

L’exégète Etienne Trocmé commente ainsi ce passage : « Le malheureux Pierre, terrorisé comme ses deux compagnons, dit n’importe quoi, avec une bonne volonté touchante et ridicule » (E. T., L’Evangile selon Marc, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 236). Pierre n’est pas le seul déboussolé, l’interprétation de l’étrange et merveilleux récit dit de la Transfiguration a toujours donné du fil à retordre aux théologiens. Le texte grec dit que Jésus s’est métamorphosé (gr. metemorphwthe) devant eux.

On commence à comprendre le sens du récit de la Transfiguration en observant ses liens privilégiés dans l’Evangile de Marc. Etienne Trocmé observe (p.234) qu’il s’agit d’un des deux seuls textes, avec celui du baptême de Jésus – placé lui tout au début de l’Evangile (Mc 1,9-11) – où une voix se fait entendre du ciel : « Celui-ci est mon Fils bien aimé. Ecoutez-le ! » (v.7). Lors du baptême de Jésus, les mêmes paroles n’étaient adressées qu’à Jésus seul : « Tu es mon Fils bien aimé, il m’a plu de te choisir » (Mc 1,11), tandis que dans notre histoire, les trois disciples entendent la voix céleste. Cette simple constatation ne laisse aucun doute quant à l’importance du récit de la Transfiguration. Mais pourquoi, au milieu de l’Evangile de Marc, retrouver des paroles si semblables à celles du baptême ?

Dans sa thèse de doctorat consacrée au récit de la Transfiguration, Pierre-Yves Brandt souligne que le baptême et la Transfiguration révèlent la véritable identité de Jésus, celle d’être le Fils de Dieu, avant même sa mort et sa résurrection (P.-Y. B., L’identité de Jésus et l’identité de son disciple. Le récit de la transfiguration comme clef de lecture de l’Evangile de Marc, Editions universitaires Fribourg Suisse, 2002). Mais les paroles ne suffisent pas à conduire les disciples à la foi : l’expérience est nécessaire ! Comme le soulignent André Couture et François Vouga dans leur nouvelle lecture de l’Evangile de Marc (A. C. et F. V., La présence du royaume. Une nouvelle lecture de l’évangile de Marc, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 115), le récit de la Transfiguration souligne l’identité de la parole et de la personne de Jésus :

Sur la haute montagne, chose étonnante, Jésus n’adresse aucune parole à ses trois proches disciples Pierre, Jacques et Jean, qu’il a pourtant invités. Il s’entretient uniquement avec Elie et Moïse, et on ne sait pas du tout ce qu’ils se disent (v.4). Pierre adresse la parole à Jésus, mais il ne lui répond pas. Ici, la Révélation ne passe pas par des paroles, des preuves, des explications, mais plutôt par l’être, la vision, la lumière, et cette Révélation intime, merveilleuse, va marquer les disciples, et les lecteurs de l’Evangile, durablement.

Nous avons vu comment la Transfiguration de Jésus est reliée à son baptême qui initie l’Evangile de Marc. Voyons maintenant comment cet événement glorieux annonce la résurrection qui clôt l’Evangile. Un détail nous oriente dans ce sens : En redescendant de la montagne, Jésus recommande à ses trois disciples « de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts » (v.9).

On pourrait comprendre ainsi le récit de la Transfiguration : Il s’agirait d’un petit coin de ciel que Jésus aurait dévoilé à ses trois disciples les plus proches, afin que ces derniers soient mieux préparés à vivre les événements de Vendredi-Saint et Pâques. En d’autres termes, ce Jésus transfiguré, métamorphosé, glorifié, serait déjà le Christ ressuscité. La Transfiguration serait-là pour nous apprendre que le Christ qui montre vers Jérusalem, puis vers le calvaire en portant sa croix, est déjà d’une certaine manière le Christ glorieux, même si nous le voyons encore comme le Christ souffrant. Il est le deux à la fois !

Pour mieux nous convaincre que ce Jésus transfiguré, qui apparaît aux trois disciples Pierre, Jacques et Jean, est déjà une première apparition du Christ ressuscité, observons avec attention la position du récit de la Transfiguration dans l’Evangile de Marc :

Notre texte est placé au grand tournant de l’Evangile de Marc : Après avoir accompli de nombreux miracles et envoyé ses disciples en mission au cours des 8 premiers chapitres, Jésus fait le bilan et leur demande à présent ce qu’ils pensent de lui. C’est alors que Pierre lui répond : « Tu es le Christ » (Mc 8,29). A partir de cette célèbre confession, tout s’enchaîne : Jésus annonce à ses disciples qu’il devra souffrir, être rejeté et être mis à mort par les chefs religieux, puis ressusciter le troisième jour. Sur ce, Pierre le prend à part et le réprimande. Du coup, Jésus lui rétorque : « Retire-toi ! Derrière-moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8,33). Jamais des propos d’une telle violence n’ont été échangés jusqu’ici entre Jésus et ses disciples, signe que l’annonce de la croix fait monter la tension de plus d’un cran. On bascule dans la deuxième partie de l’Evangile, celle où Jésus se dirige progressivement vers Jérusalem et vers la Passion.

Poursuivant sur sa lancée, Jésus enseigne maintenant les foules : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive » (Mc 8,34). Non seulement Jésus annonce sa propre croix, mais il entraine ses disciples à sa suite. Le discours aux foules se termine par une note positive : « certains ne mourront pas avant d’avoir vu le Règne de Dieu venu avec puissance (Mc 9,1). Suite à ce climat orageux du chapitre 8, où l’on a basculé dans l’annonce de la croix, il est dès lors très frappant, sans aucune transition, de débuter le chapitre 9… avec le récit paisible de la Transfiguration.

On se demande même s’il ne s’agit pas d’une maladresse de l’évangéliste Marc d’avoir placé ces textes à la suite. Précisément « six jours après » (v.2) avoir traité son disciple Pierre de « Satan », Jésus l’invite en hôte de choix à vivre une expérience mystique. Le revirement d’ambiance est pour le moins précipité. Dès lors, il n’est pas absurde de penser que le récit de la Transfiguration du chapitre 9 joue le rôle de récit de résurrection après l’annonce de la croix du chapitre 8. Les chapitres 8 et 9 jouent le rôle de charnière au milieu de l’Evangile de Marc entre le ministère de Jésus et sa montée vers Jérusalem. Ils offrent une sorte de répétition générale de la croix et de la résurrection avant les faits.

Cela dit, l’exégète Christophe Senft a raison de nous rendre attentifs au fait que, je le cite, « la vision sur la Montagne est certes une révélation authentique du Fils de Dieu (v.7). Mais elle suscite l’image illusoire et le désir d’un Christ sans contestation et sans croix » (C. S., L’Evangile selon Marc, Genève, Labor et Fides, 1991, p.74-75).

Incontestablement, au moment de la Transfiguration, la crucifixion du Christ n’a pas encore eu lieu, elle a seulement été annoncée, et Pierre n’y est pas du tout préparé, comme nous venons de le voir (Mc 8,32-33). Christophe Senft a raison de nous rendre attentifs à ce désir illusoire d’une religion de bonheur, à l’abris du monde, isolée sur une montagne.

Internet regorge de sites mystiques et ésotériques offrant des expériences de méditation sur fond de musiques et d’images planantes et, considéré isolément, hors Evangile, le récit de la Transfiguration pourrait être assimilé à ce type d’offre religieuse faussement profonde.

La Transfiguration et la résurrection, dans la perspective de l’Evangile de Marc, ne peuvent être isolées de l’ensemble de la trame de l’Evangile, en laquelle Jésus invite ses disciples à se confronter à la dure réalité quotidienne du disciple dans le monde. Sur le plan pratique, de telles expériences de révélation sont toujours des moments d’exception, et ce n’est qu’en rapport avec l’expérience de la croix qu’elles prennent leurs sens. Amen

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