Prédication : Le prophète Amos place Israël au rang des nations

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Saisi par le thème planifié pour ce culte du dimanche 15 octobre 2023 à Vauffelin, qui portait sur livre du prophète Amos, il m’a semblé opportun d’aborder la question Israël-Palestine, en lien aux derniers événements dramatiques (Attaque terroriste du Hamas en Israël, enlèvement d’une centaine d’otages et riposte d’Israël sur Gaza), à partir d’une interprétation de ce livre prophétique, sans avancer d’opinion politique, conformément à la déontologie de la prédication réformée.

Livre du prophète Amos 9,7-15 – Châtiment des coupables et restauration d’Israël

7 Pour moi, n’êtes-vous pas comme des fils de Nubiens, fils d’Israël ?
– oracle du SEIGNEUR.
N’ai-je pas fait monter Israël du pays d’Egypte,
les Philistins de Kaftor et Aram de Qir ?

8 Voici les yeux du Seigneur, mon DIEU, sur le royaume coupable :
Je vais l’exterminer de la surface du sol,
toutefois, je n’exterminerai pas entièrement la maison de Jacob
– oracle du SEIGNEUR.

9 Oui, voici que je vais donner des ordres :
je vais secouer, parmi toutes les nations, la maison d’Israël,
comme on secouerait dans un crible
sans que la plus petite pierre tombe à terre ;

10 c’est par l’épée que vont mourir tous les coupables de mon peuple,
eux qui disaient :
« Il ne s’approchera pas,
il ne nous arrivera pas, le malheur ! »

11 Ce jour-là, je relèverai la hutte croulante de David,
j’en colmaterai les brèches,
j’en relèverai les ruines,
je la dresserai comme aux jours d’autrefois,

12 de sorte qu’ils posséderont
le reste d’Edom et de toutes les nations
sur lesquelles mon nom a été prononcé
– oracle du SEIGNEUR, qui va l’accomplir.

13 Voici que viennent des jours
– oracle du SEIGNEUR –
où le laboureur suit de près celui qui moissonne,
et le vendangeur celui qui sème ;
où les montagnes font couler le moût et chaque colline ruisselle ;

14 je change la destinée d’Israël, mon peuple :
ils rebâtissent les villes dévastées, pour y demeurer,
ils plantent des vignes, pour en boire le vin,
ils cultivent des jardins, pour en manger les fruits ;

15 je les plante sur leur terre :
ils ne seront plus arrachés de leur terre,
celle que je leur ai donnée
– dit le SEIGNEUR, ton Dieu.

Prédication du dimanche 15 octobre 2023 à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Quelle lecture devons-nous faire, en tant que chrétiens protestants réformés suisses, de la nouvelle vague de violences déclenchée par le Hamas avec son incursion armée en territoires juifs d’Israël à partir de la bande de Gaza, le samedi 7 octobre 2023 dernier, symboliquement 50 ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe dite « de Kippour » en 1973. D’aucuns s’aventurent à parler d’un « 11 septembre » israélien (Le Temps, 10 octobre 2023, p.3), avec un bilan de plus de 700 morts juifs et 600 morts palestiniens en début de semaine (contre 3000 pour les tours jumelles de New York en 2001), appelé à s’aggraver en raison des 130 otages juifs détenus par le Hamas et du «siège complet» de l’armée israélienne décidé en bande de Gaza.

Il n’est pas question, dans ma prédication, d’indiquer une ligne de pensée politique à l’attention des paroissiens réformés, attitude contraire à notre déontologie ecclésiale. Ma tâche consiste comme habituellement à fournir une interprétation des Ecritures qui puisse nourrir notre questionnement à propos de la situation actuelle. Le livre du prophète Amos, dont la lecture a été planifiée à l’avance pour ce culte en lien à notre prochain Partage biblique du 19 novembre, m’offre une base de réflexion providentielle.

Les huit oracles de Yahvé adressés aux nations coupables dans la première partie du livre d’Amos

La première des trois parties du livre, dont l’histoire de la rédaction et la structure sont par ailleurs complexes, parfois confuses et difficiles à analyser, offre à mon sens une clef de lecture équilibrée et instructive des événements politiques, militaires et religieux du temps de la rédaction du livre d’Amos (entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C.), qui peut être appliquée à ceux de notre temps.

Ce début du livre, intitulé par la Bible TOB « Oracles contre les nations voisines et contre le royaume d’Israël » (Amos 1,3-2,16), présente une série de huit paroles du Seigneur, adressées à Damas, à Gaza et aux Philistins (nom antique des Palestiniens actuels), à Tyr et aux Phéniciens, à Edom, à Ammon, à Moab, à Juda et à Israël. Pour mémoire, les douze tribus israélites étaient de ce temps partagées entre un Royaume du Sud, Juda, ayant pour capitale Jérusalem, et un Royaume du Nord, dénommé Israël, dont la capitale fut successivement Sichem, Tirça et Samarie, d’où la mention des deux royaumes de Juda et d’Israël.

Or, l’intérêt particulier de ces huit très brefs oracles (quelques phrases chacun) est leur commune introduction stéréotypée : « Ainsi par le Seigneur : A cause de trois et à cause de quatre rébellions de … [les sept destinataires respectifs], je ne révoquerai pas mon arrêt » (Am 1,6.9.11.13 ; 2,1.4.6). De cette manière, en cette première partie du livre, Juda et Israël, le peuple juif, sont introduits et considérés par Yahvé, le Seigneur, de la même manière que leurs voisins non juifs, à quelques nuances près (Juda seul reçoit une critique religieuse).

En clair, les Royaumes de Juda et d’Israël ne font preuve d’aucune supériorité éthique vis-à-vis de leurs ennemis non juifs (ils commettent comme les autres trois ou quatre rébellions), et ne peuvent donc user d’arguments théologiques pour justifier un quelconque statut politique particulier. Cela signifie qu’il convient de distinguer le plan politique, relevant du comportement humain, et l’élection d’Israël, relevant du choix inexplicable et irrévocable de Dieu, en vue d’une bénédiction de toutes les nations de la Terre.

Le livre du prophète Amos invite à prendre de la hauteur, au-delà des partis pris politiques et religieux

Suivant cette approche, bien des siècles plus tard, l’apôtre Paul écrira : « gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec [c’est-à-dire au non juif], car en Dieu il n’y a pas de partialité » (gr. : «considération de personnes», Rm 2,10-11). Il me semble possible d’en déduire que dans notre lecture de l’histoire politique, nous n’avons pas à prendre parti de préférence pour la nation d’Israël, dans la mesure où cette entité politique, étant la manifestation visible du « peuple élu de Dieu », ne serait pas critiquable au même titre que les autres. Qu’Israël soit ou non ce peuple élu ne devrait pas, à mon sens, conditionner notre jugement de son attitude : ni le favoriser, ni lui porter préjudice.

Dans son appréciation des faits historiques, le livre du prophète Amos invite donc à prendre de la hauteur, en considérant les responsabilités et les intérêts de chaque entité politique. Nous ne sommes pas loin de la notion de «neutralité» qui questionne tant la Suisse d’aujourd’hui, dans ses rapports à l’Ukraine et à son envahisseur russe, tout d’abord, ainsi qu’à présent au mouvement du Hamas, issu de la mouvance égyptienne des Frères musulmans, et considéré comme une «organisation terroriste» par les Etats-Unis, l’Union européenne, le Canada, l’Egypte, le Japon et Israël, mais pas par la Suisse (Le Temps, 10 octobre, p.3).

La banalisation de l’Exode par Amos et Sa justification partielle de la conquête de Canaan

Par une brève formule, fort étrange et rare dans la Bible juive, le livre du prophète Amos revient dans sa troisième partie, terminale, sur l’affirmation de cet universalisme qui place Israël au même rang que les autres nations : « Pour moi, n’êtes-vous pas comme des fils de Nubiens, fils d’Israël ? – oracle du SEIGNEUR. N’ai-je pas fait monter Israël du pays d’Egypte, les Philistins de Kaftor et Aram de Qir ? » (Am 9,7). La sortie d’Egypte, exaltée dans le livre de l’Exode comme la délivrance « par la main de Dieu » (Ex 13,3), est ici banalisée au rang des migrations de populations fort nombreuses dans l’Antiquité. L’Exode, la sortie d’Egypte, semble ici ne plus rien avoir d’original, car les autres peuples ont aussi vécu des libérations, des migrations et des conquêtes semblables, dans le monde du Moyen Orient ancien.

On peut relever ici la subtilité de la pensée du prophète, qui réfléchit un peu comme un historien moderne des religions : La banalisation de la sortie d’Egypte, de la migration (les 40 ans dans le désert) et de la conquête du pays de Canaan par le peuple d’Israël permet en même temps de la légitimer plus facilement. L’argument est le suivant : Si les autres peuples avoisinants ont aussi ont fui certaines contrées et en ont aussi conquis d’autres par les armes, la possession de Canaan par Israël n’est pas différente des possessions territoriales des autres peuples. On ne peut donc pas simplement arguer que Canaan appartient de droit aux peuples palestiniens qu’Israël a dépossédés lors de sa conquête, car ce phénomène de conquête était courant au Moyen Orient ancien.

Je souligne ici que l’exposé de cet argument ne permet pas à mon sens de s’y rattacher comme s’il permettait à lui seul de se positionner vis-à-vis de l’ensemble du problème. La situation religieuse, culturelle, sociale et politique d’Israël et Palestine est bien plus complexe, et ne peut se résoudre à un seul aspect, comme nous allons le voir.

Discussion critique multilatérale des rôles et des attitudes du Hamas et de l’Etat d’Israël

Aujourd’hui, on constatera que tant la légitimité du Hamas comme puissance politique, militaire et religieuse au service de la cause palestinienne, que d’autre part l’Etat d’Israël lui-même, au service de la cause juive, sont âprement discutées dans leurs propres rangs. Il ne s’agit donc pas seulement de deux ennemis qui s’opposent, car les deux camps sont eux-mêmes traversés de dissensions presque aussi importantes que celles qui les distinguent. Dans les deux camps, on trouve des militants de la réconciliation pacifique et des partisans d’un conflit armé entre Israël et Palestine, des démocrates laïques et des conservateurs partisans d’un état religieux, respectivement juif ou islamique. Enfin, du côté israélien, on trouve des partisans et des opposants à la création d’un Etat palestinien.

Pour Sébastien Boussois, chercheur et collaborateur scientifique du CECIC à l’Université libre de Bruxelles, interrogé par Le Temps (10 octobre 2023, p.3), « sur le plan international, le Hamas veut ainsi se présenter comme le leader de la cause de la Palestine, mais le camp palestinien demeure extraordinairement divisé ». Certains palestiniens peuvent à juste titre s’estimer victimes de la violence d’un défenseur financé, radicalisé et instrumentalisé par l’Iran, en tant que principaux blessés par les ripostes israéliennes.

Dans le camp hébreu, également, l’unanimité est loin d’être parfaite autour de l’Etat d’Israël et de son armée Tsahal. Le public protestant, tant évangélique que réformé, ignore généralement que la frange conservatrice du judaïsme résidant en Israël est fermement critique voire opposée au sionisme, qu’elle considère comme une dérive laïque usurpant la religion juive. Je cite ici un passage de l’ouvrage de Gérard Ackermann, fondateur du séminaire Nerlitz à Jérusalem, avec la collaboration de Millie Salomon, Le nouveau défi. Les mouvements de pensée dans l’histoire juive moderne. Le défi spirituel, tome 2 (Harmon, 2010, an 5771 du calendrier juif, p.225-226), à propos d’une citation de la Proclamation d’Indépendance de 1948 : « L’Etat d’Israël […] sera fondé sur la Liberté, la justice et la paix selon l’idéal des prophètes d’Israël » :

« Depuis Moïse, la prophétie n’a pas quitté le peuple juif jusqu’à la destruction du Premier Temple. Les prophètes, véritables dirigeants, même à l’époque des rois, montrent au peuple que la liberté consiste à pouvoir observer les prescriptions divines qui permettent d’établir la justice et la paix. Chaque fois que le peuple refuse d’appliquer les règles de la Thora, la paix est troublée par l’envahisseur. L’idéal des prophètes exige une fidélité à la morale et aux instructions divines. Le sionisme se recommande de la Bible mais ne peut prétendre être l’héritier du peuple juif et incarner l’idéal des prophètes. Il en utilise certains aspects (droit à la souveraineté nationale) en négligeant tous les autres. Pour l’Etat, la liberté individuelle permet des comportements dénoncés par la Thora comme les relations interdites, l’homosexualité, les rapports extraconjugaux, la consommation de nourritures prohibées par la Thora, l’irrespect des corps post-mortem et des sépultures, le travail le jour du chabbath, etc. La liberté individuelle permet-elle de glisser vers une ‘liberté’ qui suppose l’irrespect des prescriptions bibliques ? ». Note: Il est difficile de se procurer ce livre, dépourvu de code ISBN, ailleurs qu’à Mea Schéarim, cartier juif orthodoxe de Jérusalem. En dos de couverture, il est conseillé d’appeler Rav Moché Ackermann pour le commander, 30 Rehov Chaoulzhon, 95400 Jérusalem, Tél. 00 972 2 6514318, Fax: 00 972 2 6520239.

Dans ces lignes, l’Etat démocratique d’Israël, défenseur des libertés individuelles, est donc jugé responsable, par sa désobéissance à de nombreux commandements divins, des troubles causés par les « envahisseurs ». Selon la tradition biblique, le don et la possession de la Terre promise dépend de la fidélité religieuse, qui est comprise ici comme une stricte obéissance à tous les commandements de la Thora.

Limites nationales et bénédiction universelle

Le projet de mon message, vous l’aurez compris, n’est pas de juger ou de critiquer les uns ou les autres, mais plutôt de montrer l’extraordinaire complexité du problème israélo-palestinien, et la pluralité des positions en présence, laïques et religieuses, libérales et conservatrices, sionistes et antisionistes, juives et arabes, sunnites et chiites, etc.

Le livre d’Amos, en fin de compte, se montre hésitant au sujet des destinées de la nation juive, qui dépendent de la qualité spirituelle de son observation de la Thora, et ne peuvent donc pas être prédites sans référence au comportement réel du peuple : « Voici les yeux du Seigneur, mon DIEU, sur le royaume coupable : Je vais l’exterminer de la surface du sol, toutefois, je n’exterminerai pas entièrement la maison de Jacob – oracle du SEIGNEUR. » (Am 9,8). « Je vais l’exterminer, mais pas entièrement… » : On sent ici à la fois l’hésitation et le revirement net de la pensée du prophète : l’élimination d’Israël ne pourra pas être complète, car Dieu signerait ainsi l’échec de son propre projet. Comme les livres prophétiques dans leur ensemble, celui d’Amos se termine donc par une promesse de bénédiction du peuple d’Israël, mais on ne sait trop dans quelle mesure cette espérance messianique transcende les limites strictement territoriales et nationales juives, pour s’étendre à la bénédiction éternelle de l’humanité toute entière initiée au travers du peuple élu. Amen.

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