Prédication : Mystique chrétienne et mystique d’Orient

La mystique chrétienne, telle que l’apôtre Paul la définit, est activement orientée par une ambition vers un objectif, tout en s’inscrivant passivement dans une demeure « qui n’est pas faite de main d’homme » ; tandis que la mystique d’Orient, qui rencontre un important engouement en Occident, invite à un retrait du monde réel, amenant l’individu à s’extraire et à se libérer du tumulte des tâches et des distractions quotidiennes de la vie moderne.

Voir la liste de mes prédications ordonnées par références bibliques.

Deuxième épître de Paul aux Corinthiens 4,14-5,10 – Vie provisoire et vie éternelle, demeure terrestre et demeure céleste

14 Car nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus et il nous placera avec vous près de lui. 15 Et tout ce que nous vivons, c’est pour vous, afin qu’en s’accroissant la grâce fasse surabonder, par une communauté accrue, l’action de grâce à la gloire de Dieu.

16 C’est pourquoi nous ne perdons pas courage et même si, en nous, l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. 17 Car nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. 18 Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel.

1 Car nous le savons, si notre demeure terrestre, qui n’est qu’une tente, se détruit, nous avons un édifice, œuvre de Dieu, une demeure éternelle dans les cieux, qui n’est pas faite de main d’homme. 2 Et nous gémissons, dans le désir ardent de revêtir, par-dessus l’autre, notre habitation céleste, 3 pourvu que nous soyons trouvés vêtus et non pas nus. 4 Car nous qui sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés ; c’est un fait : nous ne voulons pas nous dévêtir, mais revêtir un vêtement sur l’autre afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. 5 Celui qui nous a formés pour cet avenir, c’est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l’Esprit. 6 Ainsi donc, nous sommes toujours pleins de confiance, tout en sachant que, tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes hors de notre demeure, loin du Seigneur, 7 car nous cheminons par la foi, non par la vue… 8 Oui, nous sommes pleins de confiance et nous préférons quitter la demeure de ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur.

9 Aussi notre ambition – que nous conservions notre demeure ou que nous la quittions – est-elle de lui plaire. 10 Car il nous faudra tous comparaître à découvert devant le tribunal du Christ afin que chacun recueille le prix de ce qu’il aura fait durant sa vie corporelle, soit en bien, soit en mal.

Prédication du 29 septembre 2024 à Orvin, dans le Jura bernois, en Suisse

Les chapitres quatre et cinq de la Deuxième épître de Paul aux Corinthiens offrent un petit traité de vie spirituelle et de consécration chrétiennes réunies. En effet, dans les textes de l’apôtre Paul, qui s’inspire en cela de la pratique de Jésus, la mystique (le chemin céleste du chrétien), est toujours intimement reliée au ministère (le chemin terrestre du chrétien). La méditation, la prière et l’action au service du Seigneur forment un tout indissoluble.

La mystique chrétienne selon l’apôtre Paul

Cependant, dans la mystique de Paul, la voie descendante de ce qui est mortel (v.4), de la détresse (v.17), de la destruction (v.1) du gémissement (v.2,3), croise la voie montante du courage (v.16), de la confiance (v.8) et de foi (v.7), qui a pour objectif non le provisoire qui se voit, mais l’éternel qui ne se voit pas (v.18). Ainsi Paul commence-t-il son propos en affirmant que si « l’homme extérieur va vers la ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (v.16). Cette opposition donne l’impression que c’est l’affaiblissement de l’homme extérieur, dans sa vie corporelle et sociale, qui pousse l’homme intérieur, le croyant dans son union intime avec Dieu, dans sa mystique, à se renouveler sans cesse. Nous pourrions dire que la dynamique de la vie chrétienne se nourrit de ses épreuves.

Paul se montre fondamentalement optimiste, car à ses yeux, la vie humaine, dans la foi, est orientée vers un objectif (v.18) qui la fait évoluer des légères détresses d’aujourd’hui à l’extraordinaire gloire éternelle (v.17,18), et à partir de la demeure éloignée du corps (v.6) vers la demeure céleste auprès du Seigneur (v.8). Plus encore, cet optimisme permet à l’apôtre de nourrir une ambition : plaire au Seigneur, quelle que soit sa destinée (v.9) !

Mais cet objectif et cette ambition ne peuvent se réaliser qu’au travers des souffrances liées à la vie et à la mort du corps terrestre. Les détresses (v.17) de sa vie d’apôtre malmené par les voyages et les persécutions suscitent en lui gémissement et accablement (v.4), au point que l’on se demande, dans ce texte, si Paul préfère la vie ou la mort ? Ses sentiments à ce sujet sont pour le moins ambigus : Il dit avoir « le désir ardent de revêtir, par-dessus l’autre, notre habitation céleste » (v.2), comme s’il voulait aller au ciel sans quitter sa vie terrestre, afin que « ce qui est mortel soit englouti par la vie » (v.4) ? Paul sous-entend-il ici que la mort physique n’est qu’une apparence et qu’elle ne concerne que le corps, notre vie immatérielle continuant dans l’au-delà sans s’interrompre ? Plus bas, son propos devient explicite et presque suicidaire : « nous préférons quitter la demeure de ce corps » (v.8), ce qui se comprend par l’énumération de ses nombreuses souffrances dans la suite de sa lettre, et selon son idée de ne vivre que pour les autres (v.15).

Or, comme nous l’avons souligné, l’objectif (v.18) et l’ambition (v.9) de Paul l’emportent largement sur ses désirs (v.2) et ses préférences (v.7) : L’apôtre s’avance avec courage (v.16), foi (v.7) et confiance (v.8) dans la perspective de remporter le prix, lors du tribunal du Christ, pour le bien qu’il aura accompli dans sa vie corporelle (v.10). Ainsi, telle que Paul la définit, la mystique chrétienne, avec son objectif et son ambition, ne conduit pas le croyant à une fuite illusoire de ses engagements terrestres. Au contraire, puisant en Dieu sa force, sa foi le console, le renouvelle, l’encourage et le fortifie dans ses activités concrètes.

La critique chrétienne de la mystique d’Orient

Dans notre société occidentale actuelle, la mystique chrétienne, nous le savons, est fortement concurrencée par les mystiques orientales, d’inspiration hindouiste et bouddhiste, au travers du zen et de la méditation de pleine conscience, notamment. Selon certains chrétiens, le succès de ces spiritualités originaires de l’Inde provient du fait qu’elles permettent de trouver l’illumination et la paix intérieure, le nirvana, en se détachant du monde réel, sans le devoir de nous y engager. Ces spiritualités viseraient donc un bonheur égoïste, une paix intérieure indifférente à ce qui se passe dans le monde réel. Ainsi, le Nuovo Dizionario di Spiritualita (Libreria Editrice Vaticana, 2003) affirme que « pour un bouddhiste, par exemple, l’intériorité signifie le retrait du monde dans un état de nirvana. Pour le chrétien, la vie intérieure est plus un état de prière qu’un état de l’être » (p.363, traduction par mes soins), et plus loin : « La personne spirituelle, plutôt que de chercher la passivité mystique, est active dans sa recherche d’un rapport intime avec Dieu dans l’intériorité de son cœur » (p.365, idem). On le voit, l’enjeu consiste à déterminer si la spiritualité nous conduit à un état de passivité de notre être illuminé, ou au contraire à une activité de prière intérieure qui mobilise notre volonté et notre dynamisme.

La contribution spirituelle de la mystique d’Orient

Dans son livre immensément connu Le pouvoir du moment présent. Guide d’éveil spirituel (Ariane Editions, J’ai lu, Bien être, 2001), Eckhart Tolle décrit avec précision le déroulement d’une expérience mystique : « Si c’est possible aussi, abandonnez toute image mentale que vous pouvez encore avoir du corps physique. Ce qui reste alors, c’est une sensation de présence ou « d’être » qui englobe tout et l’impression que le corps énergétique n’a pas de frontière. Puis concentrez votre attention encore plus profondément sur cette sensation. Ne faites plus qu’un avec elle, fusionnez avec votre champ énergétique afin d’éliminer toute dualité perceptuelle observateur-observé entre vous et votre corps. La distinction entre l’intérieur et l’extérieur se dissipe ; … », et plus loin : « C’est un royaume d’immobilité et de paix profonde, mais aussi de grande joie et d’intense vitalité » (p.146). Selon cette mystique, à terme, la personnalité, le Je, ne fait plus face au monde, mais se fond dans le grand Tout.

Dans nos vies stressées par mille activités, communications en ligne et autres distractions quotidiennes, un tel discours fait mouche, assurément ! Nous n’avons pas tant besoin d’une mystique qui nous pousse à l’action, comme celle de l’apôtre Paul, nous qui sommes déjà débordés en permanence par une panoplie des détails à parfaire chaque jour. Mais est-il vrai qu’il nous serait possible d’éviter ou au moins d’adoucir ce tumulte envahissant par la mystique bouddhiste ? Elle peut y contribuer, à mon sens sans hésitations, et selon une opinion exprimée notamment par le Dalaï Lama, le bouddhisme, plutôt que de chercher à nous convertir à une nouvelle religion, pourrait nous aider à redevenir davantage chrétiens.

Dans ce sens, les mystiques orientales pourraient nous aider, comme elles ont depuis des siècles marqué la mystique chrétienne orthodoxe d’Orient, à retrouver une dimension plus passive de la mystique, celle qui nous relie à « l’être » et non seulement à la prière active.

Les demeures passives dans la mystique de Paul

Dans mon analyse de la mystique de Paul, je me suis jusqu’ici concentré sur l’activité, en décrivant une voie descendante, qui pousse nos corps vers la ruine (v.16), et une voie montante, en laquelle nous nous fixons pour ambition de plaire à Dieu (v.9), ayant pour objectif la vie éternelle (v.18). Or, la mystique de Paul comprend aussi, selon notre texte, une dimension passive de l’être, au travers de la notion de demeure : « Car nous le savons, si notre demeure terrestre, qui n’est qu’une tente, se détruit, nous avons un édifice, œuvre de Dieu, une demeure éternelle dans les cieux, qui n’est pas faite de main d’homme » (v.1), et déjà dans la vie présente, nous désirons ardemment revêtir cette habitation céleste (v.2). Ici, il ne s’agit manifestement plus ni d’agir ni de travailler, mais d’habiter, de demeurer et d’être. N’ayant aucun moyen de fabriquer nous-mêmes ce corps céleste, nous sommes amenés à la passivité devant l’œuvre de Dieu qui nous fait demeurer en Lui. Sans gommer leurs différences d’accent, la mystique chrétienne rejoint ici la mystique d’Orient, dans cette découverte fondamentale que l’être précède le faire. En effet, sans être enracinés et demeurer profondément en Dieu, la Source de l’être, nous ne saurions lui plaire. Amen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.