Prédication : Jeûner c’est pardonner

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Livre du prophète Joël 2,12-17

12 Dès maintenant, oracle du SEIGNEUR,
revenez à moi de tout votre cœur
avec des jeûnes, des pleurs, des lamentations.

13 Déchirez vos cœurs, non vos vêtements
et revenez au SEIGNEUR, votre Dieu :
il est bienveillant et miséricordieux,
lent à la colère et plein d’une bonté fidèle.
Il regrette le malheur.

14 Qui sait, peut-être aura-t-il encore du regret
et après lui laissera-t-il une bénédiction,
offrande et libation
pour le SEIGNEUR, votre Dieu.

15 Sonnez du cor à Sion,
sanctifiez-vous par le jeûne,
annoncez une réunion sacrée,

16 rassemblez le peuple,
convoquez une assemblée sainte.
Groupez les vieillards, réunissez les adolescents
et les enfants à la mamelle.
Que le jeune époux quitte sa chambre,
la jeune épouse son pavillon.

17 Qu’entre le porche et l’autel pleurent les prêtres,
ministres du SEIGNEUR.
Qu’ils disent : « SEIGNEUR, aie pitié de ton peuple ;
ne fais pas de ton patrimoine un opprobre
pour que les nations se moquent d’eux !
Pourquoi dirait-on parmi les peuples :
Où est leur Dieu ? »

Epître de Paul aux Romains 14,1-9

1 Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules. 2 La foi de l’un lui permet de manger de tout, tandis que l’autre, par faiblesse, ne mange que des légumes. 3 Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli. 4 Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? Qu’il tienne bon ou qu’il tombe, cela regarde son propre maître. Et il tiendra bon, car le Seigneur a le pouvoir de le faire tenir. 5 Pour l’un, il y a des différences entre les jours ; pour l’autre, ils se valent tous. Que chacun, en son jugement personnel, soit animé d’une pleine conviction. 6 Celui qui tient compte des jours le fait pour le Seigneur ; celui qui mange de tout le fait pour le Seigneur, en effet, il rend grâce à Dieu. Et celui qui ne mange pas de tout le fait pour le Seigneur, et il rend grâce à Dieu.

7 En effet, aucun de nous ne vit pour soi-même et personne ne meurt pour soi-même. 8 Car, si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur : soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. 9 Car c’est pour être Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu’il a repris vie.

Evangile de Matthieu 6,16-18

16 « Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 17 Pour toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage, 18 pour ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Prédication du dimanche du Jeûne Fédéral Suisse, le 17 septembre 2023 à Péry, dans le Jura Bernois, en Suisse

J’ai donné à mon message d’aujourd’hui, jour du Jeûne Fédéral Suisse, le titre énigmatique « Jeûner, c’est pardonner », occasion d’une réflexion sur la signification du jeûne dans une perspective biblique. D’emblée, j’affirme que jeûner, se priver de nourriture, est dans le judéo-christianisme un acte religieux, visible, qui exprime une vérité profonde, invisible.

Oui, mais laquelle ? C’est l’objet de mon message, car cette vérité spirituelle est difficile à cerner. En jeûnant, je me prive volontairement d’un plaisir, celui de me remplir de nourriture et d’éprouver une sensation de rassasiement, de plénitude, de sécurité.

Jeûner est un acte volontaire : Il ne s’agit pas seulement d’accepter la faim quand la nourriture manque. Il faut décider de manger moins, ou rien, lorsque la nourriture est à disposition. Quel peut être le sens de cette étrange attitude ? Diététiquement, on affirme que la privation temporaire de nourriture soulage les intestins, et donc, que la sensation de vide liée au jeûne est associée à un effet bénéfique pour la santé : Une privation salutaire. Or, la faculté de jeûner n’est pas également aisée pour tous. Il n’est pas donné à tout le monde de résister de la même manière à la tentation de la boulimie. Inversement, le jeûne peut aussi devenir pathologique, dans l’anorexie, avec ses effets désastreux sur le corps.

Jeûner dans l’Ancien et le Nouveau Testament

On a parfois prétendu que l’Ancien Testament enseigne un jeûne communautaire, plaintif, religieux, que le Nouveau Testament transforme en un jeûne personnel, intime, spirituel. L’Evangile de Matthieu semble confirmer cette transition : « Les hypocrites prennent une mine défaite pour bien montrer qu’ils jeûnent, mais toi, quand tu jeûnes, parfumes ta tête, pour ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, et Dieu ton Père, qui est là dans le secret, te le rendra » (extraits de Mt 6,16-18). Jésus intériorise le jeûne, sa discrétion semble être clairement opposée au jeûne démonstratif demandé par le prophète Joël : « Revenez à moi de tout votre cœur, avec des jeûnes, des pleurs, des lamentations. Sonnez du cor à Sion, sanctifiez-vous par le jeûne, rassemblez le peuple. Qu’entre le porche et l’autel pleurent les prêtres, qu’ils disent « Seigneur, aie pitié de ton peuple » » (extraits de Joël 2,12.15-17).

Mais cette opposition radicale entre l’Ancien et le Nouveau Testament est exagérée, car la tension entre cette convocation à un jeûne collectif, et l’attitude spirituelle attendue au travers de ce rite religieux est déjà clairement exprimée dans le livre du prophète Joël : « Déchirez vos cœurs, non vos vêtements, et revenez au Seigneur, votre Dieu : il est bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein d’une bonté fidèle. Qui sait, peut-être aura-t-il du regret et après lui laissera-t-il la bénédiction » (extraits de Joël 2,13-14). Carl-A. Keller, dans son commentaire du livre de Joël, affirme à sa manière que « le prophète veut créer un lien entre le monde du culte et le monde de la morale » (Edmond Jacob, Carl.-A. Keller, Samuel Amsler, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas. Commentaire de l’Ancien Testament XIa, Genève, Labor et Fides, 1992, p.127)

Par ce bref discours, le prophète prévient le peuple d’une déviance religieuse dramatisante : « Déchirez vos cœurs, non vos vêtements » (v.13). Confrontés au désastre, les prêtres et l’assemblée auraient tendance à manifester théâtralement leur panique, en déchirant leurs vêtements ou en se jetant du sable sur la tête, selon les coutumes de l’époque. Ici, le prophète les avertit que Dieu ne se laisse pas attendrir par ces simagrées et autres manières destinées à attirer son attention. La comédie humaine n’impressionne pas Dieu. Le véritable jeûne, avertit le prophète, est une disposition d’esprit à reconnaître ses torts, puis à tirer les conclusions nécessaires de l’échec, en changeant de comportement.

Le jeûne psychologique et spirituel, auquel le prophète invite le peuple traumatisé, ne consiste donc pas à s’humilier encore davantage en se privant de ses vêtements en les déchirant. Il est autre. Mais quel est-il, exactement ? Au lieu de déchirer leurs vêtements, les israélites doivent déchirer leurs cœurs. A quel type de jeûne renvoie cette expression ?

Jeûner, c’est pardonner à la vie ses insuffisances

La réponse n’est pas simple. De quoi les prêtres et la foule rassemblée doivent-ils au fait se priver au travers du jeûne ? Je tente de répondre ainsi : Ils sont appelés à éviter de céder à leur angoisse de façon ostensible, afin d’être en mesure de réformer intelligemment leurs attitudes inappropriées, car leur emportement émotionnel les rend incapables de réfléchir lucidement à ce qui leur arrive. Le jeûne auquel le prophète les invite est un exercice de clairvoyance intérieure qui nécessite d’apprendre à contrôler un tant soit peu ses émotions.

Dédramatiser pour comprendre et adapter son comportement, c’est aussi un principe de notre psychologie moderne, et cela ressemble également à la méditation de pleine conscience, que notre culture occidentale hérite des religions orientales. La Bible, lorsque nous en cherchons le sens profond, est un livre éminemment moderne, j’en suis convaincu.

C’est cette lecture spiritualiste du jeûne biblique, qui fait intimement partie de la vie du peuple d’Israël et de l’Eglise chrétienne dès leurs origines, que j’ai exprimé au travers du titre de ma prédication : « Jeûner c’est pardonner ». J’entends exprimer ainsi que jeûner, c’est symboliquement, pardonner à la vie ses insuffisances. Jeûner, c’est accepter que la réalité ne nous nourrisse pas complètement, admettre que la vie laisse en nous un vide, un deuil de la plénitude et de la perfection divines, qu’il serait vain de vouloir combler. Si le jeûne alimentaire, diététique ou religieux, est une option, sa signification symbolique est une donnée essentielle de la vie humaine qu’il nous est impossible d’esquiver.

Georg Simmel, mon auteur de thèse, sociologue et philosophe juif allemand né en 1858 et mort en 1918, juste avant l’horreur nazie, où semble avoir péri l’un de ses fils médecin, avait coutume de dire que la vie est un fragment. Nous ne vivons chacun qu’une toute petite partie de l’humanité, qu’une toute petite partie de nous-mêmes, et il nous faut jeûner de tout le reste, pardonner à notre vie d’être si courte, et de nous priver de tant de choses.

Jeûner, c’est décider de renoncer volontairement à ce qui ne nous serait de toute manière pas accessible. Jeûner, c’est revoir ses ambitions, accepter de vivre avec moins. Jeûner de sa santé, c’est accepter la maladie, la fragilité, la vieillesse, quand elles viennent. Jeûner, en définitive, c’est assumer les limitations d’ici-bas, en s’ouvrant à l’au-delà de la vie.

Il va de soi que ces exigences existentielles du jeûne, ainsi formulées, sont le plus souvent au-delà de nos moyens humains : Ces décisions, ces renoncements, ces révisions, ces acceptations, ces prises en compte de ce qui nous excède, sont en général trop difficiles à réaliser pour que nous puissions les assumer seuls. C’est donc bien, dans une perspective croyante, chrétienne, dans la prière, dans le vis-à-vis avec Dieu, et nous déchargeant sur lui de ces soucis et en prenant sur nous le don de sa grâce, que nous trouvons la force et la liberté nécessaires pour assumer les exigences du jeûne que nous avons décrites.

L’aspect relationnel du jeûne

Je donne pour conclure la parole à l’apôtre Paul, qui invite lui-aussi à un jeûne particulier : « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer. La foi de l’un lui permet de manger de tout, tandis que l’autre, par faiblesse, ne mange que des légumes. Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli. En effet, aucun de nous ne vit et ne meurt pour soi-même. Car si nous vivons ou si nous mourons, c’est pour le Seigneur » (Rm 14,1-3.7-8).

L’apôtre du Christ le plus influent développe ici l’aspect relationnel du jeûne. Il souligne que notre prochain ne nous ressemble et ne peut donc pas nous combler entièrement : l’un mange de tout, l’autre ne mange que des légumes. En d’autres termes, chacun vit et jeûne de sa propre manière. Chacune et chacun a ses convictions, ses valeurs, ses objectifs et ses limites qui ne correspondent jamais en tous points à autrui. Il s’agit ici de jeûner de notre faim de voir l’autre répondre entièrement à nos attentes. Ce besoin d’accaparer l’autre selon ses désirs est la source de la plupart des conflits et des drames humains.

Le politicien voudrait que tous votent pour lui, le religieux que tous croient comme lui, l’artiste que tous apprécient son art, or il n’en est rien, la réalité est toute autre. L’homme libre risque toujours d’être un scandale pour son prochain. Dieu lui-même est Le Tout-Autre, nous a rappelé Karl Barth (1886-1968). Loin de combler nos attentes terrestres, Dieu se révèle à la croix, jeûne suprême de toute vie et de tout plaisir. Néanmoins, le secret de la vie se cache dans le jeûne, comme la croix nous ouvre à la résurrection. Amen

2 réflexions sur « Prédication : Jeûner c’est pardonner »

  1. Merci pour cette prédication si riche et si juste. Le mot « juste », signifie aussi qu’elle tombe juste à point pour moi, mais sans doute pour beaucoup d’autres que moi.

    La technique psychanalytique, en invitant à la méthode des associations libres, n’est peut-être pas loin non plus de ce que vous écrivez, dans ses visées et ses effets. Ainsi, quand une pensée enfouie en nous, et qui ne souhaite pas montrer son nez, fait soudain irruption dans notre conscience, c’est le plus souvent une bonne chose, car lorsqu’elle était cachée, elle nous faisait du mal, sans que l’on sache d’où venait ce « mal », mais quand elle est consciente, elle est bien repérée, et on peut lutter à armes égales avec elle.

    Bien entendu, il ne s’agit pas de se contenter de guerroyer, mais si l’on a conçu une place pour un Dieu personnel et qu’on ne lui adresse pas sa prière à ce moment là, il est peu probable qu’on s’adresse à lui un jour.

    Cette exclamation : « Déchirez vos cœurs, non vos vêtements » dit quasiment tout. L’excès d’émotion, comme son absence totale sont des signes qu’il nous faut regarder en face. Un passage résonne particulièrement fort : « Jeûner de sa santé, c’est accepter la maladie, la fragilité, la vieillesse, quand elles viennent. Jeûner, en définitive, c’est assumer les limitations d’ici-bas, en s’ouvrant à l’au-delà de la vie ». Il faut oser l’écrire et le partager. Merci !

    Je retranscris librement, de mon côté, un propos du pasteur et poète Julien Nathanaël Petit entendu récemment : Le vrai bonheur a besoin de nos creux, de nos insuffisances pour être aperçu et attendu…

    Bien cordialement,

    Wilfred Helmlinger

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