Prédication : L’évolution biblique du jugement et de la grâce

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On entend facilement dire que le Nouveau Testament serait moins exigeant, moins sévère, plus aimant et donc aussi moins violent que l’Ancien. Il y a une part de vérité et une part d’erreur dans ces considérations. Une évidence s’impose : la notion de jugement divin n’est pas éliminée, mais transformée dans l’Evangile. Tentative d’y voir clair, sans sombrer dans la culpabilisation.

Livre du prophète Esaïe 66,1-2.18-24 – Gloire future et jugement universel de Dieu

Es 66,18-24 Il s’agit des dernières phrases du livre d’Esaïe.

1 Ainsi parle le SEIGNEUR :
Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds.
Quelle est donc la maison que vous bâtiriez pour moi ?
quel serait l’emplacement de mon lieu de repos ?

2 De plus tous ces êtres, c’est ma main qui les a faits
et ils sont à moi, tous ces êtres
– oracle du SEIGNEUR ;
c’est vers celui-ci que je regarde :
vers l’humilié, celui qui a l’esprit abattu,
et qui tremble à ma parole.

18 C’est moi qui motiverai leurs actes et leurs pensées ;
je viens pour rassembler toutes les nations
de toutes les langues ;
elles viendront et verront ma gloire :

19 oui, je mettrai au milieu d’elles un signe.
En outre j’enverrai de chez eux des rescapés
vers les nations :
Tarsis, Pouth et Loud qui bandent l’arc,
Toubal, Yavân et les îles lointaines,
qui n’ont jamais entendu parler de moi,
qui n’ont jamais vu ma gloire ;
ils annonceront ma gloire parmi les nations.

20 Les gens amèneront tous vos frères,
de toutes les nations,
en offrande au SEIGNEUR
– à cheval, en char, en litière,
à dos de mulet et sur des palanquins –
jusqu’à ma sainte montagne,
Jérusalem – dit le SEIGNEUR –
tout comme les fils d’Israël amèneront
l’offrande sur des plats purifiés,
à la Maison du SEIGNEUR.

21 Et même parmi eux je prendrai des prêtres,
des lévites, dit le SEIGNEUR.

22 Oui, comme les cieux nouveaux
et la terre nouvelle que je fais
restent fermes devant moi – oracle du SEIGNEUR –
ainsi resteront fermes
votre descendance et votre nom !

23 Et il adviendra
que de nouvelle lune en nouvelle lune
et de sabbat en sabbat
toute chair viendra se prosterner
devant moi, dit le SEIGNEUR.

24 En sortant, l’on pourra voir
les dépouilles des hommes
qui se sont révoltés contre moi :
leur vermine ne mourra pas,
leur feu ne s’éteindra pas,
ils seront une répulsion pour toute chair.

Epître aux Hébreux 12,18-24.28.29 – L’approche du Royaume inébranlable

18 Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable, feu qui s’est consumé, obscurité, ténèbres, ouragan, 19 son de trompette et bruit de voix ; ceux qui l’entendirent refusèrent d’écouter une parole de plus. 20 Car ils ne pouvaient supporter cette injonction : Qui touchera la montagne – fût-ce une bête – sera lapidé ! 21 Et si terrifiant était ce spectacle que Moïse dit : Je suis terrifié et tremblant.

22 Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges en réunion de fête, 23 et de l’assemblée des premiers-nés, dont les noms sont inscrits dans les cieux, et de Dieu, le juge de tous, et des esprits des justes parvenus à l’accomplissement, 24 et de Jésus, médiateur d’une alliance neuve, et du sang de l’aspersion qui parle mieux encore que celui d’Abel.

28 Puisque nous recevons un royaume inébranlable, tenons bien cette grâce. Par elle, servons Dieu d’une manière qui lui soit agréable, avec soumission et avec crainte. 

29 Car notre Dieu est un feu dévorant.

Evangile de Luc 13,22-30 – Israël entrera-t-il dans le Royaume ?

22 Il passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem. 23 Quelqu’un lui dit : « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » Il leur dit alors : 

24 « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas.

25 « Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, et qu’il vous répondra : “Vous, je ne sais d’où vous êtes”, 26 « alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu devant toi, et c’est sur nos places que tu as enseigné” ; 27 et il vous dira : “Je ne sais d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal.”

28 « Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors. 

29 Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. 30 « Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers. »

Prédication du dimanche 28 août 2022 à l’Eglise de Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Bien sûr, Jésus était juif, mais par sa façon personnelle de vivre, d’enseigner et de pratiquer le judaïsme, il a suscité la création d’une nouvelle religion, le christianisme, et plus en profondeur, on peut se demander s’il n’a pas provoqué le dépassement de toute forme de pratique religieuse par une spiritualité à la fois universelle et individuelle ?

Durant les premiers siècles de l’Eglise, certains chrétiens, dont le célèbre Marcion (Sinope, actuelle Turquie, env. 85 – Rome, env. 160 ap. J.-C.), étaient si convaincus de la nette supériorité de la foi chrétienne par rapport à la tradition juive qu’ils voulaient supprimer l’Ancien Testament, la Bible juive, de la Bible chrétienne.

Mais ils n’ont pas eu gain de cause, sans doute parce que la foi de Jésus est trop enracinée dans la foi juive pour que l’on puisse se passer totalement de l’héritage hébraïque. C’est une évidence : Il est tout aussi faux d’affirmer qu’il n’y a pas de différences entre l’Ancien et le Nouveau Testament, que d’affirmer au contraire qu’ils sont totalement incompatibles.

Et j’imagine même – c’est ici l’idée de mon message – que cette évolution de l’Ancien vers le Nouveau Testament est une riche image de notre propre évolution religieuse et spirituelle, qui passe d’une foi marquée par des signes extérieurs à une vie spirituelle plus intérieure. La Bible chrétienne en entier dessine ainsi un chemin de maturation de notre propre foi intime, sans que jamais le Nouveau ne puisse se passer totalement de l’Ancien.

Je vais donc préciser quelques aspects de cette transition entre les deux Testaments, en me demandant ce qu’ils signifient pour notre propre manière de vivre et de comprendre la foi.

L’élément le plus marquant est bien entendu le passage de l’appel divin réservé au peuple juif à l’annonce de l’Evangile destiné à l’ensemble des nations. Le dernier chapitre du livre du prophète Esaïe, dans l’Ancien Testament, préfigure cette évolution : « je viens pour rassembler toutes les nations de toutes les langues, elles verront ma gloire » (v.18). Dans l’Evangile de Luc, Jésus reprend cet élargissement du public cible en lui donnant un sens tragique. Ceux qui se croient élus, proches du maître de maison, sont choqués de se voir réprouvés : « Je ne sais d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal » (v.27), tandis qu’il en vient « du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu » (v.29).

L’enseignement spirituel est ici essentiel : Personne ne peut deviner qui sera élu ou réprouvé dans le Royaume de Dieu, la surprise reste totale, « il y a des premiers qui seront derniers » (v.30). Ce n’est donc pas un critère observable (être chrétien, juif, musulman, bouddhiste, athée, etc.) qui détermine le salut, mais l’accueil mystérieux de Dieu. Le chrétien ne peut donc juger personne, et il ne peut pas se baser sur son appartenance religieuse (catholique, réformé, évangélique, etc.) ou sur ses propres qualités morales pour être élu, apprécié de Dieu. La modestie lui impose de vivre par la foi en la grâce de Dieu.

Dans ce sens, on a souvent prétendu, non sans une certaine légèreté et sans doute pour se rassurer, que le Nouveau Testament était moins exigeant, moins sévère, plus aimant et donc aussi moins violent que l’Ancien Testament. Il y a une part de vérité et une part d’erreur dans ces considérations. La diminution de la violence visible, réelle, provient du fait que dans l’Ancien Testament, le jugement de Dieu passe par des défaites militaires, des déportations, des maladies ou des châtiments corporels, tandis que le jugement divin est reporté à la fin des temps dans le Nouveau Testament. Or, selon l’Evangile, la fin des temps commence avec la venue de Jésus, qui est à la fois le sauveur et le juge final, de sorte que le jugement de Dieu fait partie de la grâce de Dieu dans la vie de chaque croyant.

Interpréter cette question du jugement divin relève de la gageure théologique, mais tous les commentateurs admettent qu’on ne peut pas simplement l’éliminer de l’Evangile, au risque d’affadir le message : « Dieu aime tout le monde et pardonne toujours tout ». Une manière élégante d’aborder le problème consiste à dire que selon l’Evangile, personne n’est autorisé à banaliser le péché et à s’y installer durablement et confortablement, en négligeant la gravité du mal commis. Il y a toujours un moment où ça ne passe plus, où un changement d’attitude devient urgent et définitif. « Trop tard, c’est trop tard », conclut l’exégète François Bovon (L’Evangile selon Saint Luc 9,51-14,35, IIIb, Genève, Labor et Fides, 1996, p.385) en commentant le passage dans lequel le maître de maison « se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte » (v.25). Observons que cette approche de la question évite d’élaborer toute une construction dogmatique au sujet du rejet définitif de l’homme par Dieu et de l’enfer éternel. On se contente ici de chercher un sens à l’image de la porte fermée : Elle indique une occasion ratée, le regret de ne pas s’être ravisé plus tôt, en tant qu’expérience douloureuse de la vie humaine.

Il est intéressant de constater que les réprouvés, ceux qui frappent lorsque la porte est déjà fermée, ne sont pas décrits de la même manière par l’évangéliste Matthieu, qui parle de ceux qui « commettent l’iniquité » (Mt 7,23) et par l’évangéliste Luc, qui parle de ceux qui « commettent l’injustice » (v.27). Matthieu pense plutôt à un relâchement moral, tandis que Luc, à son habitude, évoque plutôt une injustice sociale et politique. Mais dans les deux cas, le mal ne consiste plus en une faute religieuse spécifique liée au rejet d’un commandement de la Thora, la Loi sacrée de la Bible juive. L’iniquité morale et l’injustice sociale ne sont pas des fautes spécifiquement religieuses, mais tout simplement humaines.

Il s’agit là d’une évolution majeure de l’Ancien vers le Nouveau Testament. Les multiples devoirs rituels et moraux de l’Ancien Testament sont résumés par deux principes que l’on trouve d’ailleurs déjà dans la Thora (Dt 6,5 et Lv 19,18) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même » (Lc 10,27). Il est intéressant de signaler que Jésus n’a pas inventé ces célèbres consignes spirituelles et morales. Sous ce jour, son Evangile s’apparente plutôt à une sélection et à une mise en valeur de certaines notions clef de la tradition juive, et non à la création de commandements inédits. La nouvelle religion apparait ainsi très simplifiée, mais son exigence devient aussi terriblement extrême, car elle ne concerne plus seulement le domaine sacré, mais tous les aspects de la vie humaine, au point que personne ne peut prétendre la satisfaire sans failles, et que tout le monde est concerné, que l’on soit croyant ou non, religieux ou non. Qui en effet parvient à aimer sans limites, y compris ses propres ennemis ? (Lc 6,35) Voici pourquoi Jésus est à la fois le juge et le sauveur final : Son verdict implacable appelle la grâce, sans laquelle personne ne peut être sauvé.

Dans cette même perspective d’unification, les multiples sacrifices d’animaux exigés par la Thora en vue du pardon des péchés sont remplacés par la crucifixion du Christ, qui est considérée par l’épître aux Hébreux comme « le sang de l’aspersion » d’une « alliance neuve » (v.24). Ici aussi, le sacrifice rituel de la religion juive est intériorisé dans la vie de Jésus, puis dans celle de chaque croyant, appelé à servir Dieu « d’une manière qui lui soit agréable, avec soumission et crainte. Car notre Dieu est un feu dévorant » (v.28.29). L’image du « feu dévorant » renvoie bien entendu au feu du sacrifice, mais sa signification est métaphorique : Il s’agit de l’œuvre spirituelle de Dieu en nous, qui nous purifie et sanctifie.

Dans notre passage de l’Evangile de Luc, cette exigence de la vie chrétienne est décrite par le Christ en termes de combat de la foi : « Luttez pour entrer par la porte étroite » (v.24), répond-il de façon détournée à qui l’interroge au sujet du salut (v.23). Encore une fois, cette lutte n’est pas seulement religieuse : C’est la vie entière, dans tous ses aspects, qu’il s’agit de vivre selon les critères de l’Evangile, sans se relâcher, ou en se reprenant autant de fois que l’on s’est relâché et que l’on a chuté, ce qui est inévitable.

De l’Ancien au Nouveau Testament, on peut donc parler, sommairement, d’un passage de la religion rituelle visible à la spiritualité invisible car, comme le dit l’apôtre Paul, « le Règne de Dieu n’est pas une affaire de nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). La Nouvelle alliance nous libère de tous les commandements rituels et autres servitudes religieuses de la Loi de Moïse. Mais cette transition de matériel au spirituel n’est jamais complète, car la religion extérieure, matérialisée dans la communauté concrète de l’Eglise, demeure une dimension inéluctable de la foi nouvelle, qui se transmet par l’intermédiaire de témoins vivants de la grâce et de la vérité manifestées en Jésus-Christ. Amen

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