Prédication : Le récit de Caïn et Abel, miroir déformé ou réaliste des dilemmes de notre humanité

Les sacrifices sanglants ont-ils, pour les monothéismes, plus de valeur que les offrandes végétales ? C’est ce que suggère le récit énigmatique de Caïn et Abel. Je tente un décryptage de cette question théologique, afin de proposer une lecture spirituelle du texte qui en applique le sens à nos expériences de vie.

Voir la liste de mes prédications ordonnées par références bibliques.

Genèse 4,1-17 – Caïn et Abel

1 L’homme connut Eve sa femme. Elle devint enceinte, enfanta Caïn et dit : « J’ai procréé un homme, avec le SEIGNEUR. » 2 Elle enfanta encore son frère Abel. Abel faisait paître les moutons, Caïn cultivait le sol. 3 A la fin de la saison, Caïn apporta au SEIGNEUR une offrande de fruits de la terre ; 4 Abel apporta lui aussi des prémices de ses bêtes et leur graisse. Le SEIGNEUR tourna son regard vers Abel et son offrande, 5 mais il détourna son regard de Caïn et de son offrande. Caïn en fut très irrité et son visage fut abattu. 6 Le SEIGNEUR dit à Caïn : « Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? 7 Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le. »

8 Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua. 9 Le SEIGNEUR dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » – « Je ne sais, répondit-il. Suis-je le gardien de mon frère ? » – 10 « Qu’as-tu fait ? reprit-il. La voix du sang de ton frère crie du sol vers moi. 11 Tu es maintenant maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recueillir de ta main le sang de ton frère. 12 Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa force. Tu seras errant et vagabond sur la terre. » 13 Caïn dit au SEIGNEUR : « Ma faute est trop lourde à porter. 14 Si tu me chasses aujourd’hui de l’étendue de ce sol, je serai caché à ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera. » 15 Le SEIGNEUR lui dit : « Eh bien ! Si l’on tue Caïn, il sera vengé sept fois. » Le SEIGNEUR mit un signe sur Caïn pour que personne en le rencontrant ne le frappe. 16 Caïn s’éloigna de la présence du SEIGNEUR et habita dans le pays de Nod à l’orient d’Eden. 17 Caïn connut sa femme, elle devint enceinte et enfanta Hénok. Caïn se mit à construire une ville et appela la ville du nom de son fils Hénok.

Evangile de Matthieu 18,21-22 – Le pardon entre frères

21 Alors Pierre s’approcha et lui dit : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? » 22 Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.

Prédication du dimanche 23 avril 2023 à Péry, dans la Jura bernois, en Suisse

Le récit de Caïn et Abel est un texte souvent mal aimé et mal compris, estimé trop abrupt, en raison de sa position stratégique qui fait directement suite au récit de l’expulsion du paradis du premier couple humain. Le motif est jugé trop péjoratif pour l’humanité entière, qui s’y trouve représentée par le fratricide de Caïn tuant son frère Abel.

On a ici l’impression qu’à la suite du péché en apparence modéré d’Adam et Eve, qui se sont rendus coupables d’avoir mangé le fruit défendu, le mal s’aggrave jusqu’au meurtre et se répand en une cascade de vengeances dans les civilisations humaines naissantes. Avec les mots de Gerhard von Rad, exégète luthérien, en 1949 : « Le péché s’est entièrement emparé de l’homme qui lui a une fois cédé, car cet homme chassé du paradis est d’emblée fratricide ».

Notre texte est à la fois extrêmement concis, d’où son aspect brutal, et fortement subtil, certains passages en hébreu étant d’ailleurs fort difficiles à traduire (cf. verset 7), ce qui suggère une volonté d’illustrer non avant tout la radicalité, mais les profonds dilemmes qui pénètrent l’existence humaine et ses relations à Dieu « après la chute ». Nous exposons ici les deux principaux.

Premier dilemme : La préférence de Dieu pour les sacrifices sanglants, compréhensible ou non

Rien, dans le texte, n’expose explicitement les raisons pour lesquelles Dieu préfère le sacrifice d’Abel, qui offre « les prémices de ses bêtes et leur graisse » (v.4), à celui de Caïn, qui offre « les fruits de la terre » (v.3). Cette préférence peut sembler choquante car elle humilie Caïn sans raison : Comme son frère Abel, qui est éleveur, Caïn a apporté à Dieu les meilleurs produits de son labeur de cultivateur, et voici que le Seigneur « détourne son regard de Caïn et de son offrande » (v.5). En faisant preuve de compassion pour la déconvenue de Caïn, on peut comprendre qu’il « fut très irrité et [que] son visage fut abattu » (v.5) par ce jugement apparemment arbitraire.

Certains commentateurs, notamment de tendance évangélique, s’empressent de justifier le choix divin, tout en reconnaissant que le texte ne le justifie pas. Ils sont amenés à expliciter les raisons du faux choix de Caïn d’offrir un sacrifice végétal. La Bible d’étude du Semeur 2015 commente ainsi le passage : « Faut-il supposer que les dispositions intérieures d’Abel étaient meilleures que celles de Caïn, que le premier fait preuve de zèle en offrant le meilleur sacrifice possible, tandis que le second se contente d’un geste culturel minimal effectué sans enthousiasme ? » (p.20). Rien dans notre texte n’invite à un tel jugement. La différence de leurs sacrifices y est simplement expliquée par la différence de leurs métiers : Caïn le cultivateur offre des végétaux, Abel l’éleveur offre des animaux (v.2).

La Bible Segond avec commentaires de C. I. Scofield de 1975 renforce encore ce raisonnement : « conformément à la révélation reçue, Abel présente à Dieu le sang versé, reconnaissant ainsi qu’il est pécheur », en revanche, dans l’offrande de Caïn, « la rémission par le sang est totalement absente ». Caïn « introduit [donc] le principe de la fausse religion : l’homme cherche à s’approcher de Dieu par ses propres moyens » (p.11). Cette deuxième interprétation suggère une révélation préalable adressée à Caïn et Abel (ou du moins une intuition de leur part) au sujet de la valeur différente des sacrifices végétaux et animaux, dont le texte ne parle pas. La préférence de Dieu pour le sacrifice d’Abel devient ainsi compréhensible en raison du lien, supposé connu par Abel et Caïn, entre le sang versé et le pardon du pécheur. Le sacrifice végétal, privé de sang, est ainsi jugé inefficace.

A l’encontre de ces tentatives de justifier le rejet divin du sacrifice de Caïn, si nous nous limitons aux indications fournies par le récit, le choix divin reste inexplicable, et on ne peut reprocher à Caïn d’avoir offert un sacrifice de plantes. En effet, le texte ne suppose aucune conscience religieuse, révélée ou intuitive, du sens différent de leurs sacrifices de la part d’Abel et de Caïn. A aucun moment, le texte n’explique la raison de l’appréciation différente de leurs sacrifices par Dieu. Plus étonnant encore, le texte ne nous dit pas pourquoi Caïn et Abel se mettent à offrir spontanément des sacrifices à Dieu. Selon les auteurs du texte, les sacrifices constituent-ils une religion primitive et innée de l’humanité ?

Voici donc ma proposition de solution de ce premier dilemme : La question de l’élection, en théologie, veut souligner la liberté souveraine de Dieu, qui choisit les uns plutôt que les autres, sans que nous puissions toujours être en mesure de comprendre les raisons et les intentions divines. La préférence divine pour les sacrifices sanglants reste en discussion. Nous pourrions admettre, à la rigueur, que Caïn a offert involontairement un sacrifice ne correspondant pas à la volonté du Seigneur, ce dernier l’estimant trop « léger ». En conséquence, le Seigneur, sans adresser de reproches à Caïn, lui a demandé à l’avenir de sacrifier des bêtes comme son frère (v.6). Le péché de Caïn aurait surgi au moment où il se serait braqué et aurait refusé de modifier sa manière de sacrifier. Cette solution au premier dilemme invite à nous orienter vers une interprétation spirituelle du récit.

Vers une interprétation spirituelle du récit de Caïn et Abel

Ce sens spirituel peut être exposé ainsi : Quelle que soit la forme de la religion ou de la spiritualité que nous pratiquons, à savoir des « offrandes » (au sens le plus large du terme) que nous apportons à Dieu, il nous faut être ouverts et vigilants, à l’écoute de la manière dont Dieu reçoit nos dons. Il se peut en effet, qu’avec la meilleure volonté du monde, notre labeur n’ait pas le succès escompté et ne porte pas les fruits attendus aux yeux du Seigneur. Découvrir que notre travail, ou notre effort spirituel, ou notre pratique religieuse, n’est pas orienté au mieux, peut s’avérer de l’ordre de la déconvenue.

Une telle déception quant à nos efforts est une expérience spirituelle que chacune et chacun de nous est appelé à vivre à l’occasion. Il s’agit donc de ne pas nous décourager dans de telles situations qui peuvent être contraignantes, et moins encore de nous insurger (comme le fit Caïn) lorsque Dieu nous contrarie par des signes qui déçoivent nos attentes. La confrontation fait partie du cours naturel de toute spiritualité.

Et cette interpellation de Dieu au sujet de la pertinence de nos actions a toujours pour effet, pour autant que nous y prêtions attention et que nous soyons disposés à réorienter notre agir en fonction des remarques perçues ou reçues, d’améliorer la qualité de nos activités, et de les rendre plus adaptées à répondre aux besoins des personnes à qui nous destinons nos œuvres. Un tel travail intérieur de remise en question de nous-mêmes n’est pas toujours aisé, mail il ne peut qu’accroître la finesse de nos productions, et nous permettre, à long terme, d’obtenir de plus amples résultats satisfaisants avec moins d’efforts.

Second dilemme : L’humain capable ou non de résister à la tentation du péché

Le second dilemme soulevé par notre texte illustre un large débat théologique qui a traversé les âges au sujet de la valeur morale de l’être humain : La première partie de notre texte milite en faveur d’une capacité de l’homme à choisir le bien ou le mal. Etonnement, il s’agit donc d’un passage plutôt optimiste à propos de la nature humaine : « Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le. » (v.6-7). Dieu semble ici intimer à Caïn qu’il possède en lui les capacités de vaincre le péché, ce qui augmente sa culpabilité en cas d’échec. Observons que le texte accentue la force de la tentation en personnifiant le péché, qui est tapi à sa porte comme un démon maléfique, que l’exégète catholique Emmanuele Testa (1992) identifie au démon Rabisu des Accadiens, en raison de la proximité phonétique de ce nom propre avec le verbe hébreu robez (tapi) de notre texte.

La suite du texte, en revanche, est nettement plus pessimiste : Non seulement Caïn, emporté par ses élans de colère, de jalousie, de honte et de désespoir, cède à la tentation de la violence meurtrière, mais il ment au Seigneur en déclarant tout ignorer du sort de son frère Abel (v.9), avant de reconnaître son crime à demi-mot en s’apitoyant sur son sort afin de s’attirer les faveurs du Seigneur : « Ma faute est trop lourde à porter. Si tu me chasses… quiconque me trouvera me tuera » (v.13-14). Nous avons là une esquisse de ce qui deviendra la vision paulinienne, puis augustinienne (Saint Augustin) et enfin luthérienne de l’homme, incapable de vaincre son propre péché, dominé par les forces du mal, et ne pouvant donc être sauvé que par la grâce imméritée de Dieu, jamais pas ses œuvres.

L’essentiel de la théologie chrétienne se trouve donc déjà mis en scène dans ce quatrième chapitre de la Genèse. La reconnaissance par les théologiens de la condition misérable de l’homme dominé par son péché permet d’entrevoir la raison pour laquelle la lamentation geignarde du criminel Caïn trouve échos auprès du Seigneur, lequel « mit un signe sur Caïn pour que personne […] ne le frappe » (v.15). Cette étonnante sollicitude de Dieu envers le coupable d’un crime abject souligne que Dieu ne peut faire à moins que d’aimer et soutenir les pécheurs que nous sommes, avec ce pardon de Jésus adressé à ses bourreaux sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34).

Toutefois, la vision pessimiste de l’homme ne devrait pas l’emporter sans reste dans ce second dilemme. En effet, une fois passée l’inévitable crise, la chute, la faillite humaine, au travers de laquelle nous sommes abaissés à l’état de « rien », un espoir de résilience est tout de même envisageable. Nous devons toutefois admettre que suite à sa cruauté, l’homme Caïn se trouve triplement aliéné, c’est-à-dire isolé et égaré, vis-à-vis de Dieu (« Caïn s’éloigna de la présence du Seigneur », v.16), vis-à-vis du sol (qui ne lui « donnera plus sa force », v.12), et vis-à-vis de ses semblables (en devenant « errant et vagabond sur la terre » (v.14). Peut-être faut-il évoquer ici toute l’incohérence ou même l’hypocrisie de son attitude faussement pacifiste : Celui qui se refusait à offrir un sacrifice d’animal sanglant, préférant les offrandes végétales, n’hésite pas à sacrifier son propre frère pour satisfaire ses instints vengeurs. Comme souvent, une attitude angélique cache ici un esprit « démonisé ».

Ce n’est pas de Caïn que naîtra la filiation croyante des élus, mais de son frère Seth, dont la naissance est annoncée dans la suite du récit, « à la place d’Abel » (Gn 4,25.26). Or, la fin de l’histoire de Caïn s’avère tout-de-même partiellement heureuse pour notre anti-héraut. Il y est décrit comme sédentaire au pays de Nod (une destination inconnue « à l’orient d’Eden », v.16), marié et père d’Hénok, et même constructeur d’une ville à laquelle il donne le nom de son fils (v.17). Signalons que le récit n’est pas sans incohérences logiques, car on saisit mal quelle peut être l’ascendance familiale de sa femme, qui ne peut être qu’une de ses sœurs ou éventuellement une nièce, dans la mesure où il est écrit plus loin qu’Adam « engendra des fils et des filles » (Gn 5,4) ; mais de telles spéculations restent absurdes, notre texte relevant du genre mythologique, symbolique et non historique.

Epilogue : vengeance et pardon

Dans cette humanité en gestation, où domine déjà « la voix du sang […] qui crie du sol » (v.10), à savoir l’expression d’un juste désir de justice ressenti par les victimes, la question de la vengeance occupe une place centrale : « Le SEIGNEUR lui dit : Eh bien ! Si l’on tue Caïn, il sera vengé sept fois. » (v.15). Ces paroles placées dans la bouche de Dieu constituent un nouveau dilemme, car elles risquent de causer le mal qu’elles dénoncent. En effet, loin de rétablir la justice, la vengeance accentue la haine et produit sans cesse de nouvelles violences. La seule piste libératrice se trouve du côté du pardon, « pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois », selon la réponse du Christ à l’apôtre Pierre (Mt 18,22). Amen

Questions évoquées après le culte avec les paroissiens

1. Cette analyse des deux dilemmes du texte repose sur deux questions simples :
– Premier dilemme :
Caïn était-il conscient et coupable d’offrir au Seigneur un sacrifice inapproprié ?
Connaissons-nous les raisons de la préférence du Seigneur pour le sang ?
– Second dilemme :
Caïn eut-il été capable de résister à la tentation du meurtre ?
L’homme parvient-il par ses propres moyens à résister à la force du mal qui l’assaille ?

2. La préférence de Dieu pour les sacrifices sanglants pourrait justifier la critique du caractère violent des monothéismes, par opposition aux religions pacifistes de la nature qui se contentent d’offrandes végétales. On peut par ailleurs se demander s’il est vraiment raisonnable de supposer que le Dieu transcendant, créateur de l’Univers, réclame des sacrifices d’animaux sanglants plutôt que des végétaux ? Caïn serait ainsi l’ancêtre des végétariens opposés aux sacrifices d’animaux ordonnés par la Thora, et le texte opposerait deux cultures : celle des agriculteurs végétariens et celle des éleveurs amateurs de viande.

3. Les histoires juives comme celle de Caïn et Abel ne sont pas dénuées d’un certain humour. Ce récit mêle habilement trois sortes de sacrifices, végétal, animal et humain (Abel sacrifié par Caïn), non sans une pointe d’ironie cocasse envers ce végétarien qui devient fratricide. Autrement dit, être chrétien, cela suppose-t-il d’aimer la viande, comme Abel ?

4 réflexions sur « Prédication : Le récit de Caïn et Abel, miroir déformé ou réaliste des dilemmes de notre humanité »

  1. Merci pour votre belle prédication, qui m’a donné à penser, comme en témoignent ces quelques pistes de réflexions :

    Ce qui apparaît d’emblée, c’est la malédiction qui semble peser sur les débuts de l’humanité. Et en cela, les textes bibliques ne se différencient pas tellement des autres traditions (il n’y a qu’à penser à la litanie des échecs ou des impasses dans la mythologie grecque (Chronos, Icare, Narcisse, Oedipe, Prométhée…).

    Il semble cependant qu’un souffle respire dans les premiers textes bibliques, qui n’apparaît pas de telle manière ailleurs, à savoir que le Dieu créateur de la Bible fait montre d’indulgence ou de patience et même de pédagogie, en dépit de tous les malheurs de notre condition de créature…

    Je crois cependant discerner dans le récit de Caïn et Abel comme une « réplique » du tremblement de terre de Genèse 2 et 3. La mort annoncée devient effective, le couple d’Adam et Eve trouve son double dans le « couple » de Caïn et Abel. La question de Dieu : « où est Abel, ton frère ?, ressemble d’ailleurs étonnement à la question de Dieu à Adam en Genèse 3 (« où es-tu? »).

    Alors qu’on assiste dans Genèse 2 à la naissance d’un couple par la création d’Eve à partir d’Adam, le chapitre 4 nous montre la fin d’un autre couple humain (le couple social) par la mort de l’un par l’autre. Cette similarité par opposition est surprenante, mais peut cependant apparaître comme moins étonnante si on lit ces chapitres comme des textes mythiques, ce qu’ils sont, à l’évidence. Même s’ils ne se présentent pas comme tels, c’est peut-être justement parce que le Dieu biblique ne se comporte pas comme prévu dans les mythes, mais comme un père compatissant, et sur ce plan, il semble stérile de chercher une rupture à ce sujet entre l’AT et le NT…

    Evidemment, on peut me dire que ma lecture n’a rien de spécifiquement théologique, et on aura raison. Mais l’avantage que j’en tire, c’est qu’il m’apparaît du coup comme évident que, comme dans l’histoire évangélique du pharisien et du publicain en prière, la parabole de Caïn et Abel, fait de chacun de nous à la fois un Caïn et un Abel. Nous n’y sommes absolument pour rien d’être l’aîné ou le puîné, d’avoir une intelligence plutôt abstraite ou plutôt concrète, d’être noir ou blanc, d’être né riche ou pauvre, etc., etc… Dieu nous aime malgré tout et veut nous aider, si nous faisons un effort. Ouf !

  2. Cher Monsieur,
    merci pour votre commentaire très appréciable auquel je souscris entièrement. Votre approche me semble complémentaire à ce que j’écris.
    Il y a à la fois des éléments de parallélisme et d’opposition avec le texte d’Adam et Eve. Votre analyse me semble montrer une fois de plus que ces textes ne sont pas historiques (au sens où un journaliste relaterait une chronique des faits advenus), mais qu’ils sont le fruit de l’écriture de plusieurs auteurs « théologiens » qui ont travaillé à partir de traditions orales, de textes, de schémas, de dialogues ou d’idées communes, afin d’exprimer leurs pensées sous la forme de récits imagés, et en ce sens mythologiques.
    J’apprécie particulièrement votre idée selon laquelle « le Dieu créateur de la Bible fait montre d’indulgence ou de patience et même de pédagogie, en dépit de tous les malheurs de notre condition de créature… ». Il ne me semble donc pas, comme vous l’écrivez, que votre lecture n’a « rien de spécifiquement théologique », car ici vous vous exprimez au sujet du « caractère » de Dieu.
    Bien cordialement. Gilles B.

  3. Cher Monsieur,
    merci à mon tour pour votre réaction. Ma précaution oratoire concernant la caractère non théologique de ma réflexion vient du fait que j’ai une formation de psychologue, et que la théologie est seulement ma « marotte » (sans doute parce que les deux manières d’approche sont « complémentaires », comme vous l’écrivez) Il se trouve qu’un ami vient tout juste de me confier le propos d’une psychanalyste strasbourgeoise Charlotte Herfray (1926-2018 : https://maitron.fr/spip.php?article159186), qui disait qu’« un couple qui fonctionne bien ce sont deux névroses complémentaires ». En fait, ce que j’apprécie dans la psychologie, c’est justement l’aspect non définitif de ses analyses, et donc le caractère scientifique attelé avec l’aspect proprement humain, car finalement, la névrose, c’est la structure normale… Bien cordialement, Wilfred H.

  4. Merci à mon tour cher Monsieur. Oui en effet, voir la théologie et la psychanalyse comme « deux névroses complémentaires » est fort intéressant, et ne manque pas d’humour. Du coup, comme le disait le regretté Raphaël Picon, nous sommes « Tous théologiens » (Paris, Van Dieren éditeur, 2001), et sans doute aussi tous psychanalystes, pour la plupart sans l’être professionnellement. Avec mes cordiaux messages. Gilles B.

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