Prédication : Les paraboles des arbres, selon les Evangiles de Matthieu et de Jean


Jérémie 23,9-12 – Livret sur les prophètes : Désordre généralisé

9 Au sujet des prophètes
En moi, tout ressort est brisé,
je tremble de tous mes membres.
Je deviens comme un ivrogne,
un homme pris de vin,
à cause du SEIGNEUR,
à cause de ses paroles saintes.

10 Dans le pays tous sont adultères,
le pays est en deuil, plein d’imprécations,
les enclos de la lande se dessèchent.
Ils n’ont d’empressement que pour le mal,
et de courage que pour le désordre.

11 Prophètes et prêtres sont des impies :
jusque dans ma Maison je découvre leur méchanceté
– oracle du SEIGNEUR.

12 Eh bien ! leur chemin devient glissant ;
ils s’égarent dans l’obscurité, ils tombent.
Je fais venir sur eux le malheur,
l’année où il leur faudra rendre compte
– oracle du SEIGNEUR.

Deuxième épître de Pierre 2,17-21 – Contre les faux docteurs

17 Ces gens sont des fontaines sans eau et des nuages emportés par la bourrasque : les ténèbres obscures leur sont réservées. 18 En effet, débitant des énormités pleines de vide, ils appâtent par les désirs obscènes de la chair ceux qui viennent à peine de s’arracher aux hommes qui vivent dans l’erreur. 19 Ils leur promettent la liberté alors qu’eux-mêmes sont esclaves de la pourriture, car on est esclave de ce par quoi on est dominé. 20 Si ceux, en effet, qui se sont arrachés aux souillures du monde par la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ se laissent de nouveau entortiller et dominer par elles, leur situation devient finalement pire que celle du début. 21 Car il aurait mieux valu pour eux ne pas avoir connu le chemin de la justice que, l’ayant connu, de s’être détournés du saint commandement qui leur avait été transmis.

Evangile de Matthieu 7,15-20 – Tel arbre, tels fruits

15 « Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous vêtus en brebis, mais qui au-dedans sont des loups rapaces. 16 C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur un buisson d’épines, ou des figues sur des chardons ? 17 Ainsi tout bon arbre produit de bons fruits, mais l’arbre malade produit de mauvais fruits. 18 Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre malade porter de bons fruits. 19 Tout arbre qui ne produit pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. 20 Ainsi donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

Evangile de Jean 15,1-5 – Jésus, la vraie vigne

1 « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. 3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. 5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. 

Prédication du dimanche 3 octobre 2021 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

Les textes bibliques de ce jour sont particulièrement sévères et menaçants. Je leur ai ajouté un texte de l’Evangile de Jean, pour le comparer à celui de Matthieu. Les deux premiers textes font référence à des situations opposées: Celui de Jérémie présente une Eglise (ou une communauté religieuse) faible, faillible, coupable; tandis que celui de Pierre présente une Eglise forte, qui ne pèche pas, mais qui juge et qui condamne.

Dans l’histoire de notre civilisation européenne, les deux situations se sont présentées: l’Eglise a été tantôt forte, comme au Moyen-Âge, dotée d’un gouvernement politique, d’un droit exclusif à posséder la vérité, et d’un pouvoir judiciaire de vie ou de mort sur tous les sujets de la chrétienté. Mais elle a aussi été tantôt faible, se rétrécissant comme une peau de chagrin, perdant son influence et passant presque inaperçue, comme aujourd’hui.

Il est difficile d’évaluer lequel de ces deux états est en fin de comptes préférable : l’Eglise forte ou l’Eglise faible. Pour y voir plus clair, analysons nos textes de Jérémie et de Pierre :

Le prophète Jérémie, auteur biblique d’un livre prophétique et des célèbres Lamentations qui portent son nom, se désole en constatant la déchéance du peuple entier et de l’Eglise entière, à commencer par ses prêtres et ses prophètes.

« En moi, tout ressort est brisé », confesse-t-il, au début de son texte, car, je cite : « dans le pays tous sont adultères…, n’ont d’empressement que pour le mal, de courage que pour le désordre ». L’adultère dont il est question n’est pas seulement l’infidélité conjugale, mais plus largement, l’infidélité vis-à-vis de l’Alliance avec Dieu, l’abandon de la foi pour une vie dissolue, peu éthique, où chacun/ne se préoccupe égoïstement de son seul bonheur.

En sommes-nous là, aujourd’hui ? Je ne suis pas à même de juger notre situation, mais je reconnais qu’une grande part de l’enthousiasme pour l’Eglise est perdu. Chacun vaque à ses occupations, d’autant plus avec le covid, davantage qu’il se préoccupe de l’Eglise, et il est difficile de rassembler du monde pour les activités de village et de paroisse.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une Eglise faible, qui perd du terrain socialement, mais qui résiste tout de même, et n’est pas prête à se laisser mourir. Il se pourrait bien qu’en rapetissant, notre Eglise reprenne de la force, en se rendant compte qu’elle ne peut plus désormais s’appuyer uniquement sur ses structures et ses revenus étatiques habituels, mais qu’il lui faut lutter et se montrer créative, agissante, si elle veut survivre.

Analysons, d’autre part, le texte de la deuxième épître de Pierre, le chef des douze disciples du Christ, qui nous décrit une Eglise forte, combattive, convaincue, et apte à juger les infidèles. Cette Eglise, du temps de l’apôtre Pierre, n’était pas très nombreuse, mais elle se montrait solidement attachée à ses convictions théologiques et morales.

Lorsque, dans l’Antiquité romaine, l’on se convertissait et devenait chrétien, il fallait en effet être capable de résister et de ne pas se laisser aller jusqu’à abandonner la foi. La tentation de quitter l’Eglise était parfois très forte, notamment lors des persécutions, lorsqu’il était fréquent que l’on paye de sa vie son adhésion à la foi chrétienne.

Dans ce contexte violent, l’apôtre Pierre dénonce, je cite « ceux qui se sont arrachés aux souillures du monde » et qui « se laissent à nouveau entortiller et dominer par elles ». Comme dans le livre de Jérémie, il ne s’agit pas seulement des souillures sexuelles, mais aussi de tous les désirs que suscite le monde : la richesse, la réputation, la sécurité, etc.

L’apôtre Pierre va jusqu’à enseigner une doctrine qui a toujours suscité des controverses : Il soutient que la situation de celles et ceux qui se sont convertis à la foi chrétienne et l’ont ensuite reniée, est pire que s’ils n’avaient jamais connu la foi, car ils n’ont plus la possibilité de se reconvertir une seconde fois au christianisme.

En d’autres termes, le péché du croyant ou son abandon de la foi peuvent le séparer définitivement de Dieu et du Christ, qui jugera celles et ceux qui vivent selon la chair.

Nous avons là une vision binaire de la foi, ON ou OFF. Celui qui devient ON ne doit surtout plus redevenir OFF, car il ne pourrait devenir ON une nouvelle foi. Selon cette théologie, Dieu ne nous laisse qu’une seule chance. Heureusement pour nous, qui sommes pécheurs, on trouve des paroles du Christ qui ne sont pas ON/OFF, dont justement celle-ci, où Jésus répond à une question de Pierre, qui devait avoir une vision bipolaire de la foi : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? », demande Pierre, et Jésus lui répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois » (Mt 18,21-22).

Le pardon n’est donc pas un accueil que l’on reçoit une seule fois pour toutes, mais c’est une réalité spirituelle qui nous accompagne toute notre vie. Aussi grands soient nos manquements et leurs conséquences, nous pouvons toujours revenir vers Dieu.

Mais nous ne sommes pas tirés d’affaire, car le texte de l’Evangile d’aujourd’hui fonctionne selon le mode ON/OFF : « Tout bon arbre produit de bons fruits », c’est le mode ON ; « un arbre malade ne peut pas porter de bons fruits », c’est le mode OFF. Et selon cette parabole, l’arbre OFF n’a pas la possibilité de redevenir ON, il doit être détruit : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits, on le coupe et on le jette au feu », conclut Jésus (Mt 7,19).

Ce texte a de quoi nous inquiéter : Si jamais je me trouve du côté des arbres OFF, des pécheurs qui ne portent pas de bon fruit, je risque d’être jugé et rejeté loin de Dieu.

Heureusement pour nous, on trouve au chapitre 15 de l’Evangile de Jean une version moins clivante, moins ON/OFF, plus évoluée et plus subtile, de la parabole de l’arbre et de ses fruits de l’Evangile de Matthieu. Dans le texte de Jean, Jésus commence par affirmer que lui seul est la vraie vigne et que son Père, Dieu, est le vigneron. Il n’y a donc qu’un seul bon arbre, le Christ, et si les croyants veulent porter du bon fruit, ils ne peuvent pas compter sur eux-mêmes, comme dans la parabole de Matthieu : il leur faut rester greffés comme des sarments sur la base de la vigne, je cite : « le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit », « en dehors de moi [le Christ], vous ne pouvez rien faire ».

Cette façon de voir les choses évite que nous devions excessivement compter sur nous-mêmes pour être « un bon arbre qui porte des bons fruits », car nous risquerions d’être déçus et inquiets, étant donné que nous sommes tous très éloignés de la perfection.

La parabole de la vigne de l’Evangile de Jean présente enfin une dynamique d’évolution spirituelle qui ne figure pas du tout dans la parabole des arbres de l’Evangile de Matthieu, je cite : « Tout sarment qui, en moi, […] porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore ». Plutôt que d’être soit entièrement ON (bon arbre), ou OFF (mauvais arbre), il y a la possibilité de s’améliorer, et cette croissance des bons sarments est l’œuvre de Dieu lui-même, qui nous émonde, c’est-à-dire qui enlève en nous les mauvaises branches qui ont inévitablement poussé, ce qui permet aux bonnes branches de mieux pousser.

Nous sommes donc en chemin, imparfaits et perfectibles. Nous portons du bon et parfois du moins bon ou mauvais fruit, et nous pouvons encore nous améliorer avec le temps, pour autant que nous restions attachés au Christ, qui est le tronc de vigne qui nous nourrit.

Plutôt que de craindre d’être rejetés par Dieu comme une mauvaise plante, ce qui est une angoisse inutile et improductive qui ne change rien à notre situation, et qui parfois l’empire en nous stressant, nous sommes invités à demeurer en Christ et à porter du fruit. Amen

2 réflexions sur « Prédication : Les paraboles des arbres, selon les Evangiles de Matthieu et de Jean »

  1. Merci Gilles.
    Que ça fait du bien de te lire!
    Rien n’est donc définitivement foutu!
    Je travaille beaucoup sur la notion ON/OFF. Ta prédic nuance le « binaire » et ouvre à la subtilité. Rien n’est noir ou blanc
    Merci!

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