L’éternel présent de la Résurrection

Représentation à l’échelle logarithmique de l’Univers observable.
Pablo Carlos Budassi. Wikipedia CC BY-SA 4.0.
Plus on s’éloigne du système solaire, plus notre vision de l’Univers correspond à un passé reculé.
Telle que perçue par la chrétienté orthodoxe, la Résurrection prend une dimension cosmique.

Dans ma prédication de Pâques, en me servant d’une conception bouddhiste du temps comme « éternel présent » pour illustrer mon propos, je présente que selon le Nouveau Testament, l’expression la plus aboutie de la Résurrection en fait la personne même du Christ, et par conséquent aussi l’expérience de la vie chrétienne « en Christ », et non seulement un événement appartenant au passé (résurrection de Jésus) ou au futur (résurrection des morts à la fin des temps historiques).

Epître aux Ephésiens 2,4-10

4 Mais Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, 5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ – c’est par grâce que vous êtes sauvés –, 6 avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Jésus Christ. 7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l’incomparable richesse de sa grâce. 8 C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. 9 Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire fierté. 10 Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions.

Prédication du matin de Pâque, le 17 avril 2022 à Péry dans le Jura bernois, en Suisse

Il est difficile de parler de la Résurrection. Ce domaine est à la fois central pour le christianisme, essentiel pour la foi et compliqué pour la théologie. Alors, pour ne pas me perdre dans cette matière trop vaste, je vais baliser le terrain. Tout d’abord, en deux points.

Premier point. Dans ma foi personnelle, dans ma conviction intérieure, je crois que nous sommes destinés à vivre une vie plus élevée que notre vie terrestre. Donc, ma prédication n’est pas un simple exercice de rhétorique, elle est l’expression d’une foi qui m’est propre. Mais une telle espérance, il faut le souligner, dépasse les frontières du christianisme. La croyance en un au-delà se trouve dans de nombreuses sagesses, philosophies et religions.

Deuxième point. Maintenant sur la manière spécifiquement chrétienne de décrire l’au-delà, le Nouveau Testament exprime dans les grandes lignes trois aspects, ou trois étapes, ou trois dimensions de la Résurrection : Il est question de la résurrection dans le passé, celle de Jésus de Nazareth il y a deux millénaires ; puis de la résurrection dans le futur, celle de tous les êtres humains après leur mort, à la fin des temps ; enfin, il est question de la résurrection dans le présent, celle qui est la plus difficile à cerner, dont je vais vous parler.

Résurrection passée et future

Auparavant, je reviens brièvement sur la résurrection de Jésus. Elle fut inattendue, même par ses disciples. Cet événement suppose que le tombeau du Christ était vide, et que les disciples ont bénéficié de certaines apparitions, lors desquelles Jésus avait un corps mi terrestre et mi céleste : on pouvait le toucher, il pouvait manger, mais il passait à travers les murs et se déplaçait rapidement comme un pur esprit. On admet, en théologie, qu’il est difficile de mesurer la part d’objectivité et la part de subjectivité de ces apparitions. Il serait absurde, scientifiquement, de regretter de ne pas avoir pu filmer le ressuscité !

Maintenant, un mot sur la résurrection future, à la fin des temps. Précisons d’emblée qu’elle est prêchée par les chrétiens, mais elle ne se limite pas aux chrétiens. Dans ce sens, son discours n’est pas sectaire. La résurrection des morts est universelle, tous les hommes ressuscitent, mais elle se distingue du salut individuel dans la foi, qui reste le mystère de Dieu. Sur ce point, Jésus précise : « Il ne suffit pas de me dire, Seigneur, Seigneur, pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut faire la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21). La confession du Christ n’est donc pas le critère absolu du salut. Être chrétien, ce n’est pas croire que les non chrétiens, musulmans, bouddhistes, athées, agnostiques ou autres, sont exclus de la vie éternelle auprès de Dieu. Encore faut-il se demander s’il est pertinent de penser que quelqu’un puisse en être exclu ?

La présence de la Résurrection

Venons-en enfin à creuser la troisième dimension de la Résurrection, son aspect présent, le seul auquel nous avons accès directement ! De quoi s’agit-il exactement ? C’est une des questions les plus délicates de la foi chrétienne, puisqu’elle concerne la spiritualité, ou l’expérience de Dieu. Si, selon l’épître aux Ephésiens, Dieu nous a créés et ressuscités en Jésus-Christ (2,6.10), cela signifie que nous sommes d’une certaine manière déjà morts par rapport à notre vie terrestre. Je cite Colossiens 3,3 : « Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». Morts et ressuscités en Christ : c’est le langage du baptême. Nous sommes cachés en Christ, au sens où le monde actuel peut corrompre ou détruire notre vie extérieure, par exemple lors d’une épidémie ou d’une guerre, tandis que rien ne peut atteindre le secret de notre foi intérieure en Christ, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ (Rm 8,39). C’est la Bonne Nouvelle !

Dans les Evangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc, Jésus annonce qu’en sa personne, le Royaume de Dieu s’est approché : ce qui était futur est devenu présent. Les disciples bénéficient donc dès à présent des premiers bienfaits de la Résurrection finale (Mc 1,15). Dans l’Evangile de Jean, ce glissement est encore plus marqué. Après la mort de Lazare, sa sœur Marthe parle encore de la résurrection comme d’un événement futur. Elle dit à Jésus : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour », mais Jésus lui répond : « Je suis la Résurrection et la vie, celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (11,24-25). La Résurrection n’est plus un événement, elle est la personne du Christ. La nuance est de taille, car de temporelle, la Résurrection devient éternelle, sans commencement ni fin !

Pour éclaircir ce point, je fais un détour par le bouddhisme, qui dit les choses de manière intéressante. Pour les bouddhistes, le passé n’existe plus et le futur n’existe pas encore, donc, ils sont toujours inexistants. Seule la vie dans le présent existe réellement. Elle est tout ce que nous possédons. On parle dès lors d’un éternel présent. Sous cet angle, la résurrection passée de Jésus et la résurrection future n’existent pas. Seule existe la Résurrection présente et éternelle, qui est notre vie nouvelle en Christ. Ici, l’Evangile est très proche de l’Eveil bouddhiste. Dans le christianisme, on distingue le kairos, le temps éternel de Dieu, et le chronos, qui est le temps qui passe, le temps mesurable. Le chronos génère la nostalgie du passé et la peur de l’avenir, tandis que le kairos génère la confiance en Dieu.

Domaine pratique

Dernier volet : Tout cela n’est pas que théorique, notre approche de la Résurrection entraîne des conséquences pratiques. Le fait que nous soyons ressuscités en Christ, et que cela soit vrai à tous les moments de notre vie, implique que notre vie entière est un culte rendu à Dieu. Le culte chrétien ne saurait se limiter au dimanche matin, ou à Noël et Pâques. Il est une célébration de la vie entière. C’est dans la vie de tous les jours que l’on démontre que l’on est chrétien ! Avec un brin d’humour, nous ne saurions dire à Dieu : « Ah pardon Seigneur, je te précise que mardi prochain je ne serai pas vraiment chrétien ». C’est pourtant ce qu’il nous arrive à tous de vivre plus ou moins consciemment.

L’idée que la vie chrétienne au quotidien est un culte rendu à Dieu est plus fréquente qu’on ne l’imagine dans le Nouveau Testament. Dans son épître majeure, celle aux Romains, l’apôtre Paul parle à deux reprises du culte spirituel que le croyant est appelé à rendre à Dieu en son esprit (1,9 ;12,1) ; et aux Corinthiens, il rappelle : « Ne savez-vous pas que votre corps est le Temple du Saint-Esprit ». Le Temple chrétien, dans sa vision la plus profonde, n’est pas une église, mais la vie humaine entière. Dans ce sens, l’Evangile de Jean annonce que « les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (4,23).

Dès lors, quel sens pouvons-nous donner au culte du dimanche matin ? Certes, il est tout d’abord une manifestation communautaire de la Résurrection présente en Christ, mais comment tenir compte du fait évident que l’essentiel de notre vie – le travail, la famille, la sexualité, la vie spirituelle, les finances – se déroule en dehors du culte dominical ?

liturgies de la Chrétienté d’orient

La pensée liturgique des Eglises d’Orient me permet de développer une piste de réponse. Pour ces Eglises très variées, le culte n’est pas conçu avant tout comme le lieu de la prédication de la Parole de Dieu, comme pour nous protestants. Son déroulement est généralement pensé et organisé comme une récapitulation de la destinée de l’Univers entier, à laquelle les fidèles participent, depuis la Création du monde jusqu’à la Résurrection finale. Toute la dramatique de la vie du Christ, de sa naissance à sa résurrection, est vécue en communion par les fidèles, dans un mouvement où toute la durée de l’histoire est ramenée au présent. De même, les étendues de l’espace physique, de la nature biologique et du monde spirituel sont représentées par l’intérieur du Temple, dont les parties illustrent les différents degrés d’accès à la sphère du sacré et à Dieu. Ainsi pensé, le culte reflète toutes les dimensions de la vie chrétienne, il n’a de sens qu’en récapitulant nos histoires personnelles placées dans la lumière de la Résurrection. Amen

Complément à la prédication, présenté parmi d’autres postes au sujet de la Résurrection dans les religions d’Abraham, lors de la marche de l’aube de Pâques avant le culte.

Jésus et la Résurrection dans le Coran

Connaître le Coran, le livre saint de l’islam et de la foi musulmane, est utile pour comprendre notre propre fête chrétienne de Pâques, et le sens que nous donnons à la Résurrection. En raison d’une certaine distance culturelle entre le monde arabe en particulier et le monde européen, le contenu du Coran est mal connu par les chrétiens d’Europe, ce qui donne lieu à certaines idées fausses à propos de l’islam.

Il faut savoir que l’islam, avec à l’origine le prophète Mahomet, qui a vécu six siècles après Jésus, est un mouvement religieux qui s’est distancé des chrétiens et des juifs d’Arabie. Cependant, le Coran a repris de nombreuses données de la Bible chrétienne, dont notamment la foi en la Résurrection des morts à la fin des temps.

Le Coran accorde une très grande importance à Jésus, qu’il considère comme un prophète authentique, qui ressuscitera à la fin des temps, en même temps que le prophète Mahomet. Mais dans le Coran, Jésus n’est pas le dernier prophète, et il n’est pas le Fils de Dieu, mais un prophète très élevé, qui a accompli beaucoup de miracles surnaturels, même plus que le prophète Mahomet en a lui-même accomplis.

Parmi les textes du Coran qui décrivent Jésus et sa résurrection, il y a celui de la Sourate XIX, aux versets 29 à 34 :

Elle [c’est-à-dire Marie] fit signe au nouveau-né et ils dirent alors :
« Comment parlerions-nous à un petit enfant au berceau ? »

Celui-ci [donc Jésus] dit : « Je suis, en vérité, le serviteur de Dieu.
Il m’a donné le Livre, il a fait de moi un Prophète ;
il m’a béni, où que je sois.

Il m’a recommandé la prière et l’aumône – tant que je vivrai –
et la bonté envers ma mère.
Il ne m’a fait ni violent, ni malheureux.

Que la paix soit sur moi,
le jour où je naquis ; le jour où je mourrai ; le jour où je serai ressuscité ».

Celui-ci est Jésus, fils de Marie,
Parole de Vérité dont ils doutent encore.

On voit ainsi que les principaux éléments de la vie de Jésus sont repris par le Coran, et ce n’est pas sa résurrection qui pose le plus grand problème pour la foi musulmane, mais étonnamment, sa crucifixion ! Le Coran nie les souffrances de Jésus en croix en s’inspirant d’une longue tradition chrétienne qui peinait à admettre que le Dieu incarné ait pu souffrir.

Le texte de la Sourate IV,157-158 nie très clairement que Jésus ait souffert et soit mort sur la croix suite à sa condamnation à mort:

et parce qu’ils ont dit:
« Oui nous avons tué le Messie,
Jésus, fils de Marie,
le Prophète de Dieu ».

Mais ils ne l’ont pas tué;
ils ne l’ont pas crucifié,
cela leur est seulement apparu ainsi.

Ceux qui sont en désaccord à son sujet restent dans le doute;
ils n’en ont pas une connaissance certaine;
ils ne suivent qu’une conjecture;
ils ne l’ont certainement pas tué,
mais Dieu l’a élevé à lui:
Dieu est puissant et juste.

En effet, selon la théologie musulmane, Dieu protège toujours ses prophètes : Il a protégé Abraham, il a protégé Moïse, il a protégé David, alors pourquoi Dieu n’aurait-il pas aussi protégé Jésus de la mort, lui qui était un plus grand prophète que tous les précédents ?

En tant que chrétien, j’admets que ce raisonnement se tient, et je comprends qu’il soit difficile d’admettre que Dieu abandonne ainsi son prophète, mais je lui préfère la réponse de la foi chrétienne selon laquelle le Christ a pris sur lui la souffrance humaine, et que Dieu lui a ensuite accordé la victoire la plus élevée qui soit en le ressuscitant des morts.

Complément historique : Le Coran n’a pas inventé cette négation des souffrances de Jésus à la croix. Selon les adeptes du docétisme (du verbe dokein qui signifie paraître), un mouvement chrétien hétérodoxe (ou hérétique) apparu au IIe siècle de notre ère, Jésus était un être uniquement spirituel et non charnel; son humanité était donc seulement apparente, ce qui explique qu’il n’aurait pas souffert à la croix. Un texte apocryphe chrétien datant de la fin du IIe siècle, les Actes de Jean, fait déjà dire à Jésus: « Je ne suis pas celui qui est attaché à la croix ». Et Irenée, dans son traité Contre les hérésies, datant de 188 après Jésus-Christ, évoque Basilide (IIe siècle ap. J.-C.), d’après qui Simon de Cyrène aurait été crucifié à la place de Jésus. Selon les trois évangiles synoptiques du Nouveau Testament, ceux de Matthieu, Marc et Luc, Simon de Cyrène est le passant venant de la campagne que les soldats romains ont réquisitionné pour porter la croix de Jésus, en direction du lieu dit Golgotha, lieu de sa crucifixion. Il n’est parlé de ce personnage qu’à cette occasion dans le Nouveau Testament et il n’y a pas d’autre fonction (Marc 15,21 et al.).

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