Stratégies de (sur)vie concurrentes

Sur Terre, la vie s’avère labile, instable, menacée sous toutes ses formes. Face à ce défi, les humains utilisent deux grandes catégories de stratégies pour sauvegarder la vie. Les premières tendent à préserver ou à perfectionner la vie biologique, c’est-à-dire les corps vivants dans leurs environnements. Il s’agit des techniques fondées sur les sciences, comme la médecine, l’industrie, l’écologie, l’astronautique, le transhumanisme, etc. Les secondes supposent l’existence d’une vie extra-biologique, indépendante des conditions matérielles de survie. Il s’agit des religions et des spiritualités en général. Quels que soient les termes et les processus mis en jeu, « âme », « esprit », « règne de Dieu », « nirvana », « union mystique », « au-delà », « vie éternelle », etc., les religions visent une libération des contraintes de la vie biologique. Les hommes utilisent les technosciences et les religions souvent en concurrence, parfois en synergie.

L’écosystème Terre n’est pas éternel. La Terre s’est formée peu après le Soleil, il y a environ 4,6 milliards d’années. La vie, éventuellement venue d’ailleurs (ce qui est scientifiquement peu probable), a pu apparaître sur Terre une fois sa surface solidifiée et après la formation d’un océan stable, il y a 3 ou 4 milliards d’années. Il s’agissait de micro-organismes. La vie pluricellulaire est plus récente, survenue il y a certainement moins d’un milliard d’années ; et les premiers vertébrés (agnathes ou poissons sans mâchoire) vécurent il y a un demi-milliard d’années. Les hominidés sont environ 100 fois plus récents (6-8 millions d’années). Cette chronologie est bien attestée.

L’espoir des technosciences

L’avenir, moins connu, présente un scénario à peu près symétrique. Un fort consensus scientifique admet que dans environ 6,5 milliards d’années, le Soleil, allégé par la transformation de sa masse en énergie dissipée par rayonnement, gonflera pour devenir une géante rouge. La Terre, portée à des températures de l’ordre de 2500 degrés, se liquéfiera complètement. Selon Michel Joye, auteur de l’ouvrage Terre, l’histoire de notre planète de sa naissance à sa disparition (Presses polytechniques et universitaires romandes, 2017), la fin des plantes et des animaux est plus proche, estimée dans 0,5 ou 1 milliard d’années, en raison d’une hausse du rayonnement solaire qui produira ensuite l’évaporation complète des océans. Ne subsisteront alors que des micro-organismes.

A l’échelle de nos générations humaines, cet avenir est presque « infiniment » lointain, mais pas à l’échelle de nos gènes. En effet, l’origine de plusieurs sections de notre génome avoisine le milliard d’années, les mutations génétiques responsables de l’évolution étant extrêmement lentes. Cela signifie, en clair, que l’arbre de la vie imaginé par Charles Darwin a sans doute dépassé la moitié de sa longévité. Si les humains devaient porter aujourd’hui un coup fatal à la vie terrestre, par une guerre nucléaire ou une catastrophe écologique, l’évolution biologique n’aurait vraisemblablement plus assez de temps pour reconstituer des espèces aussi complexes que les hominidés avant la fin des possibilités de vie sur Terre. Nous sommes donc perpétuellement « la génération de la dernière chance ».

Par ailleurs, si les humains nourrissent l’ambition de pérenniser la vie au moyen de leurs technosciences, il leur faut imaginer à terme la fabrication d’un vaisseau spatial géant, sorte d’« arche de Noé » interstellaire portant ailleurs dans la Voie Lactée la vie biologique désormais impossible sur Terre. Une telle station devrait subvenir sans apports externes d’énergie aux besoins de centaines, voire de milliers de générations humaines, végétales et animales, avant la découverte hasardeuse d’une planète viable. Un tel scénario ne peut être formellement exclu, mais relève davantage de la science-fiction que de la science.

Les limites de la vie

Une grande part des espèces biologiques emploie un moyen particulier, la reproduction sexuée, pour transmettre la vie d’une génération à la suivante. Des cellules spécifiques, les gamètes (ovules, spermatozoïdes, pollen, etc.), se détachent des organismes parentaux et fusionnent pour former un nouvel être vivant. Ayant engendré et parfois élevé leur progéniture, les porteurs de gènes n’ont plus d’utilité biologique et sont destinés à disparaître. La mort individuelle est donc un corollaire de la reproduction sexuée. A l’échelle de l’évolution, la vie perdure au travers du patrimoine génétique et de sa régulation épigénétique. Les individus n’en sont que les vecteurs successifs.

Tant au niveau de l’histoire de la vie dans son ensemble, qu’au niveau des individus, les apports des technosciences se heurtent aux limites naturelles de la vie que sont l’instabilité et la fin de l’écosystème Terre d’une part, et la mort biologique d’autre part. Les tentatives d’immortaliser la vie personnelle, dont la presse se fait régulièrement l’écho, ne feraient que renforcer une surpopulation humaine déjà problématique.

L’espoir des religions

On comprend dès lors qu’en complément aux technosciences, et souvent en tension avec ces dernières, les religions conservent une place conséquente dans l’esprit des hommes. Garantir avec certitude l’avenir de la vie sur Terre et dans le cosmos est impossible, tant au niveau général qu’individuel. L’homme recherche donc d’autres significations de la vie que son destin biologique, permettant d’envisager l’existence avec sérénité. De nos jours, les pistes écologiques tendent à se mêler aux pistes spirituelles, au point qu’il n’est souvent plus possible de les distinguer. Il arrive qu’une certaine confusion s’installe, donnant lieu à des croyances panthéistes : on identifie le divin au cosmos et la Terre est perçue comme un être vivant dont on oublie la temporalité.

Les trois monothéismes abrahamiques que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam sont en principe réfractaires aux tendances panthéistes : le divin ne s’y trouve jamais identifié aux astres, ni aux corps minéraux ou biologiques, car ces derniers sont toujours en tension les uns avec les autres au sein de l’univers. Si la vie présente avait fourni des principes suffisamment stables et satisfaisants pour la conscience humaine, la foi en un Dieu distinct de la nature n’aurait pas vu le jour. Le projet des religions consiste plutôt à surmonter le non-sens lié aux tiraillements et aux souffrances de cette vie.

La subtilité du christianisme

Dans cette perspective, l’originalité du christianisme consiste en une anticipation symbolique de la mort biologique. Selon l’apôtre Paul, mourir à cette vie terrestre ne signifie pas cesser de vivre biologiquement, mais fonder son existence sur la foi en Dieu plutôt que sur les événements partiellement imprévisibles du monde, aussi positifs soient-ils. En identifiant sa propre destinée terrestre à la mort et à la résurrection du Christ, le croyant trouve « en Christ » le véritable sens spirituel et éthique de son existence.

Les promoteurs des technosciences reprochent souvent aux adeptes des religions de se désintéresser des problèmes de la vie réelle et de dépenser leur énergie au service d’êtres immatériels issus de leur imagination, dont l’existence ne peut être démontrée. Ce reproche n’est pas toujours fondé. Le christianisme, en allégeant l’individu du souci de son propre salut, le rend plus disponible au service d’autrui. Par ailleurs, la foi en un « règne de Dieu » tempère les espérances démesurées envers les possibilités de la vie présente.

Article paru en mars 2019 dans le No 327 de la revue Évangile et liberté.

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