Trois prédications de l’Avent : La Création sur le chemin de Noël

Trois prédications, lors des trois premiers dimanches de l’Avent de l’année 2022 dans la paroisse réformée de Rondchâtel, dans le Jura bernois en Suisse, relient les thèmes de la Création du monde, des animaux et de l’homme à celui de Noël, nativité du Christ.

Voir la liste de mes prédications ordonnées par références bibliques.

Prédication du premier dimanche de l’Avent,
le 27 novembre 2022 à Orvin

Genèse 1,20-2,4 – Le premier récit de la Création des animaux et de l’homme

20 Dieu dit : « Que les eaux grouillent de bestioles vivantes et que l’oiseau vole au-dessus de la terre face au firmament du ciel. » 21 Dieu créa les grands monstres marins, tous les êtres vivants et remuants selon leur espèce, dont grouillèrent les eaux, et tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon. 22 Dieu les bénit en disant : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez les eaux dans les mers, et que l’oiseau prolifère sur la terre ! » 23 Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.

24 Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, petites bêtes, et bêtes sauvages selon leur espèce ! » Il en fut ainsi. 25 Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les petites bêtes du sol selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! »

27 Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa.

28 Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » 29 Dieu dit : « Voici, je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre nourriture. 30 A toute bête de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui remue sur la terre et qui a souffle de vie, je donne pour nourriture toute herbe mûrissante. » Il en fut ainsi. 

31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.

1 Le ciel, la terre et tous leurs éléments furent achevés. 2 Dieu acheva au septième jour l’œuvre qu’il avait faite, il arrêta au septième jour toute l’œuvre qu’il faisait. 3 Dieu bénit le septième jour et le consacra car il avait alors arrêté toute l’œuvre que lui-même avait créée par son action.

4 Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création.

Prologue de l’Evangile de Jean 1,1-18

1 Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.
2 Il était au commencement tourné vers Dieu.
3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.

4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
5 et la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l’ont point comprise.

6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n’était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.

9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.
10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu.
11 Il est venu dans son propre bien, et les siens ne l’ont pas accueilli.
12 Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
13Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu.

14Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire,
cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père.
15Jean lui rend témoignage et proclame :
« Voici celui dont j’ai dit : après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. »

16De sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.
17Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé.

Prédication : La première Création, le grain de sable et la réponse de Noël

Le temps de l’Avent, qui commence aujourd’hui, marque le début de la nouvelle année liturgique. Ce temps nous prépare à l’advenir de la fête de Noël, un mot tiré du latin natalis, qui signifie naissance. Noël, c’est la naissance d’un nouveau monde, celui de la nouvelle Création spirituelle, tandis que le monde matériel représente l’ancienne Création, à l’intérieur de laquelle vient s’inscrire la nouvelle, en épousant la condition actuelle de la vie.

Pour parler de Noël, nous avons l’habitude, souvent sans le savoir, de nous référer avant tout à l’Evangile de Matthieu, dont le récit de Noël se centre sur la visite des mages, savants païens venus d’Orient adorer l’enfant Jésus (Mt 2,1-12), et à l’Evangile de Luc, dont le récit de Noël se centre sur la visitation des bergers aux champs par une myriade d’anges, annonçant l’arrivée du Sauveur aux humbles sur la Terre (Lc 2,6-21).

La révélation de l’Evangile de Jean

En revanche, nous nous référons fort peu à l’Evangile de Jean, qui débute aussi par l’annonce de Noël, sous la forme d’un poème philosophique, qui forme le Prologue de cet Evangile, et qui annonce pourtant une vérité plus essentielle que tout ce que peuvent raconter Matthieu et Luc : Le Verbe de Dieu (logos dans le texte original en grec), qui est de toute éternité avec Dieu, qui est Dieu, et par lequel le monde a été créé, ce Verbe éternel s’est fait chair, il s’est incarné dans un enfant méconnu, venu pour ainsi dire de nulle part.

Telle est la Bonne nouvelle de Noël. Le Verbe créateur s’est fait homme, il s’est abaissé en assumant la condition d’une créature faible et passagère que nous sommes, nous êtres humains (Epître aux Philippiens 2,7). Ainsi, le Dieu Tout Puissant, céleste, éternel, illimité, s’est approché de nous, en assumant une existence terrestre, limitée en tous aspects. Ce faisant, le Prologue de Jean souligne une vérité peu connue, qui forme pourtant le centre de la foi chrétienne: Le Verbe éternel, créateur, est aussi le Verbe compatissant, qui s’est fait chair en nous envoyant le Christ. Le Créateur et le Sauveur sont un.

L’exploitation injustifiée de la Nature

Le temps de l’Avent établit ainsi une identité profonde entre le Dieu créateur de l’Ancien Testament et le Dieu sauveur du Nouveau Testament. On a reproché au christianisme d’avoir favorisé l’exploitation de la Nature, en déclarant qu’elle n’est pas divine, à l’encontre des cultes païens, et en en faisant ainsi un objet exploitable. Or, si effectivement la Nature n’est pas une divinité vénérable selon la foi chrétienne, elle n’en est pas moins une Création qui reflète la puissance, la gloire et la compassion du Dieu Créateur.

Au début de l’épître aux Romains, l’apôtre Paul affirme que « les perfections invisibles de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité, sont visibles dans ses œuvres » (Rm 19,20). Nous reviendrons dans la troisième prédication sur sa conception de la Nature, qui représente donc une première révélation de la gloire divine. Au travers de la Création, nous discernons déjà, mais confusément, la lumière de Noël, qui fait la joie du Créateur et Sauveur du monde. On ne peut donc pas tirer du christianisme l’autorisation d’une exploitation irrévérencieuse, effrontée et sans limites de la nature, car elle porte en elle le reflet profond de la bonté divine, mais de façon encore confuse et imparfaite.

Les deux naissances du monde matériel et spirituel

Si Noël est la naissance de la vie spirituelle, qui vient par Jésus-Christ, la Création est la naissance de la vie matérielle, qui précède et accueille la vie spirituelle. Si donc la foi est spirituelle, le croyant garde les pieds sur Terre, dans la réalité visible. Le premier récit de la Création du livre de la Genèse se termine ainsi : « Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création » (Gn 2,4). La traduction œcuménique de la Bible (TOB) traduit ici par naissance le mot hébreu Toledot qui signifie plutôt génération. En effet, la naissance matérielle n’est pas chose aisée, elle se produit successivement au cours des générations, et les femmes en savent quelque chose, y compris Marie, qui enfante dans une étable.

La Création en six jours symboliques est décrite comme un long processus, au travers des multiples générations d’animaux marins, terrestres et célestes, dont l’existence est jugée positivement par le texte: « Dieu vit que cela était bon » (Gn 1,25). On peut se demander si le septième jour de la Création, le sabbat que Dieu a consacré « car il avait alors arrêté toute l’œuvre » (Gn 2,3), n’est pas une première évocation indirecte de la révélation de Noël ? En effet, nous avons là la naissance du repos et de la paix d’origine divine, suivant et surpassant la Création, l’origine d’un moment de communion intime avec Dieu où l’on ne se centre plus sur la production, le faire, mais sur l’être, le bonheur et la contemplation ?

Un grain de sable dans la première Création

La Création est bonne, révélatrice du Créateur, et Noël est festif, révélateur du Sauveur, et pourtant un grain de sable d’origine inconnue se cache dans la Création. Tout n’est pas rose. Il y a dans la réalité une faille, une fissure quelque part, qui rend les choses étonnement plus compliquées que prévu. C’est d’ailleurs pour cela, à tout bien observer, qu’une deuxième naissance, celle de Noël, est nécessaire, après la première naissance de la Création en chair et en os, comme s’il fallait encore réparer quelque chose. L’Ancien et le Nouveau Testament, le livre de la Genèse et l’Evangile de Jean, sont unanimes sur ce point, tout en l’exprimant très différemment : Une difficulté est apparue, qui concerne la Création dans son ensemble, mais qui semble se focaliser plus intensément dans le vécu humain.

Chaque étape (jour dans le texte) du premier récit de la Création du livre de la Genèse se termine par le constat que « Dieu vit que cela était bon ». Or, lors du sixième jour, celui de la création de l’homme et de la femme, cette indication est absente, comme si le choix était laissé à l’homme d’être « bon ou mauvais ». A la place de cette déclaration de la satisfaction divine, il est dit que « Dieu créa l’homme a son image » (Gn 1,27). Dans le texte, cette étrange affirmation concerne uniquement l’être humain, homme et femme.

Dans le Prologue de Jean, le constat est plus explicitement négatif. Dès le quatrième verset de l’Evangile, de façon surprenante, il est écrit qu’« en lui (le logos) était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise » (Jn 1,4-5). Aucune explication n’est donnée à propos de l’origine de ces ténèbres. Leur existence réelle est simplement affirmée comme un fait indéniable. Ce constat est à l’origine d’une des plus vieilles questions de l’humanité: D’où peuvent bien provenir ces ténèbres, que rien ne semblait présager ? D’où le mal est-il venu ?

Hypothèse au sujet de l’origine du mal : Le soi et son image

Ni le premier récit de la Création dans le livre de la Genèse, ni le poème du Prologue de Jean, ne donnent de véritable explication quant à l’origine du mal : En m’inspirant de ces textes, je tente ici de les interpréter dans une perspective qui me semble intéressante pour décrire la vie humaine. Je pose comme hypothèse de départ que le mal est lié à cette question de l’image de Dieu, qui caractérise l’homme, puis je regarde quels développements je peux en tirer, ce qui vous permettra d’évaluer par vous-mêmes la pertinence de mon hypothèse. Comment l’image de Dieu, en effet, qui semble être une description positive de l’homme, peut-elle amener le mal ? Cela semble contradictoire.

Signalons tout d’abord que le mot hébreu zelem, que l’on trouve trois fois traduit par image dans notre passage où il est dit que « Dieu créa l’homme à son image » (Gn 1,26-27, voir ci-dessus), se trouve 17 fois en tout dans les textes hébreux de l’Ancien Testament, et qu’il est traduit en français de diverses manières, selon les passages et les versions de la Bible. La traduction la plus fréquente est le mot français image, mais le mot zelem a plusieurs sens voisins : figure, idole, statue, reflet, ombre et même ténèbres. Par exemple, au Psaume 39,7 on lit: « Oui, l’homme va et vient comme un zelem ! Oui, son agitation, c’est du vent ! Il entasse, et ne sait qui ramassera ». Il apparait clairement que le mot zelem a ici un sens plutôt négatif. De fait, il est traduit par reflet (TOB), image (Ancien Testament interlinéaire), apparence (Osterwald de 1872), mirage (Français courant), ombre (Bible du Rabbinat français, de Chouraqui, de Jérusalem, annotée de 1898 et Segond 21), ténèbres (Dictionnaire hébreu Sander et Trenel), etc. En revanche, dans notre récit de la Création, toutes les versions traduisent zelem par image ! Il n’est pas étonnant que les traducteurs de la Bible en français n’aient pas voulu donner une valeur d’emblée négative à la création de l’homme. A leur appui, on peut invoquer que formellement, dans l’expression bezelem elohim (v.27 ; français: à l’image de Dieu), le mot zelem peut difficilement prendre un sens négatif, mais l’ambiguïté demeure quant aux sens possibles du mot zelem.

Comment donc ce mot traduit par image peut-il avoir une valeur à la fois positive et négative? La réponse est certainement liée au fait qu’une image suppose qu’il y a deux réalités : La chose et son image. Si vous vous regardez dans un miroir, vous vous voyez vous-mêmes, mais en réalité, c’est votre image, vous n’êtes pas derrière le miroir ! Et pour preuve, si le miroir se brise, se raye ou devient opaque, votre image apparaît déformée, moins précise ou disparaît. Or vous, vous restez intact ! Vous n’êtes donc pas votre image, mais elle vous reflète plus ou moins parfaitement.

Le problème de l’image est donc lié à sa duplicité : L’homme est double, il n’est jamais totalement lui-même. Il est appelé à être à l’image de Dieu, et pourtant il n’est jamais exactement cette image. Il est appelé à être spirituel, vertueux, ouvert comme Dieu, et néanmoins, il est matériel, charnel, égoïste, refermé sur lui-même, comme disait Martin Luther. De là provient la difficulté, le grain de sable a rayé le miroir : l’image de Dieu n’est pas tout-à-fait pure et nette en l’homme, elle est déformée et confuse. Une telle image est en partie lumineuse et en partie sombre, d’où l’origine des ténèbres.

Psychologie et spiritualité

Ainsi, la vie humaine est compliquée. Si l’homme veut écouter Dieu, par quel canal peut-il l’entendre ? Lui faut-il écouter ses voix intérieures, ses passions, ses désirs, ses propres pensées, ou au contraire, lui faut-il écouter le Verbe de Dieu, Créateur et Sauveur, qui est à l’extérieur de lui-même ? Il y a là un grand dilemme d’authenticité. On nous apprend depuis tout petits à être nous-mêmes, à être vrais, sincères, mais en même temps, on nous apprend à ne pas suivre toutes nos volontés, à nous retenir, à faire le tri à l’intérieur de nous-mêmes entre le bon et le moins bon. De là proviennent les ténèbres et la lumière : « Si la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes tes ténèbres ! » (Evangile de Matthieu 6,23b).

Le cœur du problème semble bien être la question de l’image de Dieu, qui place la barre très haut : réaliser son humanité est un exercice particulièrement difficile. Peut-être mourons-nous avant d’y être parfaitement parvenus ? Entre nous-mêmes et notre image parfaite, il y a un monde qui subsiste ! L’enfant en fait très tôt la cuisante découverte. Il prend conscience qu’il est en faute. Par exemple, il devrait déjà être à l’école, mais il est encore en chemin parce qu’il s’est attardé à regarder les papillons. Il se sent coupable et craint d’être puni. Peur, honte, défiance et colère se mêlent en lui, l’image de Dieu se brouille et le mal prend place. La porte est alors ouverte au fléau psychologique de la dévaluation de l’image de soi, qui peut mener au découragement, à la timidité, et à l’état adulte, à la dépression, et même au suicide, dans sa forme extrême.

Noël

Perçu dans cette logique, Noël est bien plus qu’une fête de fin d’année. C’est une Création nouvelle, une transformation profonde de la relation entre Dieu et l’homme, au travers de la venue du Fils qui s’est fait chair, semblable à nous. La Création de Noël vient réparer l’image de l’homme déchue dans la première Création. C’est dans cette profonde guérison spirituelle, qui nous est offerte comme un don de Dieu, qu’il faut chercher le sens de Noël.

Par sa naissance humble dans le monde, dans une étable à bestiaux, le Christ replace la barre morale et spirituelle de notre existence à un niveau acceptable. Noël crée une image de Dieu qui ne demande pas notre perfection, mais notre humilité, ainsi la lumière divine peut pénétrer à nouveau dans nos ténèbres intérieures, et nous aider à cheminer malgré nos maux, et parfois aussi en parvenant à nous en libérer, au moins en partie. A Noël, le Sauveur établit en nous la paix que notre première Création à l’image de Dieu avait rendue confuse. Tel est le sens du chemin de l’Avent: Apprendre à mieux comprendre Noël. Amen

Notice théologique hors prédication à propos du « péché originel »

La question de l’origine du mal, en théologie chrétienne, est traitée dans le cadre d’une théologie du péché originel, auquel correspond l’événement de la chute, lors duquel l’homme et la femme sont expulsés du jardin d’Eden (Gn 3,23-24). Il est important de comprendre que ce que l’on nomme « péché originel » ne se résout pas au premier péché historique commis par Adam et Eve lorsqu’ils ont goûté au fruit défendu (Gn 3,6-7), une fois tentés par le serpent (Gn 3,1-5). On appelle « péché originel » la condition dans laquelle naissent, vivent et meurent tous les êtres humains de toutes les époques et de toutes les cultures. Cela signifie que l’homme est « pécheur par nature », séparé de la gloire de Dieu indépendamment de sa volonté personnelle et de ses possibilités spirituelles propres (Epître aux Romains 3,9.19.23). En clair, la théologie chrétienne suppose qu’aucun être humain peut décider de ne pas voir sa vie liée d’une façon ou d’une autre à la culpabilité et au mal, ainsi qu’à la souffrance qui en découle (Gn 3,16-19). Le « péché originel » ne désigne donc pas le péché initial, mais le péché fondamental, universel, radical (au sens de la racine), qui se reproduit en toute vie humaine et en détermine la substance.

Du coup, Adam et Eve ne sont pas le premier homme et la première femme biologiquement conçus dans un sens chronologique. Il est absurde de vouloir dater leur existence, par exemple aux environs de 4000 avant J.-C. au nord de la Mésopotamie. Nous pourrions plutôt dire qu’ils sont vous et moi, chacune et chacun de nous expérimentant à sa manière, dans sa vie personnelle, cette crise de la vie qui est si bien illustrée par ce récit symbolique d’Adam et Eve, lesquels, en tant que personnes historiques, n’ont pas existé.

De ce caractère universel, et en un certain sens « inné », du péché originel, il découle que la grâce divine est la seule possibilité de salut, l’homme n’ayant pas les moyens de se libérer par lui-même du péché qui habite son être et de se justifier en supprimant par lui-même les conséquences du mal qui le caractérise en partie (Epître aux Romains 3,20-24).

L’explication proposée dans la prédication ci-dessus, qui lie le péché originel à un écart entre le soi concret et l’image du soi idéal, est donc pertinente en ceci qu’elle décrit le péché originel comme une déchirure ontologique (c’est-à-dire un défaut de l’être) profonde et indélébile, et non comme un acte concret que chaque homme pourrait choisir de commettre ou non.

Pour un développement plus complet voir ma conférence en PDF sur ce thème.

Prédication du deuxième dimanche de l’Avent,
le 4 décembre 2022 à Péry

Genèse 2,4-24 – Le second récit de la Création : Adam et Eve

Première étape – La Création avant Adam

4 Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création.
Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, 5 il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ; 6 mais un flux montait de la terre et irriguait toute la surface du sol.

Deuxième étape – La Création d’Adam

7 Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. 8 Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. 9 Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. 10 Un fleuve sortait d’Eden pour irriguer le jardin ; de là il se partageait pour former quatre bras. 11 L’un d’eux s’appelait Pishôn : c’est lui qui entoure tout le pays de Hawila où se trouve l’or 12 – et l’or de ce pays est bon – ainsi que le bdellium et la pierre d’onyx. 13 Le deuxième fleuve s’appelait Guihôn ; c’est lui qui entoure tout le pays de Koush. 14 Le troisième fleuve s’appelait Tigre ; il coule à l’orient d’Assour. Le quatrième fleuve, c’était l’Euphrate.

Troisième étape – Les commandements au sujet de la nourriture

15 Le SEIGNEUR Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder. 16 Le SEIGNEUR Dieu prescrivit à l’homme : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, 17 mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. »

Quatrième étape – La Création de la femme

18 Le SEIGNEUR Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » 19 Le SEIGNEUR Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait. Tout ce que désigna l’homme avait pour nom « être vivant » ; 20 l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs, mais pour lui-même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. 21 Le SEIGNEUR Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. 22 Le SEIGNEUR Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. 23 L’homme s’écria : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair,
celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. » 24 Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

Evangile de Luc 1,46-55 – La prière de Marie : Le Magnificat

46 Alors Marie dit :
« Mon âme exalte le Seigneur 47 et mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur, 48 parce qu’il a porté son regard sur son humble servante.

Oui, désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse,
49 parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses :
saint est son Nom.

50 Sa bonté s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent.
51 Il est intervenu de toute la force de son bras ;
il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse ;
52 il a jeté les puissants à bas de leurs trônes
et il a élevé les humbles ;
53 les affamés, il les a comblés de biens
et les riches, il les a renvoyés les mains vides.
54 Il est venu en aide à Israël son serviteur
en souvenir de sa bonté,
55 comme il l’avait dit à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa descendance pour toujours. »

Prédication : La féminité exaltée dans les récits de la Création et de la Nativité

La femme au début de l’Ancien et du Nouveau Testament

L’Ancien et le Nouveau Testament accordent une très grande importance à la féminité, plus que nous ne l’imaginons habituellement. Dans le second récit de la Création du livre de la Genèse, la femme occupe une position éminente : Etant la dernière œuvre créée par Dieu (Gn 2,21-24), elle représente le couronnement de la Création. Et dans un mouvement de symétrie qui traverse toute la Bible chrétienne, les femmes sont aussi les premières protagonistes des récits évangéliques de Matthieu et Luc. Chez Luc, le prêtre Zacharie, futur père de Jean-Baptiste, est d’emblée écarté en raison de son incrédulité. Il est rendu muet par l’ange qui lui annonce la naissance de son fils (Lc 1,18-25). Joseph, l’époux de Marie, malgré sa bravoure et sa foi, est lui aussi écarté de la paternité de Jésus dans les récits de Mattieu (1,20-21) et Luc (1,26-38). Marie enfante par le Saint-Esprit.

Les femmes Elisabeth et Marie sont donc à l’honneur, en raison bien sûr de leur faculté à procréer (rappelons que le mot Noël, vient du latin natalis, qui signifie naissance), mais aussi par leur sensibilité particulière à l’annonce des anges, qu’elles accueillent avec foi (Lc 1,25.38). Signalons au passage que dans les deux autres évangiles, Marc et Jean, Marie est citée une fois chez Marc (6,3) et jamais chez Jean, et Joseph deux fois chez Jean (1,45 ; 6,42). Les parents de Jésus ne jouent donc presque aucun rôle dans ces deux Evangiles.

Cette importance accordée aux femmes dans les récits de la Création et de la Nativité (Mt et Lc) doit nous interroger. Dans notre culture dominée par les questions de genre, la féminité n’a plus le même sens que dans les récits bibliques. C’était alors une honte pour une femme de ne pas avoir d’enfants. Enceinte, Elisabeth s’exprime ainsi : « Voilà ce qu’a fait pour moi le Seigneur au temps où il a jeté les yeux sur moi pour mettre fin à ce qui faisait ma honte devant les hommes » (Lc 1,25). Cette pression injuste exercée sur les femmes pour qu’elles procréent a heureusement diminué. Aujourd’hui, les femmes trouvent leur valeur tout autant ailleurs que dans leur maternité.

Les quatre étapes du second récit de la Création de la Genèse

Analysons maintenant de plus près le second récit de la Création dans le livre de la Genèse. Un premier contraste frappe : Alors que dans le premier récit de la Création, l’homme et la femme sont créés en même temps, le sixième jour, avant le sabbat qui clôt la semaine de la Création (Gn 1,26-27) ; dans notre récit, l’homme Adam est créé le plus tôt possible (Gn 2,7), et la femme Eve le plus tard possible, tout à la fin (Gn 2,21-23) comme nous l’avons dit. Toute la Création semble donc embrassée par Adam et Eve. Le texte, très original et presque farfelu parfois, par son imagination débordante, est divisible en quatre étapes que je commente à présent.

Première étape, la Création avant Adam (Gn 2,4-6), est minimaliste. Dieu crée la terre et le ciel d’un seul coup, et il est précisé qu’aucun végétal n’existe avant l’homme (ni arbuste ni herbe). Adam est tiré de la poussière inerte du sol. En revanche, une explication mythologique, qui avait à l’époque une valeur scientifique, décrit l’origine de la pluie nécessaire à la croissance des végétaux. Comme dans le premier récit, il y a deux masses d’eau, au-dessus et au-dessous de la terre (Gn 1,7.9) et ici, l’eau semble monter de la terre pour irriguer le sol.

Deuxième étape, la Création d’Adam en deux moments distincts. Tout d’abord, le corps sans vie est tiré et modelé de la poussière humide du sol, puis Dieu insuffle « dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devient un être vivant » (Gn 2,7). Il n’est pas question ici du corps et de l’« âme » comme quelque chose de différent du corps matériel qui est ajouté, car ce que Dieu souffle ne sert qu’à animer le corps, à le rendre respirant, en mouvement, vivant. Selon cette conception de l’être humain, l’âme n’est pas autre chose que l’animation du corps. L’être humain n’est pas composé de deux substances matérielle et immatérielle. Nous pouvons vraisemblablement parler d’une vision holiste de l’homme.

C’est après la création d’Adam que Dieu plante « un jardin en Eden » pour y placer l’homme. Les végétaux apparaissent donc après les êtres humains et leur servent de nourriture : ils sont « attrayants et bons à manger », dit le texte (Gn 2,8-9). De manière tout-à-fait surprenante, le récit bascule alors subitement dans la symbolique. Les deux derniers « arbres » créées ne sont assurément pas des végétaux ordinaires au sens moderne du terme, c’est-à-dire des plantes. « L’arbre de vie et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais » n’ont certainement rien de réel déjà dans l’esprit des auteurs du texte. Bien que décrits sans transition à la suite des autres arbres, ils sont imaginaires et leurs sens est philosophique.

La troisième étape du texte interrompt la Création, et voici que le Créateur se met spontanément à parler à ses créatures (Gn 2,15-17). Connaissez-vous ce dont Dieu parle dans les premiers mots qu’il adresse aux hommes ? Il leur parle de nourriture, de ce qu’il est « bon ou mauvais » de manger. Nous pourrions donc en conclure – chose que l’on ne prêche presque jamais ainsi – que selon l’esprit de la Bible, le plus important pour notre santé corporelle et spirituelle, c’est la nourriture, la diététique et la spiritualité. Manger correctement permet de rester en bonne santé ! Ne mentionnant pas les animaux, le texte donne l’impression de proposer une alimentation exclusivement végétarienne, mais cette diététique ne correspond pas aux conceptions de la « loi de Moïse » dans le Pentateuque (le chapitre 11 du livre du Lévitique distingue les animaux purs, que l’on peut manger, des animaux impurs non comestibles).

Si l’homme se met à manger « de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais », il devra « mourir ». Le verdict de la mauvaise alimentation est dramatique, c’est la mort ! Et je fais remarquer, presque pour l’humour, à ce sujet, que selon l’ordre précis de notre récit, la femme n’est pas encore créée lorsque Dieu dit à Adam qu’il ne doit pas manger « de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais ». Il y a donc ici une incohérence logique, car lorsque le serpent invite Eve à manger du fruit défendu, celle-ci répond en connaissant ce que Dieu a dit : « Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas afin de ne pas mourir » (Gn 3,2-3). On peut bien entendu supposer que Adam a transmis à Eve l’ordre du Seigneur, mais une telle supposition est inutile, car le récit ne se présente pas comme une histoire réelle, mais comme un récit symbolique qui comprend des éléments mythologiques, c’est-à-dire des êtres qui représentent des réalités abstraites, comme les deux derniers arbres du jardin ou le serpent qui parle. L’ordre des événements de ce second récit de la Création, et notamment la création de l’homme avant celle des animaux, entrerait en complète contradiction avec les bases les plus élémentaires de la biologie évolutionniste, qui place l’homme parmi les êtres apparus le plus tardivement.

Ceci nous amène à la quatrième et dernière étape, la création des animaux, suivie de la création d’Eve (Gn 2,18-24), à partir d’une véritable opération médicale de Dieu sur Adam : « Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur Adam qui s’endormit (anesthésie), il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à leur place (chirurgie) ». N’est-ce pas farfelu ? Je vous laisse juger. Les animaux sont créés parce que Dieu pense qu’« il n’est pas bon qu’Adam soit seul » et veut lui accorder « une aide », mais ce sont en quelque sorte des coups d’essais dans lesquels « Adam ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée ». En revanche, Adam semble entièrement satisfait de la dernière œuvre de Dieu, et il s’exclame « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair » à propos de la femme prise de lui.

La vision de la femme dans le second récit de la Création et dans le Magnificat

Quelle vision de la femme nous laisse le second récit de la Création ? Je dégage trois aspects. Tout d’abord, la subordination : Eve est une aide tirée de l’homme, elle est donc d’emblée placée sous ses ordres. Cet aspect n’est plus recevable aujourd’hui. Ensuite, l’égalité, « os de mes os et chair de ma chair ». Cet aspect souligne la très grande intimité qui existe entre l’homme et la femme: c’est une belle image. Enfin, la magnificence de la femme, dernière créature qui épate littéralement l’homme, subjugué par sa beauté. Les trois aspects réunis semblent donner une image assez équilibrée de la femme, mais ils sont susceptibles d’occasionner de nombreuses discussions au sujet du sens exact qu’il faut leur donner, car les relations entre les sexes et entre les genres sont à chaque époque et en chaque culture des sujets délicats et sensibles, susceptibles d’évoluer au rythme des générations, pour le meilleur ou pour le pire. Parmi les interprétations les plus douteuses ayant marqué l’histoire moderne, il y a celle de la femme modèle, fée du logis des années 1950 : « Sois belle et soumise ! ».

Au début du Nouveau Testament, Marie donne un portrait semblablement équilibré de la femme, en décrivant son sort dans sa prière dite du « Magnificat » : « Mon esprit est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté son regard sur son humble servante. Oui, désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse » (Lc 1,47-48). La femme que représente ici Marie est qualifiée à la fois par son allégresse, sa foi en Dieu, son humilité et sa béatitude. C’est une très belle vision de la femme, pleine de sensibilité et de richesse, et à notre heure de la culture du genre, les hommes autant que les femmes peuvent s’inspirer de ces belles qualités humaines, joie, foi, humilité, créativité, pour se réjouir ensemble de l’approche de cette magnifique fête de la naissance qu’est Noël. Amen

Prédication du troisième dimanche de l’Avent,
le 11 décembre 2022 à Vauffelin

Les deux premiers textes ci-dessous, Avec le temps de Léo Ferré et le Psaume 90, la Prière de Moïse, l’homme de Dieu, qui se répondent l’un l’autre, ne servent pas directement de base à la prédication, mais ils forment une introduction au thème traité et ont été lus à d’autres moments du culte.

Léo Ferré – Avec le temps – 1980

Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien
Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
L’autre qu’on devinait au détour d’un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
Avec le temps tout s’évanouit

Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
Mêm’ les plus chouett’s souv’nirs ça t’as un’ de ces gueules
A la Gal’rie j’Farfouille dans les rayons d’la mort
Le samedi soir quand la tendresse s’en va tout’ seule
Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
L’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien
L’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi l’on s’traînait comme traînent les chiens
Avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid
Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et l’on se sent floué par les années perdues

Alors vraiment
Avec le temps on n’aime plus.

Textes choisis, présentés et annotés par Martine Bercot, Michel Collot et Catriona Seth, Anthologie de la poésie française, XVIIIe siècle, XIXe siècle, XXe siècle, Editions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000, p. 1164-1165 & 1563. Texté tiré du Testament phonographique, Plasma, 1980, p.219-220.

Psaume 90 – Prière de Moïse, l’homme de Dieu

1 Prière, de Moïse, l’homme de Dieu.

Seigneur, d’âge en âge
tu as été notre abri.
2 Avant que les montagnes naissent
et que tu enfantes la terre et le monde,
depuis toujours, pour toujours, tu es Dieu.

3 Tu fais retourner l’homme à la poussière,
car tu as dit : « Fils d’Adam, retournez-y ! »
4 Oui, mille ans, à tes yeux,
sont comme hier, un jour qui s’en va,
comme une heure de la nuit.

5 Tu les balayes, pareils au sommeil,
qui, au matin, passe comme l’herbe ;
6 elle fleurit le matin, puis elle passe ;
elle se fane sur le soir, elle est sèche.

7 Oui, nous avons été achevés par ta colère,
épouvantés par ta fureur.
8 Tu as placé nos fautes en ta présence,
nos secrets à la clarté de ta face.

9 Oui, devant ta fureur s’effacent tous nos jours ;
le temps d’un soupir, nous avons achevé nos années :
10 Soixante-dix ans, c’est parfois la durée de notre vie,
quatre-vingts, si elle est vigoureuse,
et son agitation n’est que peine et misère ;
c’est vite passé, et nous nous envolons.

11 Qui peut connaître la force de ta colère ?
Plus on te craint, mieux on connaît ton courroux !
12 Alors, apprends-nous à compter nos jours,
et nous obtiendrons la sagesse du cœur.

13 Reviens, SEIGNEUR ! Jusqu’à quand ?
ravise-toi en faveur de tes serviteurs.
14 Dès le matin, rassasie-nous de ta fidélité,
et nous crierons de joie nos jours durant.

15 Rends-nous en joie tes jours de châtiment,
les années où nous avons vu le malheur.
16 Que ton action soit visible pour tes serviteurs,
et ta splendeur pour leurs fils !
17 Que la douceur du Seigneur notre Dieu soit sur nous !
Consolide pour nous l’œuvre de nos mains,
oui, consolide cette œuvre de nos mains.

Livre du prophète Esaïe 11,1-9

Un nouveau David

1 Un rameau sortira de la souche de Jessé,
un rejeton jaillira de ses racines.
2 Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR :
esprit de sagesse et de discernement,
esprit de conseil et de vaillance,
esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR
3 – et il lui inspirera la crainte du SEIGNEUR.
Il ne jugera pas d’après ce que voient ses yeux,
il ne se prononcera pas d’après ce qu’entendent ses oreilles.
4 Il jugera les faibles avec justice,
il se prononcera dans l’équité envers les pauvres du pays.
De sa parole, comme d’un bâton, il frappera le pays,
du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant.
5 La justice sera la ceinture de ses hanches
et la fidélité le baudrier de ses reins.

Le paradis retrouvé

6 Le loup habitera avec l’agneau,
le léopard se couchera près du chevreau.
Le veau et le lionceau seront nourris ensemble,
un petit garçon les conduira.
7 La vache et l’ourse auront même pâture,
leurs petits, même gîte.
Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage.
8 Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra.
Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main.
9 Il ne se fera ni mal, ni destruction
sur toute ma montagne sainte,
car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR,
comme la mer que comblent les eaux.

Epître de Paul aux Romains 8,18-25 – La gloire à venir

18 J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. 19 Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : 20 livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée –, elle garde l’espérance, 21 car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu.

22 Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. 23 Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. 24 Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. Or, voir ce qu’on espère n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment l’espérer encore ? 25 Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance.

Evangile de Matthieu 3,1-6

1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée : 2 « Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché ! » 3 C’est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait : « Une voix crie dans le désert : “Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.” » 4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 5 Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ; 6 ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.

Prédication : Noël, naissance du nouveau monde

Le nouveau David

Le roi David, le conquérant de la ville de Jérusalem, peu avant l’an mille avant Jésus-Christ, est resté dans la mémoire d’Israël comme un roi à jamais inégalé et inégalable, doué à la fois de compassion humaine, d’un sens inné de la justice et d’une grande vaillance militaire. A sa mort, son fils Salomon régna à sa place et devient richissime en raison de sa sagesse proverbiale. Mais les rois de Juda et d’Israël qui suivirent, du Xe au VIe siècle avant J.-C., n’atteignirent plus jamais leur trempe. Dans leurs critiques des infidélités religieuses et des injustices sociales perpétrées par ces rois, les prophètes gardèrent la mémoire exemplaire du roi David, fils de Jessé, et se mirent à souhaiter, à prédire et à attendre l’arrivée d’un nouveau roi David, inspiré par Dieu, qui restaurait la gloire perdue du royaume d’Israël et la justice au sein du peuple.

Durant les époques ultérieures, babylonienne (au VIe siècle), perse (du VIe au IVe siècle), grecque (du IVe au Ie siècle avant J.-C.) puis romaine à partir de 63 avant J.-C., Israël ne retrouva plus jamais son autonomie politique. Les catastrophes militaires, religieuses et sociales s’enchainant pour le peuple hébreu, l’arrivée de ce roi sauveur, attendu depuis des siècles, finit par être repoussée à la fin des temps. Parallèlement, les compétences de ce personnage, qui reçut le titre de Messie (le terme hébreu mâshîah signifie oint, et se traduit par Christ en grec) furent amplifiées à l’extrême. Son impact si puissant sur l’histoire humaine, et non plus seulement sur Israël, finissait par régénérer l’humanité entière en créant le monde nouveau, dirigé selon Dieu, où régnerait la justice et la paix sur Terre, non seulement entre les êtres humains, mais aussi entre tous les êtres vivants de la création, recréant ainsi le paradis terrestre, perdu à l’origine, lors de la chute de l’humanité.

C’est un tel restaurateur de la royauté de David que décrit le livre du prophète Esaïe, dans notre passage qui date du VIIIe ou du VIIe siècle avant J.-C. : « Un rameau sortira de la souche de Jessé [le père de David], un rejeton jaillira de ses racines » (Es 11,1). D’après le texte, l’activité de ce nouveau David ira crescendo en trois stades, que l’on peut comprendre comme étant soit simultanés soit successifs. D’abord modeste, l’Esprit du Seigneur reposant sur lui, le Messie sera animé d’un esprit de sagesse, de conseil et de vaillance (v.2). Mais ces dispositions l’amèneront à exercer la fonction de juge dans un monde encore décrit comme mauvais : se prononçant en faveur des « pauvres du pays », il frappera et « fera mourir le méchant » (v.4).

Puis subitement, sa puissance croissante aboutira – sans transition dans le texte prophétique d’Esaïe – de manière vraiment surprenante, à l’établissement d’une paix surnaturelle englobant la nature et l’humanité entières. Ce règne de paix est décrit avec ces paroles désormais célèbres : « Le loup habitera avec l’agneau, … le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage, … le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, … il ne se fera ni mal, ni destruction, sur ma montagne sainte » (v.6-9). Notons qu’il est difficile de savoir s’il s’agit d’animaux réels, ou si les bêtes ici décrites symbolisent des êtres humains.

La prédication de Jean-Baptiste : Anticipation de la venue du Messie

Jusqu’au temps de Jésus, le peuple juif a donc développé l’attente de son Messie, qui le délivrerait de ses oppresseurs. La prédication de Jean-Baptiste, précurseur et maître à penser de Jésus, s’inscrit dans cette logique, avec une nuance de taille : L’arrivée du Messie de la fin des temps semble imminente à ses yeux, et le peuple doit s’y préparer spirituellement : « Convertissez-vous, le Règne des cieux s’est approché ! » (Mt 3,2). Ce slogan sera repris par Jésus, qui laissera entendre que le Règne des cieux s’identifie à son message : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Marc 1,15). Selon cette perspective, le Messie a commencé les deux premiers stades de son activité décrite par Esaïe, celles du sage et du juge luttant au sein du monde humain encore imparfait, mais la création n’a pas encore été transformée au point de rétablir le paradis terrestre des origines.

Pour nous chrétiens, l’ère messianique de la fin des temps a donc commencé avec la venue de Jésus, reconnu comme Messie et comme Christ : Noël représente la naissance du monde nouveau à l’intérieur de l’ancien monde, au travers de l’activité du Christ et de son Eglise. Voilà pourquoi, de façon symbolique, la crèche de Noël récapitule l’Univers entier dans son microcosme enchanté, avec la présence de l’enfant roi, de sa famille intime, des mages, nobles dignitaires et savants internationaux, des bergers, représentants des humbles gens, et des animaux, par lesquels la nature entière est intégrée dans la scène.

Paul et l’impact historique du Messie : de la souffrance à la gloire

L’apôtre Paul, mieux que quiconque, a su exprimer que la venue de ce Messie-Christ n’est pas un événement unique, fortuit, mais un processus historique qui entraine l’évolution de la nature entière, ainsi que la perpétuelle remise en question des acquis de l’humanité. Ce constant chambardement sous l’effet de l’Esprit du Christ induit les souffrances liées à l’évolution du monde, mais il confère aussi à ce monde une destination heureuse : « J’estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous » (Rm 8,18). En d’autres termes, nous dit Paul, les souffrances de cette vie valent la peine d’être supportées en vue de la gloire ultime qui va être révélée en nous. Ce que l’apôtre exprime ainsi: « Sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus, afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps » (2 Corinthiens 4,10).

En commentant notre texte, le théologien et exégète du Nouveau Testament Franz J. Leenardt explique que « souffrance et gloire future sont inséparables, parce que le présent n’est qu’un état de transition en vue de l’avenir, le visible une anticipation de l’invisible ; tout doit être référé à un autre monde, celui de l’Esprit, qui met tout en cause, qui met tout en crise, qui installe au cœur de l’être une insatisfaction essentielle, étant lui-même la réalité dernière et exerçant à ce titre une pression ontologique sur les réalités mondaines » (F. J. Leenhardt, L’Epître de Saint Paul aux Romains. Commentaire du Nouveau Testament. Deuxième série. VI, Genève, Labor et Fides, 1981, p.124).

Plus simplement dit : Pour se transformer, ou au minimum pour évoluer dans la direction du Règne de Dieu annoncé par Jésus, le monde présent doit être sans cesse bousculé, et ses fondements doivent être remis en question successivement à plusieurs reprises. Chaque jour, des gens de tout bord critiquent les actualités politiques, culturelles, sociales, et proposent de nouvelles pistes de solutions ; et de tous temps, ces mêmes gens sont critiqués à leur tour. Ainsi évolue le monde humain, de souffrance en souffrance et de gloire en gloire. En fin de compte, ces bouleversements sont l’œuvre du Saint Esprit qui perfectionne le monde. Noël, naissance du Christ, est ainsi compris comme une activité continue qui transfigure la réalité, et c’est ainsi que l’apôtre Paul peut affirmer : « Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement… » (v.22), « …du Christ », pourrions-nous ajouter.

Le passage du monde matériel au monde spirituel

Comment donc la dernière étape de l’œuvre du Messie pourra-t-elle se produire, selon la prophétie d’Esaïe ? Devons-nous supposer que le monde futur, la nouvelle création qui s’ouvre à Noël, remplacera purement et simplement le monde actuel, ou au contraire, le monde présent va-t-il se transformer progressivement jusqu’à ressembler, puis devenir le monde futur ? Il est difficile de répondre, et la vérité se situe vraisemblablement entre ces deux options : Soit le matériel disparaît et il est remplacé par le spirituel, soit le matériel devient lui-même spirituel en se transformant de l’intérieur (lire à ce sujet 1 Corinthiens 15,42-55, où coexistent les deux explications, avec une prédominance pour la seconde).

La création, dit Paul, « sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu » (v.21), et « nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissions intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance de notre corps » (v.23). Cette vision des choses peut donner l’impression que nos corps biologiques et toute la réalité humaine qui en découle se transforment progressivement en corps spirituels inscrits dans des espaces renouvelés de cette réalité.

Mais d’un autre point de vue, qui souligne plus radicalement la séparation entre l’Avent et l’Après, Noël, naissance du Christ, puis Pâques, résurrection du Christ, semblent générer une vie tout-à-fait nouvelle, « en Christ », spirituelle, éternelle et indépendante de notre corps biologique, qui est marqué par la mort et la décomposition chimique qui s’ensuit.

Il y a là un grand mystère : Comment, depuis ce monde, transiterons-nous vers le suivant ? Et qu’emporterons-nous avec nous ? Rien, ou toute notre vie régénérée ? En soulignant que l’espérance chrétienne est indépendante de la connaissance de ce mystère, Paul conclut : « Espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance » (v.25). Amen

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