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Le prophète Sophonie annonce un relèvement des humbles, qui échapperont peut-être au Jour terrible du Seigneur. Dans son Magnificat, Marie mère de Jésus ne dit pas autre chose: « il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ». Ainsi, du point de vue de son interprétation chrétienne, la Bible juive annonce déjà un Noël préchrétien, le Jour de la colère du Seigneur se muant déjà chez Sophonie en un Jour d’appel des peuples à purifier leurs discours et à convertir leurs actes au service de Yahvé.
Livre du prophète Sophonie 1,14-2,3 – Le Jour de la colère du Seigneur
14 Il est proche, le grand jour du SEIGNEUR,
il est proche, il vient en grande hâte.
On criera amèrement au jour du SEIGNEUR,
le brave lui-même appellera au secours.
15 Jour de fureur que ce jour,
jour de détresse et d’angoisse,
jour de désastre et de désolation,
jour de ténèbres et d’obscurité,
jour de nuée et de sombres nuages,
16 jour de sonneries de cor et de cris de guerre
contre les villes fortes et contre les hautes tours d’angle.
17 Je jetterai les hommes dans la détresse,
et ils marcheront comme des aveugles,
car ils ont péché contre le SEIGNEUR.
Leur sang sera répandu comme de la poussière,
et leurs tripes comme des ordures.
18 Ni leur argent ni leur or ne pourra les délivrer :
au jour de la fureur du SEIGNEUR,
au feu de mon ardeur,
toute la terre sera dévorée ;
car il va faire l’extermination
– et ce sera terrible –
de tous les habitants de la terre.
1 Entassez-vous, tassez-vous,
ô nation sans honte,
2 avant que survienne le décret,
et que le jour se soit enfui comme la bale,
avant que vienne sur vous l’ardeur de la colère du SEIGNEUR,
avant que vienne sur vous le jour de la colère du SEIGNEUR.
3 Recherchez le SEIGNEUR, vous tous les humbles de la terre,
qui mettez en pratique le droit qu’il a établi ;
recherchez la justice, recherchez l’humilité,
peut-être serez-vous à l’abri
au jour de la colère du SEIGNEUR.
Livre du prophète Sophonie 3,9-13 – La conversion des peuples et d’Israël
9 Alors je ferai que les peuples aient les lèvres pures
pour qu’ils invoquent tous le nom du SEIGNEUR,
pour qu’ils le servent dans un même effort.
10 D’au-delà des fleuves de Nubie,
ceux qui m’adorent – ceux que j’ai dispersés –
m’apporteront une offrande.
11 En ce jour-là, tu n’auras plus à rougir de toutes tes mauvaises actions,
de ta révolte contre moi ;
car à ce moment-là, j’aurai enlevé du milieu de toi
tes vantards orgueilleux,
et tu cesseras de faire l’arrogante sur ma montagne sainte.
12 Je maintiendrai au milieu de toi
un reste de gens humbles et pauvres ;
ils chercheront refuge dans le nom du SEIGNEUR.
13 Le reste d’Israël ne commettra plus d’iniquité ;
ils ne diront plus de mensonges,
on ne surprendra plus dans leur bouche
de langage trompeur ;
mais ils pourront paître et se reposeront
sans personne pour les faire trembler.
Evangile de Luc 1,39-56 – La visite de Marie à Elisabeth et le Magnificat
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth. 41 Or, lorsque Elisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint Esprit. 42 Elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein ! 43 Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? 44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l’enfant a bondi d’allégresse en mon sein. 45 Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira ! » 46 Alors Marie dit :
« Mon âme exalte le Seigneur
47 et mon esprit s’est rempli d’allégresse
à cause de Dieu, mon Sauveur,
48 parce qu’il a porté son regard sur son humble servante.
Oui, désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse,
49 parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses :
saint est son Nom.
50 Sa bonté s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent.
51 Il est intervenu de toute la force de son bras ;
il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse ;
52 il a jeté les puissants à bas de leurs trônes
et il a élevé les humbles ;
53 les affamés, il les a comblés de biens
et les riches, il les a renvoyés les mains vides.
54 Il est venu en aide à Israël son serviteur
en souvenir de sa bonté,
55 comme il l’avait dit à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa descendance pour toujours. »
56 Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, puis elle retourna chez elle.
Prédication du quatrième dimanche de l’Avent, le 22 décembre 2024 à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse
Nous pouvons avouer que la Bible entière, bien lue, est un écho à l’humilité de Celui qui vient, le Berger des brebis, et à l’humilité des humains qui se savent pauvres en eux-mêmes (Mt 5,3) et qui sont disposés à suivre le chemin de Noël, qui conduit au Christ.
La prophétie de Sophonie à propos du Jour de la colère de Dieu
Le prophète Sophonie nous accompagne aujourd’hui, et nous redit lui-aussi toute la Bible, dans la perspective de ses quelques trois chapitres. Il a vraisemblablement vécu, selon les reconstructions historiques, environ à la fin du VIIème siècle, vers 630 avant J.-C., donc quelques décennies avant le siège et la prise de Jérusalem par le roi Nabuchodonosor de Babylone (2 Rois 25,1-4), en 589 av. J.-C., suivi de l’incendie du Temple et des habitations des hauts fonctionnaires, puis de leur déportation à Babylone, ne laissant sur place qu’« une partie des petites gens du pays pour cultiver les vergers et les champs » (2 Rois 25,8-12).
La prophétie de Sophonie semble annoncer cet événement dramatique, peut-être en partie prédit par la perspicacité et l’inspiration du prophète, lorsqu’il place « le grand jour de YHWH » (le Tétragramme, prononcé Yahvé ou Seigneur) au centre de ses oracles : « Jour de fureur que ce jour, jour de détresse et d’angoisse, jour de désastre et de désolation » (So 1,15). J’emprunte les mots de Carl.-A. Keller pour commenter ce Jour terrible de la manifestation divine : « Le Jour est présenté comme une personne faite d’obscurité et d’agressivité : il s’approche, se hâte, fait entendre sa voix, enserre les hommes, les attaque, fait table rase de la terre (v.18). […] Malgré l’avance rapide de cette personne, le texte met en évidence son caractère statique : c’est un jour épais et obtus, une masse monstrueuse. Si le Jour est une personne vivante, c’est aussi la négation de la vie » (Commentaire de l’AT XIb, Michée Nahoum Habacuc Sophonie, Genève, Labor et Fides, 1990, p. 195).
On ne sait pas si ce Jour de YHWH, dont parlent d’autres prophètes bibliques, correspond à la catastrophe de la prise de Jérusalem en 589 av. J.-C., mais dans tous les cas, les deux événements, le théologique et l’historique, ont souvent été identifiés. Ainsi, la colère divine se manifeste par une destruction généralisée, comme s’il fallait – presque comme lors du Déluge (Ge 6-9) – tout raser pour repartir à zéro, le désastre donnant naissance à un calme nouveau, une paix retrouvée parmi les petites gens, les humbles terriens laissés sur place par les Chaldéens. Et l’on voit poindre ainsi, derrière le drame, le récit de Noël.
L’abaissement des orgueilleux et l’élévation des humbles selon la prophétie de Sophonie et le Magnificat de Marie
En effet, tant dans les paroles de Sophonie que bien plus tard dans le Magnificat que Marie, mère de Jésus, prononce chez sa parente Elisabeth (Lc 1,36), le thème dominant est celui de l’abaissement des orgueilleux et de l’élévation des humbles. Ainsi Sophonie exhorte-t-il « les humbles de la terre » à rechercher YHWH, la justice et l’humilité, en pratiquant le droit divin, dans l’espérance d’être « à l’abri au jour de la colère de YHWH » (So 2,3). Et ce que dit Marie, selon l’évangéliste Luc qui seul relate ces paroles, n’est pas bien différent : « il [le Seigneur] a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse, il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de bien et les riches, il les a renvoyés les mains vides » (Lc 1,51b-53). Le Noël chrétien, fête paisible parmi toutes les fêtes paisibles, n’est donc pas dénué d’un certain processus spirituel de redécouverte d’une forme d’humilité qui se trame dans les cœurs des croyants. En effet, pour recevoir « un Sauveur qui est le Christ Seigneur » (selon les paroles de l’ange aux bergers en Lc 2,11), il faut s’avouer « perdu », non pas au sens de damné à l’enfer, comme on le croit trop souvent, mais « perdu » au sens que l’on ressent en soi-même le besoin d’une orientation divine qui nous dépasse et qui nous emporte. En d’autres termes, une conscience de sa petitesse spirituelle que l’on remet à Dieu.
Le Noël préchrétien chez Sophonie: « grand revirement de la pensée de YHWH »
A partir de ce Noël préchrétien que l’on devine déjà chez le prophète Sophonie, lorsqu’il annonce aux humbles qu’ils pourraient échapper « au jour de la colère de YHWH » (So 2,3), sans pour autant renier la menace réelle de ce Jour désastreux, qui se produira hélas effectivement pour Jérusalem en 589 av. J.-C., sa pensée théologique peut prendre une tournure toute autre, nettement plus positive, que Carl.-A. Keller appelle de ses vœux « La nouvelle politique. […] le grand revirement de la pensée de YHWH » (p. 210). Il n’y a donc pas uniquement, dans la Bible juive (notre Ancien Testament), des pécheurs qui doivent se convertir pour échapper à la menace du jugement divin, mais déjà l’idée que Dieu aussi peut « se renier ». Les chrétiens lisent ce renversement radical de l’attitude divine vis-à-vis des humains comme une anticipation de la grâce de l’Evangile. Comment comprendre autrement, en effet, cette affirmation de Sophonie dans le dernier chapitre de son livre : « Alors je ferai que les peuples aient les lèvres pures pour qu’ils invoquent tous le nom du Seigneur, pour qu’ils le servent dans un même effort » (So 3,9). Le Jour de la colère s’est mué en un Jour de don d’un esprit de service persévérant aux humains.
La conversion des nations
Il ne s’agit là de rien de moins que la conversion des nations à YHWH, jusque-là le Dieu du seul peuple d’Israël, mais non pas dans le sens d’un changement de religion par lequel on n’adorerait plus tel ou tel autre dieu mais YHWH lui seul. Il s’agit d’une conversion du cœur et de l’attitude, que Sophonie décrit par des « lèvres pures » qui servent YHWH « dans un même effort » (So 3,9), que l’on dirait aujourd’hui éthique et spirituel. La conversion des nations annoncée par Sophonie est, en termes chrétiens, la naissance de l’Eglise universelle, anticipée par la naissance de son Sauveur et Seigneur au jour de Noël.
Le reste d’Israël, la diaspora juive et l’Eglise chrétienne
Cette annonce de l’élargissement de l’influence de YHWH à l’ensemble de l’humanité est suivie, dans le livre du prophète Sophonie, de l’annonce d’une autre transformation, qui à vrai dire la précède ou lui est parallèle, celle du peuple d’Israël : « En ce jour-là, […] j’aurai enlevé du milieu de toi tes vantards orgueilleux, et tu cesseras de faire l’arrogante sur ma montagne sainte [le Temple de Jérusalem sur le mont Sion] » (So 3,11). Cette prévision, comme c’est presque toujours le cas des prophéties bibliques, peut être lue à divers niveaux et se reporter à plusieurs événements. Elle désigne tout d’abord la chute de Jérusalem et l’Exil à Babylone, comme le confirme la précision qui suit : « Je maintiendrai au milieu de toi un reste de gens humbles et pauvres ; ils chercheront refuge dans le nom du Seigneur. Le reste d’Israël ne commettra plus d’iniquité ; etc. » (So 3,12-13). On retrouve ici « le reste » des pauvres paysans rescapés de la déportation de 589 av. J.-C., chargés par les nouveaux maîtres babyloniens des lieux de cultiver la terre de la Judée.
Mais l’expression « reste d’Israël » va progressivement désigner, beaucoup plus largement et plus en profondeur, la transformation de la nation territoriale et politique d’Israël en un peuple spirituel, qui aura perdu son autonomie politique, mais qui développera sa piété dans l’esprit de la fidélité à YHWH. A vrai dire, c’est cette nouvelle version du peuple d’Israël, démilitarisée, dépolitisée et spiritualisée, qui est à l’origine de la diffusion de l’influence de YHWH au-delà de la Terre sainte. Pour les juifs, il s’agit de la diaspora juive (diaspora signifie dispersion en grec) et du judaïsme qui insuffle l’esprit de la Torah parmi les nations, et pour nous chrétiens, ce « reste d’Israël » désigne l’Eglise au sens spirituel du terme, à savoir le nouveau peuple de Dieu constitué par les convertis du monde entier qui ne proviennent pas nécessairement du peuple historique d’Israël. Dans l’esprit de Noël (natalis signifie naissance en latin), la caractéristique première de ce nouveau peuple spirituel est son humilité, son ouverture à recevoir de Dieu la grâce. Amen