


Une illustration de l’univers à la fois ténébreux et lumineux de la prière des Psaumes.
Le Psautier biblique comprend 150 Psaumes. Plutôt que d’en donner une présentation d’ensemble, j’ai choisi de sélectionner sept Psaumes, du douzième au dix-huitième y compris, qui me semblent représentatifs d’une variété d’aspects de la spiritualité de ces paroles de poésie hébraïque.
Références bibliographiques abrégées dans le texte:
Sander & Trenel : N. Ph. Sander I. Trenel, Dictionnaire hébreu-français, Genève, Slatkine Reprints, 18591, 1987
Maillot et Lelièvre : Maillot et Lelièvre, Les Psaumes 1 à 50. Traductions, notes et commentaires, Labor et Fides, 1972
BHS : Biblia Hebraica Stuttgartensia, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 19671, 1987
AT Interlinéaire : Ancien Testament (Biblia Hebraica Stuttgartensia, 1997) Interlinéaire hébreu-français (2007) avec le texte de la Traduction Œcuménique de la Bible (2004) et de la Bible en français courant (1997), Alliance Biblique Universelle, 2007
TOB 2012 : La Bible. Notes intégrales Traduction Œcuménique. 12e édition. 151e mille, Paris, Cerf, Villiers-le-Bel, Bibli’O, 2012
Le texte français des Psaumes, indiqué ci-dessous en rouge foncé, est celui de la traduction de la TOB 2012. Les commentaires sont en noir.
Psaume 12
1 Du chef de chœur, avec instruments à huit cordes. Psaume de David.
Mélange des genres:
1. Appel de détresse combiné à un enseignement anthropologique pessimiste.
L’être humain est caractérisé par:
– son manque de fidélité et sa tendance à manipuler son prochain (flatterie et arrogance).
– son excessive confiance en soi et son instabilité en raison de l’opposition de Dieu, qui donne au psalmiste une raison de ne pas trop craindre son prochain.
Cette anthropologie négative implique que le psalmiste ne peut compter que sur Dieu.
2 Au secours, SEIGNEUR ! II n’y a plus de fidèle ;
toute loyauté a disparu parmi les hommes ;
3 entre eux ils disent du mal,
les lèvres flatteuses, le cœur double.
4 Que le SEIGNEUR coupe toutes ces lèvres flatteuses
et la langue arrogante
5 de ceux qui disent : « Par notre langue nous vaincrons ;
nos lèvres sont avec nous ; qui sera notre maître ? »
2. Oracle du Dieu protecteur correspondant à l’affirmation de foi du psalmiste.
6 – « Devant l’oppression des humbles et la plainte des pauvres,
maintenant je me lève, dit le SEIGNEUR,
je mets en lieu sûr celui sur qui l’on crache. »
Traduction très incertaine des derniers versets du Psaume. Ici 6c:
Litt.: on soufflera sur lui / sur qui l’on souffle / celui qui y aspire / celui que l’on invective
Sander & Trenel: Le verbe pwh (souffler) conjugué au Hiphil (forme causative: faire souffler, allumer, dire, invectiver)
TOB 2012 : sur qui l’on crache; Jérôme: je mettrai en lieu sûr leur secours ; Symmaque et syr.: j’accomplirai le salut ouvertement ; Gr.: éprouvé pour le pays.
Enseignement sapientiel:
3. Sentiment partagé du psalmiste au sujet de la condition humaine:
– Profonde sagesse du Dieu fidèle et protecteur
– Persistence de l’omniprésence des impies
La traduction des v.7-9 est très incertaine.
7 Les paroles du SEIGNEUR sont des paroles claires,
de l’argent affiné dans un creuset de terre,
et sept fois épuré.
8 Toi, SEIGNEUR, tu tiens parole.
Tu nous protégeras toujours de cette engeance-là.
9 Partout rôdent des impies,
et le vice gagne parmi les hommes.
Psaume 13
1 Du chef de chœur. Psaume de David.
Mélange des genres:
1. Plainte au sujet du délai d’exhaussement et introspection psychologique.
La question du temps et du retard de l’intervention divine est essentielle dans les Psaumes.
Le Psaume révèle à son lecteur des aspects de sa psychologie: questionnement, perte de confiance en Dieu (et en soi), impatience, inquiétude, chagrin.
2 Jusqu’à quand, SEIGNEUR ? M’oublieras-tu toujours ?
Jusqu’à quand me cacheras-tu ta face ?
3 Jusqu’à quand me mettrai-je en souci,
le chagrin au cœur tout le jour ?
2. Traces de marchandage avec Dieu, que le Psaume présente sans les évaluer:
– Si l’ennemi a le dessus sur le juste, ou sur le roi israélite, c’est un déshonneur pour Dieu.
– Dieu placé devant le fait que c’est une question de vie ou de mort.
Jusqu’à quand mon ennemi aura-t-il le dessus ?
4 Regarde, réponds-moi, SEIGNEUR mon Dieu !
Laisse la lumière à mes yeux, sinon je m’endors dans la mort,
5 mon ennemi dira : « Je l’ai vaincu »,
et mes adversaires jouiront de ma chute.
3. L’anticipation de l’intervention divine exprime la foi du psalmiste.
6 Moi, je compte sur ta fidélité :
que mon cœur jouisse de ton salut,
que je chante au SEIGNEUR pour le bien qu’il m’a fait !
Le dernier verbe gml du Psaume est conjugué au temps parfait, accompli, qui décrit une action en cours d’être pratiquée, contrairement au temps imparfait, inaccompli.
Psaume 14
1 Du chef de chœur. De David.
Ce Psaume ne contient aucune prière:
1. Discours théologique et sapientiel (= de sagesse) sur le sort de l’impiété.
Il ne s’agit pas de l’athéisme moderne, sans doute inexistant du temps du psalmiste, qui peut être assorti d’une attitude responsable.
Ici, l’impie, l’imbécile, le sot, l’insensé (v.1) ne mesure ni la gravité ni le danger d’ignorer (v.4) le fait que Dieu se penche pour voir ce que font les hommes (v.2).
Les fous (nabal singulier) se disent :
« Il n’y a pas de Dieu ! » ( ‘en elohim : pas Dieu)
Corrompus, ils ont commis des horreurs ;
aucun n’agit bien.
Sander & Trenel: Verbe nabel: Se faner, se flétrir, tomber (fleurs, feuilles), tomber en défaillance, en langueur, se consumer, s’épuiser; puis agir sottement, vilement.
Adjectif nabal (ici substantivé): Sot, vil, méprisable, méchant, impie.
Maillot et Lelièvre, p.83-84: « Le Nâbâl, « insensé, imbécile », n’est pas le fou psychique (au sens moderne du terme); c’est l’homme dont les rapports avec Dieu sont insensés, parce que pervertis ou aliénés (Es 32,5-6; Job 2,10; Ez 13.3; Ps 74,18.22) ; c’est pourquoi sa conduite morale deviendra insensée, c’est à dire contre nature, … ».
Le mot ‘en traduit par pas signifie selon Sander & Trenel un rien, le néant (substantif); point, ne pas, non, sans (adverbe).
Il serait peut-être possible de traduire Dieu n’est que néant, ce qui montre que le propos ne vise pas avant tout l’existence de Dieu (au sens moderne), mais sa compétence à détecter le mal: il n’y a pas de Dieu (sous-entendu) qui voit.
2 Des cieux, le SEIGNEUR s’est penché vers les hommes,
pour voir s’il en est un d’intelligent
qui cherche Dieu.
2. Description de la condition humaine dominée par le péché (au sens moral).
3 Tous dévoyés, ils sont unis dans le vice ;
aucun n’agit bien,
pas même un seul.
Epître aux Romains 3,10-12:
10 Comme il est écrit :
Il n’y a pas de juste, pas même un seul.
11 Il n’y a pas d’homme sensé, pas un qui cherche Dieu.
12 Ils sont tous dévoyés, ensemble pervertis,
pas un qui fasse le bien, pas même un seul.
L’apôtre Paul n’a pas retenu l’affirmation « Il n’y a pas de Dieu » dans un sens athéiste, car il cherche ici à démontrer que « tous, Juifs comme Grecs, sont sous l’empire du péché » (Rm 3,9), en concluant par « Voila pourquoi personne ne sera justifié devant lui par les oeuvres de la loi; la loi, en effet, ne donne que la connaissance du péché » (Rm 20).
Maillot et Lelièvre, p.89: « Ceci dit, voyons comment Paul cite ce Psaume. Nettement, c’est comme la conclusion d’un raisonnement tendant à démontrer l’universalité du péché, c’est-à-dire que tous les hommes ont péché. Là, il a donc extrapolé, mais il n’a pu le faire qu’à l’aide d’une tradition israélite qui devait (sans doute depuis longtemps) interpréter le Psaume en ce sens ».
L’extrapolation de Paul provient du fait que le psalmiste ne pense pas expressément à l’humanité universelle (un concept philosophique), mais aux populations qui entourent lui et Israël.
3. Retournement de la situation et confusion des coupables.
– Dieu est dans le camp des justes (v.5) et leur donne la victoire (v.7)
– Les malfaisants mangeaient le peuple (v.4) et bafouent le droit des malheureux (v.6).
Coexistence de l’oeuvre de Dieu à l’encontre du mal et de la persistance du mal dans l’histoire.
Dieu lui-même s’étonne de l’attitude des ignorants (figure de style ?).
4 Sont-ils ignorants, tous ces malfaisants
qui mangeaient mon peuple, en mangeant leur pain,
et n’invoquaient pas le SEIGNEUR !
Si Dieu est dans le camp des justes (v5.), ce n’est pas avant tout pour faire trembler les injustes en les punissant (v.5), mais pour être le refuge des malheureux (v.6), ramener les captifs (v.7) et susciter leur joie (v.7).
5 Et voilà qu’ils se sont mis à trembler,
car Dieu était dans le camp des justes.
6 Vous bafouez les espoirs du malheureux,
mais le SEIGNEUR est son refuge.
7 Qui donne, depuis Sion, la victoire à Israël ?
Quand le SEIGNEUR ramène les captifs de son peuple,
Jacob exulte, Israël est dans la joie.
Psaume 15
Psaume sapientiel, ne contenant aucune prière, mais un enseignement de sagesse.
1 Psaume. De David.
1. Question rhétorique: Conditions de la demeure avec/en Dieu ?
Dans l’Exode, il n’a jamais été question que quelqu’un demeure sur la montagne sainte: Moïse lui-même n’est resté sur le Sinaï que le temps de recevoir le Décalogue.
Ici, la piété juive exprimée poétiquement se sert de l’image de la montagne sainte pour exprimer la vie mystique du croyant qui demeure avec Dieu ou en Dieu.
SEIGNEUR, qui sera reçu dans ta tente ?
Qui demeurera sur ta montagne sainte ?
2. Première condition: Conduite intègre.
La vie psychique de l’homme intègre est décrite comme un effort de maîtrise de soi:
– Il y a des pulsions qui cherchent à s’exprimer par « la langue ».
– L’homme intègre ne les laisse pas s’exprimer. Il exerce donc un contrôle sur lui-même.
Anthropologie mixte: Caractère pulsionnel et néanmoins sage de l’homme intègre.
Cette conception des tensions psychiques préfigure la psychologie moderne.
2 L’homme à la conduite intègre (tamim),
qui pratique la justice
et dont les pensées sont honnêtes.
3 Il n’a pas laissé courir sa langue,
ni fait tort aux autres,
ni outragé son prochain.
v.2a: Sander & Trenel: Tamim: Adj. intègre, complet, entier, parfait, sans défaut; Sens moral: intègre, parfait, pur, innocent; Substantif: Intégrité, droiture.
v.2c: AT Interlinéaire: Litt. 3 mots: et qui parle – vérité – dans son cœur (lev).
TOB 2012: dont les pensées sont honnêtes. Litt. celui qui dit la vérité dans son cœur, ce qui peut aussi s’entendre celui qui dit la vérité comme il la pense, ou il dit vraiment ce qu’il pense.
Sander & Trenel: Lev signifie 1° Le cœur physique, le siège de la vie, vie (Gn 18,5: réconfortez votre cœur) 2° Le cœur comme siège des sens et des passions (Jug 16,5: puisque ton cœur n’est pas avec moi) 3° Le siège des sentiments moraux (Ps 51,12: un cœur pur; pureté, droiture, simplicité, corruption, perversion, duplicité, etc.) 4° Le siège de la volonté et du jugement (1 Sam 14,7: fais tout ce que tu as décidé dans ton cœur). 5° Le centre, le milieu (Ex 15,8: au milieu de la mer). Lev est donc le centre de la personnalité et non seulement des émotions.
3. Seconde condition: Jugements et engagements responsables.
4 A ses yeux, le réprouvé est méprisable ;
mais il honore ceux qui craignent le SEIGNEUR.
Se fait-il tort dans un serment, il ne se rétracte pas.
5 Il n’a pas prêté son argent à intérêt,
ni rien accepté pour perdre un innocent.
Résultat de la demeure avec/en Dieu: La stabilité existentielle.
Qui agit ainsi reste inébranlable.
Psaume 16
1 Miktâm de David.
Miktâm: Sander & Trenel: Se trouve au commencement de plusieurs psaumes, v. Ps 16, 56 à 60. Selon les uns, comme miktav cantique. Selon les autres, de ketem un chant d’or, c.-à-d. ode excellente.
Maillot et Lelièvre, p.95-96: « Miktâm (également aux vts 1 des Ps. 56 à 60); signification inconnue: les traditions rabbiniques sont multiples (la « tache de sang » provoquant l’impureté: Jér 2,22, ou poème « en or », ou David « humble et intègre » ainsi Jérôme) et gratuites; LXX, Vg.: inscription sur une stèle; Tg. empreinte correcte. Dh. BJ et plusieurs modernes: à voix basse et Mowinckel: psaume d’expiation, s’appuient sur les racines ktm, cacher, couvrir.
1. Prière, confession de foi et béatitude du psalmiste.
Dieu est ici considéré comme le bonheur suprême qu’un être humain puisse recevoir ou atteindre. Cette appréciation positive de son destin en Dieu traverse tout le Psaume.
Dieu (el), garde-moi, car j’ai fait de toi mon refuge.
2 Je dis au SEIGNEUR (YHWH) : « C’est toi le Seigneur (Adonai = Adon seigneur + ai à moi) !
Je n’ai pas de plus grand bonheur que toi ! »
2. Souvenir de la conversion du psalmiste à Yahvé.
Passage à vrai dire étrange, qui peut difficilement s’appliquer à David, qui ne fut jamais adepte des idoles.
Le passage comprend de réelles difficultés de traduction.
J’en profite pour présenter ci-dessous quelques indications textuelles,
extraites des ouvrages spécialisés à disposition des professionnels.
Dans l’odre: Le texte BHS indiquant les variantes textuelles des manuscrits anciens ; l’aide de la traduction interlinéaire ; un commentaire biblique basé sur les langues originales.
3 Les divinités (liqedoschim: pour les saints) de cette terre,
ces puissances qui me plaisaient tant,
4 augmentent leurs ravages (assebotam) ; on se rue à leur suite.
Mais je ne leur offrirai plus de libations de sang,
et mes lèvres ne prononceront plus leurs noms.
Les 3 documents ci-dessous présentent la complexité de la recherche de la meilleure traduction dans le cas de ces deux versets 3 et 4 du Psaume 16.

Pour les versets 2/3 du Ps 16, les variantes b-b, c-c, d, e, f, g sont indiquées dans l’apparat critique en bas de page, qui regroupe les variantes des autres manuscrits anciens.
La note b-b, par exemple, concerne l’intervalle entre les deux lettres b que l’on trouve dans la première ligne du texte du Psaume 16 en haut de page. Cette note indique la manière dont la LXX (traduction grecque de l’Ancien Testament à Alexandrie au IIIe siècle av. J.-C.), indiquée par la lettre gothique, traduit en trois mots grec les deux mots hébreux de l’intervalle b-b. Cette indication survient quand le grec s’écarte de l’hébreu et constitue une variante intéressante.
Pour le verset 4 du Ps 16, les variantes a, b, c-c sont indiquées.

Pour les saints – qui – dans le pays – eux – et magnifiques de – tout – mon plaisir – en eux.


3. Appréciation positive de sa destinée en Dieu.
Ce passage se présente comme une leçon de spiritualité enthousiaste,
qui comporte des aspects plus ou moins passifs et actifs, ici dans l’ordre:
– v.5: Yahvé tient le destin, le sort du psalmiste au-delà de sa compréhension.
– v.11a: Yahvé révèle une part de cette route que le psalmiste doit suivre activement.
– v.7a: Yahvé conseille le croyant (acte de foi, le moyen employé par Yahvé n’est pas expliqué, mais d’une manière ou d’une autre, son conseil parvient au croyant).
– v.7b: Veille psychologique et spirituelle: la conscience du psalmiste l’avertit même la nuit, peut-être au travers de sentiments moraux comme la culpabilité, la honte, la crainte, le désir, la compassion, la jalousie, la colère, etc..
La nuit indique ici un moment de tranquillité durable propice à la méditation.
– v.8a: Le psalmiste garde constamment Yahvé devant lui:
Il s’agit ici d’une démarche active du croyant, qui se place en quête de l’intention Dieu.
– v.8b, 9b: Cette réceptivité et cette activité combinées produisent dans l’esprit du croyant une perception rassurante de la conduite de sa vie.
– v.9a: Le résultat général est une intense joie intérieure, qui ne doit pas être recherchée pour elle-même, démarche illusoire, mais qui résulte naturellement de la vie spirituelle.
– v.9b,10: Retour de l’angoisse initiale v.1b: Structure chiasmique typique de la poésie hébraïque: ABA = ici angoisse – joie – angoisse.
5 SEIGNEUR, mon héritage et ma part à la coupe,
tu tiens mon destin.
6 Le sort qui m’échoit est délicieux,
la part que j’ai reçue est la plus belle.
7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille,
même la nuit, ma conscience m’avertit.
8 Je garde sans cesse le SEIGNEUR devant moi,
comme il est à ma droite, je suis inébranlable.
9 Aussi mon cœur se réjouit, mon âme exulte
et ma chair demeure en sûreté,
10 car tu ne m’abandonnes pas aux enfers,
tu ne laisses pas ton fidèle voir la fosse.
11 Tu me fais connaître la route de la vie ;
la joie abonde près de ta face,
à ta droite, les délices éternelles.
Psaume 17
1 Prière. De David.
1. Appel de détresse dans un contexte d’agression par des ennemis mortels (v.7.9)
Ce Psaume articule habilement une introspection de la vie psychologique et spirituelle intérieure en contexte de conflits relationnels.
Justice, SEIGNEUR ! Ecoute,
sois attentif à ma plainte ;
prête l’oreille à ma prière
qui ne vient pas de lèvres trompeuses.
2 Que mon jugement ressorte de ta face,
que tes yeux voient où est le droit !
2. Introspection, épreuve et maîtrise de soi.
Conception classique selon laquelle l’épreuve porte en pleine lumière les difficultés, fragilités, défauts, lâchetés, prétentions, et autres blessures du cœur.
La maîtrise de soi se manifeste par le fait que le psalmiste est parvenu à contenir ses mauvaises pensées et à ne pas les exprimer à ses dépens.
Plusieurs parties du texte sont « obscures » et très difficiles à traduire.
Je donne pour exemple la traduction du v. 4 interlinéaire mot à mot, puis par la version du Rabbinat français, de Segond 21, de la Bible du Semeur et par les commentateurs Maillot et Lelièvre, p.102. On constate de manière générale que l’hébreu utilise très peu de mots.
3 Tu as examiné mon cœur ; la nuit, tu as enquêté ;
tu m’as soumis à l’épreuve, tu n’as rien trouvé.
Ce que j’ai pensé n’a pas franchi ma bouche.
4 Pour payer l’homme selon la parole de tes lèvres,
j’ai moi-même surveillé la conduite de l’insolent.
4 Interlinéaire 8 mots: Vers les actions de – l’être humain – par la parole de – tes lèvres – moi – je surveille – les sentiers de – le brigand.
4 Rabbinat français: Guidé par les paroles de tes lèvres,
j’observe les actions des hommes, les voies des gens violents.
4 Segond 21: J’ai vu les actions des hommes,
mais je reste fidèle à la parole de tes lèvres
et je me tiens en garde contre la voie des violents.
4 Bible du Semeur: Et quoi que fassent les autres hommes,
je me suis bien gardé, conformément à tes paroles,
de marcher sur la route des méchants.
4 Millot et Lelièvre: Quant aux relations humaines,
elles ont été conformes aux paroles de ta bouche,
moi j’ai gardé les routes commandées.
5 J’ai marché sur tes traces,
mes pieds n’ont pas chancelé.
3. Reprise de la supplication face à la détresse des agresseurs (structure chiasmique ABA).
6 Je t’appelle car tu me répondras, mon Dieu.
Tends l’oreille vers moi, écoute ma parole !
7 Fais éclater ta fidélité, sauveur des réfugiés
qui, par ta droite, échappent aux agresseurs.
8 Garde-moi comme la prunelle de l’œil,
cache-moi à l’ombre de tes ailes,
9 loin des méchants qui m’ont pillé
et des ennemis mortels qui me cernent.
4. Mépris et appel à la vengeance du psalmiste face aux méchants.
En faveur de tels passages, on argumente généralement que le psalmiste n’est pas seulement un saint, mais aussi un homme ordinaire qui appelle Dieu à la vengeance envers ceux qui le persécutent, dans un réflexe de naturelle défense.
10 Ils sont bouffis de graisse,
leur bouche parle avec arrogance.
11 Les voici sur nos talons ; maintenant ils m’entourent,
l’œil sur moi pour me terrasser.
12 Ils sont pareils au lion impatient de déchirer,
au fauve placé en embuscade.
13 Lève-toi SEIGNEUR ! Affronte-le, fais-le plier !
Par ton épée, libère-moi du méchant !
14 Que ta main, SEIGNEUR, les chasse de l’humanité,
hors de l’humanité et du monde.
Voilà leur part pendant cette vie !
Gave-les de ce que tu tiens en réserve !
Que leurs fils en soient rassasiés
et qu’ils en laissent pour leurs nourrissons.
5. Réaffirmation de son intégrité par le psalmiste, condition de l’exhaussement de sa supplication.
Tandis que le Nouveau Testament présente souvent la prière de confession de ses péchés par le pécheur comme celle qui obtient l’exhaussement (Mc 2,1-12 ; Lc 18,9-14 ; etc.), dans l’Ancien Testament, le sentiment de sa propre justice obtenu par l’auto-examination lors de l’épreuve (v.3) semble être perçu comme la condition indispensable à l’exhaussement.
15 Moi, et c’est justice, je verrai ta face ;
au réveil, je me rassasierai de ton image.
Psaume 18
Ce Psaume figure en intégrité, avec quelques variantes, en 2 Samuel 22, ce qui lui donne un caractère de prière très concrète, inscrite dans les luttes héroïques du jeune David, contre ses ennemis, dont le roi Saül, qui le persécuta injustement.
1 Du chef de chœur. Du serviteur du SEIGNEUR, de David. Il adressa au SEIGNEUR les paroles de ce chant, le jour où le SEIGNEUR le délivra de la poigne de tous ses ennemis et de la main de Saül.
2 Il dit :
1. Inclusion chiasmique ABA: A) v.2b Je t’aime – B) Mythologie – A) v.20 Il m’aime.
Dans ce Psaume qui exalte la vigueur du jeune roi, la détresse et la puissante foi de David provoquent une terrifiante intervention mythique du divin en sa faveur.
En rouge: l’expérience croyante de David. En bleu: le récit mythologique.
Cependant, l’inclusion de tout ce récit mythologique dans une déclaration d’amour réciproque entre David et YHWH, montre que l’Ancien Israël était déjà conscient, avant Jésus et Paul, que l’amour est plus puissant que toute autre force cosmique.
Je t’aime, SEIGNEUR, ma force.
3 Le SEIGNEUR est mon roc, ma forteresse et mon libérateur.
Il est mon Dieu, le rocher où je me réfugie,
mon bouclier, l’arme de ma victoire, ma citadelle.
4 Loué soit-il ! J’ai appelé le SEIGNEUR,
et j’ai été vainqueur de mes ennemis.
5 Les liens de la mort m’ont enserré,
les torrents de Bélial (beli’al) m’ont surpris,
6 les liens des enfers m’ont entouré,
les pièges de la mort étaient tendus devant moi.
TOB 2012: Bélial semble personnifier ici la mort.
7 Dans ma détresse, j’ai appelé le SEIGNEUR (YHWH)
et j’ai crié vers mon Dieu (Eloah).
De son temple, il a entendu ma voix ;
le cri jeté vers lui est parvenu à ses oreilles.
8 Alors la terre se troubla et trembla ;
les fondations des montagnes frémirent
et furent troublées quand il se mit en colère.
9 De son nez monta une fumée,
de sa bouche un feu dévorant
avec des braises enflammées.
10 Il déplia les cieux et descendit,
un épais nuage sous les pieds.
11 Sur le char du chérubin, il s’envola,
planant sur les ailes du vent.
12 Il fit des ténèbres sa cachette,
de leurs replis son abri :
ténèbres diluviennes, nuages sur nuages !
13 Une lueur le précéda et ses nuages passèrent :
grêle et braises en feu !
14 Dans les cieux, le SEIGNEUR (YHWH) fit tonner,
le Très-Haut (we+’elyon) donna de la voix :
grêle et braises en feu !
15 Il lança ses flèches et il les dispersa,
des éclairs en foule, et il les mit en déroute.
16 Le lit des eaux apparut
et les fondations du monde furent dévoilées,
par ton grondement, SEIGNEUR (YHWH),
par le souffle exhalé de ton nez.
Le travail rédactionnel du psalmiste est repérable au changement de personne:
v.8-16a.b: Dieu sous-entendu à la 3e personne réalise ici son oeuvre cosmique mythologique.
v.16c.d: Sans transition, David s’adresse à nouveau à la 2e personne.
Maillot et Lelièvre, p.120-121: « La théophanie (vts 8-16) contient des réminiscences de cosmogonies étrangères où, bien souvent, éruptions volcaniques, secousses sismiques et cyclones ont aussi été interprétés comme des théophanies et fréquemment comme des luttes, à l’échelle mythique, des dieux entre eux ou des dieux contre les hommes. Mais déjà surgissent deux originalités du Psaume. Tout d’abord c’est le Seigneur seul qui règne sur tout cela, ensuite l’extraordinaire tranquillité du poète malgré la proximité de la catastrophe. Même pas de « mysterium tremendum« . Mais une grande majesté sereine! ».
Note Gilles: « mysterium tremendum« : Cette expression latine, reprise par Rudolf Otto dans son ouvrage Le Sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel (Paris, Editions Payot & Rivages, 19491, 2001), indique l’attirance (fascination) et la crainte (tremendum) contradictoires (désir et fuite) que produit le sentiment du mystère (mysterium) du sacré et du divin dans l’âme humaine.
Maillot et Lelièvre, p.121: « C’est ici qu’apparaît le génie israélite. Israël a connu les mythes étrangers, sans doute interprétations « anhistoriques » de catastrophes naturelles: les dieux infernaux et les dieux célestes s’y livrant des combats sans merci, de même que les dieux favorables et les dieux néfastes.
Israël a repris ces mythes, mais tout d’abord en les démystifiant. Un seul mérite, dans ces mythes, le nom de Dieu. Tous les autres, qui auraient pu avoir une dimension divine, on déjà perdu. Ce n’est plus un combat, c’est l’expression de la domination de l’unique Seigneur. Ce n’est pas un affrontement, devant lequel l’homme pourrait trembler, ou essayer d’intervenir, c’est une démonstration de puissance. Si bien que celui que Dieu aime n’a rien à craindre.
[…]. Mais surtout, Israël a glissé ces évocations dans les récits historiques. Dans ces récits, YHWH, par des hommes, triomphait d’autres hommes adorateurs de ces dieux périmés et enchaînés. Le mythe était vécu, non pas dans un mystère ou une initiation, mais dans la réalité historique, où se démontrait ce triomphe et cette direction de YHWH. C’est sur le champ de bataille qu’avait lieu l’actualisation. Cette dernière n’était donc aux mains ni des prêtres, ni des initiés, mais dans celles du Seigneur lui-même ».
17 D’en haut, il m’envoie prendre,
il me retire des grandes eaux.
18 Il me délivre de mon puissant ennemi,
de ces adversaires plus forts que moi.
19 Le jour de ma défaite, ils m’affrontaient,
mais le SEIGNEUR s’est fait mon appui.
20 Il m’a dégagé, donné du large ;
il m’a délivré, car il m’aime.
2. Descriptif de la piété exemplaire de David et de sa gratification divine.
Il est question de la pureté (Chiasme ABA: v.21b+v.25b), de la fidélité (v.22), de l’obéissance à la Loi (v.23), de l’intégrité (v.24a), de la sainteté (absence de faute) (v.24b), de la justice (v.25a).
21 Le SEIGNEUR me traite selon ma justice,
il me traite selon la pureté de mes mains,
22 car j’ai gardé les chemins du SEIGNEUR,
je n’ai pas été infidèle à mon Dieu.
23 Toutes ses lois ont été devant moi,
et je n’ai pas répudié ses commandements.
24 J’ai été intègre avec lui,
et je me suis gardé de toute faute.
25 Alors le SEIGNEUR m’a rendu selon ma justice,
selon la pureté qu’il a vue sur mes mains.
3. Reprise sapientielle : enseignement théologique.
Le Seigneur rend à chacun selon sa conduite. Le récit reste à la 2e personne.
26 Avec le fidèle, tu es fidèle ;
avec l’homme intègre, tu es intègre.
27 Avec le pur, tu es pur ;
avec le pervers, tu es retors.
28 C’est toi qui rends vainqueur un peuple humilié,
et qui fais baisser les regards hautains.
4. La piété fortifiante de David.
29 C’est toi qui allumes ma lampe.
Le SEIGNEUR mon Dieu illumine mes ténèbres.
30 C’est avec toi que je saute le fossé,
avec mon Dieu que je franchis la muraille.
31 De ce Dieu, le chemin est parfait,
la parole du SEIGNEUR a fait ses preuves.
Il est le bouclier de tous ceux qui l’ont pour refuge.
32 Qui donc est dieu sinon le SEIGNEUR ?
Qui donc est le Roc hormis notre Dieu ?
33 Ce Dieu me ceint de vigueur,
il rend mon chemin parfait
34 et mes pieds comme ceux des biches.
Il me maintient sur mes hauteurs.
5. La piété guerrière de David.
35 Il entraîne mes mains pour le combat,
et mes bras plient l’arc de bronze.
36 Tu me donnes ton bouclier vainqueur,
ta droite me soutient, ta sollicitude me grandit.
37 Tu allonges ma foulée,
et mes chevilles ne fléchissent pas.
38 Je poursuis mes ennemis, je les rattrape,
je ne reviens pas avant de les avoir achevés.
39 Je les massacre, ils ne peuvent se relever,
ils tombent sous mes pieds.
40 Tu me ceins de vigueur pour le combat,
tu fais plier sous moi les agresseurs.
41 De mes ennemis, tu me livres la nuque,
et j’extermine mes adversaires.
42 Ils crient, mais nul ne secourt ;
ils crient vers le SEIGNEUR, mais il ne répond pas.
43 J’en fais de la poussière pour le vent,
je les balaie comme la boue des rues.
6. Renversement de situation, David devient un puissant seigneur sur les nations.
44 Tu me libères des séditions du peuple,
tu me places à la tête des nations.
Un peuple d’inconnus se met à mon service ;
45 au premier mot, ils m’obéissent ;
des étrangers deviennent mes courtisans ;
46 des étrangers s’effondrent,
ils évacuent leurs bastions.
7. Victoire et louange finale de David.
47 Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Roc !
Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire !
48 Ce Dieu m’accorde la revanche
et me soumet des peuples.
49 Tu me libères de mes ennemis ;
bien plus, tu me fais triompher de mes agresseurs
et tu me délivres d’hommes violents.
50 Aussi je te rends grâce parmi les nations, SEIGNEUR !
et je chanterai en l’honneur de ton nom :
8. Fin triomphale de David: Perceptive messianique éternelle.
Ce dernier verset repasse à la 3e personne, ce n’est plus David qui parle.
51 Il donne de grandes victoires à son roi,
il agit avec fidélité envers son messie (li+mesiho),
envers David et sa dynastie, pour toujours.