Prédication : L’Evangile perçu comme un langage de changement libérateur

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Prophète Jérémie 17,5-8 – Bénédiction liée à la foi

Ainsi parle le SEIGNEUR : Maudit, l’homme qui compte sur des mortels :
sa force vive n’est que chair,
son cœur se détourne du SEIGNEUR.

Pareil à un arbuste dans la steppe,
il ne voit rien venir de bon ;
il hante les champs de lave du désert,
une terre salée, inhabitable.

Béni, l’homme qui compte sur le SEIGNEUR :
le SEIGNEUR devient son assurance.

Pareil à un arbre planté au bord de l’eau
qui pousse ses racines vers le ruisseau,
il ne sent pas venir la chaleur,
son feuillage est toujours vert ;
une année de sécheresse ne l’inquiète pas,
il ne cesse de fructifier.

Première épître de Paul aux Corinthiens 7,29-31.35 – Usage et retrait du monde

29 Voici ce que je dis, frères : le temps est écourté. Désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, 

30 ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, 

31 ceux qui tirent profit de ce monde comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car la figure de ce monde passe

35 Je vous dis cela dans votre propre intérêt, non pour vous tendre un piège, mais pour que vous fassiez ce qui convient le mieux et que vous soyez attachés au Seigneur, sans partage.

Evangile de Luc 6,20-26 – Les Béatitudes

Alors, levant les yeux sur ses disciples, Jésus dit : « Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous.

Heureux, vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés.
Heureux, vous qui pleurez maintenant : vous rirez.

Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu’ils vous rejettent et qu’ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme. 

Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel ; c’est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes.

Mais malheureux, vous les riches : vous tenez votre consolation.

Malheureux, vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim.
Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez.

Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous : c’est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes.

Prédication du dimanche 13 février 2022 à Vauffelin, dans le Jura bernois, en Suisse

Il est vrai que l’Evangile est écrit avec des mots faciles à comprendre et accessibles aussi à des personnes sans aucune formation, comme pauvreté, royaume, avoir faim, être rassasié, pleurer, rire, etc. Néanmoins, le message de l’Evangile est difficile à comprendre et à expliquer, et a fait l’objet de multiples interprétations au cours de l’histoire de l’Eglise.

Précisons que l’Evangile (euaggelion signifie en grec « bonne nouvelle »), en tant que message, n’est pas seulement exposé dans les quatre Evangiles du Nouveau Testament que sont les livres de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Il figure en préparation sous de multiples formes littéraires dans toute la Bible chrétienne, y compris dans l’Ancien Testament.

Défini de la meilleure manière, l’Evangile est un message libérateur, un langage de changement qui a pour but de nous délivrer de ce qui nous pèse, inquiète, paralyse ou enferme, afin que nous puissions vivre pleinement notre vie et notre mission sur Terre.

Point important : La manière dont sont écrites les phrases de l’Evangile, dans la Bible, a la particularité d’être paradoxale ou ambiguë : Suivant comment nous les lisons, ces phrases peuvent sembler dire tout le contraire d’une libération, comme nous allons le voir.

Premier exemple, notre passage de Jérémie, qui commence ainsi : « Maudit, l’homme qui compte sur des mortels : sa force vive n’est que chair, son cœur se détourne du Seigneur ».

A première vue, ce texte semble être un jugement ou une menace divine, mais ce n’est pas le cas ! En réalité, ce texte décrit un comportement néfaste pour celui qui l’adopte, et nous invite ainsi à nous en libérer. Il n’est pas question d’une malédiction divine qui frappe le coupable, mais d’une malédiction qui découle de son propre comportement inapproprié.

L’attitude erronée qui est visée ici mène au malheur (« Maudit,… ») car elle est dépourvue de sagesse : Il s’agit du manque de confiance en soi qui conduit à s’appuyer sans cesse sur les autres, en espérant qu’ils résolvent nos problèmes et nous aident à devenir nous-mêmes : C’est là le sens de la phrase « Maudit, l’homme qui compte sur des mortels ».

Compter excessivement sur les autres, c’est oublier qu’ils peuvent disparaître, changer de domicile, ou ne pas être suffisamment influents pour orienter la situation en notre faveur. C’est négliger qu’ils peuvent se désolidariser de nous en raison de leurs soucis personnels, ou changer d’avis à notre sujet. En résumé : Le soutien de l’homme n’est pas autant fiable que celui de Dieu, et bien naïf (et donc maudit !) est celui qui s’y livre sans mesure.

L’attitude de libération, objet de l’Evangile, est exprimée dans la deuxième partie du texte : « Béni, l’homme qui compte sur le Seigneur : le Seigneur devient son assurance ». Il ne s’agit pas d’une assurance qui éviterait tous les risques, mais d’une force intérieure. Vivre sa foi donne confiance en soi, tandis que compter trop sur les autres est illusoire.

Observons maintenant notre texte des Béatitudes dans l’Evangile de Luc. Comme le précédent, il semble véhiculer un message paradoxalement écrasant : « Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous » peut en effet signifier qu’il faut être pauvre et manquer du nécessaire pour plaire à Dieu, ce qui est presque masochiste, tandis que Dieu maudit les riches : « Malheureux, vous les riches, vous tenez votre consolation ».

Or, cette explication n’est pas pertinente. Comment un tel message d’Evangile peut-il être libérateur ? Ce n’est pas simple à expliquer. Il faut d’abord comprendre que ce n’est pas Dieu qui rend heureux ou malheureux, mais notre manière de réagir aux situations de vie.

Entendue dans le sens d’une libération, la Béatitude invite à se désencombrer l’esprit du souci d’accaparer des richesses matérielles sans fin, une attitude qui renforce notre dépendance vis-à-vis de ce que nous possédons et qui risque toujours de venir à manquer. En proclamant « Heureux les pauvres », l’Evangile insinue que ce ne sont pas les richesses matérielles qui rendent profondément heureux, mais la foi au Royaume de Dieu qui vient.

Il devient alors clair que selon l’Evangile, il n’est pas question de devoir s’appauvrir, en se privant de tout bien que l’on possède, afin d’être heureux. En effet, quelqu’un qui se forcerait à renoncer à tout ce qu’il possède, mais qui serait toujours dépendant en son cœur de ces biens, par exemple en désirant les acquérir à nouveau, ne serait pas heureux !

Voici donc la clef de lecture que je vous propose : Pour bien comprendre les phrases de l’Evangile, il convient de se demander en quoi elles sont libératrices. Cette interprétation fonctionne aussi avec la phrase contraire « Malheureux, vous les riches : vous tenez votre consolation ». Si l’on se console de la vie avec les richesses que l’on possède, on risque le malheur en éprouvant par exemple de la solitude, ou encore la maladie, qui nous empêche de bénéficier de nos biens, ou finalement la mort, qui nous prive de toute attache terrestre.

Ma proposition d’interprétation des Béatitudes est donc un peu différente de celle que l’on entend le plus souvent, qui a aussi sa part de vérité, selon laquelle les malheurs qu’il nous faut supporter aujourd’hui, comme être pauvre, avoir faim, pleurer, être haï, etc. seront compensés par la joie de posséder éternellement le Royaume de Dieu en récompense.

Il est vrai que l’effet libérateur de certaines Béatitudes semble irrémédiablement lié au futur. Par exemple les phrases « Heureux, vous qui pleurez maintenant : vous rirez », ou pire encore « Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent… », rendent difficile d’imaginer un effet libérateur dans le présent de ces situations entièrement négatives.

En ligne générale, tant que faire se peut, il est sage d’éviter de bâtir sa joie présente sur des promesses futures qui récompenseront le mal subi : « Je ne vais pas bien maintenant mais j’irai mieux plus tard » est une excuse psychologique souvent entendue, qui pose un problème lorsqu’elle vise à cacher le malheur plutôt qu’à guérir de cette souffrance. Le bouddhisme insiste beaucoup sur cette valeur du temps présent, le kairos de l’Evangile.

En conclusion, « Heureux vous les pauvres… malheureux vous les riches », ou « heureux vous qui pleurez… malheureux vous qui riez », ne signifie pas que Dieu bénit ou maudit les uns ou les autres. Se satisfaire des richesses terrestres, sans rien chercher de plus profond, ou se croire habilité à rire superficiellement de tout, voilà ce qui génère le malheur dans bien des cas, et qui équivaut à se priver soi-même du Règne de Dieu.

L’attitude de l’Evangile est exprimée au mieux par l’apôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens : que « ceux qui tirent profit de ce monde [soient] comme s’ils n’en profitaient pas vraiment ». Paul invite à bénéficier des situations et des biens mis à notre disposition dans ce monde, sans toutefois leur accorder une importance exagérée, en étant conscients qu’ils sont passagers et en faisant « comme si » ils n’existaient pas, tandis que le bien le plus précieux du croyant est sa participation présente et future au Règne de Dieu.

Ce qui semble demander des efforts surhumains, à savoir se départir d’un attachement excessif aux biens et aux réalités de ce monde, est en réalité libérateur. L’apôtre Paul, dans son épître, souligne qu’il nous invite à cette attitude « dans [notre] propre intérêt, non pour nous tendre un piège, mais pour [que nous soyons attachés] au Seigneur, sans partage ». Notre libération intérieure, au cœur de l’Evangile, est à ce prix. Amen

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