Prédication : Ethique et mystique de la Résurrection

Un texte difficile de la première épître de Paul aux Corinthiens (15,20-34) présente les dimensions éthique et mystique de la Résurrection. D’une part, elle n’est pas une fuite dans un au-delà paradisiaque, mais une motivation à se responsabiliser éthiquement dans les activités de cette vie. D’autre part, elle ne consiste pas, ultimement, en des événements miraculeux de retour à la vie, mais en une union mystique en laquelle « Dieu sera tout en tous », selon l’expression conclusive de Paul.

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Dans le texte biblique ci-dessous, les lettres A, B, C et D représentent les quatres étapes de la Résurrection universelle, selon Paul. Ces lettres sont reprises dans la prédication pour indiquer les quatre parties correspondantes.

Première épître de Paul aux Corinthiens 15,20-34 – La résurrection des morts

(A) 20 Mais non ; Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts. 21 En effet, puisque la mort est venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts : 22 comme tous meurent en Adam,

(B) en Christ tous recevront la vie ; 23 mais chacun à son rang : d’abord les prémices, Christ, puis ceux qui appartiennent au Christ, lors de sa venue ;

(C) 24 ensuite viendra la fin, quand il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Autorité, tout Pouvoir, toute Puissance. 25 Car il faut qu’il règne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. 26 Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort, 27 car il a tout mis sous ses pieds.

(D) Mais quand il dira : « Tout est soumis », c’est évidemment à l’exclusion de celui qui lui a tout soumis. 28 Et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous.

29 S’il en était autrement, que chercheraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si, en tout cas, les morts ne ressuscitent pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? 

30 Et nous-mêmes, pourquoi à tout moment sommes-nous en danger ? 31 Tous les jours, je meurs, aussi vrai, frères, que vous êtes ma fierté en Jésus Christ notre Seigneur. 32 A quoi m’aurait servi de combattre contre les bêtes à Ephèse si je m’en tenais à des vues humaines ? Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons.

33 Ne vous y trompez pas : les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs. 34 Revenez sérieusement à la raison et ne péchez pas ! Car quelques-uns n’ont pas la connaissance de Dieu, je le dis à votre honte.

Prédication de l’Ascension, le 9 mai 2024 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

Le quinzième chapitre de la première épître que l’apôtre Paul adresse à l’Eglise grecque de Corinthe, mais aussi aux chrétiens de tout lieux (1 Co 1,2), constitue le plus long discours théologique traitant de la résurrection de toute la Bible. Nous n’en soulignons que deux aspects dans le cadre de cette prédication : L’aspect éthique et l’aspect mystique.

Nécessité éthique de la Résurrection

Tout d’abord, Paul insiste fortement sur la nécessité éthique de la résurrection du Christ et des chrétiens à sa suite : « Et si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés » (1 Co 15,17). La victoire finale sur le mal humain­ – le péché – est intimement liée, dans la conscience chrétienne, à l’anéantissement de la mort par la résurrection. Si les chrétiens agissent éthiquement, c’est parce qu’ils s’attendent à la résurrection. Plus qu’une récompense, cette dernière couronnera de succès leurs intentions.

A titre personnel, Paul ne peut pas concevoir l’utilité des grandes souffrances qu’il endure en tant qu’apôtre sans qu’elles trouvent leur sens dans la résurrection : « A quoi m’aurait servi de combattre contre les bêtes à Ephèse, si je m’en tenais à des vues humaines [c’est-à-dire, sans espérance d’une vie après la mort] ? Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Co 15,32, en italique, citation inconnue).

Ce qui donne sens, selon Paul, à nos luttes terrestres de chaque jour, c’est l’idée que le bien triomphera un jour du mal à petite et à grande échelle, au travers de la résurrection finale de tous les humains. Sans ce résultat positif final, couronné par la destruction de la mort (1 Co 15,26), nous sommes condamnés à lutter contre le mal tout au long de notre vie sans jamais le vaincre définitivement. C’est là une perspective désespérante aux yeux de Paul. Dans ce cas, mieux vaudrait profiter de la vie tant qu’elle est là, au travers de divertissements comme le plaisir de manger et de boire, qui nous font oublier la mort.

Une première conclusion s’impose : La façon dont Paul conçoit la résurrection finale n’est pas une fuite dans l’au-delà. Il ne s’agit pas de doux rêves paradisiaques qui nous évitent de penser aux soucis de la vie présente. Non ! Selon Paul, la résurrection finale motive notre engagement éthique, présent et quotidien, dans cette vie, en sachant que nos efforts ne seront jamais perdus. Paul termine ainsi son discours sur la résurrection : « Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, faisant sans cesse des progrès dans l’œuvre du Seigneur, sachant que votre peine n’est pas vaine dans le Seigneur » (1 Co 15,58).

Accomplissement mystique de la Résurrection

Passons maintenant à la dimension mystique de la résurrection, tout aussi instructive pour notre vie spirituelle actuelle. J’entends par mystique, la dimension de la relation intime du croyant avec son Dieu. En un bref passage de neuf versets (1 Co 15,20-28), Paul esquisse sa vision du processus de la résurrection générale lors de la fin des temps. Or, un point nous intéresse ici particulièrement : Sa description de la transition de l’histoire de l’humanité terrestre vers le Royaume éternel de Dieu le Père (v.24), permet d’illustrer le cheminement que chacune et chacun de nous est appelé à parcourir, à partir d’une foi basée sur des événements historiques, vers une foi fondée dans la transcendance de Dieu. Observons de près les étapes de cette résurrection finale :

(A) Paul commence par définir que nous vivons notre vie présente sous le régime de la mort, symboliquement hérité d’Adam, expulsé du Paradis en raison du péché et dès lors soumis à la puissance de la mort. Paul stipule ensuite que les prémices de la résurrection sont déjà accomplies en Christ (v.20-22).

(B) Son récit passe dès lors au futur : Il définit deux étapes qui se situent concrètement sur le plan de l’histoire : « en Christ tous recevront la vie ; mais chacun à son rang : d’abord les prémices, Christ, puis ceux qui appartiennent au Christ, lors de sa venue » (v.23). Selon cette hypothèse, le Christ revivra à nouveau sur Terre avec les croyants ressuscités, pour un règne qui selon l’Apocalypse de Jean, devrait durer mille ans (Ap 20,1-7).

(C) On s’attendrait alors à ce que Paul décrive la suite des événements de la fin de l’histoire, or son récit change de registre : « ensuite viendra la fin, quand il remettra la royauté à Dieu son Père, après avoir détruit toute Autorité, tout Pouvoir, toute Puissance. Car il faut qu’il règne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds » (v.14-15). Il est difficile de situer exactement à quel niveau se situent ces épisodes. De manière assez simpliste, nous aurions tendance à penser qu’ils se situent « entre Ciel et Terre ». Une chose est certaine, les ennemis dont il est question ne peuvent plus être des personnes ou des nations humaines, car il est précisé que « le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort » (v.26).

En langage philosophique, il est question de la structure métaphysique du cosmos. Le Christ, à ce stade, transforme la nature profonde du monde physique et biologique, libérant les êtres vivants de la mort. Autant imaginaire que puisse être cette vision religieuse, elle nous indique que le propos de Paul a quitté le monde réel pour une dimension supérieure. De la fin de l’histoire humaine, nous sommes passés à la domination du Christ sur les fondements de l’univers physique et biologique.

(D) C’est alors que Paul, dans un dernier élan magistral, projette son récit en une dimension encore supérieure : « Mais quand il [le Christ] dira : « Tout est soumis », c’est évidemment à l’exclusion de celui qui lui a tout soumis. Et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous » (v.27-28). Nous avons atteint ici un niveau qu’il faut appeler intra-théologique. Le récit se passe en effet à l’intérieur de Dieu : Le Fils, ayant soumis l’Univers, est à son tour soumis à Dieu le Père, ce qui conduit l’ensemble de la réalité à un accomplissement limpide, désormais dénué de toute blessure, de toute division, de tout désespoir : « pour que Dieu soit tout en tous ».

L’ensemble du processus de la résurrection finale décrit par Paul comporte donc quatre phases successives, qui sont aussi quatre degrés superposés d’autorité, et quatre dimensions impliquées les unes dans les autres de la réalité : La progression passée et future de l’histoire (A et B), la structure métaphysique du cosmos (C) et enfin l’espace interne à la divinité, c’est à dire le domaine théologique au sens étroit du terme (D).

L’abandon de soi-même dans la confiance en un Dieu transcendant

La foi chrétienne se trouve ainsi libérée des questions historiques posées par les miracles et le monde surnaturel en général. Quel type de résurrection a vécu Jésus ? Où séjournent les morts avant la résurrection finale ? Quel type de retour le Christ connaîtra-t-il sur Terre ? Quels seront les événements de la fin du monde et quand se produiront-ils ? Quelle forme prendra la victoire du Christ sur la mort ? Toutes ces questions s’évanouissent devant la confession de foi de Paul, par laquelle il précise l’aboutissement ultime de la résurrection : « pour que Dieu soit tout en tous ».

Le croyant mystique, par opposition au croyant encore emprisonné dans les explications surnaturelles des miracles qui parsèment l’histoire sainte, abandonne à Dieu l’explication des choses trop élevées. Il se satisfait de cet ultime état de toutes choses, à la fois d’une infinie profondeur philosophique et d’une infinie élévation théologique : « pour que Dieu soit tout en tous ». Une telle affirmation suppose que l’histoire a basculé dans l’éternité. Cette union mystique des hommes avec Dieu n’a lieu ni dans le passé, ni dans le temps présent, ni dans le futur, mais dans la Présence éternelle de Dieu, qui englobe le commencement et la fin de toutes choses. La phase ultime de la résurrection projette donc l’homme hors du temps. Les défunts de toutes les époques se retrouvent « simultanément » dans le Règne des cieux qui n’a ni début ni fin, ni passé ni avenir, mais une Infinie présence.

Certes, nous ne pouvons pas nous contenter, dans notre foi, d’une telle vision transcendante. Nous avons besoin des signes et des paroles historiques d’une Révélation écrite. Pourtant, la fin de l’histoire cosmique indique déjà la fin de notre histoire personnelle, que nous sommes invités à vivre comme un abandon confiant, patient et paisible à ce qui nous dépasse. Notre propre Ascension auprès de Dieu nous conduit, déjà dans cette vie, à nous confier en Dieu dans la méditation et la prière puis, au travers de la frontière de la mort qu’il nous faut encore traverser, à expérimenter la Présence de Dieu en toutes choses. Amen.

2 réflexions sur « Prédication : Ethique et mystique de la Résurrection »

  1. Magnifique exégèse de Paul et de la résurrection, que j’ai découverte avec retard ! Merci !

    Les auditeurs de Paul lors de son discours à l’Aréopage d’Athènes lui auraient dit : concernant la résurrection nous t’entendrons un autre jour , ou quelque chose comme ça. Je trouve cela très beau comme remarque, car face à cette question nous réagissons sans doute toutes et tous de la même manière : c’est trop énorme comme sujet pour que nous puissions l’embrasser en une seule fois.

    Du coup, votre analyse me paraît aussi à son tour trop grandiose pour être absorbée en une seule fois. J’y reviendrai donc, et j’espère le lire et le relire encore.

    Il m’est d’ailleurs arrivé la même chose un jour avec un livre du philosophe strasbourgeois d’origine et de confession juive Jacob Rogozinski (« Le Moi et la chair, introduction à l’égo-analyse », éditions du Cerf, nov. 2006). Je n’avais pas réussi à le lire, car il m’avait paru trop immense, ou trop difficile. Mais l’idée générale, comme la vôtre d’ailleurs, m’avait cependant pleinement séduit ou convaincu (je trouve d’ailleurs extraordinaire qu’on puisse accéder à une synthèse, sans avoir compris la démonstration ! Mais finalement, n’est-ce pas la preuve que l’accès à la vérité exige un cheminement, et donc un déplacement, quitte à ce que ce soit à l’allure d’un escargot).

    Comme à chaque fois qu’on aborde une question spirituelle, il me semble bel et bien qu’on aboutisse toujours à la « confiance » ou la « foi » selon le mot qu’on préférera et qui était justement aussi celui qui était utilisé par Jacob Rogozinski lorsqu’il répondait à un journaliste qui l’interrogeait sur son livre ( article des Dernières Nouvelles d’Alsace signé Roger Wiltz et daté du 12 octobre 2007 dont le titre était « La mort n’est pas la fin ».

    Ainsi, Jacob Rogozinski synthétisait la notion de « résurrection » comme « la possibilité pour notre moi de traverser l’angoisse de mort, la haine et le désespoir pendant notre vie », et Jacob Rogozinski complétait son propos en disant : « c’est un pari. Je ne peux pas répondre à cette question en philosophe. Seule la foi peut faire un pas de plus ».

    Bien cordialement,

    Wilfred Helmlinger

  2. Merci bien. J’apprécie votre commentaire « à chaque fois qu’on aborde une question spirituelle, il me semble bel et bien qu’on aboutisse toujours à la « confiance » ou la « foi » ». Oui, c’est un aveu assez réaliste. Ces deux mots ont d’ailleurs une même racine latine. Il m’arrive de me demander quelles sont les données minimales de notre connaissance de l’au-delà nécessaires à la foi chrétienne. Foi, espérance, amour, union, Dieu, éternité, mais peut-être aussi personne, conscience, Je, Tu, relation, révélation, lumière et d’autres notions encore : La question est plus difficile qu’il n’y paraît. Merci pour votre remarque. Amitiés. Gilles B.

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