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Un petit manuel de vie spirituelle et communautaire en sept points faciles à saisir et à mémoriser, avec des textes de l’apôtre Jean, Saint Augustin, Maître Eckhart, Jean Tauler, le maître bouddhiste Chögyam Trungpa Rinpoché et le pasteur Michel Cornuz.

Première épître de Jean 4,11-16 – L’amour vient de Dieu et s’enracine dans la foi

11 Mes bien-aimés,
si Dieu nous a aimés ainsi,
nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.

12 Dieu, nul ne l’a jamais contemplé.
Si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous,
et son amour, en nous, est accompli.

13 A ceci nous reconnaissons
que nous demeurons en lui, et lui en nous :
il nous a donné de son Esprit.

14 Et nous, nous témoignons, pour l’avoir contemplé,
que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.

15 Quiconque confesse que Jésus est le Fils de Dieu,
Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.

16 Et nous, nous connaissons, pour y avoir cru,
l’amour que Dieu manifeste au milieu de nous.

Dieu est amour :
qui demeure dans l’amour
demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Evangile de Jean 14,15-21 – La promesse de l’Esprit

15 « Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; 16 moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours. 17 C’est lui l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous. 19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi. 20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous. 21 Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime : or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui. »

Prédication du 17 novembre 2024 au Temple réformé de Delémont, chef-lieu du Canton du Jura, en Suisse, à l’occasion de l’installation du pasteur John Ebbutt comme ministre de la Paroisse réformée de Delémont

Les citations de cette prédication sont tirées de l’ouvrage de Michel Cornuz, théologien et pasteur réformé, Le ciel est en toi. Introduction à la mystique chrétienne. Préface de Jean-Pierre Jossua, Genève, Labor et Fides, 2001, ci-dessous notées ainsi : [Cornuz, p.xxx].

En commençant à écrire mon message, j’étais conscient que les textes bibliques choisis avec John correspondaient à merveille à sa sensibilité spirituelle, théologique et ecclésiale, mais dans quelle direction partir ? Deux voies s’offraient à moi : La mystique, le chemin de la vie intime avec Dieu, ou l’Eglise, le chemin de la vie communautaire avec Dieu. Puis une évidence s’est imposée : Il me fallait garder ces deux pôles réunis, mais comment faire ? Je vous propose un petit manuel de vie spirituelle et communautaire en sept points.

Premier point : L’ouverture. Les textes de l’apôtre Jean nous parlent de vérités très générales, l’amour, la contemplation, la divinité, la demeure intérieure, la révélation, les commandements, la prière, l’abandon, l’accueil, etc. qui nous invitent à un double geste de centration et de décentration. Centration : Nous faisons partie de l’Eglise de Jésus-Christ, de sorte que le message de l’Evangile, dans toute sa noblesse, demeure le centre de notre attention et de notre prédication. Décentration : d’autres traditions peuvent nous venir en aide dans notre quête spirituelle. Centration et décentration doivent demeurer ensemble.

Le maître bouddhiste Chögyam Trungpa Rinpoché, vivant de 1939 à 1987, affirme que « la pratique de la méditation est une excellente voie pour surmonter la guerre dans le monde : notre guerre personnelle ainsi que celle a plus grande échelle » [365 Pensieri sulle orme di Buddha, National Geographic, De Agostini Libri S.p.A., 2015, citation du 12 novembre, traduction par mes soins]. Il rejoint ainsi notre préoccupation au sujet du rapport entre la vie mystique et la vie communautaire. Selon Rinpoché, la guerre avec ou contre nous-mêmes est la première à remporter, si nous souhaitons contribuer à la paix sur terre. Si tu veux changer le monde, commence par toi-même !

Deuxième point : Qui cherche qui ? Selon notre conception moderne très égocentrique de la vie, nous nous plaçons au centre de notre quête spirituelle : NOUS recherchons Dieu. Or, l’apôtre Jean enseigne le chemin inverse : « Si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1Jn 4,11). Dans son amour éternel, DIEU recherche l’homme et suscite en nous la foi. Selon le théologien mystique Maître Eckhart, vivant au Moyen Âge de 1260 à 1328, Dieu se tient toujours à notre porte  : « C’est un grand dommage pour l’homme de croire Dieu loin de lui. Que l’homme soit près ou loin, Dieu, lui, ne s’éloigne jamais. Il reste toujours dans le voisinage, et, s’il ne peut demeurer en nous, il ne va jamais plus loin que l’autre côté de la porte » [Cornuz, p.64; source: Maître Eckhart, Entretiens spirituels, p.103].

Troisième point : Les deux demeures de Dieu. L’apôtre Jean n’oppose pas les deux domaines où Dieu est présent, à savoir la vie intérieure et la vie communautaire, ce qui perturbe nos mentalités modernes, car nous séparons complètement la vie privée et la vie publique. Selon Jean, la mystique intérieure et l’Eglise extérieure sont une seule et même chose : « Si nous nous aimons les uns les autres (Eglise), Dieu demeure en nous (mystique) » (1Jn 4,12). Lorsque Jésus dit « je suis en mon père et vous êtes en moi et moi en vous » (Jn 14,20), veut-il dire qu’il est en nous collectivement ou individuellement ? Je laisse la question ouverte, mais cela laisse penser que les deux interprétations sont vraies.

Quatrième point : Vaincre la superficialité. Saint Augustin, vivant de 354 à 430 après J.-C., écrit à propos de la demeure de Dieu en nous : « Tard, je t’ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle. C’est que tu étais au-dedans de moi, et moi, j’étais en dehors de moi ! Et c’est là que je te cherchais. Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi. Tu m’as appelé, tu as crié et tu es venue à bout de ma surdité, je t’ai goûtée et j’ai eu faim de toi » [Cornuz, p.61; source: Les confessions, livre dixième, chapitre XXVII]. Augustin confesse ainsi qu’avant sa conversion, il était incapable de contempler la Beauté divine pourtant présente au fond de lui-même. Dans son livre Le ciel est en toi, Michel Cornuz commente ainsi ce passage d’Augustin : « Nous vivons tellement souvent à la périphérie de nous-mêmes que nous n’avons plus accès à notre centre unificateur ; nous vivons si souvent dans la superficialité que nous ne découvrons plus aucune profondeur ; nous vivons tellement dans la quête vaine des choses extérieures que nous avons perdu la clef de notre intériorité » [Cornuz, p.62].

Cinquième point : Accepter les perturbations. Les textes de l’évangéliste Jean qui décrivent notre union à Dieu évoquent spontanément en nous la paix. Cette présence rassurante du divin est à nos yeux la source de la plus profonde tranquillité. Or, écoutons Jean Tauler, disciple de Maître Eckhart, vivant de 1300 à 1361 : « Quand l’homme entre dans cette maison et y cherche Dieu, il la bouleverse de fond en comble. Et puis, c’est Dieu qui le cherche ; lui aussi met tout sens dessus dessous dans la maison, comme fait celui qui cherche ; il jette ceci d’un côté, cela de l’autre, jusqu’à ce qu’il ait trouvé ce qu’il cherche. Quand l’homme […]a cherché Dieu dans ce fond le plus intime, Dieu vient aussi chercher l’homme et bouleverse la maison de fond en comble » [Cornuz, p.63; source: Sermon 33, in Jean Tauler, Sermons, Paris, Cerf, 1991, p.292]. Tauler nous rappelle avec humour que la vie mystique et la vie d’Eglise peuvent aussi être « sans dessus dessous » par l’effet du Saint-Esprit, venu nous renouveler.

Sixième point : Abandon de soi et lâcher prise. Ce point peut être une conséquence du précédent, car les perturbations nous invitent à lâcher prise. Sous cet angle, Michel Cornuz distingue nettement les spiritualités actuelles de la mystique chrétienne : « La quête de la vie intérieure aujourd’hui correspond en effet souvent à la recherche d’un «développement personnel», […], bref à une spiritualité égocentrique. […]. Le mystique chrétien, lui, pénètre dans son intériorité non pour s’exalter, mais pour mieux se quitter et s’abandonner, afin de laisser la place à l’Esprit du Christ, qui ne peut que le décentrer en le renvoyant à autrui et au monde » [Cornuz, p.57-58]. Dans le christianisme, cet abandon de soi est marqué par le moment de la croix, que tout chrétien est appelé à traverser : « Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi » (Jn 14,19). Ainsi, Dieu demeure présent dans la mort.

Septième et dernier point : Retour à l’ouverture initiale. Enfin, les textes de Jean peuvent nous sembler pesants : « Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements » (Jn 14,15). Mais de quels commandements s’agit-il ? Sans doute pas des nombreuses et fastidieuses ordonnances de la Loi, car selon Jean, « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’Il a envoyé » (Jn 6,29). La foi en Dieu et en Jésus-Christ résume en elle-même tous les commandements divins imaginables, car elle oriente le croyant vers Dieu, qui est amour. Ainsi, tout se résume en une quête de sens et d’amitié profonde, avec son prochain et avec le Dieu Créateur et Sauveur. L’appel à la foi ouvre un horizon très vaste, car le mot foi est lié au mot confiance, qui invite à l’écoute attentive de son prochain, quelle que soit sa provenance et son orientation. Cher John, chères et chers collègues de la paroisse, chères paroissiennes et chers paroissiens, que cet élan communautaire vous soit riche et profitable. Amen.