Prédication : L’histoire millénaire malheureuse du Messie Christ

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« Tu es mon fils; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ». Cet aujourd’hui du second Psaume biblique n’a cessé d’évoluer au cours des siècles malheureux de l’histoire juive. Depuis le chute de Jérusalem en 586 avant Jésus-Christ et l’Exil des juifs à Babylone, jusqu’au jour où Jésus se présenta dans la Judée devenue Province romaine, l’espérance en un Messie sauveur de la nation s’estompa, puis se transforma en l’espérance apocalyptique d’un Messie surpuissant, capable de vaincre toutes les puissances politiques du monde, un modèle auquel Jésus ne correspondait pas du tout.

Psaume 2

1 Pourquoi cette agitation des peuples,
ces grondements inutiles des nations ?
2 Les rois de la terre s’insurgent
et les grands conspirent entre eux,
contre le SEIGNEUR et contre son messie :
3 « Brisons leurs liens,
rejetons leurs entraves. »

4 Il rit, celui qui siège dans les cieux ;
le Seigneur se moque d’eux.
5 Alors il leur parle avec colère,
et sa fureur les épouvante :
6 « Moi, j’ai sacré mon roi
sur Sion, ma montagne sainte. »

7 Je publierai le décret :
le SEIGNEUR m’a dit :
« Tu es mon fils ;
moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.
8 Demande-moi,
et je te donne les nations comme patrimoine,
en propriété les extrémités de la terre.
9 Tu les écraseras avec un sceptre de fer,
et, comme un vase de potier, tu les mettras en pièces. »

10 Et maintenant, rois, soyez intelligents ;
laissez-vous corriger, juges de la terre !
11 Servez le SEIGNEUR avec crainte,
exultez en tremblant ;
12 – rendez hommage au fils ;
sinon il se fâche, et vous périssez en chemin,
un rien, et sa colère s’enflamme !
Heureux tous ceux dont il est le refuge.

Prédication du 1er décembre 2024, premier dimanche de l’Avent, à Orvin, dans le Jura bernois, en Suisse

Le deuxième Psaume du psautier biblique est clairement un psaume politique, puisqu’il y est question d’une révolte, ou d’une conspiration (v.2) des rois de la terre contre le roi qui a été légitimement consacré par Dieu (v.6), et qui porte le nom de Machîah (v.2), traduit par Messie en français, et qui signifie en hébreu oint de l’onction d’huile sacrée. Il s’agit donc d’un Psaume messianique, ou christologique selon la tradition chrétienne, puisque le mot hébreu Machîah est traduit en grec par le mot Christos, Christ, qui signifie aussi oint.

Toutefois, un premier conflit d’interprétation surgit avec la traduction du mot hébreu gôyîm par les mots peuples, nations, ou parfois aussi par le mot païens. La TOB traduit la première phrase du Psaume « Pourquoi cette agitation parmi les peuples ? », tandis que Maillot et Lelièvre, dans leur commentaire, traduisent « Pourquoi ces païens qui s’agitent ? » (Les Psaumes 1-50, Genève, Labor et Fides, 1972, p.16). Suivant la traduction, on attribue au conflit une teneur plus ou moins religieuse. Difficile de savoir si le roi oint, le Machîah, a une fonction religieuse ou non.

Qui est exactement ce roi que le Seigneur lui-même a consacré « sur Sion, [sa] montagne sainte » (v.6), c’est-à-dire à Jérusalem, en faisant ainsi de lui son Machîah, son oint ? Ici réside toute la QUESTION, et les interprètes, au cours des siècles, se sont écharpés sur l’interprétation actuelle ou futuriste, politique ou religieuse, de ce mystérieux personnage.

Une lecture « terre à terre » du Psaume 2

Commençons donc par la lecture la plus « terre à terre » possible du Psaume, en lisant le plus simplement ce qui est écrit. Si je résume, dans un premier temps « Les rois de la terre s’insurgent […] contre Yahvé, le Dieu des Juifs, et contre son Messie » (v.2), mais bizarrement, « il rit, celui qui siège dans les cieux ; le Seigneur se moque d’eux » (v.4).

Que devons-nous comprendre ? Du point de vue de Dieu, les conflits de la terre, les veines révoltes des peuples, sont tout-à-fait ridicules. Je suis assez d’accord. Les mascarades des chefs politiques, au plus haut niveau, ressemblent à une danse des fous qui agitent le monde ; « alors [le Seigneur] leur parle avec colère, et sa fureur les épouvante » (v.5). Dieu rit de ces conflits qui ne l’impressionnent pas, mais il les prend tout de même très au sérieux. Dans le Psaume, sa riposte sonne le glas des régimes politiques : « Moi, j’ai sacré mon roi » (v.6), « je [lui] donne les nations comme patrimoine, en propriété les extrémités de la terre. [Il les écrasera] avec un sceptre de fer » (v.8). Nous nous demandons quel est ce sceptre que le Messie utilisera pour triompher de ses ennemis ? S’agit-il de forces armées considérables, ou d’autres pouvoirs, religieux, surnaturels ? Le Psaume ne le dit pas.

L’élément théologique de ce Psaume qui a toujours frappé les esprits est la parole intime que Yahvé adresse à son roi Messie : « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (v.7). Nous sommes trop influencés par la lecture chrétienne de ce Psaume 2 pour nous rendre compte qu’il ne s’agit pas encore, dans cette poésie juive, du Fils de Dieu de la Trinité chrétienne (Père, Fils et Saint Esprit). Selon la lecture la plus « terre à terre » du Psaume 2, cette filialité divine souligne la relation très proche qui relie ce roi fidèle à son Dieu, et peut-être aussi le caractère exceptionnel de son union spirituelle avec Dieu.

La dernière partie du Psaume 2 lui donne heureusement une tonalité plus positive. Dieu n’exprime plus ni mépris ni menaces aux rois de la terre empêtrés dans leurs conflits. Au contraire, il appelle ces dirigeants à se revêtir de sagesse : « Et maintenant, rois, soyez intelligents ; laissez-vous corriger, juges de la terre ! Servez Yahvé avec crainte […] ; rendez hommage au fils ; sinon il se fâche… » (v.10-12). Il semblerait que les avertissements divins aient interpellé ces rois, qui se montrent désormais mieux disposés à revoir leurs attitudes pénalisantes pour d’innombrables êtres humains. Le Psaume 2 nous enseigne ainsi que les crises politiques ne sont jamais tout-à-fait dénuées d’espoir.

En première lecture, nous avons donc un récit poétique plutôt positif qui se raconte au cours des quatre couplets du Psaume 2 : La vaine agitation des nations (v.1-3) ; le rire et la colère du Seigneur contre ces nations (v.4-6) ; Dieu livre les nations au roi qu’il a engendré comme son fils (v.7-9) ; Les rois des nations se remettent en question (v.10-12).

L’aujourd’hui du Messie Christ, une date maintes fois repoussée

Réfléchissons à présent au sens de ce Psaume 2, en prenant un peu de distance par rapport aux paroles du texte. Comme indiqué, il s’agit d’un Psaume messianique, qui décrit le rôle du roi Messie et nous interroge à propos de l’identité de ce personnage devenu au cours des siècles toujours plus important et central pour la foi juive. Le décret central du Psaume affirme « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande-moi, et je te donne les nations comme patrimoine » (v.7.8). La QUESTION de base qui se dégage est celle de cet aujourd’hui. Quel est donc ce Jour où le roi Messie reçoit le règne sur les nations ?

Avant l’incendie de Jérusalem en 587 av. J.-C. et la déportation de la quasi-totalité de la population juive à Babylone par le roi Nabuchodonosor, lors du drame de l’Exil, il est probable que les juifs aient conservé l’espoir que Dieu allait rétablir pour eux un roi doté d’une gloire semblable à celle de David, qui vécut aux alentours de l’an mille av. J.-C., et qui devint le modèle de l’ancien Messie. Mais aucun roi juif si glorieux ne se présenta plus avant l’Exil, de sorte que les juifs perdirent peu à peu l’espoir que le Règne de leur Dieu Yahvé s’établisse paisiblement sur la terre sous la houlette du nouveau Messie, comme le décrit ce Psaume 2 où le Messie parvient à ramener les rois des nations à l’intelligence.

Au cours de l’Exil et après, les juifs devinrent toujours plus pessimistes vis-à-vis de leur avenir, car leur présent ressemblait davantage au début polémique de notre Psaume 2 qu’à sa fin heureuse. Ils imaginèrent donc que Dieu allait un jour leur envoyer un roi Messie particulièrement puissant, capable de vaincre l’antisémitisme par une guerre apocalyptique qui établirait par la force le Règne de leur Dieu Yahvé sur terre à partir de Jérusalem.

Lorsque Jésus se présenta, cinq siècles après l’Exil, alors que la Judée était devenue depuis peu une province romaine, il n’avait pas du tout l’allure d’un Messie capable de libérer militairement le peuple d’Israël de l’Empire romain. On comprend dès lors que les juifs ne le crurent pas et qu’ils voulurent le ridiculiser en l’anéantissant par le martyr de la croix. Un petit nombre d’entre eux, cependant, s’attacha à ce Messie et furent appelés chrétiens, lorsqu’ils décidèrent, sous la conduite de l’apôtre Paul surtout, de se séparer du judaïsme.

A leur tour, les chrétiens en voulurent durant des siècles (et peut-être jusqu’à aujourd’hui) aux juifs d’avoir crucifié « leur » Messie ou « leur » Christ. Relisant les Ecritures juives à leur manière, les chrétiens interprétèrent le Psaume 2 en identifiant Jésus au Messie, et lui appliquèrent le fameux passage « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (v.7) lors de son baptême (Luc 3,22). S’appropriant les Ecritures saintes des juifs, les chrétiens les employèrent pour démontrer que leur Messie confirmait leurs prédictions. Chaque phrase, chaque mot du Psaume 2 fut interprétée dans un sens christique. Ainsi, l’évêque Cyrille d’Alexandrie, par exemple, qui vécut de 375 à 444 ap. J.-C., interpréta « le sceptre de fer » avec lequel le Messie écrasera les nations (v.9) comme étant la croix du Christ (Les Psaumes commentés par les Pères, Collection « les Pères dans la foi », Desclée de Brouwer, 1983, p.52).

En 12 brefs versets, le Psaume 2 nous offre ainsi un résumé télescopique de l’histoire judéo-chrétienne et de ses enjeux durant plus d’un millénaire. Ses multiples interprétations montrent que la figure du Messie juif et le contexte historique de son aujourd’hui n’a cessé d’évoluer et qu’elle évoluera encore. Amen

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