Prédication : Les voies du Seigneur entre conservatisme et libéralisme

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Malachie 3,19-24 – Vers les temps nouveaux

19 Car voici que vient le jour, brûlant comme un four. Tous les arrogants et les méchants ne seront que paille. Le jour qui vient les embrasera, dit le SEIGNEUR de l’univers. – Il ne leur laissera ni racines ni rameaux. 20 Pour vous qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera, portant la guérison dans ses rayons. Vous sortirez et vous gambaderez comme des veaux à l’engrais. 21 Vous piétinerez les méchants, car ils seront comme cendre sous la plante de vos pieds en ce jour que je prépare, dit le SEIGNEUR de l’univers.

22 Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai donné, à l’Horeb, des lois et des coutumes pour tout Israël. 23 Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR, jour grand et redoutable. 24 Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères pour que je ne vienne pas frapper la terre d’interdit.

Première épître aux Corinthiens 4,1-5 – Paul et sa conscience

1 Qu’on nous considère donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. 2 Or, ce qu’on demande en fin de compte à des intendants, c’est de se montrer fidèles. 3 Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain. Je ne me juge pas non plus moi-même. 4 Ma conscience, certes, ne me reproche rien, mais ce n’est pas cela qui me justifie ; celui qui me juge, c’est le Seigneur. 5 Par conséquent, ne jugez pas avant le temps, avant que vienne le Seigneur. C’est lui qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et mettra en évidence les desseins des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient.

Evangile de Luc 3,1-6 – Vocation prophétique de Jean le Baptiste

1 L’an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d’Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d’Abilène, 2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert. 3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés, 4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe :
Une voix crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé,
toute montagne et toute colline seront abaissées ;
les passages tortueux seront redressés,
les chemins rocailleux aplanis ;
6 et tous verront le salut de Dieu.

Prédication du dimanche 5 décembre 2021 à l’Eglise de Péry dans le Jura bernois

On ne sait pas bien, en lisant les trois textes bibliques de ce jour, ci-dessus, si le projet de Dieu va contre l’histoire humaine, ou si au contraire il entraine l’histoire à sa suite.

Est-ce que Dieu nous résiste, est-ce qu’il nous freine dans nos folles entreprises, est-ce qu’il lutte contre notre volonté de dominer, de posséder, d’exploiter ? ou au contraire, est-ce qu’il nous conduit dans le sillon de son Royaume, parfois à notre insu ?

C’est difficile à dire. Un peu des deux, sans doute. Dans nos vies personnelles aussi, il est probable que parfois Dieu nous contredise, nous résiste, et que d’autres fois il nous encourage à persévérer au travers des obstacles que nous avons à surmonter.

Dieu ami ou Dieu ennemi ? Dieu de grâce ou Dieu de jugement ? Dieu résistant ou Dieu entraîneur ? Comme des parents qui éduquent leurs enfants, l’éducation divine comporte sans doute les deux aspects. Les dernières paroles du livre du prophète Malachie, qui sont aussi les dernières paroles de l’Ancien Testament dans les Bibles chrétiennes (sauf la TOB qui suit le canon judaïque), résument bien l’orientation d’ensemble que Dieu entend donner à l’histoire humaine : Il s’agit de ramener « le cœur des pères vers leur fils, et celui des fils vers leurs pères ». Ainsi compris, le projet divin pour l’histoire humaine vise la réconciliation de toutes les familles de la Terre, et donc aussi celle de toutes les nations : un projet jamais achevé, toujours à recommencer avec l’annonce du pardon.

Le prophète Malachie annonce un jour « brûlant comme un four », qui sera cependant pour les croyants un jour « portant la guérison dans ses rayons ». Puis, le prophète semble indiquer qu’il faudra encore patienter jusqu’à la venue de ce jour : il faut qu’Elie vienne d’abord, et l’on sait que dans le Nouveau Testament, Elie est identifié à Jean-Baptiste.

Le jour du Seigneur est donc retardé, car il y a encore beaucoup à faire dans l’histoire humaine jusqu’à ce que nous soyons prêts à accueillir le Seigneur. Le scénario le plus probable suppose que l’humanité, dominée par la force du péché, ne sera jamais prête, si fait que le jour du Seigneur sera un jour « grand et redoutable », survenant à l’improviste.

L’apôtre Paul, à son tour, suggère une attitude de patience persévérante ; il s’agit de se retenir de juger « avant le temps, avant que vienne le Seigneur ». Cette consigne est à prime abord surprenante : Comment pouvons-nous ne pas juger les arrogances et les méchancetés qui se produisent dans l’histoire humaine ? Paul répond que seul Dieu est capable d’éclairer « ce qui est caché dans les ténèbres » et de mettre « en évidence les desseins des cœurs ». En d’autres termes, notre situation historique ne nous permet pas de discerner les bonnes et les mauvaises intentions. Nous ne pouvons pas éviter de juger et de condamner à diverses peines les personnes qui ont commis des crimes plus ou moins graves ; mais notre justice n’est pas aussi juste que celle de Dieu, car seul Dieu parvient à peser avec exactitude les intentions des cœurs, les pensées intimes de chaque personne.

Dans le texte du Nouveau Testament, Jean-Baptiste, citant un passage du prophète Esaïe (Es 40,3-5), nous invite à son tour à préparer « le chemin du Seigneur ». Cette activité suppose « un baptême de conversion », c’est-à-dire un profond changement d’attitude, mais nous ne savons pas exactement de quoi il s’agit. Cette fois-ci, la question ne concerne plus Dieu seul ; elle se pose à nous : Sommes-nous plutôt conviés à faire confiance au cours de l’histoire, et à nous adapter à son évolution parfois chaotique, ou nous faut-il au contraire lutter contre les tendances et les événements majeurs de l’histoire ?

La réponse à cette question change en profondeur notre façon de comprendre le rôle de la religion dans la vie sociale et politique. Si nous supposons qu’il faut avant tout résister au cours de l’histoire, nous adoptons une attitude religieuse contestataire, conservatrice, traditionnaliste, opposée au progrès moderne et à l’évolution de la société en général. Nous voyons d’un mauvais œil la libération des mœurs qui va de pair avec une manière de vivre la spiritualité plus individualiste, pluraliste et indépendante de l’Eglise.

Si au contraire nous sommes partisans des évolutions de la société, nous accepterons plus facilement l’abandon des coutumes religieuses dans les paroisses et le développement des spiritualités indépendantes, par exemple sur internet. Aujourd’hui, nous n’avons plus vraiment le choix d’accepter que les deux approches, conservatrice et libérale, coexistent.

Que signifie, en fin de compte, préparer « le chemin du Seigneur », rendre « droits ses sentiers » ? Peut-on penser que le développement de notre société moderne a préparé les chemins de Dieu ? C’est très douteux, étant donné que tous les voyants indiquent une diminution de la foi vécue en Eglise. Mais d’un autre côté, la religion était-elle vraiment au-dessus de tout soupçon ? La foi religieuse n’a-t-elle pas favorisé l’étroitesse d’esprit et les guerres de religion, puis les interminables conflits entre catholiques et protestants, qui divisaient les familles ?

Depuis la Renaissance, les façons de vivre la foi n’ont fait que se diversifier. Au Moyen-Âge, il n’y avait qu’une seule religion autorisée en Europe, celle dictée par le Pape de Rome. Il y a cinq siècles, à la suite de Martin Luther, les Réformateurs ont entrepris de réformer l’Eglise romaine, mais ils n’y sont pas parvenus. Au contraire, ils ont créé un schisme, une division entre ceux qui restaient fidèles au Pape, les catholiques, et leurs opposants protestants. Cette rupture a créé des guerres sanglantes au siècle suivant. C’est alors qu’une partie de la société a voulu se séparer de l’Eglise. Ainsi est née la sphère laïque, au siècle des Lumières. Depuis lors, la foi chrétienne n’est plus une référence obligatoire.

Au XIXème et au XXème siècles, un phénomène nouveau est apparu : les philosophes européens ont traduit les textes religieux de l’Inde, du Népal, de la Chine et du Japon. Ainsi le bouddhisme et les religions orientales se sont répandues dans la population européenne, jusqu’à devenir aussi influentes que le christianisme. Des musulmans sont aussi arrivés en Europe, en raison des migrations de populations et des réfugiés. On a fini par reconnaître que toutes les religions sont admissibles si elles ne sont pas contraignantes ou trop perturbantes pour l’esprit, et qu’il est possible d’être agnostique ou athée. La foi est devenue un choix personnel, indépendant des origines familiales et culturelles de chacune et chacun.

Peut-on supposer que cet accroissement de la liberté et de la variété religieuse dans la civilisation européenne fait partie de la préparation du « chemin du Seigneur », telle que demandée par Jean-Baptiste citant Esaïe au début de l’Evangile ? La réponse est évidemment délicate, mais il n’est pas exclu que le développement des libertés de croire et de penser soit un passage obligé vers une nouvelle forme de foi religieuse et spirituelle, moins dépendante de la tradition.

Après tout, c’est plutôt une bonne chose de pouvoir comparer librement les religions et choisir sa foi. Selon Pierre Bayle, un philosophe du XVIIème siècle, la liberté est même une condition nécessaire pour vivre une vraie foi, qui ne soit pas dictée par le pouvoir. Il est possible de rester chrétien en ayant une certaine connaissance des autres religions.

Jean-Baptiste nous oriente peut-être déjà dans ce sens en citant Esaïe, lorsqu’il avertit que « toute montagne et toute colline seront abaissées », et « tout ravin sera comblé ». Nous pouvons imaginer que les montagnes et les ravins symbolisent ici les jalousies et les luttes de pouvoir entre les cultures et les traditions religieuses, conflits qui doivent disparaître afin de laisser la place à une entente cordiale et un partage d’opinions.

La foi chrétienne en Dieu, dans son profond renouvellement de l’esprit religieux humain, suppose une humilité qui ne juge « pas avant le temps », comme dit l’apôtre Paul, et qui laisse ouverte la possibilité des apports d’autres croyances, tout en gardant une vive espérance ouverte et orientée vers la venue du Règne de Dieu en Christ. Amen

Pour approfondir ces thématiques, je renvoie ici à mon article sur ce site :
« La vie chrétienne et les autres sources de spiritualité ».

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