Les degrés de dangerosité d’un agent moléculaire intempestif

En ces temps étonnants et inattendus, des êtres à mi-chemin entre le monde inerte et le monde vivant, au profil moléculaire, parviennent à occuper le devant de la scène politique mondiale. S’imposant sans peine aux premières lignes de l’agenda planétaire, ils évincent drastiquement les soucis géopolitiques et écologiques habituels, nous rappelant que la « nature » n’est pas toujours sympathique… et qu’elle pourrait même parfois devenir « diabolique », au sens symbolique du terme, tel le serpent de la Genèse biblique, reprenant subitement ses droits sur la vie et la mort, ni plus ni moins.

Concrètement, les questions qui surviennent bousculent nos manières habituelles d’envisager les enjeux de notre temps. On entend dire que Covid-19 serait plus efficace que toute autre politique écologique, forçant le ralentissement de l’économie mondiale et de la consommation énergétique humaine. Manifestation du jugement divin, il pourrait nous conduire à devenir moins dépendants de l’industrie chinoise, etc.

Sur le plan médical, s’agit-il simplement d’une grippe ordinaire, ou faisons-nous face à un péril viral supérieur, insidieusement favorisé par la multiplication de nos réseaux intercontinentaux ? En d’autres mots, s’agit-il d’une épidémie ou d’une pandémie ? Dans les faits, le constat est sans appel : une souche virale apparue dans un marché d’animaux vivants d’une ville chinoise peu connue est parvenue en quelques semaines à perturber la dynamique sociétale de plusieurs pays occidentaux.

Il existe donc, en deçà de notre vie quotidienne, un équilibre génétique précaire, à la fois microscopique et macroscopique, cellulaire et biosphérique, susceptible de déstabiliser nos civilisations. Il s’agit là d’une leçon d’humilité, ou du sempiternel triomphe des petits face à la complaisance des grands.

Je m’intéresse à deux aspects structurels de cette étrange situation. Le premier est illustré par l’image qui accompagne cet article, montrant les célèbres falaises crayeuses d’Etretat en Normandie. Une observation attentive de ces rochers érodés par le vent conduit à se poser la question suivante : Jusqu’à quelle distance des parois est-il possible de s’approcher sans risquer de décrocher ? Le haut de ces à-pics montre en effet un relief émoussé, confrontant celle ou celui qui s’en approche à une déclivité croissante sur un terrain sableux couvert de végétation basse. Jamais l’observateur ne parvient à voir la falaise qui se trouve en dessous de lui, et plus il s’en approche, plus le risque de perte de maîtrise croît.

Vous percevez sans doute où je veux en venir. L’interrogation qui anime désormais toutes les discussions mondaines est la suivante : où se situe la frontière entre les mesures nécessaires et les mesures exagérées envers ce coronavirus ? ou plus subtilement dit, à partir de quand les mesures de confinement décidées par les instances responsables induiront-elles des effets plus nocifs que le coronavirus lui-même ? Nous nous situons aux abords d’un point de non-retour indiscernable – la falaise – au-delà duquel la prolifération exponentielle du virus devient incontrôlable et dès lors potentiellement dévastatrice.

Il s’ensuit que les dommages réels et potentiels du coronavirus sont de deux types : directs et indirects. Son impact immédiat est la maladie contagieuse, bénigne pour une majorité de personnes et mortelle pour d’autres. Mais plusieurs effets indirects sont liés à la déstabilisation de nos systèmes de production. Jusqu’où le confinement est-il une mesure protective réaliste, et à partir de quand faudra-t-il inévitablement retourner au travail, malgré les risques de contamination. Le problème se pose déjà pour le personnel médical, mais pourrait concerner d’innombrables autres services. Jusqu’à quel point notre société peut-elle fonctionner au ralenti, entamant ses réserves alimentaires, énergétiques et financières ? Dans ces différents secteurs, quelles sont nos réelles facultés de résilience ?

Ce sont-là me semble-t-il des questionnements intéressants, qui sans dramatisation malsaine, nous amènent à repenser les limites de notre condition humaine. Si par trop de complaisance écologique, il nous arrive d’ignorer l’instabilité et la nocivité de ce que nous appelons communément « nature », nous sommes portés à nous fier tout aussi aveuglement à nos systèmes sociétaux. En nous laissant entrevoir la possibilité d’un abîme, c’est bien à une réflexion d’ordre religieux ou spirituel que nous conduit le fléau du coronavirus, infime compagnon de nos angoisses méditatives. Jusqu’où l’humain pourra-t-il aller ? A vrai dire personne ne le sait. La vie reste une expectative. Il est fort probable que dans quelques semaines ou quelques mois tout rentrera dans l’ordre. Espérons qu’il en sera ainsi.

Article publié sur réformés.ch

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