Prédication : L’ascension du Christ et la perspective de l’au-delà


Les Actes des apôtres 1,1-11

J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement jusqu’au jour où, après avoir donné, dans l’Esprit Saint, ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé. C’est à eux qu’il s’était présenté vivant après sa passion : ils en avaient eu plus d’une preuve alors que, pendant quarante jours, il s’était fait voir d’eux et les avait entretenus du Règne de Dieu. Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, « celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche : Jean a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. »

Ils étaient donc réunis et lui avaient posé cette question : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Il leur dit : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ; mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards. Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté et leur dirent : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

Prédication du jeudi de l’Ascension 13 mai 2021 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

Le christianisme est fondé sur une différence infinie entre le ciel et la terre. Selon la foi chrétienne, le Dieu unique ne fait pas partie de la nature, il est au-dessus, au-delà du monde visible. Dans nos sociétés, même en dehors de l’Eglise, il va de soi que le royaume de Dieu est un royaume des cieux, c’est-à-dire un royaume inatteignable par nos moyens.

Ce trait culturel encore marqué par la foi chrétienne entraine une conséquence sur notre vision de la mort : En ligne générale, lorsqu’une personne meurt – pour autant que l’on soit croyant – on considère que cette personne ne peut plus revenir dans notre monde terrestre. Sa résurrection l’emmène infiniment loin de nous, de sorte qu’une séparation infranchissable sépare le monde des morts, et notre monde des vivants.

Selon ce point de vue très rationnel sur la mort, nous ne savons rien de l’au-delà : nous ne pouvons pas dessiner le paradis. La foi chrétienne nous invite à penser l’après-vie comme un monde infini où il n’y aura plus « ni deuil, ni cri, ni souffrance », selon les mots de l’Apocalypse, et où la gloire et la paix du Dieu d’amour rayonneront éternellement.

Mais cette vision de la mort et de l’au-delà est liée au christianisme, et avec la perte d’influence des Eglises dans la société, elle tend à s’estomper. On entend de plus en plus facilement des personnes nous dire qu’elles ressentent la présence d’un parent décédé à leurs côtés. Et de manière générale, plus de personnes considèrent qu’il est possible de communiquer avec les défunts, ou du moins de sentir leur présence.

Au cours de mon ministère, je me souviens notamment d’un accident grave, lors duquel deux adolescentes ont perdu la vie, la voiture dans laquelle elles circulaient ayant percuté de plein fouet un arbre dans la forêt. Le conducteur, lui, s’en était sorti indemne.

Après avoir célébré le service funèbre des deux filles, mon collègue et moi fumes confrontés à une demande particulière : Plusieurs personnes de la région souhaitaient organiser des réunions de prière, parce qu’elles avaient l’impression que les âmes de ces jeunes filles n’étaient pas tranquilles et qu’elles n’avaient pas pu rejoindre le ciel. Certains entendaient des bruits suspects, d’autres avaient vu l’arbre mortel trembler, etc.

Comment fallait-il réagir ? Si nous acceptions de participer à ces prières, cela signifiait que nous admettions que ces rumeurs étaient fondées, et que notre prière de remise à Dieu des défuntes lors du service funèbre n’avait pas permis à ces jeunes filles de rejoindre Dieu. Et si nous refusions, nous risquions de passer pour des indifférents. Pour finir, nous avons refusé ces prières, en appelant les gens à avoir confiance que ces jeunes filles étaient en paix auprès de Dieu. Par la suite, l’affaire s’est calmée, et nous n’avons plus été inquiétés.

Par cet exemple, je pense que vous commencez à saisir l’importance de la fête de l’Ascension : Il s’agit de souligner que même après un décès violent, les morts ne continuent pas de rôder dans leurs anciennes régions d’habitation, mais qu’à la suite de Jésus, ils sont élevés dans le Règne de Dieu infiniment au-delà de la vie terrestre.

Le christianisme nous apprend donc à ne pas avoir peur de la mort, et à avoir confiance que Dieu accueille les personnes décédées dans son règne éternel. Ainsi, la fête de l’Ascension nous présente la mort sous son jour le plus joyeux : comme une montée au ciel, auprès de Dieu, ce qui suppose la libération des turpitudes de la vie terrestre.

Ce constat très positif conduit cependant à se demander quel fut l’aspect du Christ ressuscité tel qu’il est apparu à ses disciples entre Pâques et l’Ascension, durant 40 jours.

Le voici qui fait route subitement aux côtés des deux disciples d’Emmaüs, lesquels ne le reconnaissent pas avant qu’il rompe le pain. Le voilà qui apparait dans la maison où se trouvent les disciples, alors que toutes les portes sont verrouillées. Ou alors, en Galilée, il se présente sur la plage, à côté d’un feu de braise où l’on a déposé des poissons et du pain, et là aussi, les disciples devinent que c’est lui sans le reconnaître vraiment.

Si Jésus ressuscité est présenté comme ayant un vrai corps, puisqu’il mange du poisson et du pain, sa façon de se déplacer instantanément d’un endroit à l’autre fait plutôt penser à un esprit, ou en tous cas à un corps spirituel, différent d’un corps de chair ordinaire.

Il semblerait donc, d’après ces descriptions énigmatiques, que le Christ ressuscité déroge à la règle du christianisme selon laquelle les morts ne reviennent pas, mais sont d’emblée élevés dans le règne de Dieu, sans plus jamais apparaître dans le monde présent.

Oui, c’est bien vrai ! Les apparitions de Jésus vivant après sa mort sont une exception, et les auteurs des quatre Evangiles bibliques ont fait tout leur possible pour éviter que le Ressuscité puisse être confondu avec un esprit, un fantôme, un spectre ou un zombie.

D’ailleurs, la fête de l’Ascension est justement là pour nous rappeler qu’en élevant Jésus dans la nuée, Dieu a mis un terme à cet état intermédiaire dans lequel le Ressuscité était déjà vainqueur de la mort, mais apparaissait encore à ses disciples sous forme humaine.

Ce qui distingue radicalement le Christ ressuscité de tout esprit invisible ou de tout fantôme errant, c’est le fait que Jésus ne nous est absolument pas présenté comme un mort, comme un revenant, mais bien comme le Vivant par excellence, le Fils de Dieu.

Le Christ ressuscité est entièrement libéré du mal et de la souffrance, des ténèbres et de l’angoisse. Bien plus, il a vaincu la mort non seulement pour lui-même, mais pour nous tous, les humains. C’est en ce sens qu’il est non seulement humain, mais aussi divin.

Etant parvenu à cette joyeuse conclusion, j’ouvre une dernière parenthèse concernant les Saints que les catholiques prient et vénèrent. J’ai dernièrement rencontré une personne, à l’hôpital, qui me disait prier Saint Antoine pour retrouver ses clefs, et cela fonctionne. Que faut-il en penser en tant que protestants ? Doit-on assimiler les Saints à des esprits ?

En lisant le Catéchisme de l’Eglise catholique, à l’article 209, on constate que ce n’est pas tout-à-fait vrai. Je cite : « Ceux qui meurent dans la grâce de Dieu sont réunis à Jésus, à Marie, aux anges et aux Saints. Ils forment ainsi l’Eglise du ciel, où ils voient Dieu face à face ». On apprend ici que non seulement les Saints sont au ciel, mais qu’ils ne sont pas isolés, indépendants comme des esprits, mais font partie de l’Eglise céleste devant Dieu.

En lisant la Confession helvétique postérieure, œuvre de Heinrich Bullinger, le successeur de Zwingli à Zurich, datant de 1566, on se fait une idée assez équilibrée de ce que les protestants pensent des Saints : Au chapitre 5, je lis en traduisant en français moderne : « Nous n’adorons, ni ne servons, ni n’invoquons les Saints qui sont au ciel, et ne les reconnaissons pas comme nos intercesseurs, […]. Car Dieu nous suffit, et le seul intermédiaire est Jésus-Christ », puis le texte ajoute : « Cependant nous ne méprisons pas les Saints, et nous ne les jugeons pas, car nous les reconnaissons comme de vifs membres de Jésus-Christ, amis de Dieu, qui ont glorieusement vaincu la chair et le monde ».

Voici donc ce qui me paraît sage, en tant que pasteur réformé : Ne prier et ne communiquer en esprit avec personne d’autre que Dieu par Jésus-Christ, mais reconnaitre que ses innombrables témoins peuvent nous servir d’exemples et nous enrichir. Amen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.