L’épreuve de la tentation

En se demandant à quoi devrait résister aujourd’hui un chrétien réformé, on aboutit au thème biblique de la tentation. Cette notion est peut-être celle qui décrit le mieux la vulnérabilité de l’être humain face aux épreuves de la vie. Nous ne faisons pas seulement l’expérience du mal dans le monde qui nous entoure, mais ce dernier s’insinue à l’intérieur de notre esprit au moyen de la tentation. La résistance du chrétien doit donc s’exercer à la fois à l’extérieur, dans la société, et à l’intérieur de lui-même.

Solution de facilité

Il serait cependant erroné, comme on le croit souvent, de limiter la tentation à la convoitise des plaisirs charnels et des biens matériels. Ce serait même ignorer ce qui en constitue la racine la plus profonde. Dans les récits de la tentation de Jésus placés au début des Evangiles bibliques de Matthieu, Marc et Luc, il est surprenant de constater que le diable ne suggère rien de «mauvais» à Jésus. Au contraire, à trois reprises, il lui propose même de l’aider dans sa mission de Fils de Dieu sur terre, mais en utilisant d’autres moyens !

Le tentateur invite d’abord Jésus à transformer des pierres en pain, soit pour calmer sa faim suite à son jeûne, soit pour démontrer sa puissance de Fils de Dieu (Mt 4,3), les deux interprétations sont possibles. Jésus refuse de commettre cet acte magique. Le diable l’emmène ensuite au sommet du temple de Jérusalem afin que Jésus se jette dans le vide pour éprouver la bonté de Dieu (Mt 4,6). A nouveau, Jésus refuse cet acte effronté qui revient à provoquer Dieu. Enfin, Satan promet à Jésus de lui donner le pouvoir sur le monde entier s’il se prosterne pour l’adorer (Mt 4,9). Le texte ne précise pas si le diable possède effectivement les royaumes du monde, ou s’il ment afin d’impressionner Jésus, lequel refuse bien entendu cette dernière séduction.

Ne compter que sur soi

Quelle est donc la visée globale des incitations diaboliques que Jésus subit dans cet important récit évangélique ? Le tentateur ne cherche pas à dévergonder Jésus. Sa stratégie est plus subtile : il incite Jésus à ne plus compter sur Dieu et à prendre lui-même le pouvoir sur terre pour accomplir sa mission. Les démonstrations sensationnelles de puissance et les alliances politiques douteuses doivent remplacer la patiente obéissance de la foi afin de produire un effet plus immédiat et plus efficace sur le public. Ne souhaitant pas se compromettre, Jésus accepte une moindre notoriété et un pouvoir plus discret.

Selon ce récit, la visée ultime de la tentation n’est donc pas charnelle. Elle consiste à nous détourner de la confiance en Dieu, jugée inutile, illusoire ou même contre-productive. La tentation nous pousse à nous débrouiller par nos propres moyens pour parvenir à nos fins, sans plus écouter la voix de l’Esprit. Ce dernier nous guide par des chemins que nous n’aurions pas choisis nous-mêmes, et dont nous saisissons parfois difficilement le sens.

Chacun de nous peut être tenté par l’évasion vers un «paradis sur terre», afin de jouir du bonheur loin des stress quotidiens et des frustrations qui caractérisent nos emplois du temps surchargés. Ce besoin de confort et de détente paisible est d’ailleurs légitime jusqu’à un certain point, mais si nous en faisons notre unique objectif de vie, il peut nous mener à l’égoïsme et au goût du luxe qui caractérisent le matérialisme occidental. Dans ce sens, l’Evangile nous invite à «nous tenir sur nos gardes, de crainte que nos cœurs ne s’alourdissent dans les soucis de la vie» (Lc 21,34).

Désirs de toute-puissance

Face à cette sereine mais difficile acceptation de nos limites humaines, la tentation consiste en fin de compte en une sorte de révolte spirituelle dans laquelle l’individu s’érige en maître absolu de sa destinée, refusant de s’en remettre à un sens supérieur qui lui échappe. Cette analyse de la tentation ne suppose donc pas que l’on croie à l’existence du diable et des démons. En liant la tentation à une faiblesse de la nature humaine et non à l’action d’un agent extérieur, la question se déplace sur le plan psychologique.

La tentation de fuir la réalité dans l’illusion de toute-puissance peut se manifester aussi bien par un dégoût du corps et un détachement du monde matériel, qu’à l’inverse par des passions physiques démesurées qui conduisent à la dépendance addictive. Dans un cas comme dans l’autre, l’individu pense parvenir à «vaincre» par lui-même les tensions de l’existence, soit en se libérant entièrement du monde, soit en fusionnant avec lui.

Article paru dans La vie protestante Neuchâtel-Berne-Jura No. 5, juin 2016, dans le cadre du dossier « Résister, signature réformée ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.