Les réformés, décidément pas très people !

Les Réformés ne brillent pas par leur vénération des people, c’est le moins que l’on puisse dire ! Zinedine Zidane, Madonna et Jean Paul II ne sont pas leurs figures de proue, et après tout, c’est compréhensible. La très faible participation au sondage de la Vie Protestante sur le sujet exprime un désintérêt, voir même une certaine défiance, envers la cause des célébrités. Les réponses montrent pourtant que les protestants ont aussi leurs stars. Alors que dans le monde évangélique, les figures charismatiques ne manquent pas, avec une valorisation de la fonction du leader, la culture réformée y semble allergique malgré un timide retour. Sont à l’honneur, dans le monde réformé, non ceux qui ont entrainé les autres à la foi, mais ceux qui ont suscité la réflexion, les théologiens, héros de la pensée libre, ou alors, ceux qui ont su marquer le monde commun, les politiques. Citons au passage Desmond Tutu, Pierre Aubert, Louis Joxe, Michel Rocard, Helmut Schmidt, parmi les hommes politiques cités pour leur foi protestante.

Tous des VIP !

Il ne faudrait pourtant pas s’y méprendre : La critique du culte de la personnalité médiatique dans la pensée réformée cache un élitisme plus radical encore, celui qui accorde à chaque individu, à chaque croyant, un statut unique, incomparable et inégalable. En fait, s’il n’y a pas de sens à élever certaines personnes en star people, c’est que dans leur incognito, tous sont exceptionnels à leur manière. Tel est le nerf de la foi protestante : l’individualisme religieux, le sacerdoce universel, qui fait de chaque croyant un prince, un élu duquel le Christ s’est approché. Personne n’est star parce que tous le sont : Déjà Luther proclamait que chaque croyant est son propre Pape ! Cet idéal de la personnalité croyante est donc la contrepartie du rejet de l’idolâtrie, du refus de tomber dans la fascination de personnes admirées pour leur destin, leur talent ou leur beauté hors du commun, avec le fantasme inavoué, qui peut traverser chacune et chacun de nous, de leur ressembler. Psychologiquement, il s’agit de combattre l’inévitable dévalorisation de soi qui accompagne la survalorisation l’autre.

Admirer et se laisser admirer : un besoin humain

Cela dit, il n’est pas certain que l’être humain soit capable de vivre sans modèles, sans images et sans récits en lesquels se projeter, s’imaginer, se rêver. Si dans son inconscient collectif, le protestantisme conteste les valeurs mondaines qui fondent la célébrité, il ne vise pas pour autant une communauté religieuse hors du monde, une secte qui s’isolerait de la société. Au contraire, les protestants ont voulu que les valeurs de l’Évangile, l’attention aux plus faibles, une chance accordée à tous, pénètrent l’ensemble de la société. Or, dans les faits, ils ont été conduits à accepter les inégalités, dans la mesure où une société sans écarts entre les riches et les pauvres, entre les gens célèbres et les inconnus, entre les réactionnaires et les conventionnels, les leaders et les suiveurs, n’existe tout simplement pas. Le raisonnement croyant a parfois été le suivant : Dans la mesure où ces inégalités sont seulement passagères ou illusoires, et en tous cas sans valeur aux yeux de Dieu qui regarde au cœur et non à l’apparence, il n’y a pas lieu de les combattre excessivement. Le croyant peut accepter qu’il y ait des stars adulées par les foules, alors même que tous les hommes sont également aimés par Dieu.

Guérir les protestants de leur allergie aux people ?

Reste à se demander si au sein du monde réformé, des figures marquantes, des pasteurs ou des théologiens people, ne pourraient pas redonner au mouvement l’émancipation qui lui manque ? L’idée passe mal, on le sait. Le rejet de l’idolâtrie est allé jusqu’à contester l’adoration religieuse de Jésus lui-même, qui fut à ses heures un people, alors, qu’en sera-t-il de l’imitation de croyants exemplaires ? Il y a eu, dans les Églises réformées, une tendance à mépriser toute considération numérique. Le protestantisme, entrainé par sa tendance à renverser les valeurs, en est venu à se glorifier de son insuccès. Aujourd’hui, avec une fréquentation encore en baisse, la « célébrité » du culte est devenue critique. L’opposé radical du people, c’est la marginalisation, l’insignifiance, l’oubli et la désaffectation. Visiblement, entre la séduction à bon marché, le fastfood religieux et la froide distance affectée des discours lénifiants, existe un espace en lequel refonder un protestantisme vivant, sincèrement croyant, ouvert et intelligent à la fois.

Article paru en 2012 dans la Vie protestante Neuchâtel-Berne-Jura, dans la Vie protestante de Genève et dans le journal vaudois Bonne Nouvelle.

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