Une justice qui restaure plus qu’elle ne punit

Le tribunal international de Nuremberg a permis de juger, de condamner et même d’exécuter les principaux chefs nazis après leur défaite, mais il n’a pas permis de juger les milliers d’Allemands, soldats, industriels, fonctionnaires ou simples citoyens, plus ou moins compromis par leur participation ou leur acquiescement à des actes criminels nazis. Nombre d’entre eux, sans jamais avoir été condamnés, ont pris conscience peu à peu des horreurs commises sous le régime nazi. Dans la nouvelle société allemande construite sur des valeurs non racistes de respect de l’individu, on peut même supposer que certains sont redevenus d’«honnêtes» citoyens. Un climat de justice a été peu à peu restauré sans que tous aient été jugés.

Cet exemple parmi tant d’autres montre que la justice des tribunaux, qui sanctionne des méfaits précis par une peine proportionnée au mal commis, ne permet jamais à elle seule de résoudre toutes les injustices. La «justice restaurative», un mouvement apparu dans les années 1970 et 1980 aux Etats-Unis et au Canada, entend justement proposer des méthodes alternatives de justice à celles employées lors des procès occidentaux.

Justice rétributive et restaurative

En fait, la justice peut procéder de deux manières complémentaires. Soit elle s’oriente vers le passé, en punissant les coupables d’actes inacceptables et en récompensant leurs victimes ; soit elle s’oriente vers l’avenir et privilégie la réparation des relations brisées, favorisant la prise de conscience des coupables et la réconciliation des ennemis. Dans les deux cas, il s’agit de rétablir un équilibre rompu par un délit, d’où l’image de la balance pour représenter la justice, mais la méthode privilégiée diffère.

La première justice, dite «rétributive», est celle que pratiquent nos tribunaux officiels en appliquant la loi de l’Etat. La punition infligée au coupable suppose que la peine subie (par exemple l’emprisonnement ou l’amande) est une manière de payer sa dette. En général, afin de garantir la neutralité du verdict et d’éviter toute forme de vengeance, les victimes interviennent peu dans cette justice d’Etat.

Pour la justice dite «restaurative», au contraire, ce qui compte le plus n’est pas d’avoir transgressé la loi de sa nation, mais d’avoir causé du tort à son prochain. Le mal commis a détruit ou détérioré un ensemble de relations. Cette autre forme de justice s’emploie donc à restaurer ces relations en invitant si possible les coupables et les victimes à se rencontrer. Sous le contrôle des juges et éventuellement avec l’aide d’assistants sociaux, les agresseurs et les personnes lésées sont invitées à choisir ensemble la façon de réparer les torts commis. Il ne s’agit donc pas nécessairement de pardonner, mais de responsabiliser les coupables et les victimes en les faisant participer au processus de justice.

Un héritage traditionnel

Redécouverte par le professeur Howard Zehr qui l’a popularisée dans le monde entier (cf. son ouvrage «La justice restaurative» publié en 2012 aux éditions Labor et Fides), cette approche relationnelle de la justice est en réalité très ancienne. Elle s’inspire des sociétés autochtones traditionnelles, dans lesquelles les conflits se règlent devant les chefs de tribus en présence des familles entières impliquées dans le litige. Jean Calvin, en instituant des Consistoires en ville de Genève, avait également réuni en une seule instance les pasteurs et les autorités de quartier, afin d’y maintenir l’ordre social.

L’ouvrage précité mentionne l’exemple du traitement de la délinquance juvénile en Nouvelle-Zélande. Dans ce domaine, la justice punitive des tribunaux a rencontré les critiques de la communauté maorie, qui la considérait comme un «modèle étranger imposé par la colonisation» (p. 73). Les tribunaux n’ont pas disparu depuis, mais le jugement des jeunes délinquants est complété par des «réunions du groupe familial» supervisées par des fonctionnaires des services sociaux en présence de représentants de la police.

Un même type d’approche humaine serait sans doute profitable au traitement de la radicalisation religieuse qui mène certains marginaux de nos pays d’Europe à commettre des actes terroristes particulièrement barbares. Alors que les kamikazes ne sont plus là pour être jugés, il faut faire appel à une approche plus globale de la justice. Les abuseurs étant eux-mêmes souvent des victimes, il s’agit de guérir le mal à sa source en restaurant le lien social profondément détérioré qui conduit aux pires inhumanités.

Article paru dans La vie protestante Neuchâtel-Berne-Jura No. 7, septembre 2016, dans le cadre du dossier « Nuremberg, un leg à la civilisation ».

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