Impérialisme occidental et délire djihadiste

Certains pays du Moyen-Orient et de l’Afrique, dont la Syrie, l’Irak, la Libye et le Nigeria, connaissent un fort regain de violence liée à l’intégrisme religieux. La complexité des conflits en présence empêche de les expliquer par un seul facteur, mais la part de responsabilité de l’Occident n’est pas négligeable. L’analyste Noam Chomsky va jusqu’à affirmer que le colonialisme européen, puis l’impérialisme américain, exercent depuis deux siècles une forme de «terrorisme» sur le reste du monde, à l’origine des guerres civiles qui permettent l’émergence d’Etats voyous comme Daech.

De la colonisation au Califat

La France et la Grande-Bretagne signent en 1916 les accords Sykes-Picot par lesquels elles se partageant le Moyen-Orient en zones d’influence. Les frontières de la Syrie et de l’Irak sont issues de cette colonisation du monde arabe, qui impose des institutions de type européen (écoles, universités, parlements, tribunaux laïcs, etc.) à des populations musulmanes qui fonctionnent encore partiellement en mode tribal.

En 1924, sous l’impulsion d’Atatürk, l’assemblée turque proclame l’abolition du Califat ottoman et marque la création de la Turquie moderne. Une dynamique d’occidentalisation se répand dans tout le Moyen-Orient. A partir des années 1950, une première lutte pour leur indépendance nationale est menée par les républiques laïques autoritaires instaurées par les Occidentaux. Les régimes baathistes de la famille Assad en Syrie et de Saddam Hussein en Irak inculquent une vision faussée de la démocratie à leurs populations.

La mouvance djihadiste se développe dans ce climat instable, nourrie par l’islam wahhabite des écoles coraniques d’Arabie Saoudite. Ses actions terroristes sont dirigées à la fois contre l’«ennemi proche» que sont les «régimes impies» en terre d’islam, dans le but de restaurer le Califat, c’est-à-dire un Etat islamique dirigé par un successeur du Prophète ; et l’«ennemi lointain» que représente l’Occident mécréant. N’étant parvenu à destituer aucun régime au Moyen-Orient, le réseau Al-Qaïda internationalise sa stratégie et frappe les Etats-Unis sur leur terre. Le but du djihad est donc la décolonisation radicale des pays musulmans, la refondation du Califat et l’islamisation du monde. Il s’agit d’un conflit de civilisation contre la globalisation planétaire libérale et interculturelle.

Chiites contre sunnites

Si la violence djihadiste est motivée par une vengeance face à l’envahisseur croisé, la géopolitique ne permet pas à elle seule d’expliquer la création de Daech en 2013 par une dissidence d’Al-Qaïda en Irak. L’autre raison du succès de ce djihadisme territorial est la rivalité entre chiites et sunnites à l’intérieur de l’Irak. Leur scission remonte à une querelle de succession entre les premiers califes du VIIe siècle ap. J.-C. Selon Bernard Wicht, qui enseigne la géostratégie à l’UNIL, les chiites, considérés comme une minorité par les sunnites, «sont devenus dominants aujourd’hui. Contrairement aux pays arabes, l’Iran (première puissance chiite) a réussi sa révolution nationale de sorte qu’on voit émerger une nation iranienne moderne prête pour l’âge global».

Lors de l’invasion de Irak en 2003 par les Etats-Unis à la tête d’une coalition occidentale, le régime baathiste de Saddam Hussein, largement dominé par les sunnites, est renversé. Identifiés à l’ancienne dictature, les sunnites sont marginalisés autant par les américains que par les chiites et les kurdes. Nouri al-Maliki, nommé Premier ministre en 2006, systématise leur répression, poussant les tribus sunnites du nord de l’Irak à faire allégeance aux islamistes radicaux, pourtant violents à leur égard. Ces terroristes, alliés à certains cadres du parti Baas, se transforment de fait en une nouvelle autorité politique territoriale opposée au nouveau régime chiite de Bagdad. Ce mouvement va naturellement se fédérer avec les sunnites syriens qui subissent la répression du régime alaouite (une branche du chiisme) de Bachar al-Assad. La naissance de Daech qui en résulte est donc aussi une revanche des Arabes sunnites dépossédés du pouvoir contre les Arabes chiites.

Un objectif qui autorise tout

Daech ne reconnaît aucun Etat issu de la colonisation et annonce logiquement l’abolition de la frontière entre la Syrie et l’Irak. Le Califat est fondé exclusivement sur la loi islamique originelle et vise la conversion du monde à l’islam. Au nom de cet objectif idéal, tout semble permis, y compris le meurtre, la mutilation, le rapt et le viol des femmes et des filles des vaincus, alors même que ces pratiques sont condamnées par le Coran.

Article paru dans La vie protestante Neuchâtel-Berne-Jura No. 3, avril 2016, dans le cadre du dossier « Violence et fanatisme ».

 

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