Le courage d’être visibles

Depuis le tournant du siècle, les réformés prennent mieux conscience de leur manque de visibilité sociale et de ses conséquences en termes de marginalisation de leurs Eglises. Par le passé, ils ont été marqués par l’idée que la visibilité et le succès social sont des questions indifférentes pour la foi et en tous cas pas des valeurs à cultiver. A vrai dire, les Eglises pouvaient compter sur leur assise institutionnelle acquise au cours des siècles, ce qui est moins le cas aujourd’hui.

Divers facteurs sont à l’origine de cette suspicion réformée envers tout effort de visibilité. Certains théologiens et pasteurs soulignent fortement que l’Evangile nous appelle à nous démarquer des valeurs modernes de succès et de réussite. La foi est à leurs yeux une valeur si profonde et intime qu’elle n’est pas concernée par l’estime et l’intérêt que nous rencontrons auprès des hommes. Selon certaines manières de comprendre la théologie de la croix développée par Martin Luther, la reconnaissance sociale pourrait même être le signe que l’on s’éloigne de la militance du Christ, car ce dernier meurt incompris et abandonné de tous sur la croix.

De ce point de vue, l’insuccès et la faible visibilité des Eglises réformées sont les signes de leur fidélité à l’Evangile et de leur refus de participer à l’esprit de compétition capitaliste et de confort égoïste des pays riches. Cette argumentation traditionnelle pourrait cependant cautionner un peu trop facilement une politique conservatrice caractérisée par son manque de créativité. Au nom d’une théologie de la croix mal comprise, c’est à se demander si les réformés ne s’interdisent pas le succès, victimes de leur tradition d’austérité. Cette attitude pourrait même cacher une forme de capitulation de la foi protestante devant les avancées de la culture moderne sécularisée.

Visibilité et mort du Christ

Sur le plan biblique, en faveur du courage de s’affirmer et d’être visibles, on peut faire valoir que Jésus a rencontré un important succès de son vivant. Son message, son action et sa communauté répondaient aux attentes et aux besoins de nombreuses personnes opprimées et sa critique des institutions en place ne laissait personne indifférent. Son engagement, sa persévérance et ses efforts ont eu un large impact social.

Ce succès a par ailleurs suscité beaucoup d’oppositions et de jalousies parmi les puissants qui ont abusé de leur pouvoir pour l’éliminer. La mort de Jésus ne peut donc pas constituer à elle seule le sens de l’Evangile, car elle est la conséquence directe de la visibilité de ses réformes. Et cette mort non plus, quoiqu’ignoble, n’est pas à considérer unilatéralement comme un échec, puisqu’elle a conduit ses disciples à rompre avec la tradition et à développer une communauté de renouvellement spirituel à vocation planétaire.

S’exposer au monde

La visibilité d’un mouvement spirituel, quel qu’il soit, est liée à sa capacité à répondre aux attentes et aux besoins d’un certain nombre de personnes dans une société, mais aussi à sa capacité à interpeller la société sur certains sujets dérangeants. En cela, la visibilité révèle un aspect de l’authenticité, de la créativité et du «courage d’être» d’un mouvement de foi, selon l’expression du théologien Paul Tillich. En déclarant à ses fidèles qu’ils sont «la lumière du monde», Jésus les invite d’ailleurs à s’exposer prudemment dans l’espace public en diffusant un enseignement, une sagesse, une visée spirituelle et divine qui implique intimement leur existence personnelle. Dans ce sens, la visibilité est à la fois la marque d’un courage et d’une compétence à solutionner certains problèmes sociaux. Elle n’est pas seulement, comme le pensent certains réformés, une vaine recherche de gloire personnelle aux yeux des hommes, elle est aussi un devoir spirituel.

A l’inverse, lorsque les gens ne trouvent pas ce qui leur correspond dans les Eglises, ils cherchent des ressources spirituelles ailleurs, irrésistiblement attirés par la quête de sens qui les habite. Cela ne doit pas pour autant nous condamner au succès à tout prix. Il existe en effet diverses voies de réussite sociale, allant de la visibilité bien méritée d’un projet murement réfléchi au populisme opportuniste et racoleur qui existe aussi dans la sphère religieuse. La réussite peut se concevoir comme la conjonction de deux facteurs : Ce qui dépend de nous, notre persévérance à nous former et à agir, et ce qui ne dépend pas de nous, les concours des circonstances, le destin, la providence et la grâce.

Article paru dans La vie protestante Neuchâtel-Berne-Jura No. 4, mai 2016, dans le cadre du dossier « Visibilité oblige ».

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